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Articles avec #drame tag

L'Homme irrationnel (Irrational Man)

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (2015)

L'Homme irrationnel (Irrational Man)

"L'Homme irrationnel" forme un diptyque avec le précédent long-métrage de Woody Allen, "Magic in the moonlight" avec lequel il partage nombre de caractères communs: la délocalisation littorale, l'importance de la lumière magnifiée par le chef opérateur Darius Khondji, le rôle principal confié à un acteur de premier plan qui n'avait pas encore joué pour le cinéaste et la même partenaire féminine, Emma Stone. Néanmoins "Magic in the moonlight" est plus facilement définissable que "L'Homme irrationnel" car c'est une comédie romantique solaire épousant la personnalité faussement cynique et véritablement charmeuse de Colin Firth. "L'Homme irrationnel" comporte également une base romantique mais le scénario est panaché avec une comédie policière très semblable à "Meurtre Mystérieux à Manhattan" (des gens qui s'ennuient dans leur petite routine mènent une enquête qui s'avèrent criminelle sur un citoyen a priori au-dessus de tout soupçon). Enfin le personnage d'Abe (Joaquin Phoenix) appartient à la veine dostoievskienne de Woody Allen, le dénouement du film étant d'ailleurs décalqué sur celui de "Match Point" avec la notion de hasard qui joue un rôle clé dans le basculement des destins.

En dépit de ces différents emprunts qui pouvaient faire crainte une redite, le film est bien plus réussi que ce que les critiques ont pu en dire. Jill (Emma Stone) représente à la perfection un comportement féminin très répandu, celui de l'infirmière dévouée qui croit que son amour pourra sauver une "âme en perdition". Mélange de narcissisme et d'altruisme, ce comportement aveugle l'amène à côtoyer un faible (comme dans "Match Point") qui cache son impuissance derrière son aura "d'artiste maudit" (il est prof de philo mais il est filmé comme tout droit sorti d'un tableau romantique). Cette coquille vide ne trouve que le meurtre comme remède à son impasse existentielle ce qui en fait un vampire insatiable. Ajoutons que si Jill est attirée par le monstre, c'est qu'elle-même s'ennuie dans sa vie plan-plan de grande bourgeoise. Le monde sans dieu et dépourvu de sens de Woody Allen s'exprime une fois de plus derrière des apparences attrayantes.

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Au nom de la terre

Publié le par Rosalie210

Edouard Bergeon (2019)

Au nom de la terre

L'un des plus gros succès français de l'année 2019 n'est pas une comédie mais une tragédie qui met crûment en lumière une réalité dont la majeure partie de la population a peu conscience: l'épidémie de suicides chez les agriculteurs qui est l'un des multiples signes du mal profond qui ronge nos sociétés. Si on nous répète souvent qu'une femme meurt tous les 2 jours 1/2 sous les coups de son conjoint, on ne dit pas qu'il en va de même chez les agriculteurs. A partir de l'histoire de son propre père et grâce au soutien de Guillaume Canet qui l'interprète très justement dans le film (il a lui-même des racines terrienne, son père élevait des chevaux), Edouard Bergeon brise le tabou et raconte de façon limpide une tragédie vécue à huis-clos. Celle d'un homme broyé entre le marteau et l'enclume. Le marteau c'est l'héritage familial, incarné par un père (Rufus) dont le savoir-faire artisanal désormais obsolète s'est mué en mépris accablant pour son fils. Une fracture générationnelle entre le paysan et l'exploitant agricole entrepreneur qui reflète les mutations du secteur depuis les 30 Glorieuses en France. Fils qui par ailleurs s'est senti obligé de reprendre la ferme familiale alors que son rêve était d'élever des chevaux dans le Wyoming. L'enclume ce sont les exigences du système productiviste qui obligent les agriculteurs à s'endetter jusqu'au cou pour produire à la chaîne avec une multitude d'intrants* et à grande échelle une matière première de faible qualité et à bas prix, système qui les exploitent jusqu'à ce qu'ils y laissent la peau. Il n'y a pas que la nature qui est malade de ce système, ceux qui sont chargés de nourrir les hommes s'empoisonnent avec leurs propres produits phytosanitaires. C'est toute la chaîne du vivant qui est atteinte. Heureusement, la porte de sortie, c'est le fils (soit le réalisateur lui-même) à qui le père enjoint de ne pas reproduire le même modèle et d'aller voir ailleurs.

* Depuis que l'exploitation agricole a été avalée par le système capitaliste elle n'est plus qu'un maillon de l'agro-industrie qui génère des milliers d'emplois et de bénéfices dans la construction d'engins agricoles, les biotechnologies, les engrais, la distribution, le marketing ou les industries agroalimentaire alors que l'exploitant qui produit la matière première à faible valeur ajoutée dépend des cours et des exigences de la PAC (politique agricole commune de l'UE) qui le subventionne en échange d'une productivité maximale.

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Light of my life

Publié le par Rosalie210

Casey Affleck (2019)

Light of my life

Casey AFFLECK me fait aussitôt penser à Gerry (2002), film expérimental de Gus VAN SANT où il jouait aux côtés de Matt DAMON. Or il se trouve qu'il y a une filiation contemplative et minimaliste entre ce film et "Light of my life", sa deuxième réalisation avec ses deux minuscules humains errants dans de grands espaces aussi majestueux qu'hostiles. Pour le reste "Light of my life" est une variation sur le film de Alfonso CUARÓN, "Les Fils de l'homme" (2006) car il s'agit d'un récit dystopique et post-apocalyptique avec de fortes résonances bibliques. Le récit s'ouvre d'ailleurs sur un plan-séquence de 12 minutes dans une tente où le père (Casey AFFLECK) et sa fille Rag âgée de 11 ans sont filmés en plongée un peu comme s'ils étaient à l'abri dans un utérus. Le père brode un conte à partir de l'histoire de l'arche de Noé ce qui est assez approprié à un monde qui a vu sa moitié féminine éradiquée par un mystérieux virus. Avec la même conséquence que pour le film de Cuaron, il n'y a quasiment plus d'enfants et donc plus d'avenir, les cadres politiques, sociaux, technologiques et moraux ont explosé comme en temps de guerre et ont laissé place à la loi de la jungle et au chaos. Ceci étant et contrairement au film de Cuaron, le contexte est presque entièrement laissé hors-champ pour donner toute la place aux échanges entre un père et sa fille vivant leur lien fusionnel dans un immense no man's land, les deux acteurs portant le film sur leurs épaules. Les amateurs d'action et de SF risqueront d'être déçus sauf s'ils aiment M. Night SHYAMALAN. La fin violente de "Light of my life" fait penser quelque peu à celle de "Signes" (2002) dans le sens où les repères moraux du spectateur sont brouillés, l'ennemi étant désigné comme tel et éradiqué avant même qu'il ait eu le temps de manifester la moindre animosité. On peut alors se poser légitimement des questions sur le genre d'avenir que le père prépare pour sa fille, lui qui n'a cessé au nom de la survie de lui apprendre à fuir, à se cacher, à dissimuler son identité, à voler, à attaquer (et à tuer le cas échéant) et à considérer tout autre que lui comme hostile a priori. Des questions abordées dans un film récent, "Leave No Trace" (2018) auquel celui de Casey Affleck fait également penser.

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Macadam cowboy (Midnight cowboy)

Publié le par Rosalie210

John Schlesinger (1969)

Macadam cowboy (Midnight cowboy)

Les illusions brisées du rêve américain incarnées par un texan benêt déguisé en John Wayne qui espère profiter de sa belle gueule pour se faire entretenir par des femmes riches et un SDF souffreteux et infirme d'origine italienne qui détrousse les nigauds entre deux quintes de toux. Ces deux épaves humaines s'échouent dans un New-York glacial et sordide où ils tentent de survivre en s'accrochant l'un à l'autre comme à une bouée de sauvetage. Leur rêve commun, aller en Floride ("Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil"). Le film s'inscrit dans un passage de relai entre le classicisme hollywoodien et la contre-culture du nouvel Hollywood. On le compare à "Easy rider" en raison de ses personnages de marginaux et de sa fuite en avant mais il comporte aussi un caractère underground, les Inrocks n'hésitant pas à le considérer comme un remake informel de "Flesh", le premier volet de la trilogie que Morrissey et Warhol ont consacré à la prostitution masculine (en partie justement en réaction à "Macadam cowboy" qu'ils trouvaient trop formaté et pour cause puisque c'était le premier film mainstream a évoquer ce sujet alors sulfureux). Morrissey réalise tout de même un film en super 8 dans le film de John Schlesinger et les deux quidam sont invités à une soirée dans laquelle trônent les proches de Warhol dont Viva, son égérie (filmée à la même époque par Agnès Varda dans "Lions, Love and lies"). Si les flash mentaux censés éclairer la psyché et le passé des protagonistes sont trop nébuleux pour apporter quelque chose d'autre qu'une signature arty, la déconstruction des mythes de l'Amérique WASP justifie à elle seule le statut de film culte de "Macadam cowboy" ainsi qu'une réelle finesse psychologique qui rend le film bouleversant, particulièrement sur la fin. Le personnage de Joe Buck (John Voight) qui au départ se réduit au cliché du self made man parti de rien (ou plutôt du fin fond de la plonge) mais qui est persuadé de pouvoir réussir financièrement par le sexe avec son physique d'étalon et sa défroque de cowboy macho s'affine progressivement jusqu'à la scène clé issue de la soirée underground où sa partenaire sexuelle lui suggère qu'il est sans doute un gay qui s'ignore. Et voilà comment Joe quitte enfin le chemin mensonger de clip publicitaire dans lequel il ne cessait de s'enliser pour "Walk on the wild side" avec son compagnon de route moribond, Rico (Dustin Hoffman) qu'il arrache symboliquement à son enfer de crasse et de solitude, jetant son costume de cowboy à la poubelle au passage comme une vieille peau morte. Cet inexprimable lumière qui pointe à la fin du film alors que pourtant Rico agonise, cela compense tout ce que le film peut avoir par ailleurs de bancal ou d'imparfait.

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Rush

Publié le par Rosalie210

Ron Howard (2013)

Rush

Je déteste les concours de testostérone et la formule 1, en revanche j'adore Daniel Brühl ("Goodbye Lenin!", "Inglourious Basterds") et les histoires de nobles chevaliers/samouraï qui comme chez Akira Kurosawa ("La Forteresse cachée") sortent grandis de leur mano a mano viril. Car l'histoire de la rivalité entre ces deux champions de F1 aux tempéraments opposés qu'ont été James Hunt (Chris Hemsworth) et Niki Lauda (Daniel Brühl) dans les années 70 aurait tout à fait pu se passer au Moyen-Age et leurs bolides (McLaren contre Ferrari) auraient alors été remplacé par une épée ou un sabre. Niki Lauda aurait pu alors arborer fièrement ses blessures de guerre sans que des journalistes de caniveau ne tentent de le pipoliser. D'ailleurs James Hunt en corrige un en bonne et due forme afin de lui rappeler que sa lutte avec Niki Lauda se situe à un autre niveau. Autrement dit l'histoire de ces deux hommes est intemporelle et universelle, elle relève du conte. Avec les caméras embarquées, on est plongé au cœur de l'action durant les séquences de course hyper-dramatisées très spectaculaires mais relativement peu nombreuses alors que par ailleurs on se régale des rugueux échanges verbaux de ces deux hommes qui lorsqu'ils se frottent l'un contre l'autre produisent des étincelles tant ils sont opposés et complémentaires à la fois. James Hunt le britannique c'est la tête brûlée qui vit à 300 à l'heure, un play-boy hédoniste style rappeur bling-bling qui brûle la chandelle par les deux bouts et considère son sport comme un moteur à adrénaline alors que Niki l'autrichien est un technicien besogneux, ascétique, méthodique et scientifique. Si le manque de sérieux (apparent) de James Hunt est une entrave, c'est l'impopularité de Niki Lauda, être quasi-asocial qui s'avère être le plus lourd handicap dans la course au succès. Tous deux sont par ailleurs arrogants et tête à claques mais ils se donnent tellement à leur sport qu'on ne peut pas rester indifférent devant leur engagement jusqu'au-boutiste et le spectacle qui en résulte. Un véritable matériau de fiction pour film à suspense haletant et plein de rebondissements.

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Neverland (Finding Neverland)

Publié le par Rosalie210

Marc Forster (2004)

Neverland (Finding Neverland)

Les écrivains à succès sont une manne inépuisable pour le cinéma qui non content d'avoir adapté leurs œuvres les plus connues depuis les origines tente depuis une trentaine d'années d'expliquer leur genèse au travers d'éléments biographiques plus ou moins romancés. Le résultat est le plus souvent assez lisse et académique et ce "Neverland" s'il constitue un spectacle familial de bonne facture ne s'élève guère au-delà. Il avait cependant le potentiel pour aller (beaucoup) plus loin mais s'il était entré de plain-pied dans la personnalité tourmentée de James Barrie, il aurait sans doute perdu les enfants en route. Au moins on a pas droit à la sempiternelle histoire d'amour à l'origine de l'inspiration du chef d'œuvre du siècle. Avec les problèmes de virilité de James Barrie qui le maintenaient dans une zone grise d'homme-enfant pré-pubère, cela ne pouvait pas fonctionner. Donc ce n'est pas une histoire d'amour qui est à l'origine de "Peter Pan" mais une histoire de deuil. Ou plutôt un double deuil: celui du frère aîné de James et celui du père de Peter, l'un des fils Llewelyn Davies qui lui ont inspiré les personnages de sa célèbre pièce puis du roman "Peter et Wendy" devenu ensuite "Peter Pan"*. James a trouvé une solution en s'évadant dans un monde parallèle sur lequel il règne en maître comme son héros Peter Pan alors que Peter refuse de continuer à rêver et se comporte en adulte avant l'âge. Le principal intérêt du film réside dans les échanges des deux personnages qui de plus sont interprétés par Johnny Depp et Freedie Highmore qui rejoueront peu après la même histoire d'homme-enfant et d'enfant-homme dans "Charlie et la chocolaterie" de Tim Burton. Autre aspect intéressant, la double lecture possible du parcours de James Barrie dont les centres d'intérêt peu conventionnels et la capacité à réenchanter le monde poussiéreux du théâtre au début du XX° siècle est aussi vu par la bonne société comme un comportement déplacé voire dangereux. Même si le mot pédophilie n'est pas prononcé, il est suggéré et on pense forcément à la fascination de Michael Jackson pour le personnage de fiction créé par James Barrie dont rien ne rappelle dans le film à quel point il est démoniaque**. Et pour cause car le rappeler, ce serait revenir aux troubles sexuels de James Barrie que le film évite le plus possible d'évoquer.

* La mère des quatre fils Llewelyn Davies, Sylvia n'est autre que la tante de Daphné du Maurier. Elle meurt à son tour d'un cancer en 1910. Kate Winslet qui l'interprète apparaît trop bien portante quand on la compare aux photos d'époque de la véritable Sylvia.

** Peter Pan dépeint en réalité un univers mortifère (Neverland est construit sur une négation ce que ne retranscrit pas la traduction française) qui a pour maître un démon castrateur qui inverse l'ordre des générations (c'est lui qui offre la main du capitaine Crochet en pâture au crocodile qui symboliquement a "avalé le temps") et se constitue un gynécée idolâtre dont il excite les rivalités tout en restant inaccessible. Quant aux enfants, influençables, il lui servent de faire-valoir.

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Série Noire

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1979)

Série Noire

Plus glauque et sordide que ce film tu meurs! D'ailleurs le titre en VF du polar de l'américain Jim Thompson* qui l'a inspiré "Des cliques et des cloaques" est évocateur d'une atmosphère parfaitement rendue à l'écran. La banlieue blafarde aux intérieurs décrépis et aux sinistres terrains vagues dans laquelle l'intrigue est transposée fait écho à une galerie de personnages repoussants, véritable lie de l'existence humaine sur laquelle trône le non moins minable Frank Poupart, habité par un Patrick Dewaere dont la performance hallucinée situe son personnage aux portes de la folie. De n'importe quel autre acteur, on aurait dit "qu'est ce qu'il cabotine!". Pas de Patrick Dewaere. Il ne fait pas semblant, quand il se tape la tête contre le capot de sa voiture, il le fait vraiment et on sent que sa prestation borderline, il va la chercher dans les tréfonds de ses tripes**. Ce loser des bas-fonds qui dresse sa personnalité exubérante comme un bouclier face au néant est un véritable one-man show que l'espoir de sortir de son impasse existentielle et l'amour que lui inspire l'énigmatique Mona (Marie Trintignant) aussi mutique que lui est volubile plonge dans une descente aux enfers qui ne semble pas avoir de fond. Alain Corneau a très bien saisi dans ses films la déréliction des banlieues (dans "Le Choix des armes", la Courneuve est filmée de façon quasi-documentaire) et il est assisté pour ce film par l'écrivain George Pérec qui a ciselé les dialogues poétiques pleins d'humour noir, respectés à la lettre malgré une impression d'improvisation. Tout comme la prestation de Patrick Dewaere, ils contrebalancent l'aspect hideux du film sans lui enlever son caractère désespéré. J'ajoute que la bande-son composée de tubes de variété et de disco écoutée sur des postes de radio transistor a quelque chose de grotesque et de poisseux en même temps qui se marie bien avec le reste du film.

* Auteur également du roman à partir duquel Bertrand Tavernier a réalisé "Coup de Torchon", l'un de ses meilleurs films.

** Le rôle est quasiment autobiographique dans le sens où Patrick Dewaere a en vain tenté d'échapper au gouffre insondable qui le rongeait intérieurement de plus en plus en se réfugiant dans des paradis artificiels (drogue, alcool, sexe et jeu).

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L'Horloger de Saint-Paul

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1974)

L'Horloger de Saint-Paul

Tous les chemins mènent à Rome. Le premier long-métrage de Bertrand Tavernier qui est aussi sa première collaboration avec Philippe Noiret témoigne déjà d'une conscience politique et sociale qui fait la "patte Tavernier". Bien que très différent sur sa forme, le film a des points communs sur le fond avec "Les Valseuses" de Bertrand Blier sorti la même année. En effet les deux films partagent une perception très critique de la France pompidolienne et dressent le constat d'une fracture générationnelle entre des aînés englués dans leur conservatisme bouffi et une jeunesse post soixante-huitarde révoltée qui faute de trouver sa place dans une société bloquée bascule dans la marginalité et la délinquance. Alors que "Les Valseuses" s'ouvre sur un petit larcin et du harcèlement sexuel commis sur une matrone par deux petits loubards, le début de"L'Horloger de Saint-Paul" établit un parallèle entre une voiture en train de cramer et un repas franchouillard ("y'a du rouge, du saucisson") assaisonné de propos gras dignes d'un best of des meilleures galettes de Michel Sardou ("Je suis pour", "Femme des années 80"). Le délinquant juvénile, c'est Bernard Descombes (Sylvain Rougerie), le fils de l'horloger Michel Descombes (Philippe Noiret), un homme sans histoires qui on le devine rejoint les convives du repas cité plus haut. Néanmoins la comparaison s'arrête là car si dans "Les Valseuses" la fracture entre jeunes et vieux est irréparable (sauf quand les vieux sont eux-mêmes des marginaux), "L'Horloger de Saint-Paul" raconte le parcours de Michel à qui les actes de son fils font prendre conscience de ses propres manques en tant que père. Au lieu de le juger et de le condamner, il saisit l'épreuve comme une seconde chance de pouvoir connaître son fils, essaye de comprendre ses motivations, tente de renouer les liens rompus et finit par prendre son parti publiquement contre le reste de la société. Ironiquement la scène du parloir située à la fin du film où père et fils sont séparés par une cloison vitrée est aussi la première où ils se parlent vraiment. Une parole qui s'oppose à la violence des rapports sociaux et sexués que Bernard a voulu déjouer en prenant la défense de sa compagne, Liliane (Christine Pascal dans un petit rôle muet mais qui ne le restera pas longtemps, livrant haut et fort sa parole d'écorchée vive notamment dans les films ultérieurs de Tavernier) face au gardien de l'usine où elle travaille qui veut abuser d'elle.

Bertrand Tavernier, aidé du duo de scénaristes Jean Aurenche et Pierre Bost qui prirent ainsi leur revanche sur la Nouvelle Vague qui les avaient ringardisés a adapté le roman de Georges Simenon en le transposant à Lyon, sa ville natale et en lui ôtant son caractère policier pour se concentrer uniquement sur le cheminement humain de son personnage principal. Il est d'ailleurs intéressant de souligner qu'il en va de même du commissaire, joué par Jean Rochefort. Celui-ci mène en effet une enquête mais ce n'est pas celle que l'on croit. Ses échanges avec Michel Descombes révèlent qu'il souffre du même problème d'absence de communication avec son propre fils. Par un heureux concours de circonstances, François Périer qui avait d'abord été choisi pour le rôle l'a décliné ce qui rapproche d'autant plus les deux figures paternelles, Jean Rochefort et Philippe Noiret étant de grands amis à la ville en plus d'avoir joué ensemble une dizaine de fois. 

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La Rafle

Publié le par Rosalie210

Rose Bosch (2010)

La Rafle

"La Rafle" n'est certainement pas le premier film à évoquer le tragique épisode du Vel d'Hiv qui aboutit à la déportation d'environ 13 mille juifs dont 4000 enfants (soit le tiers de ceux qui ont été déportés de France pendant la guerre) dont aucun ne revint. Avant lui il y a eu "Les Guichets du Louvre" en 1974 avec Christine Pascal et "Monsieur Klein" en 1976 avec Alain Delon. Mais là où les deux premiers sont des films d'auteur avec un point de vue et des personnages tout sauf lisses, le troisième est la commande d'un producteur réalisé par son épouse, Rose Bosch dont la subtilité n'est pas la qualité première, que l'on en juge par des propos oscillant entre naïveté et stupidité: "J'ai voulu réaliser un Amélie Poulain de la déportation", "S'il y a une guerre, je n'aimerais pas être dans la même tranchée que ceux qui trouvent qu'il y a trop d'émotions dans La Rafle", "Ces pisse-froids [ceux qui n'ont pas pleuré devant son film] rejoignent Hitler en esprit": chantage à l'émotion, point Godwin, infantilisation du spectateur a qui on dicte ce qu'il doit penser, confusion entre les événements tragiques et la critique de leur représentation à l'écran tout y est, n'en jetez plus!! 

A l'image de sa réalisatrice nunuche, "La Rafle" est donc un film très maladroit, lourd, emprunté. La volonté affichée de réalisme et de didactisme ("tous les événements, même les plus extrêmes ont eu lieu cet été 1942" comme s'il fallait d'emblée baliser le chemin pour des spectateurs jugés trop bêtes pour le trouver par eux-mêmes) est court-circuitée par la recherche de l'émotion facile à l'aide d'effets appuyés. La reconstitution lourdingue d'un Montmartre d'opérette (le fameux "Amélie Poulain de la déportation", pfff) où les mesures contre les juifs ne parviennent pas à entamer la bonne humeur ambiante alterne avec des figures de cire du musée Grévin censées incarner Pétain, Laval, Bousquet, Hitler (ridicule au possible) et les dignitaires nazis. Bien que certaines des causes de la collaboration soient évoquées (Serge Klarsfeld a été le conseiller du film et celui-ci est estampillé "valeur sûre" de l'éducation nationale), elles passent au-dessus de la tête du spectateur qui ne retient qu'une seule chose: une bande de salopards fomente un plan ignoble pour arrêter des femmes enceintes et des enfants aux bouilles craquantes priés de cabotiner au maximum pour mettre la larme à l'œil*. Quant à la population française non juive, elle est traitée avec le même manichéisme. Il y a quelques salopards (en fait une surtout, la boulangère antisémite de service), les autres sont tous formidables et ne pensent qu'à sauver les juifs menacés. Si Rose Bosch avait pu réécrire l'histoire, nul doute que la police française n'aurait pas arrêté 13 mille juifs (au lieu de 24 mille, c'est souligné à gros traits pour signifier que 10 mille ont pu échapper à la rafle) mais 0. Mais Rose Bosch a plus d'un tour dans son sac: elle met sur le devant de la scène deux petits survivants, Jo** et Nono si bien qu'elle obtient quand même le happy end recherché avec force larmes de joie. Le spectateur oublie que les enfants ayant réussi à se sauver avant la déportation n'étaient qu'une poignée et qu'aucun n'est revenu une fois déporté, donc que l'histoire de Nono est invraisemblable. Bref l'émotion obtenue à l'aide de quelques tours de passe-passe peu honnêtes paralyse la réflexion. Quant au casting, il est plombé par des acteurs choisis pour leur coefficient de popularité plus que pour leur crédibilité dans les rôles qu'ils interprètent (je pense en particulier à Gad Elmaleh dans le rôle d'un polonais trotskiste). Si l'on veut se convaincre qu'avoir joué dans "La Rafle" n'est pas ce qu'il y a de mieux à mettre dans son CV, on constatera que Adèle Exarchopoulos s'est bien gardé une fois devenue célèbre de mentionner qu'elle avait incarné Anna Traube dans le film de Rose Bosch.

* Heureusement que ce n'est pas la compassion mais le droit qui protège les populations sinon les êtres laids, difformes, handicapés ou antipathiques en auraient moins que les autres.

** Joseph Weismann fait partie des quelques enfants du Vel d'Hiv a avoir réussi à échapper à la déportation en s'évadant du camp de Beaune-La-Rolande. Il a sans doute inspiré à Tatiana de Rosnay le personnage de Sarah pour son roman "Elle s'appelait Sarah" porté au cinéma par Gilles Paquet-Brenner peu de temps après "La Rafle". Un film qui traite aussi de la rafle du Vel d'Hiv mais qui est bien plus sobre et poignant que "La Rafle" et d'un contenu autrement plus intéressant puisqu'il travaille autant l'histoire que la mémoire à échelle collective et individuelle.

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Pupille

Publié le par Rosalie210

Jeanne Herry (2018)

Pupille

"Pupille" fait partie de ces films qui vous agrippe dès les premières images et ne vous lâche plus ensuite. Et ce alors qu'il ne s'agit même pas d'un thriller mais d'un drame social transcendé par les interprètes d'une chaîne humanitaire d'autant plus lumineuse que la mise en scène ne sacrifie pas les personnages au sujet. Le sujet, c'est la distorsion entre le désir (d'enfant) et une réalité biologique parfois cruelle qui prive certaines femmes ayant envie d'être mère de la possibilité d'enfanter alors que d'autres qui ne sont pas prêtes ou s'y refusent doivent subir une grossesse non désirée. Les maillons de la chaîne ont pour but de corriger cette distorsion en prenant en charge l'enfant dans les meilleures conditions possibles entre le moment de son abandon et celui de son adoption. Coup de génie, avoir réussi à incarner des fonctions telles que celles d'assistantes sociales, éducatrices spécialisées, assistants familiaux au travers de figures humaines particulièrement fortes. Après "Le grand bain", Gilles Lellouche creuse encore plus loin la part de féminité qui est en lui pour offrir un portrait assez saisissant d'un homme qui a choisi d'inverser les rôles en assumant d'être homme au foyer responsable d'enfants en difficulté qu'on lui confie provisoirement pendant que sa femme travaille à l'extérieur. Il est tellement crédible que l'on comprend que Karin (Sandrine Kiberlain, très juste aussi) l'éducatrice spécialisée en pleine crise de couple craque pour lui et l'aide à reprendre foi en son travail en lui confiant Théo, le bébé sous X hypotonique en dépit des réticences de l'administration. La relation tendre qu'il noue avec lui est a elle seule un vibrant plaidoyer pour une autre manière d'investir la paternité. A l'autre bout du spectre, il y a cette assistante sociale (Olivia Côte) très cash qui se bat pour que Alice (Elodie Bouchez) qui est divorcée puisse concrétiser son rêve d'enfant sans lui cacher les difficultés inhérentes à l'adoption. Comme Gilles Lellouche, Elodie Bouchez (qui n'avait pas trouvé un rôle aussi fort depuis très longtemps) transcende son rôle tant son jeu sensible est mis en valeur par la caméra. Même de plus petits rôles touchent juste comme celui de l'assistante sociale (Clotilde Mollet) sommée de prendre ses responsabilités face à un bébé en souffrance ou d'une sage-femme (Stéfi Selma) qui au contraire outrepasse son rôle et offre ainsi une clé de résilience à Théo. Car le film est aussi l'illustration dont les professionnels de la petite enfance dans les sociétés occidentales considèrent le bébé depuis une quarantaine d'années: comme une personne avec laquelle on doit communiquer directement et franchement (un concept issu de Thomas Berry Brazelton et non de Françoise Dolto comme on le croit trop souvent). Jeanne Herry (la fille de Miou-Miou qui a également un petit rôle dans le film) s'avère donc être une excellente directrice d'acteurs en plus d'avoir une capacité à épouser le moindre de leurs mouvements intérieurs. Chapeau!

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