Comment en dire beaucoup avec peu? C'est le pari (réussi) de "Mademoiselle Chambon", modèle de retenue dans l'expression des sentiments que l'on est davantage habitué à rencontrer dans le cinéma britannique ou asiatique. Quelques exemples existent cependant en France dans le cinéma de Claude SAUTET ou de Jean-Pierre MELVILLE. Les personnages parlent peu et lorsqu'ils parlent, c'est rarement pour dire l'essentiel. La caméra s'attarde donc sur les visages et en particulier sur les regards qui remplacent les mots qui ne peuvent se dire. Ainsi je me souvenais quasiment parfaitement d'une scène que je trouve très belle tant par l'interprétation que par la mise en scène: Véronique (Sandrine KIBERLAIN) est ramenée en voiture chez elle par Jean (Vincent LINDON). C'est la dernière fois qu'ils se voient. La caméra placée à l'arrière de la voiture la montre de dos mais elle est suffisamment tournée vers nous pour que nous puissions voir les larmes qui coulent silencieusement sur ses joues. Elle sort de la voiture et rentre chez elle. La caméra pivote alors vers Jean dont on voit grâce au rétroviseur qu'il a baissé la tête. le contre-jour permet de voir qu'il pleure lui aussi, des larmes perlent au bout de ses cils. Un des rares moments où tous deux sont en symbiose avec celui où ils écoutent de la musique et se laissent porter par leurs émotions. Car la musique est l'autre langage universel de "Mademoiselle Chambon" qui unit brièvement des êtres que tout sépare par ailleurs.
Car "Mademoiselle Chambon" a une autre grande qualité, qui est de nous immerger dans le vécu de Véronique et de Jean avec là encore un art remarquable de l'épure. Leurs milieux sociaux respectifs sont dépeints avec un grand réalisme. Il est assez rare au cinéma de voir un maçon au travail avec un tel luxe de détails sur les outils employés et les gestes accomplis. Et pour compenser la scène où lui et sa femme tentent sans succès d'aider leur fils à faire ses devoirs, on le voit à l'invitation de Véronique parler de son métier aux enfants de la classe où elle enseigne. Mais plus encore que leur différence de milieu social et de capital culturel, ce qui sépare Véronique et Jean tient à leur mode de vie et à leur entourage. Véronique est nomade et solitaire, Jean est sédentaire et entouré. Un simple message sur le répondeur suffit à nous faire comprendre que Véronique est méprisée par sa famille ce qui la condamne à l'exil. A l'inverse, Jean croule sous les responsabilités familiales (sa femme enceinte, son jeune fils et son vieux père dont il prend soin). Chacun désire chez l'autre ce qu'il n'a pas chez lui: une maison solide pour Véronique, la liberté pour Jean. Sandrine KIBERLAIN et Vincent LINDON (ex à la ville ce qui évidemment introduit une mise en abyme que l'on a vu à d'autres occasions à l'écran) offrent une partition toute en finesse et délicatesse.
En regardant "Les secrets de mon père", dernier film en date de Véra BELMONT, j'ai pensé (toutes proportions gardées) à "Maus" en raison du fait que l'oeuvre dont le film est l'adaptation est le roman graphique autobiographique de Michel Kichka qui comme Art Spiegelman est un fils de rescapé de la Shoah. Mais alors que "Maus" témoigne de la transmission de la mémoire de la Shoah entre les parents survivants et leur fils, "Les secrets de mon père" raconte celle d'enfants qui grandissent avec un père qui refuse de leur parler de son passé. Un silence assourdissant étant donné les séquelles que ce passé a laissé (l'absence des grands-parents, le tatouage sur le bras que les enfants croient être un numéro de téléphone) mais aussi les dégâts qu'il continue à faire ("ce passé qui ne passe pas") en isolant les générations les unes des autres et en traumatisant la descendance jusqu'à l'irréparable quand le père se lance dans un travail de mémoire auprès des médias et du grand public mais interdit à ses enfants d'y accéder. Le choix de l'animation (très classique sur la forme en dépit de quelques envolées oniriques, dommage étant donné que l'histoire se déroule en Belgique, un des fiefs de la BD) s'explique par le support d'origine mais aussi par le fait d'être centré sur l'expérience des enfants (alors que le roman graphique de Michel Kichka s'adressait à l'origine aux adultes). On peut regretter d'ailleurs que les soeurs de Michel soient si peu développées alors que l'aînée subit aussi les effets néfastes du secret à géométrie variable qui empoisonne toute la famille. Mais Michel Kichka centre logiquement le récit sur lui-même et son jeune frère Charly qui lui colle aux basques, évoquant les moments heureux de leur enfance mais surtout la blessure de l'incommunicabilité de plus en plus grande avec les années. Même si en héritant de son talent de dessinateur, Michel Kichka a pu au final se frayer un chemin jusqu'à son père, celui-ci s'est avéré des plus douloureux et constitue le principal intérêt du film.
Le cinéma iranien ne cesse de me surprendre par sa richesse, sa diversité, alors même qu'il est entravé par le pouvoir en place. Après les drames sentimentaux, les docu-fictions, les polars et les thrillers, "Les ombres persanes" est le premier film fantastique issu de ce pays que j'ai pu voir. Bien que l'histoire soit traitée avec réalisme, deux éléments viennent jeter le trouble. Le premier est la pluie, incessante et battante qui s'abat sur l'ensemble du film, doublée d'une atmosphère sombre et confuse qui ne cède la place à une éclaircie que lors d'un très bref moment destiné à s'avanouir aussi vite qu'il est apparu. Car pour le reste, c'est le déluge, une atmosphère de fin du monde et d'horizon bouché (à la manière parfois de "Matrix Revolutions" et cet écho fait sens) qui s'infiltre jusque dans la demeure de Tarzaneh et Jalal. Justement, Tarzaneh qui est monitrice d'auto-école croit apercevoir son mari entrer chez une autre femme. Ce qui nous amène au deuxième élément fantastique du film, à savoir qu'il existe un couple à l'apparence jumelle de celle de Tarzaneh et Jalal, formé par Bita et Mohsen, plus aisés et parents d'un petit garçon. Aucune explication rationnelle ne nous est donnée sur cette troublante ressemblance et la piste génétique est vite abandonnée. Ce que l'on remarque en revanche c'est qu'il s'agit de couples mal assortis aux polarités inversées. Tarzaneh qui est enceinte semble dépressive et angoissée alors que Mohsen est jaloux et violent. A l'inverse, Jalal est gentil et dévoué et Bita, souriante et équilibrée. Logiquement, Bita et Jalal, trop beaux pour être vrais ne peuvent que céder la place à Farzaneh et Mohsen qui incarnent les différentes formes de mal-être générées par les dysfonctionnements de la société iranienne, plus fortes que leurs différences. Taraneh ALIDOOSTI et Navid MOHAMMADZADEH peuvent ainsi comme dans de nombreux films sur ce thème éminemment cinématographique montrer différentes facettes de leur jeu. L'excellence de leur interprétation compense en partie les maladresses du scénario.
Dans "Une chambre à soi", Virginia Woolf énumérait les raisons pour lesquelles les femmes ne parvenaient pas à produire une oeuvre littéraire et qui se résumaient dans leur dépendance vis à vis des hommes, détenteurs du pouvoir financier mais également des normes culturelles infériorisant les femmes en les cantonnant au rôle d'épouse et de mère et en les privant des conditions nécessaires à la liberté créatrice ("de l'argent et une chambre à soi"). C'est exactement ce que démontre de manière convaincante "Le choix de Jane". Pour avoir bravé les conventions de son époque en refusant de se marier par intérêt à un homme riche, Jane Austen se retrouve dans une situation si difficile qu'elle n'est sans doute pas étrangère à son décès prématuré. Le téléfilm de Jeremy LOVERING évoque en effet les dernières années de l'écrivaine alors âgée d'une quarantaine d'années et confrontée aux conséquences douloureuses de ses choix. Si ses romans débouchent sur un mariage heureux en guise de consolation/compensation, Jane tout comme sa soeur Cassandra et tout comme 1/4 des femmes de cette époque a opté pour le célibat. Soit comme je le disais plus haut par refus de se vendre à un homme riche, soit parce que sa situation financière ne lui permettait pas de s'unir à un homme pauvre (ou dépendant d'un tuteur riche décidant pour lui). On le constate, le mariage à cette époque est une affaire d'argent qui domine d'ailleurs tous ses romans. Et l'argent appartient aux hommes puisque les femmes de la gentry britannique du début du XIX° siècle n'ont pas accès à l'emploi ni à l'héritage. Lorsqu'un homme chasse une dot, il s'unit en réalité à un autre homme, celui qui la détient, la femme n'étant qu'un instrument de la transaction financière. Lorsque cette dot n'existe pas, comme dans le cas de Jane et sa soeur, le mariage relève de la prostitution, donner son corps et sa liberté en échange d'un toit et d'une place à table. En le refusant, Jane se met dans la précarité ainsi que sa mère et sa soeur (le révérend Austen, mort en 1905 les a laissées sur la paille). Elle dépend de fait de ses frères dont deux seulement sont présentés dans le film qui la soutiennent, l'un en négociant les droits de vente de ses romans et l'autre en mettant à sa disposition son cottage pour écrire. Mais parce qu'ils sont écrits par une femme, ils sont dévalués et les droits du frère sur le cottage sont attaqués ce qui contribue un peu plus à l'usure prématurée de Jane. "Un peu plus" car tout dans son quotidien lui rappelle qu'elle n'est pas dans la norme, que ce soit les reproches de sa nièce Fanny pour qui elle s'improvise marieuse (comme son héroïne "Emma") ou ses anciens flirts ou encore sa mère. Olivia WILLIAMS est très convaincante dans le rôle-titre et le film, éclairant sur la réalité de la condition féminine à cette époque.
"Aucun ours" s'appelle ainsi en référence à une phrase prononcée par un habitant du village où réside Jafar PANAHI dans le film. Mais c'est aussi symboliquement une allusion au danger et au mensonge, plus exactement au fait qu'un faux danger peut en cacher un autre qui lui est vrai. On ne va pas tourner autour du pot, le dernier film de Jafar PANAHI est indissociable de ses conditions de production clandestines, comme ses quatre réalisations précédentes et indissociable également de son contexte, celui de l'insurrection impitoyablement réprimée par les autorités iraniennes dans lequel les femmes et les artistes ont payé le prix fort. Jafar PANAHI a fait sept mois de prison peu de temps après avoir achevé son film et une fois libéré, a pu se rendre en France alors qu'il n'avait plus le droit de sortir d'Iran depuis 14 ans. Cet aspect carcéral et sans perspectives pèse de tout son poids dans "Aucun ours". Jafar PANAHI s'y met en scène dans son propre rôle, celui d'un cinéaste obligé de se cacher dans un village reculé proche de la frontière turque pour pouvoir tourner à distance. Mais les aléas de la connexion internet entravent son projet. Surtout, il se retrouve au coeur d'un imbroglio avec les villageois persuadés qu'il a pris une photo prouvant qu'une jeune fille promise depuis sa naissance à un des hommes du village est amoureuse d'un autre. Evidemment Jafar PANAHI refuse de laisser son art se faire instrumentaliser par ces mentalités patriarcales d'un autre âge. Le parallèle entre sa situation et celle du couple clandestin est donc souligné à travers les mises en abyme que Jafar PANAHI aime mettre en scène et ce jusqu'à l'exil impossible qui trace une voie sans issue ce qui n'empêche pas les traits d'humour comme "politesse du désespoir".
"La nuit du verre d'eau" est le premier film de Carlos CHAHINE qui revient sur l'histoire de son pays natal, le Liban, qu'il a dû quitter en 1975 au début de la guerre civile qui déchira le pays pendant quinze ans et dont les plaies aujourd'hui ont bien du mal à se refermer. Il en ausculte donc les prémices en situant son film en 1958, soit à mi-chemin entre l'indépendance du Liban et le début de la guerre. En effet il s'agit d'une année charnière durant laquelle la montée des tensions politiques et religieuses entraîna l'intervention des américains pour défendre dans un contexte de guerre froide les chrétiens pro-occidentaux face à une insurrection venue d'une partie de la communauté musulmane qui voulait que le Liban fusionne dans une République arabe unie avec la Syrie et l'Egypte panarabiste de Nasser. Finalement un compromis fut trouvé entre les deux parties et les américains purent quitter le pays au bout de quelques mois. Mais les graines de la discorde étaient semées d'autant qu'à la suite de la première guerre israélo-arabe, de nombreux palestiniens avaient trouvé refuge au Liban, bien avant l'exode massif de la guerre des 6 jours en 1967 qui allait contribuer à déstabiliser le pays.
Ce contexte est évoqué dans le film mais de loin car il se situe dans une vallée reculée qui ne perçoit que les échos lointains des événements qui se déroulent à Beyrouth. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Un avantage car le cadre montagneux fournit des images somptueuses de l'arrière-pays. Un inconvénient car la grande histoire n'interfère pas significativement avec celle du film. Tout au plus voit-on quelques "signaux faibles": des hommes qui s'entraînent au tir en vue de former une milice pour protéger le village, une dispute à table entre un musulman et la famille chrétienne qui l'a invité à dîner, quelques paroles à la radio ou dans les journaux. "La Nuit du verre d'eau" est plutôt une chronique de moeurs intimiste qui n'est pas sans rappeler sur le fond "Mustang" (2014) bien que la forme soit complètement différente (échevelée et nerveuse dans "Mustang", posée et glamour dans "La nuit du verre d'eau"). L'histoire se concentre en effet sur le destin de trois soeurs issues d'une famille chrétienne aisée de ce village qui sont soumises au pouvoir patriarcal. L'aînée étouffe dans son mariage et ne trouve d'échappatoire que dans un adultère avec un français de passage accompagné de sa mère (Pierre ROCHEFORT et Nathalie BAYE). La seconde est promise à un mariage arrangée selon une procédure identique à celle que l'on voit dans "Mustang". Et la plus jeune a une relation clandestine avec un jeune du village dont le père ne veut pas. S'y ajoute l'enfant de la soeur aînée qui par son statut est en position d'observateur. L'interprétation est en tous points remarquables et le style roman-photo, élégant et bien choisi car correspondant aux magazines féminins de l'époque (d'autres films traitant de l'émancipation féminine dans les années 50 ont adopté ce style comme "Loin du paradis" (2002) ou "Carol") (2015). Néanmoins le film se disperse un peu à force d'embrasser trop d'éléments à la fois et doit une fière chandelle à son actrice principale, Maryline Naaman qui est magnétique.
En attendant une éventuelle sortie en salles en France, il est possible de voir "Les colons", le premier long-métrage de Felipe GÁLVEZ HABERLE qui faisait partie de la sélection du festival de Cannes "Un certain regard" en VOD depuis le 2 mai ou bien en avant-première dans quelques salles. Le film raconte la naissance de la nation chilienne en deux parties. La première qui fait penser à un western évoque les conditions dans lesquelles les colons espagnols ont pris possession des terres de la Patagonie. C'est à dire en faisant "pacifier" la zone, terme occultant la réalité de l'extermination des autochtones. Trois de leurs sbires sont envoyés pour "nettoyer le terrain" des indiens qui dérangent l'ordre que les colons veulent établir en détruisant les clôtures (symbole de propriété privée) et en mangeant le cheptel (symbole de l'économie capitaliste). Contrairement à ce que j'ai pu lire lors des retours critiques après la projection du film, il n'est inexact d'affirmer que l'on voit tout du seul point de vue des blancs. Car le troisième homme, l'employé métis tant par son statut d'inférieur perpétuellement rabaissé et humilié que par sa nature hybride observe et consigne dans sa mémoire les horreurs dont il est le témoin et auxquelles parfois ses supérieurs l'obligent à participer. Supérieurs qui sont montrés sous leur jour le plus barbare ce qui a été également critiqué. Cependant d'une part, le témoignage précieux d'un Bartolomé de La Casas a fait état des atrocités commises par les espagnols en Amérique. D'autre part, il s'agit pour Felipe GÁLVEZ HABERLE de déconstruire leur prétendue oeuvre civilisatrice en montrant la véritable nature de ces missions de "pacification" qui ont précédé la naissance des nations modernes du Chili et de l'Argentine. Ainsi le (pseudo) lieutenant écossais qui joue le rôle de contremaître du propriétaire terrien espagnol, le mercenaire texan que celui-ci lui impose comme compagnon de voyage et le colonel Martin qu'ils croisent sur leur chemin rivalisent de sauvagerie et de cruauté, chacun cherchant par ailleurs à dominer l'autre de la plus brutale des manières. Tout au plus peut-on reprocher au réalisateur de ne montrer les indiens que comme des victimes, même si leur résistance est évoquée quand Segundo (le métis) n'a pas des visions où lui apparaît un guerrier indien. On remarquera également que les violences sont plus suggérées que montrées, elles sont soient racontées, soit cachées derrière un épais brouillard. La deuxième partie du film, non moins intéressante se concentre sur la façon dont les représentants des autorités officielles tentent de maquiller les faits historiques afin de construire un "roman national" autour de la naissance de la nation chilienne pour souder ses divers éléments autour d'un consensus forcément mensonger. Pour parvenir à leurs fins, ces représentants vont à la rencontre de Segundo et de son épouse, une indienne rescapée des massacres qui elle aussi a été témoin et victime. La façon dont elle décide de résister à la mise en scène façon "film dans le film" qui doit nourrir le récit des autorités de la pseudo véracité des images conclue en beauté un film aussi riche que puissant cinématographiquement.
"Médecin de nuit" concentre tout ce qui fait l'efficacité d'un récit: la règle des trois unités (le lieu, le temps et l'action) permettant de dénouer une crise ou bien de faire basculer un destin. S'y ajoute une ambiance à la Bruno NUYTTEN et des acteurs à contre-emploi comme dans le Paris nocturne cafardeux qu'il avait éclairé dans "Tchao Pantin" (1983). Le résultat oscille entre un aspect vériste assez âpre qu'on aurait aimé voir plus développé (un homme seul face à une humanité en souffrance) et un enjeu dramatique plus artificiel. En effet en une seule nuit, Mikaël doit résoudre le chaos qui règne dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle et pour cela, trancher le lien toxique qui le relie à son cousin, Dimitri (Pio MARMAÏ). Belle idée en soi de relier l'aspect documentaire et l'aspect romanesque par le biais de la toxicomanie mais le réalisateur a du mal à doser, finissant par transformer son humble médecin en "vigilante" armé d'un flingue à la manière de Travis Bickle dans "Taxi Driver" (1976). Impossible de ne pas penser au film de Martin SCORSESE, à l'ambiance nocturne et poisseuse, à son anti-héros solitaire, à la rencontre avec une jeune prostituée qu'il souhaite aider, au pétage de plombs final. Mais bien évidemment la comparaison s'arrête là, le film de Elie WAJEMAN s'en tient à une trajectoire individualiste au lieu d'interroger la société dans son ensemble et les "monstres" qu'elle fabrique et transforme en héros ce qui en limite la portée. Mais l'aspect que j'ai trouvé le plus maladroit, ce sont les dialogues sentimentaux ultra clichés que Mikaël débite à sa femme et à sa maîtresse. Je ne pensais pas entendre dans un film français d'auteur du XXI° siècle des "paroles paroles" telles que "tout va s'arranger tu vas voir, je vais revenir et être là pour toi" ou bien "je n'ai jamais arrêté de t'aimer" ou bien "on va partir ensemble". Il y a donc du bon voire du très bon dans le film mais également des choses à sérieusement affiner.
Dès les premières notes électrisantes du générique, signées par Ennio MORRICONE, on sent que l'on va voir un film iconique, enchaînant les morceaux de bravoure menés de main de maître. Un film à la fois brillant et obscur car derrière la lutte manichéenne du bien contre le mal qui sature le premier plan, le film est parcouru par d'autres enjeux qui lui donnent sa complexité. La première partie, dédiée à la formation et aux premiers succès du quatuor formé par Eliot Ness (Kevin COSTNER), Jim Malone (Sean CONNERY), George Stone (Andy GARCIA) et Oscar wallace (Charles Martin SMITH) se déroule sur une note claire, celle du clairon de la cavalerie sûr de son fait qui culmine dans la scène westernienne triomphale où les quatre hommes attaquent le pont à la frontière vers le Canada. Pourtant si on est attentif, les fausses notes sont nombreuses dans cette première partie. Il y a tout d'abord la fausse bonhommie de Al Capone (Robert De NIRO) qui nous est systématiquement présenté dans des plans en plongée, contre-plongée ou circulaires qui nous enserrent ou nous écrasent, sensation redoublée avec son homme de main cadavérique, Frank Nitti (Billy DRAGO) dont l'acte inaugural (la mort d'une petite fille, allusion à Alfred HITCHCOCK qui dans "Sabotage" (1936) faisait périr un enfant dans un attentat à la bombe) signe l'emprise du mal absolu sur la ville. Face à ces monstres, Eliot Ness fait bien pâle figure, lui et sa famille modèle montrée volontairement c'est Brian DE PALMA qui le dit comme "ce qu'il y a de plus faux dans le film". La séquence où il se fait ridiculiser souligne à quel point il n'est pas de taille. Seuls ses comparses peuvent lui permettre de parvenir à ses fins, mais comme ne cesse de le lui répéter Malone, il n'y a pas de retour possible lorsqu'on est prêt à plonger dans la fosse aux serpents. La deuxième partie du film, plus que jamais sous influence hitchcockienne décline à l'infini le vertige de cette chute à la manière (Brian DE PALMA est un grand maniériste) de "Vertigo" (1958). C'est dans ce cadre que la transposition dans la gare de Chicago de la séquence des escaliers d'Odessa de "Le Cuirassé Potemkine" (1925) prend tout son sens: Eliot Ness doit plonger les mains dans le cambouis s'il veut mettre la main sur le seul homme qui peut compromettre Al Capone en mettant notamment la vie d'un enfant en danger. De même, la seule manière d'en finir avec Nitti ne peut de toute évidence pas être propre. L'héroïsme de la première partie est remplacée par une ambiance crépusculaire voire tragique (scène d'opéra à l'appui) où les hommes qui ont guidé Eliot Ness sont destinés à tomber à leur tour dans un ascenseur (comme dans "Pulsions") (1979) ou au terme d'un long travelling subjectif comme dans les introductions de "Blow Out" (1981) et "Snake Eyes" (1998). Et si Al Capone finit sous les verrous, c'est grâce à l'obscur travail de fourmi du comptable de l'équipe et non grâce à une quelconque "La Chevauchée fantastique" (1939). Car effectivement, je rejoins Claude Monnier dans sa critique du film pour DVDClassik, "Les Incorruptibles" est un John FORD filmé par un Alfred HITCHCOCK. Et Eliot Ness, le chevalier sans peur et sans reproches finit dans de telles eaux troubles qu'il n'est pas loin de rejoindre le monstre que son patronyme suggère.
"Pacifiction" m'a fait penser visuellement à un Gauguin qui aurait ingéré des racines pas très nettes. C'est un long, très long, interminable trip alcoolisé où l'on alterne entre des paysages polynésiens filmés sous une lumière magnifique et des scènes de discothèque qui se répètent jusqu'au bout de la souffrance du spectateur. Car le film dure près de trois heures et comme il est dénué d'un scénario digne de ce nom et regorge de plans étirés jusqu'à plus soif, ce sont trois heures qui pourraient en durer six ou neuf ou treize sans que l'on voit la différence. Il y a bien une vague intrigue dans "Pacifiction" autour de rumeurs portant sur la reprise d'essais nucléaires en Polynésie qui auraient pu être le point de départ d'un thriller mais celle-ci se perd dans les sables mouvants d'un film mou du genou, décousu, sans enjeu véritable et pire que tout, sans ambiance (les images de carte postale et les stroboscopes ça ne suffit pas). On a bien du mal à croire que Benoît MAGIMEL joue un représentant de l'Etat tellement il est relax, passant le plus clair de son temps à déambuler d'un lieu à l'autre soi-disant pour "tâter le pouls" de la population locale en journée, en réalité pour monologuer des propos improvisés et brumeux avant d'aller passer ses soirées et ses nuits au "Paradise". J'étais même à deux doigts d'éclater de rire dans la scène (magnifique au demeurant) de surf où il chevauche un scooter des mers en costard cravate immaculé et parfaitement sec: une métaphore de nos politiciens hors-sol? ^^ Le seul autre acteur du film est Sergi LÓPEZ que l'on voit quelques secondes et dont on a du mal à identifier le rôle, les autres sont pour l'essentiel des inconnus assez barrés: l'amiral du vaisseau-fantôme bourré aux propos incohérents, un employé transsexuel qui rêve de devenir la secrétaire personnelle du personnage de Magimel (pour apprendre des informations classées top secret?). Bref un film tout sauf abouti, un brouillon et qui le revendique explicitement sous couvert de cinéma expérimental.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.