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Articles avec #drame tag

Big Eyes

Publié le par Rosalie210

Tim Burton (2014)

Big Eyes

"Big Eyes" résonne comme "Big Fish".  C'est la première filiation burtonienne à laquelle on pense, puisque les deux films ont en commun d'avoir un héros mythomane et affabulateur. Mais la comparaison s'arrête là. Car "Big Eyes" est aussi une formidable analyse des inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde de l'art qui reflète celle qui existe dans la société.  On y voit des galeristes masculins, des critiques d'art masculins, des marchands d'art masculins, un public dominé et orienté par des goûts élitistes masculins dans lequel ce qui est féminin est taxé de niais, de kitsch, de sentimental, de commercial etc. Mais ce qui est particulièrement troublant dans "Big Eyes" qui est tiré de faits réels, c'est que cet art féminin méprisé, une fois usurpé par un escroc séducteur, beau parleur et expert en marketing puisse à la manière de Warhol ou de Magritte se retrouver décliné à l'infini sur les objets manufacturés des supermarchés tout en ornant les livres d'art, les cimaises des musées et même l'un des murs du pavillon de l'UNICEF lors de l'exposition universelle. L'effet miroir de la mise en abyme est garanti. Ainsi la manière dont "Les Inrocks" parlent du film est très révélatrice. Qualifiant les posters vendus par Walter Kane (Christoph Waltz) de "hideux", ils en arrivent à défendre ce dernier, qualifié de "raté magnifique" et suggèrent même que sans lui, Margaret (Amy Adams) n'aurait jamais vendu ses dessins. Walter Kayne lui-même convainc sa femme d'accepter d'être dépossédée de ses oeuvres car "personne n'achète des tableaux peints par des femmes"*. Sauf que l'argent de ces ventes est allé exclusivement au mari qui l'a dilapidé et que Margaret n'en a jamais vu la couleur ni avant, ni après son divorce. Le film qui se déroule pour l'essentiel dans les années cinquante et soixante la montre comme une victime d'un "american way of life" fondé sur le patriarcat qui l'emprisonne (elle doit s'échapper de chez ses maris successifs comme une voleuse sans rien emporter ou presque, subir leurs pressions et menaces, le prêtre qu'elle consulte lui dit de se soumettre, elle a du mal à trouver du travail etc.) et contrôle toute sa vie. Nul échappatoire puisqu'elle passe d'une aliénation à une autre. Seul le changement d'époque lui apporte enfin une porte de sortie. Quant au supposé mauvais goût de ses toiles** et leur aspect répétitif, celle-ci a des mots très justes pour expliquer l'étroitesse de ses sources d'inspiration: " Je n’ai jamais agi avec la liberté. J’étais une fille, puis une femme et ensuite une mère. Toutes mes peintures viennent de Jane*** parce qu’elle est la seule chose que je connais.” Une citation à rapprocher du passage dans lequel Jane Eyre (et à travers elle Charlotte Brontë) se plaint des vies restreintes des femmes qui se répercutent forcément sur leurs créations. Créations que Tim Burton ne juge pas. Il montre que les enfants aux yeux hantés de Margaret sont la projection d'une partie de son âme. Seule cette sincérité compte, c'est ensuite au spectateur de se faire sa propre idée. C'est ce qui rapproche d'ailleurs "Big Eyes" d'un autre de ses films, "Ed Wood" où il rendait hommage au "plus mauvais réalisateur de tous les temps" en montrant que tout acte créateur est fondamentalement positif et mérite le respect alors que ceux qui en profitent sont des ensembles aussi vides que la toile que Walter rend à la fin de son procès.

* Dans tous les domaines de l'art, les femmes ont souvent dû soit s'abriter derrière un nom d'homme ou un pseudonyme non genré, soit attribuer ou laisser attribuer la paternité de leurs oeuvres à des hommes.

** Les réalisateurs d'anime japonais ont subi dans les années 80 le même type de jugements de valeur, particulièrement lorsqu'il s'agissait d'adaptations de mangas pour filles: yeux énormes, style kitsch etc.

*** Sa fille.

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Des hommes et des Dieux

Publié le par Rosalie210

Xavier Beauvois (2010)

Des hommes et des Dieux

Je voulais absolument rendre hommage à Michael LONSDALE disparu le 21 septembre 2020 avec ce qui constitue l'un de ses plus beaux rôles, celui qui lui a d'ailleurs valu une consécration tardive avec un César en 2012. Comme j'ai pu le constater au fil du temps, les plus grands acteurs de ces cinquante dernières années ne sont pas la plupart du temps ceux qui sont le plus dans la lumière. Ils sont trop humbles, trop discrets pour cela et leur forte personnalité, imprimée sur leur visage et leur corps les rend atypiques, donc "ingérables" par la société du spectacle de consommation qui domine le cinéma aujourd'hui. Michael LONSDALE a donc certes beaucoup tourné en plus de ses activités au théâtre mais la plupart du temps dans des seconds rôles ou dans des rôles de "méchants" des films populaires (dans lesquels ont été souvent d'ailleurs cantonnés les acteurs les plus brillants: Alan RICKMAN, Adam DRIVER, Anthony HOPKINS etc.) La forte aura spirituelle émanant de Michael LONSDALE lui a également valu de jouer de nombreux rôles de religieux dont le plus célèbre est le moine cistercien frère Luc du beau film de Xavier BEAUVOIS.

"Des hommes et des dieux" s'inspire librement de l'assassinat de sept moines de Tibhirine en 1996 alors que l'Algérie était plongée en pleine guerre civile entre les islamistes du GIA (groupe islamique armé) et de l'AIS (armée islamique du salut) et le gouvernement militaire issu du FLN. Pour mémoire le déclenchement des hostilités eut lieu après l'annulation du premier tour des élections législatives de 1991 qui annonçaient une victoire du FIS (front islamique du salut) jusqu'au début des années 2000 et l'amnistie des terroristes par le président Abdelaziz Bouteflika. Cette guerre avait pour enjeu le pouvoir mais ses alliances furent troubles, les islamistes s'entretuant et le gouvernement jouant sur leurs divisions pour leur attribuer des crimes qu'ils n'avaient peut-être pas commis. De leur côté les islamistes infiltrèrent l'armée et la police quand ils ne se faisaient pas passer pour eux (d'où l'impossibilité de distinguer les vrais et les faux barrages par exemple). La principale victime du conflit fut la population civile, prise en otage et soumise au terrorisme avec des massacres à grande échelle. La composante civilisationnelle de cette guerre fit des étrangers présents sur le sol algérien une cible de choix, surtout lorsqu'ils étaient de foi chrétienne ce qui était le cas des moines de Tibhirine dont les circonstances de leurs assassinats ne fut jamais éclaircies pas plus que leurs auteurs, identifiés.

Le film de Xavier BEAUVOIS se focalise sur le dilemme moral des moines, pris en tenaille entre leur engagement et la tentation de fuir la mort qui se rapproche. Vivant paisiblement dans leur monastère et harmonieusement intégrés à la communauté villageoise alentour sans que la culture ou la religion ne constitue le moins du monde un obstacle (la plupart d'entre eux comprennent voire lisent et écrivent l'arabe et connaissent le Coran), ils constituent par leur existence même un démenti cinglant aux théoriciens belliqueux du "choc des civilisations" rêvant d'un affrontement entre islam et occident. La menace de plus en plus concrète que la guerre fait peser sur leurs existences les soumet à un terrible dilemme moral: partir et abandonner les villageois à leur sort alors qu'ils dépendent d'eux (notamment pour les soins) ou rester et risquer leur vie. En dépit d'une tension croissante que le film retranscrit très bien, en dépit des doutes et des peurs qui traversent certains membres de la communauté, en dépit des éclats de violence qui viennent troubler leur retraite, le film reste profondément spirituel en montrant l'aspect dérisoire des conflits humains par rapport à une échelle cosmique immuable avec laquelle les moines vivent en harmonie, d'où les panoramiques sur les paysages algériens majestueux qui inspirent la sérénité et la contemplation et les nombreux passages décrivant les rituels monastiques. Le film démontre que même dans les pires circonstances, l'homme "a toujours le choix" puisqu'il possède le libre-arbitre. Frère Luc se décrit d'ailleurs comme un homme libre c'est à dire délivré de la peur (de l'armée, des terroristes et même de la mort). Michael LONSDALE dégage tant de sérénité et de détermination dans ses propos qu'il leur donne une résonnance qui va bien-au-delà de son personnage, de même qu'en ce qui concerne ses propos sur l'amour. Enfin, comment ne pas évoquer la "Cène" finale, qui précède l'enlèvement des moines, cette attente silencieuse sur l'air final du "Lac des Cygnes" (peut-être de trop, j'aurais préféré quelque chose de plus recueilli que de plus ouvertement tragique) où la caméra s'attarde longuement sur chaque visage et les émotions contrastées qui les animent?

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Ecrit sur du vent (Written on the wind)

Publié le par Rosalie210

Douglas Sirk (1956)

Ecrit sur du vent (Written on the wind)

Chef-d'oeuvre de Douglas SIRK, "Ecrit sur du vent" fonctionne comme un miroir en négatif de "Le Secret magnifique" (1954). Tous deux très critiques, voire acerbes vis à vis du rêve américain triomphant des années cinquante, ils offrent deux destins possibles mais diamétralement opposés à leurs jeunes milliardaires aux têtes brûlées par le fric: la voie du ciel, c'est à dire l'élévation spirituelle par la rédemption (ça c'est pour "Le Secret magnifique") (1954) ou celle de la descente aux enfers par l'autodestruction (ça c'est pour "Ecrit sur du vent"). Crépusculaire, tourmenté, le film l'est par sa flamboyance même, celle qui renvoie aux idoles consuméristes qui saturent l'écran jusqu'à l'overdose par leur abondance et la vivacité exacerbée de leurs couleurs. Le prologue est d'emblée saisissant comme un cauchemar avec son ciel rougeoyant faisant ressortir à contre-jour les structures des puits de pétrole qui barrent le paysage avec au centre la voiture jaune pétard roulant à tombeau ouvert, l'inquiétant déséquilibre du conducteur étant surligné par un cadrage oblique quand elle arrête enfin sa course folle sur fond de rafales de vent. De même, la scène où Kyle (Robert STACK) séduit Lucy (Lauren BACALL) en lui offrant un dressing complet donne presque le vertige car un jeu de miroirs semble en refléter les objets à l'infini. Dans le même esprit, l'incroyable scène dans laquelle Marylee (Dorothy MALONE) joue les derviches tourneur en robe rouge sang (comme sa voiture) sur fond de musique tonitruante précipite le destin fatal de son père dans les escaliers de l'immense demeure. Quant aux scènes calmes, notamment celles au bord du lac qui symbolise l'enfance des protagonistes, elles sont colorées par la nostalgie (l'automne, les feuilles qui tombent) puis voilées par l'ombre du deuil.

"Ecrit sur du vent" est un film que l'on pourrait presque qualifier de prophétique tant il souligne la décrépitude et la stérilité de la société capitaliste. Les enfants du roi du pétrole, Kyle et Marylee sont tous deux des dégénérés. Chacun d'eux est une illustration du fait que la passion de la possession matérialiste qui nourrit le capitalisme aboutit à l'impuissance. Kyle est un homme dépourvu de colonne vertébrale qui passe l'essentiel de son temps à s'étourdir dans la vitesse et l'alcool pour oublier son vide intérieur. Sa manière de séduire Lucy (par l'argent mais aussi par le récit de ses névroses) souligne bien assez son dégoût de lui-même, bien avant qu'il n'en fasse un terrifiant étalage. Lucy est comme elle le dit elle-même tentée par les signes extérieurs de richesse mais aussi par un réflexe typiquement inscrit dans l'éducation féminine, celui de l'infirmière apte à sauver un homme en détresse. Son calvaire n'en sera que plus terrible lorsque Kyle dont l'esprit est tordu par sa haine de lui-même se croit stérile et donc imagine que l'enfant qu'elle attend est celui de son meilleur ami, Mitch (Rock HUDSON) qui est son antithèse. Marylee la nymphomane nourrit son addiction de ce qu'elle ne peut pas avoir et qui donc la ronge de l'intérieur. Elle convoite en effet Mitch qui ne veut pas d'elle autrement que comme une amie. Chacun sait pour l'avoir éprouvé que le désir s'éteint une fois son objet possédé et qu'à l'inverse il est attisé par le manque ce qui est un formidable révélateur de ce qui nourrit l'addiction consumériste, au-delà des seuls objets inanimés. Face à toute cette décadence, le personnage de Mitch fonctionne comme une boussole morale. Amoureux logiquement de Lucy qui comme lui vient d'un milieu social inférieur, il tente s'échapper aux griffes du monstre qui cherche à les engloutir.

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Le Secret magnifique (Magnificent Obsession)

Publié le par Rosalie210

Douglas Sirk (1954)

Le Secret magnifique (Magnificent Obsession)

Un an avant "Tout ce que le ciel permet" (1955), film matriciel de nombre de réalisateurs dont certaines grandes pointures comme Rainer Werner FASSBINDER et Pedro ALMODÓVAR, Douglas SIRK réalisait son premier mélodrame hollywoodien flamboyant avec les mêmes acteurs principaux, à savoir Rock HUDSON et Jane WYMAN. Le peu de considération des élites pour le genre de prédilection de Sirk, associé à la médiocrité (mais aussi au féminin puisque le mélo est associé au "roman à l'eau de rose" et le rose, la sentimentalité, la rêverie romantique font partie des clichés récurrents dès qu'il s'agit de goûts féminins) a longtemps valu à ce cinéaste d'être sous-estimé. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, fort heureusement.

"Le Secret magnifique" dont la traduction est infidèle à l'original (qui est "L'Obsession magnifique") est le remake d'un film des années trente réalisé par John M. STAHL dont il reprend des scènes à l'identique. Mais outre le somptueux travail sur la couleur, le film développe considérablement plus les personnages et possède une puissance mystique dont je ne trouve l'équivalent que chez Robert BRESSON. Il peut paraître étonnant de rapprocher le réalisateur français au style épuré voire ascétique et l'allemand au style flamboyant mais ils sont unis par les épreuves que leurs personnages doivent endurer pour être touchés par la grâce, la rédemption étant au coeur du "Secret magnifique" comme elle l'est dans nombre d'oeuvres de Bresson.

Le mysticisme se manifeste dès les premières images par ce qui s'apparente à un baptême et une renaissance (ou une résurrection). La coquille vide qu'est Bob Merrick (Rock HUDSON) qui a toujours évité dans son parcours de se frotter aux épines de la vie (mais qui de ce fait en ignore également les joies) a un accident dont il réchappe grâce au sacrifice d'un autre homme qui s'avère être une sorte de "Christ rédempteur" laïque. Du moment où celui-ci le ranime en lui transférant son souffle de vie (c'est ainsi que j'interprète l'histoire de l'inhalateur qui sauve la vie de Bob Merrick au prix de celle du docteur asthmatique Wayne Philips), Bob devient un homme tourmenté, obsédé par le poids de ce qu'il considère comme sa faute, poids qui s'alourdit encore davantage quand survient l'accident de l'épouse du médecin qui lui a sauvé la vie, accident dont il se sent responsable. L'histoire raconte comment au terme d'un cheminement tortueux Bob Merrick finit par devenir l'homme qui l'a sauvé et qui de ce fait peut sauver à son tour de façon totalement désintéressée. Bien évidemment l'amour joue un rôle central dans le film puisque Bob tombe amoureux de Helen, la veuve de Wayne Philips (Jane WYMAN) dont l'aveuglement, littéral et symbolique est une autre des thématique majeures du film. Si elle ne voit pas l'amour ardent que Bob lui porte et en quoi il peut lui redonner vie à elle aussi c'est qu'elle est aveuglée par les préjugés liés aux frasques du passé de Bob, à sa réputation de playboy, au fait qu'il est involontairement responsable de la mort de son mari et à ses maladresses répétées qui ne plaident pas en sa faveur. En fait il faudra qu'elle en passe par la cécité pour qu'elle commence enfin à voir qui il est ou plutôt qui il est en train de devenir. Et tout ce cheminement, invraisemblable dans la dimension prosaïque mais limpide sur le plan spirituel s'accompagne d'un travail esthétique admirable où l'on passe de l'ombre à la lumière, de l'aridité à la floraison la plus exubérante.

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Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1982)

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

"Fanny et Alexandre" fut le premier grand choc cinématographique de ma vie. Gloire à Ingmar Bergman d'avoir réalisé une version pour la télévision car c'est elle que j'ai vue étant donné qu'à l'époque, j'avais l'âge de Fanny et d'Alexandre et je n'aurais eu aucune chance de découvrir le film au cinéma. C'est d'ailleurs cette version longue que j'ai tenu à revoir pour écrire mon avis. Bien que je possède le coffret contenant également la version courte, je pense que "Fanny et Alexandre" doit être vu dans son intégralité. Et comme il s'agit d'un chef d'oeuvre prenant, haletant et ce à tout âge, les presque six heures passent à la vitesse de l'éclair.

Les émotions de l'enfant que j'étais alors ne m'ont jamais quitté. Je me souviens de l'émerveillement que j'ai ressenti devant la magnificence du repas de noël de la famille Ekdahl puis du contraste violent avec le dépouillement de la chambre du presbytère dans laquelle les enfants étaient enfermés comme dans une prison. Par dessus tout, je me souviens de l'horreur que m'a inspiré le père fouettard Vergerus. Plus encore que la résistance d'Alexandre à l'emprise de l'ignoble pasteur, ce sont les yeux perçants de Fanny qui m'ont marqué lors du châtiment reçu par son frère et son visage qui se détourne lorsque la main de Vergerus veut la toucher. Lorsque bien plus tard j'ai commencé à lire les livres d'Alice Miller ("C'est pour ton bien", "L'enfant sous terreur" etc.) ce sont les images du père Vergerus abusant de son autorité pour martyriser Alexandre qui m'ont accompagnée. Par la suite mon moment préféré est devenu le formidable numéro d'illusionnisme hautement jouissif par lequel Isak Jacobi investit la demeure du sinistre pasteur pour subtiliser les enfants. En revoyant le film adulte, j'ai continué de vibrer aux mêmes passages tout en appréciant les aspects que je ne pouvais comprendre alors tels que les rapports de classe ou les rapports de couple.

"Fanny et Alexandre" est en effet une fresque grandiose, riche et d'une grande beauté visuelle mettant en vedette une grande famille de la bourgeoisie de Stockholm au début du XX° siècle écartelée entre Eros et Thanatos avec une puissance rarement égalée dans l'histoire du cinéma. Il faut dire que ce combat traversait toute l'oeuvre de Ingmar Bergman et que le film a une valeur autobiographique et testamentaire certaine (comme son livre "Lanterna Magica"). Testamentaire mais joyeuse car c'est le tourbillon de la vie qui l'emporte. Bien que conforme aux codes de son temps et de son milieu (on pense tantôt aux salons Napoléon III, tantôt à du Maupassant), la famille Ekdahl s'en démarque sur plusieurs points. Ce qui frappe d'emblée, c'est sa générosité débordante perceptible à travers des décors somptueux, foisonnants (comme le film) mais aussi à travers des caractères truculents comme celui du priapique Gustav-Adolf et de son insatiable appétit sexuel envers des femmes aux formes elles-mêmes généreuses. Son frère aîné Oscar, frappé à l'inverse d'impuissance déverse le trop-plein dans sa passion pour le théâtre qu'il dirige, offrant à sa famille et aux public le spectacle d'une féérie perpétuelle*. Même le troisième frère, l'aigri Carl aux propos d'une épouvantable cruauté envers son épouse germanique (certes agaçante) qui m'ont rappelé ceux que j'ai entendu chez Haneke peut improviser des tours de magie inventifs (pour souffler les bougies par exemple). Mais la générosité de la famille se remarque aussi dans l'importance qu'y prennent des éléments exogènes tels que lsak Jacobi l'usurier juif et Maj la bonne. "L'oncle Isak", le grand amour d'Héléna, la grand-mère et matriarche de la famille qui en raison de la religion n'a pu former avec elle qu'une union clandestine vit pourtant dans un monde qui à échelle réduite ressemble à celui des Ekdahl avec ses dominantes rouges (sans doute en référence aux rideaux de théâtre), son encombrement baroque, ses marionnettes et son ambiance surnaturelle (comme chez les Ekdahl, Alexandre y voit des fantômes et même une momie s'animer). Il est l'allié décisif face au redoutable ennemi qu'est Vergerus. Quant à Maj, la petite bonne boîteuse qui sert de substitut maternel aux enfants, elle est engrossée par Gustav-Adolf dans la plus pure tradition des "amours" ancillaires du XIX° mais bénéficiant comme ses consoeurs d'une considération supérieure aux bonnes de ce temps (la scène inaugurale où elles mangent à la même table que les maîtres a valeur de symbole), elle finit par réussir à s'émanciper avec la fille aînée de Gustav Adolf et leur départ semble se faire sur un pied d'égalité.

* Le format télévisuel épouse le style théâtral avec un prologue, des actes et un épilogue qui se substituent aux épisodes.

 

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Les Hirondelles de Kaboul

Publié le par Rosalie210

Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mevellec (2019)

Les Hirondelles de Kaboul

Techniquement, rien à dire, "Les hirondelles de Kaboul" est superbe. Il faut dire que la France a du savoir-faire en matière de cinéma d'animation et que cela se ressent dans le film, avec les délicates aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec qui avait auparavant travaillé sur "Les Triplettes de Belleville" (2003) et "Ernest et Célestine" (2012) et qui a co-réalisé le film aux côtés de Zabou BREITMAN. Et bien qu'elles soient trop rares, il y a de belles idées poétiques qui émanent de cette animation comme les burquas qui se muent en hirondelles dans le ciel (cela m'a rappelé un livre de jeunesse, "Djinn la malice" dans lequel une petite fille jouait à faire l'oiseau avec les pans de son tchador).

Cependant cela ne suffit pas à faire de ces "Hirondelles de Kaboul" un film marquant. Tout simplement parce que l'histoire relève de l'art d'enfoncer les portes ouvertes et que l'intrigue est cousue de fils blancs. Rien ne m'agace davantage que les occidentaux qui s'achètent une bonne conscience en conspuant les civilisations dites obscurantistes, islamiques, forcément. Il est vrai que nos civilisations occidentales chrétiennes sont tellement éclairées qu'elles sont juste en train de détruire toute vie sur terre. Bizarrement, les réalisateurs ne se bousculent pas au portillon pour parler des sécheresses à rallonge, des méga-feux, des pandémies ou de la sixième extinction de masse. Non seulement on ne fait pas de bons films avec de bons sentiments mais on aboutit à l'inverse à stigmatiser les autres cultures. De vieux réflexes moralisateurs post-coloniaux qui ont la vie dure. Plutôt que de parler "sur" un peuple privé des moyens de produire ses propres films, il aurait mieux valu évoquer la situation des femmes en occident, il y avait largement de quoi dire. Quant à l'histoire, j'avais deviné la fin au bout de dix minutes de film, c'est dire si elle est convenue.

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Les Bostoniennes (The Bostonians)

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1984)

Les Bostoniennes (The Bostonians)

Film peu connu du trio Ivory-Merchant-Jhabvala, "Les Bostoniennes" est l'adaptation d'un roman de Henry James qui aborde des sujets d'avant-garde pour son époque: le féminisme et plus discrètement mais de façon tout de même assez évidente pour un lecteur d'aujourd'hui, l'homosexualité féminine. Comme dans "Chaleur et poussière", deux camps se disputent le corps et la voix d'une jeune femme qui hélas s'avère être une marionnette du désir des autres (son père, sa mère, Olive, Basil) du début à la fin. Le fait que l'actrice qui l'interprète, Madeleine Potter soit assez fade n'est donc finalement pas si gênant que ça étant donné le manque de caractère du personnage. Quant aux leaders des deux camps qui se l'arrachent, ils sont inégalement intéressants. Basil (Christopher Reeves alias Superman) est un mâle tout ce qu'il y a de plus alpha. Les engagements militants de Verena et le chaperonnage d'Olive ne sont à ses yeux qu'un piment supplémentaire pour la conquérir. Que pèse le bla-bla féministe à côté de son sex-appeal irrésistible? A ses yeux, une femme est faite pour être une bonne épouse et une bonne mère et Verena correspond au profil. Ce n'est évidemment pas le cas d'Olive (Vanessa Redgrave), vieille fille coincée qui met toute son âme à défendre la cause des femmes mais qui ne s'estime pas suffisamment pour oser s'avancer sur le devant de la scène. La découverte de Verena et la passion qu'elle inspire à Olive donne des ailes à James Ivory qui n'est jamais meilleur que dans la description des désirs et des sentiments inavouables et donc refoulés dans les sociétés corsetées. Il y a comme une préfiguration du "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma dans les plans qui unissent ces deux femmes, notamment lorsqu'elles se laissent aller à des gestes de tendresse au bord de la mer. L'esthétisme très soigné de la reconstitution historique et l'étroite connexion établie entre les élans du coeur et ceux de la nature y sont aussi pour beaucoup. Vanessa Redgrave hérite donc du plus beau personnage du film, personnage dont elle retranscrit d'autant mieux les tourments intérieurs et la profonde tristesse que le moindre frémissement de son regard est capté par la caméra de James Ivory. Une souffrance qui n'est pas stérile car au terme du voyage, elle parvient à s'accomplir autrement mieux que la poupée dont elle s'était éprise et qui a préféré partir au bras du bellâtre de service.

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Pat Garrett et Billy le Kid (Pat Garrett and Billy the Kid)

Publié le par Rosalie210

Sam Peckinpah (1973)

Pat Garrett et Billy le Kid (Pat Garrett and Billy the Kid)

"Pat Garrett et Billy the Kid" avait beaucoup d'atouts (entre autre son background historique, sa photographie, sa musique, une partie de son interprétation, de belles idées de mise en scène et de montage) pour être un grand film dans sa portée comme peut l'être par exemple la saga du Parrain qui transcende aussi bien l'époque de sa réalisation (les années 70 pour les deux premiers volets, 1990 pour le troisième) que son genre (gangsters) pour devenir une tragédie humaine intemporelle et universelle. On pourrait en dire autant de nombre de westerns classiques ou baroques comme théâtres des passions humaines à l'oeuvre. Mais "Pat Garrett et Billy the Kid" n'en fait pas partie. Il a selon moi au moins deux défauts assez rédhibitoires.

D'une part une narration relâchée, presque "je m'en foutiste" qui fait traîner le film en longueur et rend ses enjeux presque absurdes. Les exemples abondent mais je n'en citerai qu'un, la scène où le Kid s'évade de prison, en prenant tout son temps, mais vraiment tout son temps, à croire que le Far west était un espace propice à la flânerie presque bucolique. Autre exemple de ce manque de rigueur, "l'amitié" entre Pat et Garrett n'est pas montrée de façon convaincante alors qu'elle est pourtant basée sur des faits réels. Ca n'aurait pas eu d'importance si l'idée la plus intéressante du film à savoir que la quête de Pat consiste en fait à tuer la partie libre et sauvage de lui-même pour rentrer dans le moule de la civilisation (corrompue) avait été incarnée avec plus de conviction. Mais elle ne l'est que par intermittences. Le plus beau plan de ce point de vue reste celui où après avoir tiré sur le Kid il tire sur son propre reflet dans le miroir. Enfin, cette narration brouillonne se remarque également dans le fait que le personnage joué par Bob DYLAN semble ne jamais trouver une place satisfaisante dans le récit. Tout le monde l'épargne alors que ça tire à qui mieux mieux dans tous les coins et on ne sait pas pourquoi, pas plus qu'on ne sait ce qu'il fabrique là, autrement que comme symbole.

Cela m'amène au deuxième défaut du film. Comme nombre de ceux qui ont été réalisés à cette époque, il porte l'empreinte des idéaux post soixante huitard, lesquels s'incarnent dans le personnage du Kid et de sa bande. Ils ne sont pas pacifiques certes mais ce sont des "bandits joyeux, insolents et drôles qui attendaient que la mort les frôle" pour reprendre la chanson de Bernard Lavilliers "On the road again". Bref, les motards de "Easy Rider" (1968) confrontés à la haine de "Ploucland" ne sont pas loin, d'ailleurs Pat (James COBURN) est montré comme un croque-mort qui veut enterrer ses idéaux de jeunesse pour comme il le dit "finir peinard". Sauf que ce plaquage forcé est très simpliste. Billy est joué par un beau gosse au sourire charmeur (Kris KRISTOFFERSON) à des milliards de lieues des trognes burinées de Sergio LEONE et son comportement hédoniste fait croire que les lois humaines sont celles de la jungle (plus exactement celles de la mafia) et qu'à l'inverse ce sont celles de la jungle qui sont humaines (même pas comme Robin des bois d'ailleurs car il est trop égoïste pour cela, ne pensant qu'à prendre du bon temps avec ses potes). Cela me fait d'autant plus rager que l'appropriation capitaliste du bien commun par le système des enclosures transplanté d'Angleterre est bien montré mais la critique est rendu inopérante par cette glorification du hors la loi, instrumentalisé au profit d'un discours contestataire bêta. Enfin, si le progressisme d'un film se mesure à la façon dont il traite la gent féminine, celui-ci est l'un des plus réacs que j'ai vu. je l'ai trouvé proprement imbuvable. Toutes (ou presque) sont des putes interchangeables servant d'objets de plaisir et réduites au silence de surcroît (mais avec le smile!!). La seule exception, la femme de Pat est une pisse-froid qui lui fait la morale et qu'il ne touche donc même plus, CQFD.

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Chaleur et Poussière (Heat and Dust)

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1983)

Chaleur et Poussière (Heat and Dust)

Avant de se focaliser dans les années quatre-vingts dix avec une finesse remarquable sur les moeurs exotiques de la société british d'avant-guerre dans ce qui constitue la partie de sa filmographie la plus connue et la plus primée, James IVORY a réalisé une importante oeuvre anglo-indienne sur une période allant du début des années soixante au début des années quatre-vingts. Il faut dire que James IVORY est indissociable de son producteur indien immigré à New-York Ismail MERCHANT passionné de cinéma et originaire de Mumbai, Mecque du cinéma bollywoodien ainsi que de l'écrivaine et scénariste Ruth PRAWER JHABVALA à l'identité encore plus complexe (allemande mais élevée en Angleterre et mariée à un indien). Les films issus de ce trio et de leur société de production, Merchant Ivory Productions (MIP) portent donc logiquement la marque de leur collaboration multiculturelle.

"Chaleur et Poussière" est le dernier film de cette mouvance anglo-indienne du cinéma d'Ivory. Le scénario est écrit par Ruth PRAWER JHABVALA qui adapte son propre roman au titre éponyme. Il n'est guère surprenant que l'histoire qui se déroule sur deux périodes distinctes (les années 20 quand l'Empire britannique était encore puissant et les années 80) se focalise sur deux femmes occidentales unies par un lien de parenté (la première est la grand-tante de la seconde) et une communauté de destin. Bien que les allers-retours entre les deux époques se fassent avec beaucoup de fluidité et d'élégance, c'est la partie coloniale que j'ai trouvé de loin la plus intéressante. Comme dans tous ses films historiques, James IVORY va au-delà de la reconstitution académique pour sonder la vérité profonde des êtres. L'insistance lourde avec laquelle Douglas (Christopher CAZENOVE), petit fonctionnaire en poste à Sitapur tente d'éloigner son épouse Olivia (Greta SCACCHI) avec la complicité de toute la communauté et la résistance de celle-ci montrent que ce n'est pas tant la chaleur du climat qui est le fond du problème mais plutôt celui du corps d'Olivia, attirée par le prince indien local (Shashi KAPOOR). Ce dernier utilise d'ailleurs lui-même ce corps comme moyen de résistance et outil de vengeance face à l'impérialisme britannique qui le démet peu à peu de ses pouvoirs et donc de sa virilité. Le politique et l'intime ne font ainsi plus qu'un, comme ce sera également le cas dans "Les Vestiges du jour" (1993). La partie moderne, plus apaisée ne contient pas de tels enjeux conflictuels politiques ou civilisationnels*. Elle est nettement plus individualiste, à l'image de l'évolution des sociétés. Néanmoins, la quête d'identité du personnage d'Anne (Julie CHRISTIE) qui suit les traces de son aïeule ne manque pas d'intérêt notamment parce qu'elle rencontre des gens comme elle, en quête de sens à leur existence pour qui l'Inde fait figure de Graal. Contrairement à sa grand-tante qui subit une "mise à mort sociale", Anne choisit de vivre en marge avec le fruit de son amour éphémère pour un indien.

* Le racisme anglo-saxon, fondé sur la biologie ou plutôt le fantasme de la pureté du sang exècre le métissage. Par conséquent, il n'est guère étonnant que l'obsession des colons tourne autour de la protection de leurs femmes car il est dit dans le film que les indiens ne rêvent que d'une chose "le faire" avec une blanche. Crainte que l'on retrouve à l'identique aux Etats-Unis à la même époque.

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Secret Sunshine (Miryang)

Publié le par Rosalie210

Lee Chang-Dong (2007)

Secret Sunshine (Miryang)

"Secret Sunshine" est la signification du nom coréen de la ville de Miryang dans laquelle vient s'installer au début du film l'héroïne, Sin-ae et son fils de neuf ans, Joon pour tenter de refaire leur vie après un deuil familial. J'ai d'ailleurs bien aimé le début prometteur de ce film (après tout le titre n'est pas porteur d'espoir?), disons la première demi-heure. J'ai bien aimé aussi la fin quand Sin-ae sort de sa posture de martyre pour exprimer enfin sa rage contre tout ce (et tout ceux) qui l'accablent pendant mais aussi bien en amont de l'histoire du film. Entre les deux cependant, il faut supporter un interminable calvaire doloriste, masochiste et nihiliste ponctué de crises d'hystérie assez insupportables. Le début déjà sentait la culpabilité à plein nez ("Pour me faire pardonner d'être veuve, je vais élever mon fils dans la ville natale de son père même si c'est un sacrifice") mais ce n'est rien à côté de la suite. Une soirée entre filles un peu arrosée où l'héroïne s'éclate? Pif, on lui enlève son fils. Elle veut acheter un terrain? Paf, on lui prend tout son argent. Comme dans le tout aussi horripilant "Peppermint Candy", Lee Chang-Dong donne à son personnage principal la posture du flagellant sur qui s'abattent tous les malheurs du monde mais qui en rajoute des couches et des couches par son attitude extrêmement négative. Certes, Sin-ae n'est ni une tueuse, ni une tortionnaire mais elle n'attire guère la sympathie. D'abord parce qu'elle est extrêmement versatile, passant pour tenter de se reconstruire  sans transition du piano à la religion pour la vilipender quand celle-ci ne répond pas à ses attentes. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la manière dont la foi chrétienne est montrée dans le film (un objet de consommation comme un autre qu'on prend et que l'on jette? Un moyen facile de s'acheter une bonne conscience? En tout cas ce n'est pas glorieux). Quant aux relations humaines, on ne peut pas dire que ce soit le point fort de Sin-ae, y compris envers le spectateur qui a bien du mal à s'intéresser à cette femme tellement occupée à s'abîmer dans sa douleur qu'elle ne regarde pas ce qui se trouve autour d'elle, notamment le garagiste serviable qui tente de l'accompagner maladroitement mais sincèrement. Kim Jong-Chan (Song Kang-ho, star coréenne des films de Bong Joon-ho) n'essuie tout au long du film en effet que mépris et rebuffades, non seulement de la part de Sin-ae mais aussi de son odieuse famille (bien que lorsque la belle-mère lui dit lors des funérailles qu'elle "pue la mort", elle n'a pas totalement tort). Bien que son obstination à suivre une femme qui le snobe ou se sert de lui relève là aussi du masochisme le plus total, la gentillesse de Jong-Chan tranche avec l'hypocrisie, la mesquinerie ou la haine des gens qui entourent Sin-ae et s'avère être peut-être le seul "soleil secret" de l'histoire.

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