"La Sirène du Mississipi" est un film injustement sous-estimé de François TRUFFAUT, une déclaration d'amour fou à Catherine DENEUVE, à Alfred HITCHCOCK, à Jean RENOIR, à Nicholas RAY, à Walt DISNEY, à Honoré de Balzac. C'est aussi le film bâti sur des contrastes et sur le mélange des genres. Un film généreux et riche que l'on peut raconter de plein de façons différentes et cet aspect multifacettes me plaît énormément. On pourrait faire un livre des récits superposés ou plutôt entremêlés de "La Sirène du Mississipi". En voici trois, du plus superficiel au plus profond:
- Après "L Homme de Rio" (1963), le nouveau film d'aventures rocambolesques et exotiques de Jean-Paul BELMONDO qu'un destin hors du commun entraîne de l'île de la Réunion jusqu'au fin fond des Alpes enneigées ("tu as tué mon frère à Gstaad" puisque "Rio ne répond plus" ^^).
- "L'Amour à mort" version François TRUFFAUT, quinze ans avant Alain RESNAIS. Entre "Blanche Neige et les 7 Nains" (1935) et sa pomme empoisonnée et "Phantom Thread" (2017) et ses champignons vénéneux, une exploration très hitchcockienne de la réversibilité du désir et de la mort dans la passion amoureuse, un calice qui se boit jusqu'à la lie comme dans "Soupçons" (1941).
- L'éveil douloureux aux sentiments d'une gourgandine droguée à l'argent et au mensonge (sa dualité fait évidemment penser à "Vertigo" d'autant que Catherine DENEUVE est une parfaite blonde hitchcockienne) (1958), éveil qui s'effectue au prix du don de soi du personnage de Louis qui se dépouille peu à peu de tout (ses biens, son être social et ainsi de suite jusqu'au sacrifice de sa vie) sans rien exiger en retour. L'aspect selon moi le plus beau, le plus secret, le plus profond de "La Sirène du Mississipi" est en effet son caractère spirituel qui lui fait tutoyer la grâce à la manière d'un Robert BRESSON, d'un Pier Paolo PASOLINI ou encore d'un Jean COCTEAU. La clinique où est soigné Louis ne s'appelle pas Heurtebise par hasard. Heurtebise est le passeur qui dans le film de Jean COCTEAU, "Orphée" (1950) permet à celui-ci de traverser le miroir pour retrouver Eurydice aux enfers et la ramener dans le monde des vivants.
Il y a environ un an, j'ai trouvé par hasard dans une brocante un petit trésor: plusieurs DVD de la collection "Ciné-Club Hollywood" avec Lon CHANEY. Lon CHANEY a été la première grande star transformiste de l'histoire du cinéma. Surnommé "l'homme aux mille visages", il a particulièrement excellé dans les rôles d'exclus de la société souvent affublés d'un handicap ou d'une disgrâce physique: bossu dans "The Hunchback of Notre-Dame" (1922), défiguré dans "Le Fantôme de l'opéra" (1925) manchot dans "L Inconnu" (1927) et ici, cul-de-jatte mutilé à la suite d'une erreur médicale à la manière de celle du jeune héros de "Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte" de Thierry Jonquet. Devenu adulte, l'homme se comporte de façon schizophrène: génie du mal planifiant un plan machiavélique en sous-sol pour piller la ville de San Francisco (certains passages expressionnistes font penser au Docteur Mabuse) et brutal exploiteur de femmes d'un côté, pianiste et critique d'art sensible de l'autre qui se laisse sonder l'âme par ces mêmes femmes qu'il veut à d'autres moments écraser. Outre cette palette de jeu étendue qui suscite des sentiments variés chez le spectateur, on est estomaqué par la prouesse physique de l'acteur qui s'est littéralement plié en deux pour interpréter son rôle. Il souffrait le martyre mais jamais on ne s'en doute tant il se déplace avec aisance comme la petite Sirène qui dans le conte d'Andersen reçoit une paire de jambes la faisant évoluer avec grâce au prix d'une douleur immense. Seul bémol, la fin "morale" referme maladroitement un film qui sans atteindre les sommets de Tod BROWNING capture déjà avec talent le génie d'un acteur unique.
"Mouchette" est indissociable dans mon esprit de "Au hasard Balthazar" (1966). Les deux films, réalisés à la suite forment un diptyque sur la désespérance. J'utilise volontairement ce terme en écho à la chanson récurrente que l'on entend dans "Mouchette" et qui demande "d'espérer plus d'espérance" mais aussi parce que dans ce terme il y a la notion de perte de la foi (en Dieu, en l'être humain, en l'Etat, en la société) qui se traduit cinématographiquement par une sécheresse et une cruauté sidérante. La distanciation quasi-brechtienne propre à Robert BRESSON et son sens de l'épure aboutit à un sentiment de tragédie inéluctable et de désolation. Comme l'âne Balthazar, Mouchette (Nadine Nortier) est un être que sa vulnérabilité confronte à la cruauté du monde. Une cruauté qui est également soulignée dans "Mouchette" par les scènes de chasse filmées elles aussi avec une sécheresse clinique, sans filtre aucun. En ouvrant et ponctuant le film, elles reflètent un monde dominé par le mal. Celui dans lequel vit Mouchette, une gamine très pauvre dont la vie se résume à subir des brimades de la part des hommes qui l'entourent, à commencer par son père violent et alcoolique alors que les femmes l'écrasent de leur mépris condescendant ou de tâches domestiques, sa mère étant alitée. Même dans la seule scène où Mouchette profite un peu de la vie, elle s'en prend plein la figure. Comme Balthazar, elle représente l'innocence martyrisée qui ne trouve nul secours dans son calvaire. Le visage dur de Mouchette, filmé avec intensité par Robert Bresson me fait penser à celui de l'afghane aux yeux verts de Steve Mc Curry qui avait alors à peu près le même âge et avait déjà subi elle aussi les pires horreurs que les hommes peuvent infliger à ceux qui sont plus faibles qu'eux.
"Les temps ont changé, les gens pensent autrement. Il faut accepter le changement. Le changement vient par nécessité." Cette phrase prononcée par Subrata (Anil CHATTERJEE) à son beau-père plus que réticent à l'idée de voir sa belle-fille travailler résume bien la philosophie des films de Satyajit RAY que j'ai pu voir. On y voit des gens s'accrocher à une illusion d'éternité figée alors que tout ne cesse de changer autour d'eux. Certains finissent par s'y résigner, d'autres s'y refusent et sont emportés par le vent de l'histoire en marche. Cette attitude n'est pas spécifiquement indienne, la difficulté à accepter le changement est universelle et c'est ce qui sans doute explique du moins en partie que les films de Satyajit RAY continuent à nous parler. Les difficultés économiques sont souvent le déclencheur du changement et "La Grande ville" en est le parfait exemple. Subrata avec son seul salaire doit faire vivre à Calcutta sa famille élargie de cinq personnes sans compter lui-même et il a bien du mal à joindre les deux bouts. Sa femme Arati (la charismatique Madhabi MUKHERJEE qui porte le film sur ses épaules), pourtant plutôt conservatrice lui propose de travailler pour améliorer leur situation, ce qu'il accepte. Ce choix contraint par la nécessité va pourtant bouleverser l'équilibre familial, leur couple et la vision qu'ils ont d'eux-mêmes et c'est cela que filme Satyajit RAY avec génie, transformant un drame social en film d'aventures à suspense avec multiples rebondissements et en fine étude de moeurs. Pendant qu'Arati découvre, non sans crainte le monde extérieur et ses nouvelles capacités, Subrata est accablé par la honte (car à cette époque, une femme qui travaillait c'était mal vu) et par la jalousie de voir sa femme s'affirmer en dehors du foyer. Le beau-père qui n'accepte pas l'argent de sa belle-fille s'humilie pourtant bien davantage en demandant l'aumône à ses anciens étudiants alors que le jeune fils de Subrata et Arati fait un très classique chantage affectif à sa mère (vite oublié devant les cadeaux qu'elle lui apporte). Outre ces perturbations familiales, Ray fait également le portrait d'un pays récemment indépendant ayant fait le choix du modèle capitaliste (qui ne s'était pas encore mondialisé) et de l'urbanisation. Si dans un premier temps, il en montre les aspects séduisants, il ne tarde pas à en dévoiler certains des effets pervers, que ce soit les bulles spéculatives non contrôlées ou les abus patronaux. Ces déboires rapprochent au final Subrata et Arati dans une refondation de leur relation de couple pleine de promesses. Un film aussi subtil que lumineux.
Et si c'était le rêveur fou qui avait vu juste? Terry GILLIAM avait son Don Quichotte perdu dans la Mancha, Werner HERZOG son Fitzcarraldo "conquérant de l'inutile" et les deux réalisateurs ont en commun d'avoir entrepris des tournages homériques à la hauteur de leurs projets démesurés. Mais à la différence de Terry GILLIAM dont la première tentative se soldera par un échec, Werner Herzog, animé par le souci de coller au plus près d'un réel pourtant semé d'obstacles a priori impossibles à franchir parviendra au bout de son aventure. D'une certaine manière "Fitzcarraldo" n'est autre que le réalisateur soulevant des montagnes pour donner corps à son rêve. Et c'est cette sensation de voir un rêve se concrétiser dans le réel qui rend le film aussi fascinant. Il y a en fait deux parties dans le film. La première, "réaliste" est celle où les propriétaires terriens qui exploitent l'hévéa se moquent de Fitzcarraldo et de son projet de construire un opéra dans la jungle amazonienne. Pour trouver l'argent nécessaire, celui-ci décide d'acheter un bateau à vapeur afin de mettre en valeur un endroit non encore approprié mais réputé inaccessible. La deuxième commence quand le bateau à vapeur devient "le char blanc" hissé mètre après mètre au sommet d'une montagne par une tribu indienne qui lui fait ensuite dévaler un fleuve en furie dans l'espoir d'apaiser les démons des rapides. C'est à partir du moment où le chant de Caruso sorti du gramophone de Fitzcarraldo et les croyances indiennes se rejoignent et communient dans un même mysticisme que le film prend sa dimension complètement hallucinée. Et ce qui lui donne cette aura, c'est aussi que réel et fiction n'ont fait qu'un. Je l'ai souvent souligné (à propos des films de Tom CRUISE ou de George MILLER) mais aucun effet spécial ne remplacera jamais le vécu gravé dans les images animées telles que la terreur dans les yeux de Klaus KINSKI qui ne faisait pas semblant quand le navire dévalait les rapides ou sa joie en le voyant se soulever (on peut dire ce que l'on veut de cet acteur mais on ne peut pas nier son engagement total). On peut en dire de même des indiens qui se présentent devant la caméra tels qu'ils sont en réalité et utilisent leurs propres techniques pour hisser le bateau, combinées à celles des ingénieurs de l'équipe (ce qui est d'ailleurs retranscrit dans le film). Werner HERZOG manifeste du génie dans cette manière de capter le réel (imprévus compris comme la redescente du bateau) et de le faire entrer dans le film tout en lui donnant la consistance d'un rêve. Le bateau devient une sorte de monstre de métal qui gémit, se tort, se cabre et se cogne aux éléments mais en ressort vivant. L'anti-Titanic en somme.
Premier film de Martin RITT, cinéaste de gauche qui avait été blacklisté durant le maccarthysme, "L'Homme qui tua la peur" reflète son engagement précurseur en faveur des droits civiques des afro-américains. Si les dialogues sont lourdement démonstratifs, les prestations de John CASSAVETES et de Sidney POITIER dont les personnages développent une amitié interraciale qui n'avait rien d'évident à l'époque méritent le détour. Ils crèvent tous deux l'écran dans un registre complémentaire, fiévreux et renfermé ou au contraire ouvert et chaleureux, le second devenant un grand frère de substitution pour le premier qui devra pourtant apprendre à voler de ses propres ailes. Mais le milieu des dockers montré de façon schématique et la mise en scène plate souffrent de la comparaison avec "Sur les quais" (1954) de Elia KAZAN qui se trouvait pourtant au même moment de l'autre côté de la barrière, celui des délateurs.
"Au hasard Balthazar" est une fable décrivant la nature humaine du point de vue d'un âne qui au fil de son existence, passe de maître en maître. Son destin suit en parallèle celui de Marie (Anne WIAZEMSKY) qui le reçoit en cadeau alors qu'il n'est encore qu'un ânon et elle, une petite fille. Mais une fois l'innocence de l'enfance révolue, l'âne est séparée de sa maîtresse pour subir ce qui s'apparente à un véritable calvaire: tantôt bête de somme et tantôt animal de foire, il croise plusieurs fois le chemin de Marie lorsqu'il tombe sous la coupe de ses amants, particulièrement de Gérard le voyou qui s'acharne autant sur elle que sur lui. Comparé au vagabond de Charles CHAPLIN, Balthazar me fait tout autant penser à Buster KEATON de par son impassibilité, animal oblige qui fait d'autant mieux ressortir les vices de ses maîtres: l'alcoolisme d'Arnold le vagabond, l'avarice du marchand de grains ou encore l'orgueil du père de Marie pour qui avoir un âne dans les années 60, c'est démodé. C'est que Balthazar est également le témoin malgré lui d'une France en pleine mutation où les signes de modernité dans le monde paysan se multiplient, monde paysan qui est sur le point de disparaître. Enfin, impossible de passer à côté de la dimension christique du film. Déjà parce que l'âne est un animal biblique associé à la naissance du Christ et qu'il porte le nom de l'un des trois rois mages. Mais aussi parce que le martyre signifie en grec ancien "témoin" au sens de celui à qui on inflige de nombreux tourments ici par le seul fait d'être un être vivant asservi à l'homme. L'âne devient ainsi par son martyre le témoin de la cruauté de l'homme envers plus faible que lui et plus généralement de sa folie cupide et meurtrière envers le vivant. Robert BRESSON signe un film moraliste d'apparence passéiste mais en réalité visionnaire. La preuve avec la sortie prochaine de "Hi-Han" (2022), un remake signé par Jerzy SKOLIMOWSKI dans un monde en train de basculer du triomphe de la technologie, du capitalisme et du consumérisme au cauchemar du dérèglement climatique et de la sixième extinction de masse.
"Oncle Bonmee" fait partie des palmes d'or cannoises controversées. En 2010, le festival ne couronnait pas comme aujourd'hui des films outranciers ou bien comme dans les années 2000 des films politiques ou sociaux. Il choisissait une oeuvre radicale, ésotérique, contemplative, expérimentale et au final, hermétique. Aucun des thèmes traités par le film n'est inaccessible en soi et le fait d'être imprégné de culture asiatique ne l'est pas non plus, sinon comment expliquer l'immense succès chez nous des mangas et anime japonais, peuplés de croyances animistes, d'esprits, de fantômes et de créatures hybrides? Le fantôme au cinéma n'est d'ailleurs pas une spécialité asiatique, y compris sous sa forme poétique, romantique et mélancolique, de "L'aventure de Madame Muir" à "Sixième sens" en passant par de nombreux films de Tim Burton qui était justement cette année-là président du jury. Mais la ressemblance s'arrête là. "Oncle Bonmee" est fait de séquences juxtaposées montrant un homme qui au moment de mourir se connecte à son passé (proche et lointain puisque comme le titre l'indique, il peut remonter à ses vies antérieures) et aux esprits de ses proches défunts qui prennent une forme humaine ou semi-animale, le tout de façon très naturelle. Les barrières entre espèces, entre vie et mort ou encore entre passé, présent et futur s'effacent afin de l'aider à effectuer son passage de vie à trépas. Le problème est que cette expérience, très esthétique au demeurant confine à l'abstraction. Elle manque cruellement d'incarnation charnelle. Si le réalisateur avait créé un vrai lien entre l'oncle Bonmee et le spectateur, celui-ci aurait pu le suivre partout où il allait alors qu'il est laissé à bonne distance, regardant de façon extérieure, détachée ses différentes pérégrinations quand il n'est pas tout simplement largué devant ces changements incessants de paramètres qui ne semblent avoir ni queue ni tête sans le liant du corps, du coeur et des tripes (là où se situent également les émotions...) Il y a selon moi un problème fondamental dans ce film qui se prétend spirituel mais qui au lieu de créer de la mémoire collective et d'élever l'âme (ce qui est quand même le sens de l'art) divise et rabaisse les spectateurs qui se retrouvent dans la peau d'un snob ou d'un crétin.
Le 12 août 2022, un militant extrémiste pro-Trump qui se vantait d'avoir participé à l'attaque du Capitole du 6 janvier 2021 était abattu après avoir tenté de pénétrer dans les locaux du FBI de l'Ohio et avoir échangé des coups de feu avec les forces de l'ordre. Il avait auparavant appelé à tuer des agents fédéraux sur les réseaux sociaux, le tout dans un contexte de regain de tensions suite à la perquisition menée par le FBI dans la résidence de Donald Trump à Mar-a-Lago. Le tout dans un contexte d'exacerbation des tensions entre suprémacistes blancs et défenseurs des minorités après notamment plusieurs meurtres racistes ayant conduit au mouvement "Black lives matter". Ce préambule permet de mesurer combien le film de Alan Parker, réalisé en 1988 mais se situant en 1964 en pleine période de lutte pour les droits civiques éclaire notre présent. Une critique récente de Télérama disait d'ailleurs que le film avait hélas rajeuni. Car nul doute que les enragés du Capitole sont les descendants directs de ceux qui lynchaient les noirs dans les années 60 avec la complicité des autorités locales et manifestaient une haine viscérale vis à vis des autorités fédérales issue de la défaite de la guerre de Sécession qu'ils n'ont bien évidemment jamais acceptée. La meilleure preuve réside dans leur ralliement autour du drapeau confédéré, le "Dixie flag", interdit mais ressurgi lors de l'assaut du Capitole, symbole du rêve de sécession des suprémacistes blancs WASP et d'exclusion des minorités (les colored people mais aussi les communistes, les juifs, les catholiques et les immigrés non anglo-saxons). Ce discours raciste, identitaire et séparatiste, on l'entend dans le film de la bouche du chef local du Ku Klux Klan, Clayton Townley (Stephen Tobolowsky) qui se fait passer pour un simple homme d'affaires alors que le Dixie flag flotte allègrement un peu partout, signalant d'emblée l'entrée en territoire hostile pour les deux agents du FBI venus enquêter sur la disparition de trois militants pour les droits civiques. Tiré de faits réels, le film déploie une narration efficace et marquante pour au moins deux raisons. La première réside dans le portrait terrifiant d'un territoire replié sur lui-même, terrorisé par ses milices néo-fascistes ultra-violentes qui imposent l'omerta et peuplé de dégénérés consanguins. La seconde est liée à la complémentarité du duo chargé de l'enquête. L'agent Alan Ward (Willem Dafoe) est un homme calme et procédurier alors que son adjoint Anderson (Gene Hackman) originaire du sud et fils d'un raciste utilise des méthodes beaucoup moins conventionnelles pour parvenir à ses fins. L'interprétation des deux comédiens est remarquable, particulièrement celle de Gene Hackman avec ses faux sourires et ses explosions de violence qui soulignent combien la barrière est ténue entre lui et ceux qu'il combat. A travers leur duo, on retrouve l'éternel débat du meilleur moyen de combattre le mal, celui qui opposait par exemple Tom Doniphon qui ne croyait qu'en la force à Randsom Stoddard qui ne croyait qu'en la loi contre Liberty Valance. La comparaison avec le film de John Ford qui avait également une portée civique s'impose naturellement ici.
"Le salon de musique", l'un des films les plus connus en France de Satyajit RAY est une oeuvre à la fois crépusculaire et enivrante qui raconte les derniers feux d'un monde sur le point de disparaître: celui d'une aristocratie bengalie raffinée et cultivée mais vivant dans sa tour d'ivoire hors d'une réalité qu'elle méprise et qu'elle refuse de voir changer. Pourtant celle-ci vient frapper à sa porte, que ce soit sous la forme de crues et de tempêtes dévastatrices qui inondent les terres, ruinent les récoltes et n'emportent avec elles les espoirs d'avenir ou bien dans son versant social avec l'ascension fulgurante d'une bourgeoisie de parvenus individualistes marchant sans complexe sur ses plates-bandes. Le salon de musique devient le théâtre de tous ces enjeux. Un lieu sacralisé, hors du temps, dans lequel le maharajah épris de musique et de danse continue de donner des fêtes somptueuses dans lesquelles il humilie son grossier rival, y sacrifiant sa famille et sa fortune dans une fuite en avant mortifère qui ne peut avoir qu'une issue tragique. Satyajit RAY nous offre un portrait nuancé de cet homme épris de beauté et garant d'un ordre paternaliste protecteur mais aveuglé par l'orgueil qui contemple passivement sa propre déchéance en se raccrochant à des chimères telles que la croyance en la noblesse de son sang, lequel s'avère pourtant ressembler à celui de tout le monde. Le film est ponctué de séquences de musique classique indienne ainsi que d'une scène finale de danse allant sur un rythme crescendo évoquant le bouquet final d'un feu d'artifices juste avant le néant.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.