Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #drame tag

Orphée

Publié le par Rosalie210

Jean Cocteau (1950)

Orphée

"Orphée" c'est "Le Sang d un poète" (1930) appliqué à une figure mythologique qui fascinait Jean COCTEAU et sans doute à laquelle il s'identifiait. Transposé dans le milieu littéraire germanopratin des années cinquante symbolisé par Juliette GRÉCO, le mythe d'Orphée vu par Cocteau ne prend pourtant son essor que lorsqu'il passe de l'autre côté du miroir pour rencontrer "la mort au travail" (définition du cinéma lui-même). En effet Orphée (Jean MARAIS) est un poète qui se nourrit de messages de l'au-delà (messages qui font penser à ceux qu'envoyaient les résistants par la BBC pendant la guerre). C'est aussi un Narcisse amoureux de son reflet, cet autre lui-même qu'il ne peut rencontrer qu'aux enfers. La pauvre Eurydice est reléguée au rang d'empêcheuse de créer en rond, "bonne femme" obsédée par "la layette et les impôts". On aurait envie de gifler Cocteau devant tant de misogynie crasse mais heureusement il y a les superbes images poétiques expérimentales qui sauvent l'ensemble ainsi que la profonde mélancolie émanant de spectres qui pourtant transgressent l'ordre établi en tombant amoureux des vivants. La princesse (Maria CASARÈS) amoureuse éperdue d'Orphée et son valet, Heurtebise (François PÉRIER, impérial) dont les sentiments poignants pour Eurydice me touchent au plus profond de moi à chaque fois que je revois le film.

Voir les commentaires

Les Tueurs (The Killers)

Publié le par Rosalie210

Robert Siodmak (1946)

Les Tueurs (The Killers)

Chef d'oeuvre du film noir hollywoodien des années quarante, "Les Tueurs" se distingue tout d'abord par sa construction en flash-backs. Ceux-ci permettent de reconstituer peu à peu le puzzle du parcours tragique de Ole Anderson surnommé "le suédois" (Burt LANCASTER dont c'était le premier rôle au cinéma), ex-boxeur à la main brisée qui pour les beaux yeux d'une femme fatale manipulatrice (Ava GARDNER) connaît une vertigineuse déchéance teintée de masochisme. En effet il repousse systématiquement les perches qui lui sont tendues ce qui accentue le caractère fataliste de sa destinée. "Les Tueurs" se distingue aussi par ses contrastes d'atmosphère. D'un côté le monde de la vie, lumineux et réaliste incarné par l'agent d'assurances Jim Reardon (Edmond O BRIEN) et l'inspecteur Sam Lubinsky (Sam LEVENE) qui a épousé l'ex petite amie de Ole Anderson au temps où il était boxeur, Lilly (Virginia CHRISTINE). Dans une scène-clé du film, celle-ci tente de se soustraire à la soirée du milieu louche dans lequel Ole veut l'introduire, soirée au cours de laquelle il rencontre Kitty. Celle-ci est aussi brune que Lilly est blonde et la similitude des consonances de leurs prénoms souligne paradoxalement leur caractère antinomique: la première représente le ciel (d'ailleurs le logement qu'elle partage avec Sam donne sur un toit-terrasse) alors que la seconde est en revanche un aller direct pour l'enfer. Le monde des truands sur lequel elle règne est filmé la plupart du temps en intérieur et/ou de nuit avec des éclairages expressionnistes directement issus de l'ère du muet qui soulignent à quel point ce monde de vices représente les pulsions refoulées de l'être humain. Enfin "Les Tueurs" se distingue par l'excellence de son interprétation avec là encore deux trajets opposés. Le personnage de Burt LANCASTER dont on ne devine pas tout de suite les traits, son visage étant noyé dans la pénombre au début du film pour signifier à quel point il est anéanti s'éclaire peu à peu alors qu'à l'inverse celui de Ava GARDNER commence sous les sunlights et finit par s'effacer dans la nuit noire.

Voir les commentaires

Cotton Club (The Cotton Club)

Publié le par Rosalie210

Francis Ford Coppola (1984)

Cotton Club (The Cotton Club)

Bien que "Cotton Club" ne soit pas spécialement un film aimable (ce qui explique sans doute son impopularité et sa relégation dans l'ombre au sein de la filmographie de Francis Ford COPPOLA), j'ai eu l'impression en terminant le film d'avoir été comblée ce qui n'est pas si fréquent. Que montre finalement Francis Ford COPPOLA dans le film si ce n'est une certaine réalité de la société américaine au travers de son show business? Car derrière le show il y a le business et il n'est pas des plus propres. Le Cotton Club, cabaret de jazz de Harlem ayant réellement existé au temps de la Prohibition est une scène, comme le cinéma alors en plein essor d'Hollywood derrière laquelle s'agitent des coulisses peu reluisantes. Néanmoins Francis Ford COPPOLA apporte beaucoup de nuances dans sa mise en scène virtuose et c'est cela qui m'a comblé autant que les formidables numéros musicaux. Ainsi Dixie le "héros" musicien joué par Richard GERE est un arriviste c'est vrai mais à côté de son frère Vincent (Nicolas CAGE alias le neveu du réalisateur) qui est prêt à aller jusqu'au massacre des innocents pour assouvir son appétit de réussite, c'est un saint. Il en va de même des deux truands qu'il sert. Le premier, Dutch (James REMAR), un sanguin dominé par ses émotions à qui il a pourtant sauvé la vie ne connaît que les rapports de domination et fait de lui son esclave, de la même façon qu'il a acheté la vénale Vera (Diane LANE). On comprend que Dutch n'arrive pas à la cheville de son rival, Owney Madden (Bob HOSKINS) qui en dépit de sa férocité en tant que gangster a autrement plus de savoir-faire dans les relations humaines. Il a aussi ses entrées dans le milieu artistique en ayant réussi à transformer le plomb (l'argent de la pègre) en or (le Cotton Club) ce qui lui vaut plutôt que de se faire trouer la peau d'aller à "sing sing" ^^^^ où on lui déroule le tapis rouge. Enfin en parallèle de ces guerres de blancs individualistes assoiffés de pouvoir et d'argent, Francis Ford COPPOLA met en lumière la situation paradoxale de la communauté noire sans laquelle l'Amérique n'aurait pu construire son identité artistique mais qui néanmoins subit le joug de la domination des blancs, la ségrégation et les humiliations qui en résultent. Des discriminations qui ont pour effet de souder ses éléments dans un destin commun et de lui donner bien plus de force que n'en ont les WASP. A méditer donc.

Voir les commentaires

Hope and glory: la guerre à sept ans (Hope and glory)

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1987)

Hope and glory: la guerre à sept ans (Hope and glory)

Beau film autobiographique du réalisateur britannique John BOORMAN sur le thème de l'enfance en temps de guerre. La sensibilité du regard du cinéaste donne un caractère universel à cette chronique qui lui permet d'échapper à l'usure du temps comme à l'époque retranscrite. D'ailleurs le jeune héros perçoit l'instant de la déclaration de guerre comme un moment où le temps s'arrête autour de lui. Par la suite, la magie de l'enfance est montrée comme un rempart permettant de transformer le quartier dévasté par l'horreur bien réelle du Blitz de Londres en terrain de jeu grandeur nature. N'importe quel gamin d'aujourd'hui peut s'identifier à Billy récupérant les débris de shrapnels comme s'il effectuait une chasse au trésor ou bien se défoulant avec ses camarades en saccageant encore davantage les maisons en ruine*. Et quel enfant n'a jamais rêvé de voir son école détruite afin d'être dispensé de devoirs et de connaître "deux ans de vacances"?

Néanmoins pour tendre et relativement léger qu'il soit, le regard de John BOORMAN ne fait pas l'impasse sur le côté sombre de la guerre, même vue à hauteur d'enfant. Il montre comment celle-ci se rapproche de son quotidien au point de finir par faire voler en éclats le cocon familial, révélant les failles du mariage de ses parents et entraînant l'effondrement des valeurs traditionnelles, ce dont sa grande soeur profite en vivant une adolescence délurée et ce d'autant plus qu'elle côtoie la mort. La fin constitue un refuge dans lequel se reconstitue la famille malmenée mais celui-ci est trop paradisiaque pour être tout à fait honnête car fondé sur un retour dans le passé.

* Je me souviens avoir subi dans mon enfance l'une des pires engueulades de ma vie pour avoir avec un camarade de jeu cassé les vitres d'un bâtiment désaffecté.

Voir les commentaires

Le Grand sommeil (The Big Sleep)

Publié le par Rosalie210

Howard Hawks (1946)

Le Grand sommeil (The Big Sleep)

J'ai beaucoup traîné des pieds avant de revoir "Le Grand sommeil" car le souvenir que j'en avais était de n'y avoir rien compris. Mais il n'y a rien (d'important) à comprendre en fait dans cette histoire alambiquée qui l'aurait été (peut-être, pas sûr) un peu moins si les fourches caudines du code Hays n'avaient pas sabré ici et là les passages les plus sulfureux (faisant allusion à l'homosexualité et à la pornographie notamment). Mais peu importe au final l'accumulation de truands et de jolies filles interchangeables. Car ce que l'on retient, c'est à quel point Philip Marlowe (Humphrey BOGART dans l'un de ses rôles les plus mythiques de privé aussi cynique qu'intègre) ne cesse tout au long du film de nager dans les eaux troubles d'Eros (toutes les filles qu'il croise sont sexy et mûres juste à point pour tomber dans ses bras) et de Thanatos (avec l'accumulation des cadavres autour de lui et sa propre peur de la mort). Mais ce qui fait tout le sel du film réside dans ce qui circule entre Howard HAWKS dont le cinéma se situe toujours à hauteur d'homme et le couple alors en train de se former constitué de Humphrey BOGART et de Lauren BACALL. Ils s'étaient rencontrés deux ans auparavant sous l'oeil de sa caméra (dans "Le Port de l'angoisse") (1944) et les premières images en ombres chinoises du "Grand Sommeil" rappellent combien cela avait "matché" entre eux. Les jeux de regard et les joutes verbales savoureuses du duo sont pleines de tension érotique* et rappellent que Howard HAWKS est également un maître de la screwball comédie. Simplement dans "Le Grand sommeil", les (d)ébats érotiques sont rehaussés par la proximité de la mort. Le final dans lequel Marlowe doit affronter un dernier obstacle sur la route de sa fusion avec Vivian est particulièrement émouvant car on peut voir sa main tenant le flingue légèrement trembler, ce simple détail renvoyant à la vulnérabilité de son personnage qui exprime à plusieurs reprises sa lassitude, sa fatigue et sa peur. Du cinéma à hauteur d'homme quoi!

* La scène à double sens où ils parlent de la meilleure manière de monter un cheval est tout simplement grandiose.

Voir les commentaires

Drugstore Cowboy

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (1990)

Drugstore Cowboy

Gus VAN SANT est un cinéaste à la filmographie inégale, capable du meilleur comme du pire. Le meilleur réside dans ce que j'appelle (dans ma tête) ses films de "sauvageons", films par ailleurs souvent expérimentaux, innervés d'énergie pure et donc d'autant plus ébouriffants. "Drugstore cowboy" son deuxième long-métrage fait partie du lot. Il narre le périple de deux jeunes couples qui fuient les responsabilités de l'âge adulte en se créant un chemin de traverse fait d'errances et de rapines mais qui pour eux ont le goût d'une enfance éternelle. Celle de la liberté et d'une vie passée à jouer à la chasse au trésor pour s'emparer d'un maximum de bonbons après avoir au passage joué de mauvais tours aux pharmaciens et hôpitaux. Une vie grisante, passée à planer et à transgresser qui n'est pas sans rappeler l'univers de "Les Valseuses" (1974) (la petite vendeuse qui plaque tout pour suivre la bande) mais qui finit par trouver ses limites quand le réel finit pas entrer brutalement dans leur cocon. Parce que l'envers du décor n'est pas occulté par Gus VAN SANT et qu'il est dangereux et mortifère. La deuxième partie du film évoque donc un peu à la manière de "Clean" (2004) l'atterrissage de Bob (Matt DILLON, formidable, franchement quel dommage qu'il n'ait eu plus de rôles de cette envergure) dans le monde beaucoup moins glamour de la réalité, sa réinsertion sociale et l'apprentissage de la solitude. En se détournant du groupe, il renonce en effet également au couple toxique qu'il formait avec Dianne (Kelly LYNCH) laquelle s'avère incapable de décrocher et représente même pour lui une menace de replonger dans le même enfer décoré en paradis artificiel.

Deux personnages jouent également un rôle clé dans le film et peuvent être considérés comme les pères de substitution de Bob. Le premier est le Père Tom Murphy (William BURROUGHS), un vieux prêtre défroqué au visage en forme de tête de mort qui a initié Bob à la drogue et à qui ce dernier finit par renvoyer la marchandise dans une scène métaphorique située vers la fin du film. Le second est l'inspecteur Gentry (James REMAR) qui n'est pas seulement une figure de surmoi en forme de rappel à la loi jalonnant le parcours de Bob. Il est aussi une figure attentive et bienveillante qui lui enjoint de prendre soin de lui.

Voir les commentaires

Un tramway nommé désir (A streetcar named desire)

Publié le par Rosalie210

Elia Kazan (1951)

Un tramway nommé désir (A streetcar named desire)

Revoir "Un Tramway nommé désir" (titre en soi mythique!) fait paraître à côté bien pâle la relecture de Woody ALLEN dans "Blue Jasmine" (2013). Cette différence tient en partie au climat poisseux de la Nouvelle-Orléans (porté à ébullition par les bains brûlants que ne cesse de prendre Blanche) conjugué à la promiscuité du minable appartement des Kowalski. Mais il est surtout dû à la manière viscérale dont les acteurs habitent leurs personnages. Ce que dégagent Marlon BRANDO et Vivien LEIGH est monstrueux, à tous les sens du terme. Le magnétisme animal du premier et la folie intérieure de la seconde qui souffrait réellement de troubles bipolaires crèvent l'écran. Ils explorent chacun à leur façon les limites de l'humain. Inutile de préciser qu'avec de telles prestations, tout jugement manichéen vole en éclats. Oui, Stanley est un effroyable macho qui domine les femmes par un savant mélange de séduction et de terreur. Il suffit de voir le visage satisfait de Stella (Kim HUNTER) après qu'il l'ait tabassée puis honorée ("battue et contente") pour comprendre jusqu'où cet homme peut exercer son emprise. Le marcel blanc moulant et dégoulinant de sueur voire déchiré aide beaucoup ceci dit ^^^^. Mais il permet au moins à la spectatrice de se rincer l'oeil car une telle érotisation du corps masculin était rare à l'époque. Son ami si politiquement correct (en apparence) Mitch (Karl MALDEN) vaut-il finalement mieux que lui lorsqu'il repousse Blanche parce que je cite "elle n'est pas assez pure pour vivre aux côtés de sa mère"? Il y a du Norman Bates c'est à dire du monstre chez Mitch ("toutes des salopes, sauf ma mère") qui s'interdit de désirer une femme hautement désirable (pourquoi est-il encore célibataire à son âge?) et quand le désir est frustré, la pulsion de meurtre n'est pas loin comme le soulignait si bien Alfred HITCHCOCK. Quant à Blanche, l'aristocrate déchue, mythomane et nymphomane qui éprouve une attraction-répulsion pour le prolo brut de décoffrage qu'est Stanley Kowalski, elle suscite aujourd'hui moins d'agacement ou de rejet que de pitié. Ses grands airs et ses mensonges lui servent de paravent dérisoire pour camoufler sa déchéance bien réelle et des besoins sexuels dévorants sur lesquels elle n'a aucun contrôle. Mais la société patriarcale le lui fait tellement chèrement payer par sa culture du viol, de l'exclusion et de l'enfermement "rééducatif" qu'on lui pardonne.

Voir les commentaires

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2019)

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

On parle ces derniers temps davantage de la guerre civile espagnole de 1936-1939. C'est une bonne nouvelle. A titre personnel déjà puisque je suis une descendante de réfugiés "espagnols" (catalans en réalité), terme que j'ai entendu toute mon enfance sans comprendre ce que cela signifiait. Mais c'est aussi une bonne nouvelle pour l'Espagne qui effectue depuis quelques années un gros travail de mémoire pour comprendre et guérir de son passé. C'est enfin une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde de comprendre les mécanismes qui en quelques années ont balayé une démocratie au profit d'une terrifiante dictature militaire qui est d'ailleurs indissociable du nazisme. Chacun sait que la guerre d'Espagne servit de test à Hitler pour la future guerre qu'il entendait mener en Europe. Le film de Alejandro AMENÁBAR n'évoque pas le symbole de Guernica mais il montre le soutien logistique que les nazis apportèrent aux franquistes ainsi que leur rôle dans la désignation du général Franco comme chef de la rébellion et ensuite de l'Espagne. Celui-ci est d'autant plus inquiétant qu'il n'est qu'une ombre insaisissable dans le film, ses généraux s'exprimant à sa place.

Croire que cette histoire est derrière nous, c'est se tromper lourdement. En effet ce qui permet l'installation durable d'une dictature, c'est moins la détermination de ses partisans que les divisions et l'inaction de ceux qui prétendent être ses ennemis. Leur faiblesse, leur lâcheté, leur aveuglement. C'est ce que démontre Alejandro AMENÁBAR par l'exemple, celui du grand écrivain Miguel de Unamuno (Karra ELEJALDE) incapable de regarder en face le vrai visage de la barbarie. Il incarne le naufrage de la pensée de nombre d'intellectuels tellement terrifiés par le communisme (et l'éclatement de l'Espagne) qu'ils étaient incapables de comprendre la vraie nature de la peste brune sous son visage rassurant de retour à "l'ordre" et aux vraies valeurs (monarchie, catholicisme, nationalisme). Pourtant, peu à peu Unamuno va être confronté à la réalité de l'idéologie du régime qui s'annonce. Une idéologie ayant tracé une frontière entre les "bons espagnols" franquistes et les autres, exclus de la communauté nationale avant d'être arbitrairement arrêtés et exécutés sans jugement pour leurs opinions de gauche, leur appartenance à la franc-maçonnerie, à la communauté juive ou au protestantisme. L'extrême-droite française désignera sous Vichy les mêmes groupes comme faisant partie de "l'anti-France". Unamuno voit ainsi disparaître un à un ses anciens élèves et ses meilleurs amis en faisant l'autruche jusqu'à ce qu'il se retrouve seul. Il finit quand même dans un ultime sursaut par s'engager publiquement contre le franquisme ce qui lui vaut d'échapper in-extremis au lynchage. Ses mots "vous vaincrez mais ne convaincrez pas" s'avèrent prophétiques puisqu'ils annoncent une guerre civile qui a continué sous une forme larvée durant tout le règne de Franco. Unamuno s'insurge également contre la culture de mort des fascistes, le général Millan Astray (Eduard FERNÁNDEZ) rétorquant d'ailleurs par un "Viva la muerte" ("Vive la mort") qui était l'un des slogans des fascistes (d'autres versions rapportent des propos similaires à ceux qui étaient souvent proférés par les nazis "quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver").

Aussi même si le film de Alejandro AMENÁBAR reste classique dans sa forme, son interprétation et son scénario valent largement le détour, interrogeant les dérives du passé comme celles d'aujourd'hui avec pertinence.

Voir les commentaires

Loin du paradis (Far from Heaven)

Publié le par Rosalie210

Todd Haynes (2002)

Loin du paradis (Far from Heaven)

"Loin du paradis" est avec "Tous les autres s appellent Ali" (1973) de Rainer Werner FASSBINDER le film qui s'inspire le plus directement de "Tout ce que le ciel permet" (1955) de Douglas SIRK. C'est dire si ce dernier a des héritiers, gays pour la plupart (François OZON fait également partie du lot). Il faut dire qu'en dépit des évolutions sociétales des soixante dernières années, les gens qui n'entrent pas dans les normes sociales ont des parcours qui restent souvent jalonnés de difficultés. Et les Cathy Whitaker (Julianne MOORE), archétype de l'épouse et de la mère au foyer modèle de l'american way of life des années cinquante sont loin d'avoir disparu. Pas seulement aux USA d'ailleurs ("Desperate Housewives" (2004)), chez nous aussi. Une de mes collègues lui ressemblait beaucoup. Certes, elle travaillait mais elle devait son train de vie fastueux à son mari et passait l'essentiel de son temps en représentation, à faire visiter à tout le monde les derniers aménagements de sa grande maison, catalogue hiver et catalogue été. Elle savait sourire, être agréable, passer les plats aux supérieurs hiérarchiques et de ce fait bénéficiait d'une excellente réputation alors qu'elle négligeait ce qui dans son travail ne pouvait rien lui rapporter en terme d'image et que son foyer était par ailleurs miné par les conflits avec sa fille. Bref sous la surface, ce n'était pas joli joli. Et c'est exactement ce que montre Todd HAYNES. Il recréé à l'aide d'une superbe photographie le bel écrin du mélodrame sirkien pour mieux enfermer ses personnages dans une prison physique et mentale dont il ne peuvent s'extirper: le mari dans son bureau, l'épouse dans le salon de la maison à poser pour les photographes de magazines célébrant les joies de la famille traditionnelle, les serviteurs noirs à la cuisine et au jardin. La hiérarchie raciste et sexiste se double d'une autre forme d'inégalité. Si l'homosexualité (masculine), considérée comme une maladie ne peut se vivre au grand jour, elle bénéficie tout de même d'un réseau organisé de lieux clandestins dans lesquels elle peut s'exprimer alors que l'amour interracial entre un homme noir et une femme blanche ne bénéficie d'aucun espace pour exister. Il est donc l'objet d'une impitoyable réprobation générale et est voué à l'échec. Todd HAYNES rend cette situation d'autant plus intolérable qu'à l'image de son modèle, il souligne le contraste entre la mesquinerie des gens de la petite ville qui comblent le vide de leur existence en épiant et en médisant et l'élévation spirituelle de Raymond et de Cathy qui lorsqu'ils sont ensemble sont dans la contemplation de la beauté (dans l'art ou dans la nature).

Voir les commentaires

Chinatown

Publié le par Rosalie210

Roman Polanski (1974)

Chinatown

"Chinatown" n'est pas seulement un film noir rétro réussi. Sinon, aussi bien fait soit-il, ce serait juste un exercice de style brillant mais un peu vain. Non, "Chinatown" emprunte tous ses codes à l'âge d'or du film noir hollywoodien des années quarante mais il s'agit d'un film des années soixante-dix. On le perçoit notamment à son pessimisme radical. Comme les films de Arthur PENN qui lui sont contemporains, le message de "Chinatown", est celui de la contestation sans espoir d'un ordre politique et social oppresseur, symbolisée par le corps supplicié du personnage interprété par Faye DUNAWAY. En dépit des apparences, Evelyn est beaucoup plus proche de Bonnie Parker que des femmes fatales des années quarante. Son train de vie bourgeois dissimule qu'il s'agit d'une victime du patriarcat sous sa forme la plus abjecte* qui cherche une issue mais qui contrairement à Bonnie n'ira pas plus loin que le coin de la rue comme si elle vivait dans une cage invisible**. Par ailleurs et de façon similaire à "Bonnie and Clyde" (1967), "Chinatown" offre le portrait d'un anti-héros. Certes, Jake Gittes (Jack NICHOLSON) n'est pas un hors la loi. Mais il est incontestablement une figure de loser dont l'impuissance se voit comme le nez au milieu de la figure ^^. Sa mutilation par la pègre est en effet un symbole de castration. C'est un cowboy solitaire dont la quête de vérité dans un monde corrompu jusqu'à la moëlle ne peut aboutir qu'à un échec au goût particulièrement amer. Enfin on ne peut parler de "Chinatown" sans évoquer la figure tutélaire de John HUSTON. Comme Faye DUNAWAY, sa présence fait sens car il est l'un des grands réalisateurs de l'âge d'or du film noir hollywoodien ("Le Faucon maltais" (1941) est le film qui a fait accéder Humphrey BOGART à la célébrité et a contribué à fixer l'archétype du détective privé au cinéma). Son rôle de parrain cinématographique est déplacé dans le film sur le terrain mafieux, son personnage au patronyme biblique évocateur (Noah Cross) se référant au fait qu'il contrôle l'eau et donc tient la ville et sa région en son pouvoir.

* Bien qu'elle ne soit pas physiquement cloîtrée, le fait est que Evelyn est prisonnière de son père qui a pris possession d'elle et de leur progéniture exactement à la manière de Joseph et Elisabeth Fritzl (affaire romancée par Regis Jauffret dans "Claustria" sorti en 2012). L'enfermement est une thématique récurrente des films de Roman POLANSKI et il est dans "Chinatown" particulièrement subtil puisque les murs de la prison qui retiennent Evelyn et sa fille Katherine relèvent de l'emprise mentale avant de se matérialiser physiquement.

** Le titre qui fait référence au quartier chinois de Los Angeles suggère le poids de la pègre qui gangrène la ville tout en faisant scintiller un exotisme illusoire aux yeux de personnages qui ne peuvent s'en échapper.

Voir les commentaires