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Le jardin des Finzi-Contini (Il giardino dei Finzi-Contini)

Publié le par Rosalie210

Vittorio De Sica (1970)

Le jardin des Finzi-Contini (Il giardino dei Finzi-Contini)

"On n'échappe pas au temps". Cette phrase extraite de "La Jetée" de Chris Marker pourrait parfaitement s'appliquer à l'histoire du film, inspirée du livre au titre éponyme de Giorgio Bassani. En effet face aux persécutions croissantes frappant les juifs italiens entre 1938 et 1943, la bourgeoisie juive de Ferrare choisit dans sa majorité le déni. Cette attitude est incarnée jusqu'à la caricature par la grande famille des Finzi-Contini qui possèdent un manoir et un immense domaine dans lequel ils peuvent se croire à l'abri de la tempête qui gronde à leurs portes. Ils s'y cloîtrent, vivant en autosuffisance, accueillant les autres familles de leur milieu pour leur fournir les services (cours de tennis, bibliothèque) qui leur sont désormais interdits par la politique discriminatoire menée par Mussolini en gage de son alliance avec Hitler. Mais comme Louis XVI et Marie-Antoinette qui se croyaient protégés à Versailles, ils seront rattrapés par l'Histoire en marche. "Le jardin des Finzi-Contini" qui bénéficie d'une très belle photographie vaporeuse renforçant l'idée d'irréalité dans laquelle baignent les personnages est donc une tragique histoire d'aveuglement collectif. Seul Giorgio le narrateur qui appartient à une bourgeoisie moins friquée que celle des Finzi-Contini est capable de regarder la réalité en face. Mais durant tout le film, il se heurte à des murs. Son père tout d'abord à qui il essaye d'ouvrir les yeux mais en vain. Micol (Dominique Sanda) ensuite, la fille des Finzi-Contini dont il est amoureux depuis l'enfance. Mais celle-ci, comme le père de Giorgio est engluée dans une étrange passivité qui se double d'un comportement fuyant dès que Giorgio lui manifeste son amour. Elle préfère se cloîtrer dans son jardin et avoir des relations sexuelles impersonnelles, croyant sans doute ainsi assurer sa sécurité. Une erreur tragique qui la condamne tout comme le reste de sa famille (symbolisée par Alberto, son frère souffreteux dont elle est très proche joué par Helmut Berger) alors que Giorgio prend la place de son père défaillant pour sauver la sienne.

Le contexte historique du film est cependant très imprécis. Mussolini et l'Italie sont dépeint comme des clones du Troisième Reich et de Hitler ce qui est inexact. Le fascisme n'était pas antisémite à l'origine, les juifs italiens étaient bien assimilés et une partie d'entre eux étaient eux-mêmes fascistes. Mais la radicalisation nationaliste du régime, l'alliance avec les nazis et l'imminence de l'entrée en guerre entraînèrent l'exclusion des juifs de la vie publique et de la communauté nationale (interdiction des mariages mixtes) à partir de 1938 pour des raisons essentiellement opportunistes. Cependant l'adhésion populaire à cette politique fut faible, il n'y eu pas de ghettos et de pogroms et la dernière phase, celle des arrestations et déportations à partir de 1943 fut le fait des nazis lorsqu'ils occupèrent l'Italie après l'effondrement du régime de Mussolini. D'ailleurs lorsque les italiens occupèrent le comté de Nice de 1940 à 1943 ce fut une des principales régions-refuge pour les juifs avant que celle-ci ne se transforme en piège lorsque les allemands en prirent le contrôle.

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Plein Soleil

Publié le par Rosalie210

René Clément (1960)

Plein Soleil

Aujourd'hui "Plein Soleil" se confond avec l'avènement de sa star, le fauve Alain Delon qui irradie de jeunesse (il n'avait que 23 ans au début du tournage!), de beauté, de magnétisme animal. Ce n'était pas son premier film mais c'est celui qui l'a révélé dans un rôle qui lui va comme un gant et pour cause, c'est lui qui l'a choisi presque contre tout le monde. Il fallait oser tenir tête pour un quasi-inconnu à l'époque à l'équipe du film qui lui avait attribué le rôle ingrat de la doublure. L'audace et la conviction intime paient. Sans "Plein Soleil", Luchino Visconti n'aurait pas engagé Alain Delon pour "Rocco et ses frères" et ce dernier n'aurait sans doute pas eu la même carrière.

A l'image de sa star, "Plein Soleil" est un film culotté à qui sa restauration en 2013 a permis de retrouver une seconde jeunesse. Trop vite catalogué par la Nouvelle Vague dans la catégorie "cinéma de papa", René Clément réalise pourtant un film qui penche bien plus du côté des Godard, Truffaut et consorts que du cinéma académique réalisé en studio. Il y a l'insolence de la jeunesse du jeune loup cité plus haut qui n'a rien à envier à son contemporain, Jean-Paul Belmondo révélé par "A bout de souffle". Il y a l'apport décisif du chef opérateur Henri Decaë (celui des "Quatre Cent Coups") dont le travail sur la lumière et les couleurs force l'admiration, particulièrement dans les scènes de haute mer. Celui du scénariste de Chabrol, Paul Gégauff. Enfin le travail de René Clément lui-même qui se révèle extrêmement talentueux dans l'art de filmer en décors naturels à la façon d'un documentaire que ce soit Alain Delon se débattant au milieu des éléments déchaînés ou déambulant dans des scènes de foule. 

Et puis il y a la thématique évoquée dans le film qui n'est pas moins audacieuse. "Plein Soleil" est en effet la première adaptation de "Monsieur Ripley", le premier roman que Patricia Highsmith a consacré à Tom Ripley, héros amoral et ambigu sexuellement. Dans "Plein Soleil" comme dans les adaptations ultérieures des romans mettant en scène le personnage ("L'Ami Américain" de Wim Wenders, "Le Talentueux Mr Ripley" de Anthony Minghella etc.) tout comme d'ailleurs dans des adaptations plus ou moins libres d'autres romans de l'auteure ("L'Inconnu du Nord-Express" de Alfred Hitchcock, "Harry, un ami qui vous veut du bien" de Dominik Moll etc.) le thème du double est une véritable obsession. Dans une scène emblématique située au début de "Plein Soleil", Tom Ripley  (Alain Delon) enfile le costume de son rival bourgeois Philippe (Maurice Ronet) et s'admire dans la glace, imitant ses intonations et allant jusqu'à embrasser son reflet. Illusion narcissique brisée lorsqu'apparaît ledit Philippe armé d'une cravache. Scène homoérotique typique qui définit les rapports des deux hommes basés sur la gémellité/complicité, l'ambiguïté des désirs et le sado-masochisme*. Du moins jusqu'à ce que les deux ne fassent plus qu'un (dans une pulsion à la fois fusionnelle et meurtrière) et que Ripley doive endosser une double identité qui s'avère au final trop lourde pour les épaules d'un seul homme, de nombreux éléments de mise en scène soulignant la solitude du personnage comme la fatalité de son destin.

* Une décennie plus tard, le "couple" formé par Alain Delon et Maurice Ronet a rejoué une partie des enjeux de "Plein Soleil" non plus à bord d'un bateau mais au bord de "La Piscine" avec pour pôle féminin Romy Schneider qui fait une brève apparition dans "Plein Soleil", Marie Laforêt interprétant le rôle de Marge, la petite amie de Philippe. D'une certaine manière, "La Piscine" est le jumeau de "Plein Soleil".

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Dolls

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2002)

Dolls

Les différents visages de Takeshi Kitano sont réunis au sein de cette œuvre-somme qu'est "Dolls". Le peintre, le poète, l'ex-animateur TV comique défiguré par son "accident" et reconverti en observateur contemplatif et mélancolique de la nature sans parler des activités de sa famille (père fricotant avec le milieu des yakuzas, grand-mère conteuse de bunraku et joueuse de shamisen).

Le film commence par une représentation de bunraku, le théâtre de marionnettes traditionnel japonais qui donne son titre mais aussi son unité au film. D'emblée nous sommes placés dans le domaine de la représentation et de la tragédie. Les personnages du film, tirés de contes sont effectivement dépeints comme des marionnettes qui paient le prix du sacrifice de leur moi authentique à l'illusion de la réussite sociale. Bien qu'il suit trois histoires en parallèle, dispositif que j'apprécie peu habituellement, il ne leur donne pas la même importance. L'une d'entre elles constitue le "fil rouge" des autres, au sens propre comme au sens figuré et s'impose comme LE morceau de bravoure du film. Il s'agit des "mendiants enchaînés", Matsumoto et Sawako, figures spectrales reliées l'une à l'autre par une corde rouge qui errent à travers les paysages du Japon (et s'invitent dans les autres histoires) au fil des quatre saisons. La transition de l'une à l'autre s'effectue comme un changement de décor au théâtre alors que les deux personnages déambulent dans des tenues signées du grand couturier Yohji Yamamoto. Impression d'artifice renforcée par le fait qu'à la fin de l'histoire ils revêtent les kimonos des marionnettes vues au début du film dont ils sont donc l'incarnation. Matsumoto est écrasé par la culpabilité d'avoir cédé à la pression sociale en abandonnant sa fiancée pour faire un mariage d'intérêt. Sawako est coincée quelque part entre le monde des morts et celui des vivants depuis sa tentative de suicide. Son comportement est devenu celui d'une autiste. Elle a perdu l'usage de la parole, regarde dans le vide, marche de façon mécanique, ne réagit plus à son environnement et fixe son attention sur des objets, notamment un jouet dans lequel elle souffle inlassablement, fascinée par la petite balle qui s'élève dans les airs. Mouvement de balancier répété à l'infini également lorsque Matsumoto l'attache pour la première fois à la voiture avec la corde.

Ces amants tragiques sont omniprésents dans le film, soit au premier plan, soit en toile de fond. Ils donnent donc sens aux deux autres histoires qui semblent anecdotiques à première vue mais constituent en fait des fragments de l'histoire personnelle de Kitano. Haruna est une version féminine de lui-même, une pop idol de studios TV dont l'image est vénérée par ses fans jusqu'au jour où elle est défigurée par un accident et se retire du monde pour contempler la mer avec l'œil qui lui reste. Son fan réussit à parvenir jusqu'à elle… en se crevant les yeux comme Oreste avant de crever tout court. Un nihilisme qui fait froid dans le dos mais qui ressemble bien à la philosophie de Kitano. Ainsi en va-t-il de ce yakuza* qui au moment d'aborder la retraite comprend qu'il est peut-être passé à côté de l'essentiel mais c'est trop tard.

C'est ainsi que le sens du titre du film s'enrichit. Les "Dolls" ce ne sont pas seulement les marionnettes de bois mais aussi celles de chair et de sang qui préfèrent se laisser manipuler par le destin (un fatum lié aux pressions sociales dans le film) que d'assumer leurs propres choix. A l'exception de Matsumoto qui finit par lâcher prise avec le matérialisme pour suivre Sawako, comme le souligne l'évolution de sa voiture tape à l'œil qui finit à l'état d'épave au fur et à mesure que les deux amants se clochardisent.

* Milieu souvent dépeint par Kitano en raison des fréquentations de son père démissionnaire et de sa propre proximité avec les voyous dans sa jeunesse.

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Obsession

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1976)

Obsession

"Obsession", l'une des œuvres maîtresse de Brian de Palma contient un passage qui a mon avis résume parfaitement la nature de palimpseste de nombre de ses films:

"Il y a quelques années, bien après les inondations, l'humidité s'est infiltrée dans le retable qui a commencé à s'écailler, révélant un tableau plus ancien. Alors les historiens d'art ont dû prendre une décision. Fallait-il détruire l'œuvre de Daddi pour mettre à nu une ébauche rudimentaire ou conserver le tableau sans chercher à savoir ce qui se cache dessous?"

Les œuvres plus anciennes recouvertes par le tableau mais qui lui donnent toute sa force se sont celles de Alfred Hitchcock pour lesquelles Brian de Palma nourrit une véritable obsession et qu'il revisite d'une manière inspirée, particulièrement dans ce film. En effet on reconnaît parfaitement les œuvres du maître et pourtant jamais on a l'impression de la moindre redite. De plus loin d'être un exercice de style un peu vain, cette variation aboutit à un final bouleversant. 

Dès le générique, le patronage est assumé puisque la musique est signée Bernard Herrmann et s'inspire beaucoup de celle de "Vertigo", de loin le film le plus présent dans le film de De Palma. Que ce soit au niveau de l'atmosphère onirique obtenue à l'aide de filtres qui donnent à l'image un aspect ouaté, des lieux visités qui bien que géographiquement situés aux antipodes dialoguent entre eux (cimetière, église, tombeau) des mouvements de caméra où la figure circulaire à l'image de l'histoire est récurrente ou enfin des thèmes abordés (un veuf inconsolable découvre un sosie de son épouse décédée pour laquelle il éprouve une obsession amoureuse sans savoir qu'il est victime d'une manipulation de la part d'un faux ami avec la complicité du sosie), tout rappelle "Vertigo" dans "Obsession" avec un effet de mise en abyme supplémentaire puisque "Vertigo" était déjà une métaphore du cinéma. Mais si la beauté de "Obsession" est due à la relecture de "Vertigo", son âme quant à elle doit beaucoup à "Pas de printemps pour Marnie." La façon dont Sandra revit le traumatisme infantile de son abandon tout en étant filmée dans son corps d'adulte est semblable et Geneviève Bujold donne à son rôle la même intensité bouleversante que Tippi Hedren dans le film de Hitchcock. Il faut entendre ce cri du cœur qu'elle pousse à la fin du film et qui sonne comme une résurrection: "Papa, tu as apporté l'argent!" C'est alors seulement que Michael Courtland (Cliff Robertson, monolithique mais cela convient parfaitement au personnage qu'il interprète, celui d'un mort-vivant) reconnaît sa fille à travers les traits de sa femme. La nécrophilie de "Vertigo" est ainsi remplacée par le thème de l'inceste. Comme dans "Peau d'âne" de Jacques Demy, un père qui n'arrive pas à faire le deuil de sa femme s'apprête à épouser sa fille à qui il prête des traits identiques. Une même actrice interprète le rôle de la mère défunte et de sa fille devenue adulte que le père ne veut pas reconnaître comme telle, l'obligeant en quelque sorte à s'enfuir ou à chercher à se venger. On reconnaîtra ici et là une citation de "Rebecca" et une parodie du meurtre de "Un crime était presque parfait" mais ce sont vraiment "Vertigo" et "Marnie" qui sont revisités de la plus belle des manières.

* Brian de Palma est un cinéaste qui divise, certains le considérant comme un perroquet/copieur/plagiaire. A mon avis c'est une incompréhension de la démarche de ce cinéaste qui investit des œuvres préexistantes comme s'il s'agissait de mythes que l'on peut réinterpréter à l'infini sans qu'ils ne perdent pour autant de leur force (les films de Hitchcock mais aussi "Le fantôme de l'opéra" (1943) ou "Blow-up" (1966). "Vertigo" a inspiré par ailleurs d'autres grands films sans que pour autant on ne reproche leur source d'inspiration à Chris Marker, Terry Gilliam ou David Lynch.

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La Guerre est finie

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1966)

La Guerre est finie

"La Guerre est finie" est typique de la grammaire cinématographique très découpée et montée par laquelle Alain Resnais retranscrivait les méandres de l'esprit humain dans ses films des années 60 ("L'année dernière à Marienbad", "Muriel ou le temps d'un retour", "Je t'aime, je t'aime"). Comme "Muriel ou le temps d'un retour", il s'agit d'un film politique et comme "L'année dernière à Marienbad" il tire sa substance d'un matériau littéraire à savoir le scénario de Jorge Semprun très proche de son histoire personnelle. Comme le personnage principal Diego/Carlos, Jorge Semprun est un réfugié politique espagnol qui a fait partie des cadres permanents du PCE (parti communiste espagnol) en exil en France pendant la dictature de Franco. Il a effectué plusieurs séjours clandestins en Espagne sous des identités d'emprunt pour coordonner la résistance intérieure et extérieure au régime franquiste. Mais il a fini par douter des méthodes de lutte du parti et en a été exclu en 1964. C'est Yves Montand, acteur aux positions antifascistes bien connues et qui un peu plus tard allait s'illustrer dans le cinéma engagé de Costa-Gavras (lui aussi scénarisé par Semprun) qui est choisi pour interpréter Diego/Carlos. Celui-ci est donc ce militant dévoué corps et âme à la cause qui brusquement à la suite d'un contrôle douanier à la frontière se met à douter du sens de son action autant que des moyens mis en œuvre. Crise de foi alimentée par sa vie instable et ses nombreuses identités d'emprunt dans lesquelles il se perd comme dans un labyrinthe. Le film est l'occasion de se replonger dans une période où l'Europe était divisée non seulement par la guerre froide mais aussi par le clivage entre les dictatures du sud et les démocraties du nord. Une période de militantisme politique et d'engagement où des hommes sacrifiaient leur vie privée et risquaient leur liberté voire leur vie pour leurs convictions (cela n'a pas complètement disparu en Europe d'ailleurs avec les attentats des terroristes islamistes qui sont faits du même bois à défaut d'avoir les mêmes buts). Mais tout cela dans un contexte, celui des années 60 bouleversé par les 30 Glorieuses et notamment par le tourisme de masse autant que par la montée en graine d'une nouvelle génération militante, celle de 1968 partisane de méthodes plus musclées. 

Néanmoins le film a par certains côtés un caractère daté en dépeignant un monde politique à l'ancienne où les réseaux clandestins ressemblent finalement à ceux qu'ils combattent. Il s'agit dans les deux cas de manipuler des masses fantasmées autant que vues comme de la potentielle "chair à canon" alors que les femmes, largement exclues des cercles décisionnels ont principalement trois rôles:

1) Faire le café pour ces messieurs très occupés à refaire le monde dans leur fumoir.

2) Servir d'objet sexuel, le fameux "repos du guerrier". Le montage d'Alain Resnais comme dans "Je t'aime, je t'aime" souligne le caractère interchangeable de ces femmes qui, éblouies par tant de courage viril, offrent leur corps au "héros révolutionnaire" en espérant récolter des miettes de son prestige ou bien en quémandant un tout petit peu d'engagement (mais monsieur est trop occupé à des affaires vraiment importantes ou à profiter des lits qui s'ouvrent sur son passage pour penser à faire un enfant par exemple).

3) Etre l'ancrage du marin, celle qui attend passivement mais courageusement son retour ou le pleure et entretient sa mémoire s'il ne rentre pas. 

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L'Ange Bleu (Der blaue Engel)

Publié le par Rosalie210

Josef von Sternberg (1930)

L'Ange Bleu (Der blaue Engel)

"L'Ange bleu" est ce qu'on appelle un classique incontournable de la cinématographie mondiale parce que c'est le premier film parlant du cinéma allemand et qu'il a révélé l'une des plus grandes stars du XX° siècle, alias Marlène Dietrich. D'ailleurs l'aura du film est aujourd'hui davantage liée à cette dernière qu'à son statut d'héritier de la faste période muette expressionniste des années 20. A l'époque, Emil Jannings était la plus grande star allemande mais il n'est pas entré dans la mémoire collective mondiale. Non qu'il manquait de charisme mais il avait tendance à surjouer. Ce qui était naturel au temps du muet où il fallait exagérer l'expressivité a perdu de sa pertinence avec l'arrivée du parlant. Ensuite, les rôles endossés par Emil Jannings n'ont pas contribué à le faire passer à la postérité. Comme dans "Le Dernier des hommes" de Murnau, il joue un rôle qui se confond avec son habit social avant de connaître la déchéance (pour mémoire dans "Le Dernier des hommes " il finissait en monsieur pipi et dans "L'Ange bleu" en clown sur la tête duquel on casse des œufs alors qu'il était au départ respectivement portier et professeur). Cette fascination pour le costume prestigieux, le côté guindé/coincé qui va avec et ce masochisme ne sont plus ce qui traduit le mieux actuellement le déclassement social. Enfin la vie et la scène ne faisant qu'un, le fait que Emil Jannings se soit compromis avec Hitler (même s'il ne fut jamais membre du parti nazi) précipita la fin de sa carrière puisqu'il fut blacklisté par les alliés. A l'inverse de Emil Jannings, Marlène Dietrich qui avait déjà tourné mais qui était alors inconnue (elle fut imposée au forceps par Sternberg) fit les bons choix qui lui ouvrirent les portes d'Hollywood avec le succès que l'on sait. Et en dépit de l'âge du film, sa prestation pleine d'aplomb reste toujours aussi fascinante d'autant plus qu'elle est filmée d'une manière extrêmement érotique par Josef von Sternberg qui insiste particulièrement sur ses jambes (quand elle enlève ses bas, on pense à "Gilda"). C'est d'ailleurs la partie cabaret du film qui a le mieux passé les épreuves du temps, le film éponyme de Bob Fosse s'en étant fortement inspiré. Josef von Sternberg tire remarquablement parti des contraintes cinématographiques de l'époque et fait construire des décors qui reflètent la psyché malade du professeur, notamment les coulisses étriquées du cabaret que von Rath encombre, lui qui ne sait pas quoi faire de son corps et qui se fait ridiculiser (le clown triste qui colle à ses basques annonce son destin funeste) avant même de subir l'opprobre dans son prestigieux "gymnasium" pour s'être compromis avec une vulgaire chanteuse de cabaret. Un univers parfaitement reconstitué d'autant que von Sternberg venait d'un milieu populaire qui contraste avec la morgue hautaine du professeur. Mais dès les premières images, le faux-semblant domine sa vie avec un décalage total entre le costume et le titre dans lesquels il se pavane et sa chambre miteuse sous les toits ainsi que le manque de respect flagrant (et justifié) des élèves à son égard. Il en va de même de son attitude rigide et moralisatrice de père la pudeur qui tel un ballon de baudruche se dégonfle en quelques secondes lorsque Lola-Lola lui jette sa culotte à la figure (et oui, bien avant Madonna!) Enfin l'utilisation du son qui était alors une nouveauté est assez saisissante là aussi avec une alternance de passages silencieux hérités du muet et de passages bruyants dans le cabaret notamment, la transition de l'un à l'autre s'effectuant brutalement lorsque les portes se ferment derrière les artistes.

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Whitney

Publié le par Rosalie210

Kevin MacDonald (2018)

Whitney

Les fans de Whitney Houston seront soit comblés, soit déçus par le documentaire de Kevin MacDonald qui mêle images d'archive et entretiens de ses proches face caméra. Ce sont en effet moins ses performances vocales qui sont au cœur du film que les raisons de son succès qui paradoxalement sont également celles de sa déchéance physique, professionnelle, matérielle et morale. En effet, ce qui ressort beaucoup, ce sont les problèmes affectifs et identitaires de la jeune femme, modelée très tôt par sa famille (le clan puis avec les dollars l'empire Houston) pour sortir du ghetto et plaire à l'Amérique WASP (d'où son rejet par une partie de l'Amérique noire qui l'avait renommée "Whitey"). Une famille toxique en dépit de nombre de membres talentueux mais restés dans l'ombre comme Cissy la mère de Whitney qui fut choriste d'Aretha Franklin ou ses cousines Dionne et Dee Dee Warwick également chanteuses. Du choix de son prénom (en référence au personnage d'une série mettant en scène la middle class blanche) à ses études dans une école privée catholique puis à une carrière orientée vers des tubes grand public, tout a été fait pour blanchir Whitney. Avec le succès que l'on sait mais au prix d'un déracinement, d'une perte d'identité et de repères qui l'a plongé dans le chaos et fait d'elle la marionnette de tous les appétits et névroses de son clan. Entre son père (et d'autres) qui l'ont exploité financièrement, sa mère et ses cousines qui ont pu profiter de son succès par procuration sans parler de celle qui l'a en plus abusé sexuellement, son demi-frère avec lequel elle a plongé dans la drogue jusqu'au cou, son mari jaloux d'avoir moins de succès qu'elle et qu'elle avait épousé tout en restant proche de sa directrice artistique Robyn Crawford avec laquelle elle avait eu une relation qui remontait à son adolescence, tout cela constituait une charge que n'a pas non plus supporté la fille de Whitney, Bobbi Kristina morte trois ans après sa mère dans les mêmes circonstances (overdose et noyade dans la baignoire). Le film effectue un parallèle non dénué de fondement avec Michael Jackson, lui aussi un afro-américain blanchi dressé et exploité par sa famille qui avait de gros problèmes d'identité. Néanmoins le manque de personnalité de Whitney Houston et le fait que les chanteuses à voix ne soient pas ma tasse de thé constituent des limites à mon intérêt pour ce documentaire.

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Gran Torino

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (2008)

Gran Torino

Les apparences sont trompeuses et les "Mein Kampf de l'ouest" (pour reprendre une expression employée à propos de "L'homme des hautes plaines") ne sont pas ceux que l'on croit. D'un côté de jeunes réalisateurs branchés peuvent faire passer leurs positions troubles comme une lettre à la poste. Je pense par exemple à "Whiplash" sur lequel j'ai eu tout récemment une discussion fort animée avec deux de ses ardents défenseurs. Pour mémoire dans le film, un jeune batteur jugé par son prof de musique trop tendre doit endurer toute une série de sévices physiques et psychologiques pour extirper la "tarlouze sodomite" qui est en lui et devenir le meilleur en son domaine ce qu'il finit par atteindre lors d'une scène finale en apothéose qui valide les idées et les méthodes de ce prof. Pourtant jamais "Whiplash" n'a été jugé fasciste ni même homophobe.

De l'autre il y a des réalisateurs qui parce qu'ils ont la tête de l'emploi, des positions politiques conservatrices et ont joué du flingue au cinéma ont subi durant tout ou partie de leur carrière des accusations réitérées de machisme, de fascisme et de nazisme. Evidemment Clint Eastwood est de ceux-là, sa personnalité ayant été assimilée à celle de l'homme sans nom des films de Léone et encore plus avec celle de l'inspecteur Harry. Or les films qu'il a réalisé plaident pour une tout autre version du bonhomme. Prenons l'exemple de "Gran Torino" qui est l'un des films de lui que je préfère.

Dans un premier temps, Clint Eastwood s'y moque de lui-même ou plus exactement de l'image réac que l'on a de lui. Il va donc l'exagérer en campant un vieux con misanthrope, aigri, chauvin, raciste et bas been qui passe plus ou moins son temps à cracher, astiquer sa Gran Torino et ses armes (deux symboles de l'Amérique conservatrice) et maugréer contre ses voisins asiatiques qu'il ne peut pas souffrir et traite de tous les noms. Ce sens de l'autodérision atteint son sommet lorsque l'un de ses fils vient lui proposer des objets pour personnes âgées et des brochures pour des maisons de retraites.

Dans un second temps, il va déconstruire cette image point par point. Il prend sous son aile Thao, le fils de ses voisins Hmong*, un adolescent peu sûr de lui et harcelé par ses cousins qui font partie d'un gang qui veut imposer sa loi à sa famille matriarcale. La transmission filiale est un thème cher au cinéaste, lui qui se situe dans une continuité certaine avec le classicisme hollywoodien tout en conservant une farouche indépendance d'esprit ce qui lui donne d'autant plus la liberté de tendre la main à des jeunes exclus du système. Ensuite, dans ce qui est un film avant tout testamentaire, il reprend tous les codes du vigilante movie auquel il a été si souvent associé pour mieux les déjouer lors d'un acte final sacrificiel rédempteur christique devenu culte. Le portrait de cet ancien combattant de la guerre de Corée ayant travaillé un demi-siècle chez Ford, bref celui de l'américain modèle travailleur et patriote aboutit paradoxalement à une vision désenchantée de l'Amérique: il est hanté par les crimes de guerre qu'il a commis, voit le quartier de Détroit où il a toujours vécu se transformer en ghetto, ne parvient pas à communiquer avec sa famille biologique et la religion chrétienne ne lui est d'aucun secours. Bref il ne peut s'appuyer sur aucune des institutions fondatrices de l'Amérique traditionnelle. En revanche il trouve du réconfort dans la convivialité de ses voisins et le chaman local parvient sans difficulté à le percer à jour ce qui le bouleverse. C'est à ce moment précis qu'il comprend qu'il a bien plus de choses en commun avec les Hmong qu'avec sa propre famille américaine. Enfin le personnage clé de Sue, la grande sœur de Thao reflète assez bien l'amour teinté d'estime voire d'admiration que le cinéaste porte aux femmes en total décalage là encore avec son image de macho. Des femmes fortes, déterminées à s'en sortir, pleine de perspicacité dont il prend toujours la défense et avec lesquelles il établit une relation de tendre complicité. Sue l'appelle presque aussitôt Wally en dépit de son comportement d'ours mal léché parce qu'elle est la première à le percer à jour, c'est d'ailleurs elle qui l'introduit dans sa famille, lui sert de médiatrice culturelle et de traductrice et enfin lui met Thao dans les jambes, persuadée qu'elle lui a trouvé le père idéal qui saura l'aider à s'intégrer et à trouver sa voie. Et pour cause puisque Walt se range aux côtés des femmes contre le gang qui dénie à Thao toute possibilité de libre-arbitre. La seule manière d'être un homme selon eux, c'est d'être avec eux. Quant aux femmes, ils les brisent comme le montre le sort qu'ils réservent à Sue qui pourtant est leur propre cousine. Vision terrifiante de la loi du plus fort contre laquelle se dresse le Gandhi le plus improbable qui soit.

En ayant revu le film, j'ai été également très sensible à la maîtrise du récit et à la précision de la mise en scène. Rien n'est en effet laissé au hasard, chaque scène, chaque détail compte, des premières jusqu'aux dernières images. Un simple briquet par exemple.

* Comme l'explique Sue à Walt, les Hmong sont les vietnamiens qui ont pris parti pour les américains pendant la guerre du Vietnam et ont dû ensuite quitter le pays pour trouver refuge ailleurs, notamment aux USA. L'équivalent en quelque sorte des harkis pendant la guerre d'Algérie.

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Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese, (1993)

Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

"Gosford Park"? "Downton Abbey"? "Chambre avec vue"? Il y a un peu de tout ça dans "Le Temps de l'innocence" avec sa description d'une passion interdite dans le milieu codifié de la grande bourgeoisie new-yorkaise de la seconde moitié du XIX°. C'est avec un œil d'entomologiste (d'où mon allusion au film de Robert Altman scénarisé par Julian Fellowes) que Martin Scorsese observe et dépeint ce milieu par le truchement d'une narratrice qui a un double rôle. Celui de nous expliquer le fonctionnement de ce monde centré sur les apparences, les convenances, les arrangements (matrimoniaux notamment) mais également empli de non-dits, d'hypocrisie et de ragots et où les hommes jouissent d'une liberté dont les femmes sont dépourvues. La narratrice est aussi le double de l'auteure du roman adapté par Scorsese, Edith Wharton qui fut la première femme à obtenir le prix Pulitzer du roman et faisait partie de cette haute société new-yorkaise. D'où sa connaissance approfondie des règles régissant son monde et en même temps un sensibilité féministe perceptible au travers du personnage de la comtesse Ellen Olenska (Michelle Pfeiffer) qui décide de vivre séparée de son mari quitte à faire scandale. Le sensible mais il faut le dire aussi très pusillanime Newland Archer (Daniel Day-Lewis aussi guindé que dans "Chambre avec vue" mais beaucoup moins ridicule) est attiré par la comtesse mais il la dissuade de divorcer par peur qu'elle ne soit définitivement mise au ban de la société. De même il s'avère incapable de remettre en question son mariage arrangé avec May (Winona Ryder) qui s'avère bien plus fine mouche qu'elle ne le paraît. Au final, son obsession du paraître social le conduit à creuser la tombe de son moi authentique au profit d'une vie de simulacre. Dans le fond, cela l'arrange car cette fuite lui permet de se réfugier dans la facilité de la rêverie nostalgique. La très belle scène dans laquelle il contemple de dos la comtesse en train d'observer un bateau croiser un phare définit assez bien sa conception de la vie: elle ne se retournera ou ne l'étreindra que dans son imaginaire et la dernière scène dans laquelle il est pourtant libéré de toute attache montre que c'est bien le rêve qu'il choisit au détriment du réel.

La beauté formelle du film éclate à chaque image qui est d'un grand raffinement (on sent l'influence de Visconti et aussi du duo formé par Michael Powell et Emeric Pressburger). Néanmoins j'ai trouvé la reconstitution et l'analyse du milieu social beaucoup plus convaincante que l'aspect intimiste de l'histoire. L'interprétation est certes brillante mais le film est très froid. Tout cela manque de passion, de sensibilité, de sensualité. Les quelques moments volés par Newland et la comtesse sont littéralement étouffés par le poids des conventions qui écrase le film. Cette comparaison peut sembler incongrue mais dans la catégorie du réalisateur le plus improbable de superbes mélodrames ce n'est pas Scorsese que j'élirais mais Bertrand Blier (pour "Beau-Père", "Trop Belle pour toi" et "Le Bruit des glaçons" qui racontent tous des histoires d'amour dérangeantes socialement avec une extrême sensibilité et un romantisme fulgurant).   

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Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Publié le par Rosalie210

Gisaburô Sugii et Arlen Tarlofsky (1985)

Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Un titre aussi poétique que "Train de nuit dans la voie lactée" ne pouvait que me donner envie de découvrir le film, adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa de 1927, auteur également de Goshu le violoncelliste, récit connu pour son adaptation pré-Ghibli par Isao Takahata. Poétique, le film l'est assurément mais il est surtout métaphysique et une référence culturelle incontournable de la culture japonaise. "Train de nuit dans la voir lactée" est par exemple à l'origine de la saga SF rétro-futuriste et nostalgique de Leiji Matsumoto "Galaxy Express 999" et joue également un rôle important dans "L'île de Giovanni" de Mizuho Nishikubo. Elle a été également déclinée au théâtre et sous forme de conte musical.

Le film est d'essence contemplative (cela peut rebuter, il ne se passe pas grand-chose) et l'animation qui date des années 80 est certes minimaliste mais empreinte de visions surréalistes saisissantes. Le caractère philosophique du film est cependant porté par une histoire très simple*. Giovanni, un enfant ostracisé par ses camarades parce qu'il est pauvre, que son père est absent et sa mère malade prend un train dans lequel il retrouve son seul ami, Campanella. Le train a plus ou moins la même fonction que la barque des égyptiens de l'antiquité, elle convoie ses passagers dans l'au-delà. Chaque station est l'occasion d'une rencontre avec des voyageurs en transit (un homme aveugle, un chasseur de hérons qu'il transforme en biscuits, des passagers du Titanic) et d'une élévation spirituelle. On y évoque le ciel, la croix du sud ce qui se rapporte au christianisme (sans doute en relation avec le fait que les personnages ont des noms italiens) mais celui-ci est croisé avec une philosophie bouddhiste. Peu à peu, on comprend que Giovanni effectue ce voyage au pays des morts pour affronter la douloureuse épreuve d'un deuil qui le laissera tout à fait seul. Il est en effet le seul passager du train à disposer d'un billet aller-retour.

"Train de nuit pour la voie lactée" peut être considéré comme le film le plus triste de l'histoire de l'animation japonaise, à égalité avec "Le Tombeau des Lucioles". On peut aussi le voir comme un trip sous acide à cause de ses flashs visuels oniriques abstraits (des points, des sphères, des triangles lumineux dans l'espace) accompagné d'une musique assez hypnotique. Le fait que les enfants soient représentés sous la forme de chats anthropomorphes accentue cette tendance.

* De même que "Le Voyage de Chihiro" a été souvent comparé à "Alice au pays des merveilles", la parenté entre "Train de nuit dans la voie lactée" et "Le Petit Prince" semble assez évidente.

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