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Articles avec #drame tag

Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Publié le par Rosalie210

Quentin Tarantino (2015)

Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Le seul film de Quentin TARANTINO que je n'avais pas vu était "Les 8 Salopards". La raison? "Il y a des têtes qui explosent" m'avait-on dit et cela avait suffi à me bloquer. En réalité, la violence est tellement exagérée qu'elle en perd tout son côté horrifique (le terme "grand-guignol" convient parfaitement au film qui est en réalité très supportable) et "Les 8 Salopards" n'est au final pas plus violent que "Pulp Fiction" (1994). Mais celui auquel il ressemble le plus est sans conteste "Reservoir Dogs" (1992), le premier film de Tarantino, comme si celui-ci avait voulu revenir aux sources*, l'habillage western en plus (d'ailleurs Michael Madsen est présent dans les deux films). Car "Les 8 Salopards" a beau être un huis-clos façon panier de crabes dans lequel tout le monde finit par s'entretuer à la manière des polars d'Agatha Christie, l'habillage est quant à lui super classe. Il y a d'abord une atmosphère très particulière: le film commence dans les grands espaces mais ceux-ci sont brouillés par le blizzard qui oblige les hommes à se confiner d'abord dans une diligence puis dans la mercerie de Minnie où se déroule la majeure partie de l'intrigue. A cette photographie (bi)polaire vient s'ajouter la bande originale composée par Ennio MORRICONE qui lui valut sur le tard l'Oscar de la meilleure musique de film et qui donna enfin à Quentin TARANTINO l'occasion de travailler avec son compositeur de prédilection. Ensuite, si le film comporte des longueurs et est un poil trop bavard, il reste néanmoins assez jouissif grâce à une mise en scène maîtrisée qui lorgne ouvertement du côté de Alfred HITCHCOCK. Ainsi lorsque le Major Warren (Samuel L. JACKSON) pénètre dans la mercerie, il se focalise (et la caméra également) sur des indices (un bonbon orange coincé entre deux planches de parquet et un bocal de bonbons manquant sur l'étagère) qui permettront plus tard au spectateur d'anticiper les événements. Il en va de même avec une diligence garée près de la mercerie que l'on retrouvera plus tard, preuve que chaque détail a son importance et que le film des événements se reconstitue comme un puzzle dans lequel chaque pièce s'emboîte parfaitement avec les autres. Par delà l'aspect ouvertement ludique du film, c'est (une nouvelle fois) la question du racisme qui est au coeur de l'histoire et le film pourrait tout à fait s'appeler "la revanche du major Warren", sa principale antagoniste étant la tueuse manipulatrice Daisy Domergue (Jennifer JASON LEIGH de plus en plus tuméfiée et peinturlurée au cours du film, certains pensent que c'est un hommage à "Carrie au bal du diable" (1976), moi je pense que c'est surtout un moyen -très efficace au demeurant- de dissimuler son visage lifté).

* "Réservoir Dogs" et "Les 8 Salopards" ont tous deux pour modèle avoué par Quentin Tarantino le désormais classique film d'horreur de John CARPENTER, "The Thing" (1982) et pour mieux enfoncer le clou, son acteur fétiche, Kurt RUSSELL joue l'un des principaux rôles dans "Les 8 Salopards" sans parler du trait d'union effectué par Ennio MORRICONE compositeur de BO inoubliables pour les westerns de Sergio LEONE mais aussi du film de John CARPENTER.

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L. 627

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1992)

L. 627

Après l'avoir vu, j'ai compris pourquoi "L.627" faisait partie des films les plus importants tournés par Bertrand TAVERNIER et était devenu une référence. En effet celui-ci accomplit avec l'aide précieuse de Michel ALEXANDRE, ancien policier spécialisé dans le trafic de drogue un film qui colle à la réalité du terrain sans que pour autant cette démythification du boulot de flic, inhabituelle dans le cinéma français ne provoque l'ennui. En fait je pense que beaucoup de fonctionnaires peuvent y reconnaître leurs propres conditions de travail façonnées par les coupes budgétaires: locaux inadaptés ou vétustes, système D pour se procurer les fournitures essentielles (et encore, le film ne parle pas des pénurie de savon et de PQ dans les WC), manque de véhicules fonctionnels (la scène de la fuite d'essence que les policiers ont bien du mal à faire reconnaître pour ce qu'elle est est un cas d'école) et salaires visiblement insuffisants (puisque l'un d'eux complète ses revenus en filmant des mariages). A ce manque flagrant de moyens financiers viennent s'ajouter la passion française pour la paperasserie administrative inutile (des rapports que personne ne lira jamais), pour les stages totalement déconnectés du réel (l'un des flics est un bleu qui, dépassé par les situations qu'il est amené à vivre et par les réactions de ses collègues passe son temps à dire "qu'on ne lui a pas appris ça") et pour "la culture du chiffre" qui confine à l'absurde. Le boulot de ces flics est en effet un travail de Sisyphe, condamné à la répétition pour un butin dérisoire. Mais comme il faut néanmoins afficher des résultats, chacun se débrouille comme il le peut, bien souvent en dehors de la loi (elle aussi déconnectée des réalités du terrain). Le film met particulièrement en évidence le rôle des indicateurs et les relations forcément complexes qui se nouent entre eux et les flics. En échange de renseignements sans lesquels il leur serait impossible d'agir, ceux-ci deviennent leurs protecteurs voire leurs fournisseurs, n'hésitant pas à prélever une partie de la marchandise confisquée pour ceux qu'ils appellent les "cousins". On voit même se nouer une relation trouble faite de séduction et de tendresse filiale entre Lulu (Didier BEZACE) qui est investi à 100% dans son métier au point d'en négliger ses proches et une prostituée toxicomane, Cécile (Lara GUIRAO). Eux aussi sont dépeints avec un grand réalisme (social et médical), parfois éprouvant. Mais si Lulu est le personnage principal, les membres de son équipe sont également importants, chacun ayant sa personnalité propre sans lequel le film n'aurait pas le même relief. J'ai particulièrement apprécié les touches d'humour qui constituent des respirations salutaires pour les flics comme pour le spectateur.
 

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Revoir Paris

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2022)

Revoir Paris

"Revoir Paris" c'est le "diamant dans le trauma" pour reprendre l'expression du film. Pour comprendre cette expression et la philosophie qu'elle véhicule, on peut se replonger dans "Un merveilleux malheur", le livre de Boris Cyrulnik sorti en 2002 qui popularisa la notion de résilience en soulignant que le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur*. Et pour cause, comment saurions-nous que nous sommes heureux si nous n'avons jamais souffert et vice-versa. Or avant de devenir une rescapée, une survivante, jamais Mia (Virginie EFIRA) ne s'était posé cette question du bonheur. Mais son stress post-traumatique qui se traduit par une amnésie partielle et des fragments de souvenirs récurrents qui s'invitent dans son présent dès qu'un stimulus vient les déclencher (un couloir, un gâteau d'anniversaire, une averse) l'empêche de reprendre une vie normale. Mia ne peut plus faire semblant tant elle ne cesse d'être ramenée à la soirée qui a fait basculer sa vie. Ne peut plus faire semblant par exemple de vivre avec un compagnon qui l'a planté en plein dîner au restaurant peu avant le drame sous prétexte d'une urgence alors qu'en revanche, un autre homme, Thomas (Benoît MAGIMEL) en décalage lui aussi avec le bonheur auquel il est sensé participer ce soir-là (sa fête d'anniversaire) lui a lancé un regard pénétrant -presque entendu- dans la brasserie où elle s'était abritée de la pluie juste avant l'attaque. Nul doute qu'il avait noté sa solitude, sa tristesse voire sa détresse (l'encre de son stylo qui coule sur ses doigts alors qu'elle essayait d'écrire dans son carnet de travail). Thomas comme Mia a survécu, lui aussi bien amoché physiquement et psychiquement mais leur duo aux tempéraments complémentaires fonctionne parfaitement. Mia, telle la Mariée dans "Kill Bill : Volume 1" (2003) enfile son armure de guerrière avant de chevaucher sa moto en quête de ses souvenirs perdus que Alice WINOCOUR fait revenir par fragments alors que Thomas dont la mémoire est excellente mais dont la mobilité est réduite se soigne par l'humour. En dépit de leurs évidentes affinités, leur rencontre ne pouvait se faire que sur le mode de la gueule cassée c'est à dire dans des chambres d'hôpital et au sein d'un groupe de victimes se réunissant régulièrement sur les lieux du drame, inspiré des attentats du Bataclan**. Parmi elles, la jeune Félicia (Nastya GOLUBEVA CARAX, la fille de Leos CARAX) symbolise la philosophie du film: une simple carte postale "léguée" par ses parents à laquelle elle n'aurait pas prêté attention dans d'autres circonstances l'amène à se plonger dans la contemplation des "Nymphéas" de Monet au musée de l'Orangerie. L'art, l'humour, le combat, autant de moyens de retrouver le chemin du monde des vivants auquel il faut rajouter un quatrième élément, le plus important, le lien fraternel qui circule désormais entre tous ceux qui ont vécu la même expérience. Un lien qui dans le cas de Mia prend valeur de quête initiatique. A la recherche d'un homme qui l'a aidé à survivre le soir du drame, elle s'aventure dans les bas-fonds de la société, au milieu des immigrés clandestins dont la survie est le quotidien et qui font aussi partie du paysage parisien, au pied même de la tour Eiffel mais qu'on ne remarque même pas. Jusqu'à ce qu'au seuil de la mort, on en découvre la valeur, celle du "diamant dans le trauma".


J'ajoute que dans ce beau film qui a la puissance de son évidence (au sens de sa justesse), un autre personnage joue un rôle clé: la ville de Paris, de sa vitrine huppée et touristique à ses arrière-cuisines les plus sordides.


* Boris Cyrulnik et Alice Winocour sont des survivants ou descendants de survivants de la Shoah.

** Le frère de Alice Winocour était au Bataclan le soir des attentats et a survécu.

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Y aura-t-il de la neige à Noël?

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (1996)

Y aura-t-il de la neige à Noël?

A la frontière du drame social, du documentaire naturaliste sur le monde rural des années 70 et du conte, "Y aura-t-il de la neige à Noël?" est un film tout à fait atypique dans le paysage cinématographique français. Son histoire est elle-même digne d'un conte puisque la réalisatrice, Sandrine VEYSSET qui n'était pas issue du sérail et n'avait jamais pensé faire du cinéma a réussi à réaliser son premier film grâce à deux rencontres décisives. La première, avec Leos CARAX pour qui elle travaillait sur "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) en tant que assistante-décoratrice et surtout chauffeur. Comme dans "Drive My Car" (2021), celui-ci l'écoute raconter son enfance et l'encourage à la transformer en récit. On mesure la fidélité de Sandrine VEYSSET à celui qui lui mis le pied à l'étrier au fait qu'elle a récemment réalisé "Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus", le très beau documentaire sur la création et l'animation de la marionnette qui est au coeur de "Annette" (2019), encore un conte, décidemment! La deuxième rencontre décisive fut avec le producteur Humbert BALSAN qui fut le seul à lui laisser une liberté inconditionnelle pour la réalisation de son film, succès-surprise tant critique (prix Louis-Delluc, César du meilleur premier film) que public grâce à un excellent bouche-à-oreille.

"Y aura-t-il de la neige à Noël" frappe d'abord par la manière dont s'emboîtent harmonieusement deux genres a priori plutôt opposés: le réalisme documentaire décrivant un monde âpre fait de pauvreté et de pénibilité et une esthétique recherchée tant picturale (on pense par exemple à Millet et autres peintres de la ruralité) et photographique qui nous projette dans l'univers des teintes et des costumes des années 70. Il en va de même avec ce que raconte ce film, très proche du vécu des petites gens des années 70 mais en décalage avec le récit officiel, celui d'une modernité dont les personnages du film ignorent à peu près tout. Tout semble archaïque en effet dans le film, tant au niveau des conditions de vie que des moeurs comme si l'univers campagnard décrit par Sandrine VEYSSET n'avait pas évolué depuis l'époque féodale. On y voit en effet une mère célibataire et ses sept "bâtards" (un mot qui en dit long sur le fait que mai 68 n'avait pas atteint les campagnes, pas plus que la contraception ou l'avortement alors que le chiffre sept renvoie évidemment au conte de Blanche-Neige et des sept nains) trimer aux champs et à la ferme sous la houlette intermittente du patriarche tyrannique. Le film offre en effet un panorama édifiant du système patriarcal le plus opprimant qui n'a rien à envier à celui que l'on ne cesse aujourd'hui de dénoncer chez "les autres" (dans les anciennes colonies notamment ou dans les pays musulmans). Régnant sans partage sur un large domaine en seigneur et maître, le "père" (qui n'a pas d'autre appellation dans le film) est un séducteur compulsif du genre trousseur de domestiques, un polygame qui navigue entre ses deux familles, l'officielle et celle de l'une de ses boniches ramassée à l'assistance publique dont il a fait sa favorite mais qu'il engrosse à la chaîne pour l'enchaîner un peu plus à lui alors qu'elle est déjà totalement dépendante de son bon vouloir et doit subir ses crises de jalousie, sa goujaterie et sa radinerie (entre autres). Il se comporte pareillement envers ses enfants qu'il exploite tout en les privant (d'électricité ou de chauffage par exemple) sans parler de l'ultime preuve de son besoin de domination qui est l'attitude incestueuse qu'il adopte envers sa fille aînée lorsqu'il la surprend en train de s'amuser avec un jeune garçon extérieur à l'exploitation. C'est que dans l'imaginaire de ces tyrans domestiques, le besoin de contrôle est absolu: les seules personnes autorisées à travailler à la ferme en dehors de sa seconde famille sont les fils du premier lit, adultes mais totalement soumis eux aussi et des travailleurs agricoles marocains qui ne sont pas en position de réclamer quoi que ce soit.

Face au pouvoir absolu de cet homme qui apparaît également comme un ogre de conte de fées, la "mère" (elle aussi n'est appelée qu'ainsi) joue un rôle complexe. Débordante d'amour pour ses enfants, elle les protège autant qu'elle le peut et le talent de Sandrine VEYSSET à filmer la magie de l'enfance ainsi que l'aspect esthétique (une atmosphère chaleureuse issue de la lumière en été, de la féérie de noël en hiver) confère au film un aspect proprement merveilleux: jeux dans les bottes de paille, avec une ferme miniature ou dans la neige, légumes transformés en bateaux, trajet à l'école en groupe sous une bâche, chahuts le soir dans la chambre. Le père lui-même apprécie ponctuellement de s'immerger dans ce qui est un lieu de vie, de mouvement, de désir aussi, celui que la mère a toujours pour lui alors que l'ambiance dans sa famille officielle est celle d'un tombeau. Néanmoins, au fil des saisons qui s'assombrissent et de l'attitude de plus en plus oppressante du père, la vitalité de la mère est peu à peu asphyxiée ("de l'air" dit un de ses fils en voyant le père partir) au point d'envisager la mort comme seule issue et l'on mesure alors à quel point l'emprise de cet homme (économique, juridique mais aussi psychologique) est puissante ainsi que le fait qu'en dépit d'évolutions considérables, elle a encore de beaux restes de nos jours.

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Le Silence de Lorna

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre et Luc Dardenne (2007)

Le Silence de Lorna

"Le Silence de Lorna", cinquième film des frères Dardenne est plus posé que leurs films précédents, plus distancié aussi. Il est également ouvert à l'interprétation: on peut y voir une histoire d'amour comme un film d'horreur (l'ellipse centrale produit d'ailleurs un effet de basculement de l'une à l'autre). Le facteur humain imprévisible qui fait dérailler la machine capitaliste bien huilée jusque dans ses rouages les plus sordides est au coeur du cinéma des frères Dardenne. Dans ce film, il se situe dans la tête, dans le coeur et dans le ventre de l'héroïne, Lorna (Arta DOBROSHI). Pièce maîtresse d'un trafiquant d'êtres humains qui organise des mariages blancs, elle est à la fois un bourreau et une victime du système. Au début de l'histoire, elle croit maîtriser la situation et n'agir que selon ses intérêts, mais son "mari" de complaisance, un toxicomane que les trafiquants ont prévu "d'aider à en finir" s'avère bien plus encombrant que prévu. Lorna a beau se barricader, il parvient à se frayer un chemin jusqu'à sa conscience. Jérémie RENIER est une fois de plus excellent dans le rôle de ce paumé à la fois pathétique et touchant. Alors que Lorna le traitait au début du film littéralement comme un chien, elle finit par se rendre compte qu'il est le seul être véritablement humain dans le monde qui l'entoure au point que le reste n'a soudainement plus de valeur à ses yeux. Elle n'a donc logiquement plus sa place dans le système dont elle s'éjecte avant qu'il ne le fasse. La fin énigmatique dans la forêt traduit cette brutale sortie de route sans que l'on sache vraiment si Claudy a donné à Lorna le sens qui manquait à sa vie ou si elle est juste devenue folle.

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C'est la vie (Downhill/When boys leave home)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1927)

C'est la vie (Downhill/When boys leave home)

"Downhill" ("La Descente" ou "La Pente" ou "C'est la vie" en VF), est un film muet de Alfred HITCHCOCK réalisé peu de temps après son premier film important "Les Cheveux d or / The Lodger" (1927). On y retrouve d'ailleurs Ivor NOVELLO dans le rôle principal qui est encore une fois magnétique même si à 34 ans, il n'avait plus vraiment l'âge d'incarner un étudiant. Bien que considéré comme mineur, c'est (encore une fois) un film a réévaluer dans l'oeuvre foisonnante de Alfred Hitchcock non seulement pour sa forme mais aussi pour le fond. Dès les premières images, on est frappé par la précision de la reconstitution des différentes couches sociales que va traverser Roddy dans sa descente aux enfers à commencer par un monde universitaire très anglais qui fait immédiatement penser à Poudlard. Comme dans "The Lodger", Hitchcock s'inspire de F.W. MURNAU pour économiser les intertitres et raconter au maximum par l'image ce qui confère à son oeuvre un caractère expressionniste affirmé. Il introduit des thèmes qui vont devenir des leitmotiv dans son oeuvre: celui d'une relation trouble entre deux étudiants (comme dans "La Corde") (1948), celui du fugitif (comme dans "Jeune et innocent") (1937) et bien sûr le plus important de tous, celui du faux coupable. Mais dans "Downhill", il ne s'agit pas d'un malentendu ou d'une erreur judiciaire mais d'une auto-punition. Dans ce qui apparaît à première vue être un pur mélodrame, Roddy endosse les fautes des autres et tombe toujours plus bas, littéralement. La question est alors, pourquoi tant de masochisme? La réponse est dans la structure de "Downhill" qui annonce toutes les figures géométriques obsessionnelles du réalisateur. Chaque épisode de la vie de Roddy se termine par la descente d'un escalier (ou ses variantes: escalator, ascenseur), illustrant les étapes de sa dégringolade dans l'échelle sociale. On retrouve également la figure du cercle puisqu'une fin inattendue et abrupte nous ramène au début, laissant le spectateur imaginer la suite (un nouveau départ après une éprouvante année initiatique?) Mais la figure la plus intéressante est celle du masque, de l'illusion et du miroir. En effet, chaque étape du parcours de Roddy reflète quelque chose de lui. Dans la première partie, il voit des enfants mendier et se moque d'eux sans se douter qu'il sera un jour à leur place: un exclu de la société. Dans la deuxième qui s'intitule "un monde d'illusions", un plan nous fait croire qu'il est devenu serveur avant qu'un changement de cadre nous révèle qu'il est en fait acteur. En effet dans cette partie, il se fourvoie en épousant une actrice qui ne lui cache même pas qu'elle veut lui piquer son fric et qu'elle a un amant (je soupçonne François TRUFFAUT de s'en être inspiré pour "La Sirène du Mississipi") (1969). Dans la troisième partie "illusions perdues", on le voit se faire payer pour danser avec des femmes plus ou moins âgées, évidemment il s'agit d'un cache-sexe pour évoquer la prostitution. Il se retrouve alors à raconter sa vie (et notamment l'imposture de son mariage) devant un personnage attentif qui s'avère être un travesti: une version cauchemardesque de lui-même? A chaque fois qu'il perd pied, il est question d'argent et de sexe. Issu d'un milieu très riche, il se laisse accuser à tort à la place de son ami au nom d'un "pacte de loyauté" et l'accusatrice ne cache pas qu'elle choisit de l'accuser lui parce qu'il est le plus riche des deux. Qu'expie-t-il exactement: le fait d'être riche ou bien celui d'être lié de trop près à cet ami? (Ou les deux). Dans la deuxième partie, il se laisse dépouiller de son héritage par une femme qui le trompe ouvertement comme s'il l'utilisait pour se payer une couverture. Et dans le monde de la prostitution où l'on paye pour coucher avec lui il découvre une fois les rideaux tirés qu'il est avec un autre homme. On voit donc bien que sous la couche mélodramatique, c'est un drame bien plus profond qui se joue sur fond de puritanisme religieux et de conventions sociales et qui rejoint bien évidemment les maîtres allemands qui ont tout appris à Hitchcock, à commencer par Murnau.

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L'Accompagnatrice

Publié le par Rosalie210

Claude Miller (1992)

L'Accompagnatrice

L'ombre de la seconde guerre mondiale et le passage à l'âge adulte sont des thèmes récurrents dans la filmographie de Claude MILLER et en regardant la silhouette juvénile de Romane BOHRINGER dans "L'accompagnatrice", je n'ai pu m'empêcher de penser à celle de Charlotte GAINSBOURG que Claude Miller dirigea à deux reprises à la même époque alors qu'elle était adolescente et jeune adulte. Avoir un père célèbre et être de la même génération n'est pas leur seul point commun, elles ont une histoire familiale marquée par la guerre (tout comme Claude Miller). Quand Romane BOHRINGER tourna le film, elle venait juste d'être révélée par "Les Nuits fauves" (1992) et se retrouve à jouer avec son père, ce qui donne une résonance particulière à la séquence où Benoît (Julien RASSAM) demande la main de son personnage à Charles Brice, joué par Richard Bohringer qui lui répond qu'il n'est pas son père et que d'ailleurs, elle n'en a pas. Charles Brice par ailleurs marié à une cantatrice, comment ne pas songer à "Diva" (1980)?

"L'accompagnatrice" est un film qui a pour originalité d'établir un parallèle implicite entre la vie et la scène en adoptant le point de vue d'un personnage de l'ombre qui se fait le témoin des événements racontés dont elle reste majoritairement une spectatrice. Au début de l'histoire, il existe un contraste extrêmement tranché entre le monde terne et étriqué de Sophie fait de privations et de frustrations et celui des Brice, lumineux, luxueux et aventureux dont elle rêve de faire partie. Pourtant, l'envers du décor nous est montré presque immédiatement avec l'apparition de personnages douteux qui nous font comprendre que le couple s'est compromis avec le régime de Vichy et l'occupant et que c'est cela qui lui permet de maintenir son train de vie (Charles Brice aime à répéter qu'il était déjà riche avant la guerre). Sentant cependant le vent tourner (l'histoire se déroule en 1942/1943), les Brice décident cependant de partir se réfugier à Londres. A moins que ce ne soit un moyen pour Charles de reconquérir Irène qui vit une passion avec un résistant. Sophie choisit de partager leur sort (et donc de se faire le témoin de leur histoire) jusqu'au bout comme si elle préférait vivre vivre sa vie par procuration plutôt que de céder à Benoît, décrit par Irène comme "un futur employé des PTT" (soit le retour à la case départ). La fin de l'histoire est de ce point de vue très amère puisque Sophie perd finalement sur tous les tableaux.

Si le film se suit agréablement et est rehaussé par l'interprétation intense de Richard Bohringer dans le rôle d'un personnage complexe et au final tragique, il n'en reste pas moins que la transposition du roman d'origine de Nina Berberova me semble très affadie. Sophie telle que l'interprète Romane Bohringer semble fascinée par les Brice et avide de partager la moindre miette de leur existence bien plus que jalouse ou haineuse. Elle semble dénuée de toute conscience politique ou sociale malgré quelques tirades qui semblent tomber comme un cheveu sur la soupe et ressemble davantage à un fantôme qu'à une "deus ex machina" prête à se venger. L'ambivalence de sa relation aux Brice et surtout à Irène est à peine effleurée. La portée du film en est évidemment très amoindrie en apparaissant finalement comme une remake de "L'Effrontée", la fraîcheur de l'adolescence en moins.

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La Cour

Publié le par Rosalie210

Hafsia Herzi (2022)

La Cour

"La Cour" est un téléfilm de Hafsia Herzi, actrice passée depuis quelques années à la réalisation mais qui s'essaie pour la première fois à une fiction pour le petit écran, celui d'Arte. Je l'ai regardé car le sujet m'intéresse particulièrement. En effet quand je veux expliquer ce qu'est la géopolitique c'est à dire un conflit de pouvoir pour un territoire, je prends souvent pour exemple la cour d'une école primaire et la façon dont l'espace y est réparti. Des garçons en occupent la plus grande partie à jouer au foot avec des cages occupant le centre de l'espace. Les filles sont reléguées sur les côtés et doivent raser les murs pour atteindre l'autre côté de la cour ou bien la traverser à leurs risques et périls, un peu comme on traverserait une autoroute au milieu de bolides lancés à pleine vitesse*. Cette inégalité spatiale n'a longtemps même pas été questionnée, c'était la norme, entérinée par les adultes (responsables de l'agencement de la cour). Les garçons se devaient d'avoir plus d'espace que les filles parce qu'ils en auraient besoin pour se dépenser alors que les filles seraient calmes par nature. Ces préjugés sexistes sont encore renforcés par les quelques filles qui jouent au foot avec les garçons (ce sont des garçons manqués, forcément) et par la minorité de garçons qui n'aiment pas le foot (des "petites natures" évidemment). De nos jours, les choses ont bien peu évolué, "la journée sans ballon" équivalent à "la journée de la femme", un moyen de se donner bonne conscience sans remettre fondamentalement en cause l'aspect structurel des inégalités. "La Cour" raconte comment la remise en question de cet ordre par une petite fille n'ayant jusque là pas été scolarisée débouche sur la déstabilisation de l'ordre établi, la remise en cause des rôles de chacun et une guerre entre enfants sous les yeux d'adultes dépassés qui minimisent ou banalisent la situation. Si les personnages sont bien écrits et bien interprétés, il est dommage que le terrain de jeu devenu terrain d'affrontement soit abandonné en cours de route. Le film aurait été bien plus fort en conservant son unité de lieu d'un bout à l'autre du film d'autant que la fin est bien trop gentillette. C'est à ce moment-là qu'on regrette que Hafsia Herzi n'ait pas été plus ambitieuse.

* Yves Lacoste, géographe et géopolitologue écrivait en 1976 que la géographie, ça servait d'abord à faire la guerre. Le film entérine complètement cette vision des choses. La cour est vue comme une "carte du monde" qu'il faut conquérir ou défendre. Le langage guerrier est omniprésent tout au long du film alors que la réalisatrice souligne combien chacun souffre au final de la place à laquelle il est assigné.

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Le Syndrome asthénique (Astenitcheskiy sindrom)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1989)

Le Syndrome asthénique (Astenitcheskiy sindrom)

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, la Cinémathèque propose durant environ un mois de voir l'un des films de Kira MOURATOVA sur sa plateforme de streaming, HENRI. "Le Syndrome asthénique" est déjà le cinquième film de la réalisatrice à être ainsi proposé gratuitement. Réalisé en 1989 durant l'ère de la Perestroïka de Gorbatchev (dont on aperçoit une photo dans l'une des scènes du film), c'est le dernier film de Kira Mouratova à avoir été réalisé sous l'ère soviétique. Alors que ceux qu'elle avait réalisé au début de sa carrière sortaient tout juste du placard où ils avaient été enfermés, "Le Syndrome asthénique" a quant à lui pu franchir les frontières puisqu'il a été primé au festival de Berlin.

Comme les autres films de la réalisatrice, "le Syndrome asthénique" est déroutant, chaotique, expérimental, profondément pessimiste. Pour la première fois, j'ai perçu une parenté entre Kira Mouratova et Kirill SEREBRENNIKOV, le réalisateur russe de "La Fièvre de Petrov" (2021) (le côté fébrile, les digressions, le désespoir, les va et vient entre noir et blanc et couleur, l'agressivité omniprésente et sans doute aussi le nombre élevé de scènes de nu). Scindé en deux parties qui se font écho, l'une en noir et blanc et l'autre en couleurs, le film commence par ce qui s'avère être une mise en abyme à savoir un film dans le film. On y sent comme une odeur de mort, on y voit un monde en putréfaction contre lequel ne cesse de se cogner une femme en deuil manifestement en colère, Natasha. Ses tentatives pour secouer les gens autour d'elle ne suscitent que de l'apathie. De même, quand on passe de l'autre côté du miroir afin d'interroger les spectateurs sur ce qu'ils ont vu (et qui est sans doute une métaphore de l'URSS en décomposition), on voir ceux-ci prendre la fuite, ne laissant dans la salle qu'un régiment aux ordres et un homme endormi, Nikolaï. C'est autour de lui que tourne la deuxième partie du film en couleurs car c'est lui qui est atteint du syndrome asthénique qui donne son titre au film. Incapable contrairement à Natasha de se battre (comme le montre une scène où il tente pitoyablement de faire réagir un élève qui refuse de lui obéir), il réagit à l'agressivité de son environnement par la fuite que lui offre la narcolepsie. L'impuissance de ces personnages à agir sur un monde qui se dérobe, la transformation des gens en une masse anonyme inhumaine indifférente à ce qui l'entoure, l'enfermement de chacun dans sa bulle, le délitement de toutes les structures (à commencer par celle de la famille), le tout dans un environnement agressif (hormis quelques pauses mélodiques et mélancoliques) préfigure "Mélodie pour orgue de barbarie" (2009). Les digressions enfoncent un peu plus le clou. Par exemple les nombreuses scènes mettant en scène des animaux les montrent soit subissant de mauvais traitements, soit en position de prédateur.

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Garde à vue

Publié le par Rosalie210

Claude Miller (1981)

Garde à vue

Il y a deux films en un dans "Garde à vue" et même peut-être trois:

- Un polar (des crimes, une enquête, des flics, un commissariat, un suspect).
- Un film noir. Tellement noir d'ailleurs qu'avant d'être exposé à la lumière, les visages de Martinaud (Michel SERRAULT) et de sa femme Chantal (Romy SCHNEIDER dans son avant-dernier rôle) restent dans l'ombre lorsqu'ils apparaissent pour la première fois. Une grande partie de l'enjeu du film consiste à éclairer leurs zones d'ombre. Film noir également par le fait que les deux membres de ce couple s'apparentent aux stéréotypes du genre: l'homme faible et la femme fatale (et vénale).
- Une étude de moeurs, celle d'une bourgeoisie de province que l'on pourrait qualifier de décadente. Cet aspect est fondamental dans le film. Le personnage de Martinaud se définit d'abord par son statut social. Il est notaire et se faire donc appeler "maître Martinaud", il a un beau smoking (on est le soir de la Saint-Sylvestre), de l'argent, des biens, une belle femme. Mais tout cela est à double tranchant. Si dans un premier temps, cela en impose d'autant que l'homme a l'arrogance de sa caste et de l'éloquence au point qu'il donnerait presque l'impression à certains moments de renverser les rôles et de prendre le contrôle du commissariat, on s'aperçoit au fur et à mesure que le film avance que cette apparence respectable cache des secrets inavouables qui pourtant finiront par être mis sur la table. C'est d'ailleurs davantage comme des métaphores du secret que comme des images réalistes que je perçois les flashs mentaux qui ponctuent le film (un bunker, un bois, un couloir, une porte qui se ferme, un phare). Ce renversement de situation donne aux policiers une occasion en or de prendre une revanche qui est aussi sociale. Le huis-clos du commissariat se transforme alors en ring de boxe dans lequel Martinaud se retrouve pris en étau entre les mains du rusé inspecteur Gallien (Lino VENTURA) qui le malmène psychologiquement et du rustre inspecteur Belmont (Guy MARCHAND) qui le rudoie physiquement. C'est à ce moment-là qu'on se souvient du premier film de Claude MILLER, "La Meilleure façon de marcher" (1975) dans lequel deux moniteurs développaient une relation trouble et cruelle placée sous le sceau du tabou. Il règne la même ambiance trouble et cruelle dans un "Garde à vue" qui aurait pu aussi s'appeler "Une exécution ordinaire" à une époque où la peine de mort était juste en train d'être abolie en France. Outre l'excellence de la mise en scène, du scénario et de l'interprétation (le mano à mano intense de Lino Ventura et de Michel Serrault est resté dans les annales, valant au second le César du meilleur acteur), la qualité des dialogues signés de Michel AUDIARD (percutants mais au service des personnages et non pour faire mousser leur auteur) est également à souligner.

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