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Articles avec #drame tag

Serpico

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1973)

Serpico

Bien que "Serpico" soit un cran en dessous du chef-d'oeuvre qu'est "Un après-midi de chien" (1975) en ce qui concerne la tension dramatique il a en commun avec lui une histoire tirée de faits réels, un regard critique sur la société américaine, un style documentaire percutant et une figure centrale d'inadapté social porté par un Al PACINO intense. Dire que Serpico est un flic intègre qui part en croisade, tel un Don Quichotte des temps modernes contre la corruption qui gangrène à tous les étages l'institution pour laquelle il travaille est un résumé superficiel du film. Le réduire à cet aspect, c'est en effet passer à côté du personnage. Ce que Sidney LUMET filme avant tout, c'est le parcours d'un homme qui ne s'intègre pas au nom de son intégrité et qui donc de ce fait est profondément seul. Dans le film, il n'existe véritablement qu'un personnage qui est proche de lui, celui du commissaire: il symbolise le juif errant qui reconnaît en Serpico une figure christique et le pousse à assumer jusqu'au bout les conséquences de sa quête de justice et de vérité: "si nous obtenons des inculpations, il faudra que vous soyez témoin" (sous-entendu, quitte à en payer le prix). Les autres attendent de lui qu'ils se fondent dans un rôle: celui du flic ripoux qui présente bien afin de ne pas ternir l'image de la police, celui de l'époux et du père pour ses petites amies successives qui ne semblent pas imaginer pouvoir vivre par elles-mêmes. Or Serpico fait exactement l'inverse car il est incapable d'être autre chose que lui-même. Par conséquent il n'entre pas dans les cases. Son look hippie de plus en plus affirmé au fur et à mesure que les années passent (très semblable à celui de John LENNON) et son style de vie bohème détonent dans le milieu. Une des meilleures scènes du film le montre dans sa prime jeunesse participant à une soirée étudiante avec sa petite amie Leslie dont un des amis lui dit qu'elle n'est excitée que par les intellectuels et les génies. Pas étonnant qu'il ait bien du mal à croire que Serpico soit flic. A l'inverse, les ragots sur son homosexualité supposée circulent chez ses collègues de travail autant par son refus d'utiliser la violence sur les détenus que par sa culture qu'il ne cherche pas à dissimuler, y compris lorsqu'elle a des connotations efféminées. Une fois de plus, on constate que l'image est le cadet de ses soucis et que son parcours dans la police est une succession de faux pas qui l'amènent à s'aliéner à peu près tout le monde. D'autant qu'en découvrant qu'il ne peut obtenir aucun secours d'une hiérarchie qui couvre les agissements véreux de ses employés, il les balance à la justice et aux médias devenant ainsi un traître. Le film de Sidney LUMET par-delà le contexte de sa réalisation en pleine contre-culture contestataire a ainsi toujours un caractère actuel, Serpico étant un lanceur d'alerte d'avant l'ère numérique.

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Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1955)

Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Maternité éternelle  

Kinuyo TANAKA est l'un des nombreuses victimes de la transmission sexiste de l'histoire des arts. Alors que ses compatriotes des années 50 pour lesquels elle a joué Kenji MIZOGUCHI principalement mais aussi Yasujiro OZU notamment pour "Fleurs d équinoxe" (1958) sont reconnus en occident comme des piliers de l'âge d'or du cinéma japonais depuis des décennies (Ozu n'a cependant reçu la consécration mondiale que dans les années 70) il a fallu attendre 2022 pour que les six films qu'elle a réalisé entre 1953 et 1962 soient enfin projetés lors des festivals Lumière (dans la section créée en 2013 spécialement réservée aux femmes cinéastes) et cannois. Avec cette accroche risible: "Quand l'actrice de Mizoguchi et de Ozu devient une immense réalisatrice" alors qu'il aurait fallu écrire "Quand cette grande cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais obtient une reconnaissance institutionnelle internationale 45 ans après sa mort."

"Maternité éternelle", son troisième film dont le titre français est un contresens (il signifie "Féminité éternelle" ou "les Seins éternels") raconte l'histoire vraie d'une poétesse morte à 31 ans des suites d'un cancer du sein. Prenant pour point de départ l'imagerie presque "cliché" de l'épouse et de la mère nippone soumise à un mari absolument odieux, il prend ensuite un tournant inattendu. D'abord il explicite assez rapidement les raisons profondes de la haine que son mari lui voue: Fumiko s'adonne à une riche activité littéraire dans un club de poésie que son mari qui souffre visiblement d'un complexe d'infériorité ne supporte pas. Il l'humilie donc de toutes les façons possibles jusqu'à ce que cette dernière qui le surprend avec une autre ne craque et demande le divorce. On pourrait penser que cet acte marque le début d'un nouveau départ mais la réalité est bien plus complexe. Fumiko doit céder la garde de son fils à son mari et surtout, elle se découvre rongée par un cancer qui la prive d'abord des attributs de sa féminité (les seins) avant de la condamner. De façon tout à fait paradoxale, la maladie qui l'enferme dans une chambre d'hôpital la libère aussi. Libération par l'écriture poétique, par la reconnaissance littéraire qui advient quand elle tombe malade mais surtout libération des carcans moraux et sociaux qui lui permettent de sortir du refoulement et de connaître les moments les plus heureux de sa vie en exprimant et concrétisant ses sentiments amoureux et ses désirs sexuels. Kinuyo TANAKA colle à son héroïne en se permettant une franchise tant dans les mots que dans les situations peu courante à l'époque: Fumiko prend un bain là où l'homme qu'elle aimait et qui est mort sans que cet amour ne soit avoué avait l'habitude de prendre les siens. Fumiko avoue ses sentiments à sa veuve et l'oblige à regarder sa poitrine mutilée comme une ultime preuve que cet amour étouffé l'a détruite. Fumiko prend le journaliste qui vient à son chevet pour amant et Kinuyo Tanaka n'hésite pas à filmer l'intimité meurtrie de la jeune femme (les seins sur le point d'être coupés, les prothèses...) Enfin, parmi les escapades qui permettent à celle-ci de trouver son inspiration créatrice, il en est une qui nous marque plus que les autres et annonce sa fin car elle aboutit à un lieu condamné par un grillage: la morgue. Ainsi, la réalisatrice parvient à réunir dans un même élan le désir et la mort, l'un se nourrissant de la proximité de l'autre pour dresser le portrait d'une femme fauchée en pleine jeunesse mais à qui ce cruel destin a aussi donné le courage de s'émanciper.

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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Armageddon Time

Publié le par Rosalie210

James Gray (2022)

Armageddon Time

Les éléments qui font que je n'adhère pas au cinéma de James GRAY, je les ai retrouvés dans son dernier opus "Armageddon Time": une certaine tendance à surligner plutôt qu'à suggérer et un personnage principal qui en dépit de ses velléités de rébellion manque de caractère, qui semble subir les événements avec résignation ou s'en accommoder jusqu'à un certain point. On a beaucoup comparé Paul à Antoine Doinel mais ce dernier me fait plutôt penser à son ami Johnny beaucoup plus attachant, lui dont les rêves se brisent implacablement contre "un monde sans pitié" qui ne lui laisse aucune chance. Paul en dépit de son inadaptation (lent, rêveur, artiste) bénéficie d'une protection familiale que n'a pas son ami défavorisé sur tous les plans. Cette inégalité des chances condamne leur amitié dans un contexte de montée en flèche du libéralisme débridé (la victoire de Reagan, le film étant fortement autobiographique).

Ceci étant il serait dommage de s'en tenir là. Car en dépit de ces maladresses (récurrentes dans le cinéma de James Gray) le film à la tonalité douce-amère donne aussi beaucoup à réfléchir. Paul est un adolescent indécis qui doit se positionner par rapport aux valeurs véhiculées par sa famille qui ne sont pas les mêmes selon les générations. Le grand-père (formidable Anthony HOPKINS), très marqué par la violence antisémite et l'exil encourage son petit-fils à se réaliser dans ce qu'il aime et à affronter les injustices en "mensch" (c'est à dire avec honneur et intégrité, ce mot m'arrache toujours des larmes tant il me renvoie à "La Garçonnière" (1960) où déjà un sage d'origine juive encourageait Baxter en ce sens face aux compromissions du "rêve américain"). Les parents en revanche sont avant tout soucieux de s'intégrer (au point d'avoir américanisé leur nom de famille) et de faire réussir leur progéniture. Qui pourrait les en blâmer? D'autant que le père qui semble si dur envers son fils sait ce qu'est l'humiliation sociale et reconnaît sans peine la noblesse de son beau-père qui est le seul à lui avoir tendu la main. Il semble au fond impuissant et résigné à jouer le jeu cynique et individualiste que la société lui impose de peur de se faire écraser ("sauve ta peau"). Paul semble suivre ses traces mais le très beau final avec ses travellings arrière sur les lieux de son apprentissage vidés de leur substance laisse entendre que cela ne sera peut-être pas le cas.

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L'Or des mers

Publié le par Rosalie210

Jean Epstein (1932)

L'Or des mers

"L'Or des mers" est ce que l'on appelle un docu-fiction c'est à dire un documentaire contenant des éléments de narration propres à la fiction. Il fait partie des nombreux films que Jean EPSTEIN a tourné dans les îles bretonnes avec les populations autochtones. Pour mémoire, la carrière de Jean Epstein se divise en deux parties. Une première dans les années 20 dans le cinéma d'avant-garde notamment pour les studios Albatros. Et une deuxième dans les années 30 en Bretagne dans un style mêlant ethnographie et légendes.

"L'Or des mers" se distingue tout d'abord par un hiatus très perceptible entre les images et le son lié à une technique de post-synchronisation alors balbutiante que Jean Epstein expérimentait pour la société Syncro-Ciné mais qu'il ne s'était pas vraiment approprié. De ce fait, "l'Or des mers" a été tourné comme un film muet et il est clair que le son y joue un rôle tout à fait accessoire.

Ensuite, le film s'enracine dans un terreau documentaire particulièrement rude, celui de l'île de Hoëdic, alors la plus pauvre des îles bretonnes. Les habitants, environ 300 pêcheurs, y vivaient alors dans l'isolement et la misère, ne mangeant pas à leur faim une partie de l'année. Ce climat d'enfermement, de promiscuité et de privations est le support de la fiction que Jean Epstein va développer, à savoir la découverte par le plus misérable et le plus méprisé des pêcheurs de l'île d'une boîte qui va déchaîner les passions des autres habitants contre lui et sa fille Soizic tant ils sont persuadés qu'il s'agit d'un trésor. Le film prend alors une allure quasi fantastique, les éléments naturels hostiles (mer, vent, sables mouvants, algues, rochers, froid mordant de l'hiver durant lequel a été tourné le film) jouant un rôle métaphorique prépondérant. Jouant beaucoup sur le montage alterné, Jean Epstein contrebalance la noirceur de son propos par de gros plans lumineux sur le beau visage de Soizic dont la pureté finit par toucher le coeur de celui qui l'a séduite par ruse ce qui lui permet de s'émanciper de son père en même temps que Soizic se libère du sien. Un très beau film.

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Corps perdu

Publié le par Rosalie210

Lukas Dhont (2012)

Corps perdu

"Corps perdu" est le premier film réalisé par Lukas Dhont en 2012. Il annonce à un double titre ses deux premiers longs-métrages. Le milieu de la danse classique est celui dans lequel évolue Lara, l'héroïne de "Girl" alors que le titre souligne l'importance de l'enjeu de la mutation du corps adolescent dans ses films non en fonction de la nature mais du choix de la personne qui l'habite (qu'il souhaite le féminiser comme dans "Girl" ou le viriliser comme dans "Close"). Dans "Corps perdu", Lukas Dhont confronte Miller, un danseur de ballet âgé de 16 ans très incertain sur tous les plans à un séduisant voyou qui s'incruste dans sa chambre pour échapper à la police. On peut se demander dans quelle mesure l'inconnu n'est pas la matérialisation de l'homme que rêve d'être Miller. Le fugitif passe en effet une partie de la nuit dans son lit avant d'échanger sa place avec lui et de même, il échange ses habits avec ceux de Miller, passant du rouge au bleu (comme dans "Matthias et Maxime" de Xavier Dolan, onirisme et passion sont au programme) Miller revêt par ailleurs la veste que l'homme a laissé dans la chambre, telle une seconde peau avant de se contempler dans le miroir de la salle de bains. Un leitmotiv du film puisque qu'avant la rencontre (la mue?) Lukas Dhont a filmé sa peau de près au même endroit et dans la même situation. L'acharnement de Miller à coller aux basques de l'homme de ses rêves ("Ce rêve bleu/Je n'y crois pas, c'est merveilleux
/Pour moi, c'est fabuleux/Quand dans les cieux/Nous partageons ce rêve bleu à deux/Nous faisons ce rêve bleu à deux") est lié au fait que celui-ci pourrait lui indiquer le chemin pour atteindre son but, lui qui ne "connaît pas la route" pour devenir un adulte accompli.

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Close

Publié le par Rosalie210

Lukas Dhont (2022)

Close

"Close" commence au seuil de l'adolescence dans une sorte de paradis édénique. Une bulle à l'écart du monde où règne une innocence permettant le développement d'une amitié fusionnelle entre deux garçons, Léo et Rémi grâce au regard bienveillant de parents compréhensifs, en particulier les mères (Léa DRUCKER et Emilie DEQUENNE). Arrive une rentrée délicate, celle des 13 ans et patatras, tout s'effondre tant la relation tendre entre Rémi et Léo paraît tendancieuse aux yeux des autres. Ce sont des questions insidieuses, des remarques insultantes, une exclusion du groupe des garçons dominants qui comme dans toute cour d'école classique s'adonnent aux sports collectifs en occupant l'essentiel du territoire. Le film se focalise alors sur Léo qui éprouve de la honte vis à vis de son ami et commence à se détacher de lui pour s'intégrer au groupe dominant. Comme dans "Girl" (2018)", le premier film de Lukas DHONT où une adolescente transgenre pratiquait la danse pour façonner son corps à l'image de ses rêves, Léo se met à pratiquer le hockey sur glace pour se protéger, paraître plus viril et faire ainsi disparaître les stigmates de la "tapette". Rémi de son côté est touché en plein coeur par le rejet de celui qui était comme un frère jumeau. Quant à Léo, il va se retrouver avec un fardeau de culpabilité beaucoup trop lourd pour lui. On a beaucoup ironisé sur les images des deux garçons courant dans les champs de fleurs sauf que d'une part ces champs font partie de leur quotidien (les parents sont floriculteurs) et de l'autre une scène se situant au tournant du film montre celles-ci piétinées par la machine qui les cueille, ne laissant que la terre nue. Lukas DHONT montre avec la sensibilité de celui qui a vécu cette expérience la difficulté de grandir hors des sentiers battus à une période de la vie où il ne semble exister que deux choix possibles: se conformer ou disparaître. "Close" a ainsi un double sens qui reflète l'histoire du film. Il signifie à la fois "proche" et "fermé".

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Goodbye (Hope Gap)

Publié le par Rosalie210

William Nicholson (2019)

Goodbye (Hope Gap)

"Goodbye", c'est "Une séparation" (2010) version british (et pourquoi pas alors que Bill NIGHY est le héros du prochain film de Oliver HERMANUS, "Vivre", adaptation anglo-saxonne du film de Akira KUROSAWA par Kazuo ISHIGURO, l'auteur de "Les Vestiges du jour" (1993) qui doit sortir en décembre). Soit la chronique douce-amère de la fin d'un couple marié depuis 30 ans et de leur fils adulte, un "no life" plus ou moins pris en otage par ses parents. Si la mise en scène est impersonnelle, le film est rehaussé par son écriture subtile et bien évidemment par sa brillante interprétation. Bill NIGHY est tout en retenue comme à son habitude mais confirme depuis quelque temps sa propension à exprimer la fragilité de ses personnages ce qui le rend infiniment attachant alors que Annette BENING qui a conservé sa physionomie nature (ce qui l'embellit) parvient à nuancer son rôle plutôt ingrat de femme bafouée se réfugiant dans le déni, un certain degré de harcèlement et de chantage affectif... et la religion. Quant à Josh O CONNOR, lui aussi apporte beaucoup de nuances à un personnage renfermé et peu affirmé (à l'image du père) qui se retrouve dans la position inconfortable de l'intermédiaire que ses parents instrumentalisent. Pour peu que l'on aime ce travail sur la banalité du quotidien tout en demi-teinte, on appréciera particulièrement la grande finesse psychologique déployée par petites touches comme la tasse de thé que Grace laisse toujours à demi-pleine parce qu'elle "n'aime pas que les choses se terminent", offrant ainsi à son mari le moyen d'occuper le grand vide qui s'est installé entre eux en refaisant du thé. Plus tard, alors qu'il est parti depuis longtemps, on partage ses pensées en la voyant regarder son bureau où elle croit toujours l'apercevoir. Le vide lui est si insupportable qu'elle en vient à adopter un chien portant le nom de son ex-mari et à s'engager auprès de bénévoles à l'écoute de gens dans la détresse (étant donné que ses croyances religieuses l'empêchent d'envisager le suicide en dépit d'évidentes pulsions allant en ce sens). Du côté du mari, on remarquera la modestie de son nouveau foyer comparativement à l'ancien qui s'accorde avec ses propos quand il fait remarquer à son fils que l'homme a finalement besoin de peu de choses. Le film s'inscrit enfin dans les superbes paysages côtiers des falaises de Douvres.

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Quelque part quelqu'un

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1972)

Quelque part quelqu'un

Le premier film de Yannick BELLON a pour titre un poème de Henri Michaux "Quelque part quelqu'un". Il est lui-même construit comme un poème avec des refrains et des couplets ou comme une partition musicale avec des choeurs et des solos. Les choeurs, ce sont d'innombrables plans de foule dans les rues de Paris parmi lesquels se détachent les quelques solistes qui vont faire vibrer les cordes de cette oeuvre profondément mélancolique sur la solitude des grandes villes en voie de deshumanisation accélérée. Les refrains, ce sont les tout aussi innombrables travellings faisant défiler les extérieurs et les intérieurs parisiens sur une musique funèbre de George DELERUE inspirée du requiem de Ligeti (que l'on peut entendre aussi sur "2001 : l odyssée de l espace") (1968). Il y a en effet du cauchemar dans cette succession de façades lépreuses parfois murées, parfois écroulées, dans les grands ensembles sans âme qui les remplacent, dans l'anonymat des foules noyées dans la mécanique des transports en commun ou les rangées de table de travail. Car le film de Yannick Bellon est aussi politique. En témoigne ce passage on ne peut plus prémonitoire sur le devenir des quartiers HLM: "voulez-vous que je vous dise comment tout cela va se terminer dans la réalité? Par un quartier sinistre, bien morne et tristement réglementaire. Avec de pauvres bougres parqués dans des surfaces minimales aux prises avec des moyens de transport hasardeux. Le tout pataugeant dans la bouillasse pendant des années de chantier (...) Un délabrement précoce guette l'ensemble, vu les matériaux utilisés (...) De toutes façons le concours est truqué (...) Soyons réalistes, tout ça se résume à un problème de rentabilité." "Quelque part quelqu'un" rejoint ainsi la liste des films de grands cinéastes des Trente Glorieuses pressentant les conséquences délétères de l'urbanisme moderne, de Jean-Luc GODARD à Jacques TATI en passant par Maurice PIALAT. Face à la catastrophe annoncée, certains se résignent comme le couple de petits vieux expropriés et faute de moyens financiers, obligé de s'exiler en banlieue. D'autres noient leur mal-être dans l'alcool à l'image de Vincent joué par un extraordinaire Roland DUBILLARD que sa compagne architecte (jouée par Loleh BELLON, la soeur de Yannick) tente d'aider. Le couple est inspiré de celui que formait Yannick Bellon avec Henry Magnan. Enfin d'autres décident de fuir le plus loin possible à l'image d'un étudiant en ethnologie à qui l'on offre la possibilité d'aller en Equateur. A travers les déambulations au milieu d'une brocante, au muséum d'histoire naturelle ou au jardin des plantes, la rencontre avec Claude Levi Strauss (dans son propre rôle) et la présence de Loleh Bellon, le film fait écho à un autre splendide poème cinématographique de la réalisatrice consacré aux transformations de Paris, "Jamais plus toujours" (1976).

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