"Il n'y a pas d'amour, il n'y a que du désir. Il n'y a pas de bonheur, il n'y a que du pouvoir". Cette phrase que prononce Mabuse dans le film de Fritz LANG fait écho à son statut omniscient et omnipotent de "maître du jeu des hommes et des destins". Le réalisateur est allé chercher son personnage diabolique dans la littérature populaire de l'époque, celle des sérials dominés par des génies du crime comme Fantômas et Fu Manchu. Cet aspect feuilletonesque se ressent dans la durée du film en deux parties totalisant près de 5h ainsi que dans les nombreux protagonistes, péripéties, rebondissements ainsi que dans les prouesses quasi surnaturelles de son mastermind aux mille visages. Mais il a inséré le personnage créé par Norbert Jacques dans une esthétique expressionniste qui le rapproche de son contemporain, "Nosferatu le vampire" (1922) et surtout il en a fait une métaphore frappante de la République de Weimar prise entre les démons de l'après-guerre et ceux du nazisme. "Docteur Mabuse le joueur" sorti en 1922 soit un an avant la crise d'hyper inflation et le putsch de la Brasserie qui faillit faire basculer l'Allemagne dans le nazisme avec 10 ans d'avance offre une photographie saisissante d'un Berlin peuplé d'une faune de nouveaux riches décadents sur lesquels le diabolique psychanalyste exerce son emprise. Quelques années avant "Metropolis" (1927)Fritz LANG filme la ville comme une Babylone en perdition, corrompue par l'argent et le vice. Face aux passions tristes de ses contemporains, il oppose une figure intègre, celui du procureur Wenk qui tente de protéger les victimes de Mabuse et de démasquer "l'inconnu" qui tire les ficelles dans l'ombre avec ses complices.
Biopic pas transcendant mais pas honteux non plus, "Monsieur Aznavour" est un travail trop scolaire pour emporter pleinement l'adhésion. Son principal défaut à mes yeux est d'avoir voulu mettre un maximum d'éléments de la vie pléthorique du chanteur-acteur alors que le format du cinéma est plutôt fait pour trancher dans le vif. Conséquence: trop de survol, pas assez d'approfondissement ce qui aurait été possible en ayant un point de vue sur l'artiste. Il y avait de quoi faire dix films avec tout ce qui est déballé sur la vie de Charles Aznavour. Pour ma part ce que j'ai trouvé le plus intéressant et réussi est la relation complexe qu'il a eu avec Edith Piaf, d'autant que celle-ci est interprétée de façon convaincante par Marie-Julie BAUP. On assiste à une inversion des rôles traditionnels entre le mentor et son disciple ce qui renvoie à tout ce qui faisait de Aznavour un homme atypique et raillé comme tel. La séquence de la genèse de "Comme ils disent" bien que trop courte acquiert un certain relief à l'aune des stigmatisations subies sur le nom, l'origine, l'apparence physique et la voix. Mais ces passages sont noyés dans un océan de scénettes voulant également raconter les années de vaches maigres et de galères, l'arrivisme d'un ambitieux acharné au travail ou le tandem façon "buddy movie" avec Pierre Roche (Bastien BOUILLON). Quant à Tahar RAHIM, quoi qu'on ait pu dire sur l'aide apportée par les effets spéciaux, il porte le film sur les épaules.
Les spectateurs étrangers ayant en tête l'univers de "Harry Potter" à l'évocation d'un collège anglais avec ses vénérables portraits, ses boiseries, ses uniformes et ses préfets risquent de déchanter. Car c'est plutôt à un camp de concentration dissimulé sous une architecture gothique que ressemble "If....", véritable brûlot contestataire typique de l'esprit de mai 1968. Le réalisateur, Lindsay ANDERSON s'est inspiré d'un film beaucoup plus ancien, celui de Jean VIGO, "Zero de conduite" (1933) traversé par le même souffle libertaire et onirique à l'intérieur d'un système moins éducatif que répressif et carcéral. Les élèves subissent à longueur de journée un lavage de cerveau destinés à en faire de futurs bons petits soldats au service de la sainte trinité du système: l'école, l'église et l'armée. Les représentants de ces trois institutions se contentent cependant d'asséner leurs discours de propagande, laissant leurs hommes de main, les "whips" le soin de faire régner la discipline. Ceux-ci, recrutés parmi les élèves de dernière année ne sont rien d'autre que des kapos fliquant les autres élèves avec sadisme et abusant de leur pouvoir pour satisfaire leurs désirs les plus troubles, même si ceux-ci ne sont que suggérés (on est pas chez Pier Paolo PASOLINI). Un élève leur résiste particulièrement, Michael Travis alias Malcolm McDOWELL qui faisait avec ce film une entrée remarquée au cinéma. Tellement remarquée que Stanley KUBRICK allait lui donner peu après le rôle principal de "Orange mecanique" (1971). Dans "If...." il incarne déjà par sa seule présence magnétique, sa nonchalance et son rictus goguenard une jeunesse de plus en plus remontée à bloc au fur et à mesure que les brimades s'accumulent. Plus le film avance et moins on arrive à distinguer le réel du rêve, tant le film est traversé de fulgurances, certaines en noir et blanc ce qui est plus ou moins accidentel mais accentue le sentiment d'étrangeté d'un film que l'on croit longtemps intemporel jusqu'au final explosif qui semble inéluctable.
J'ai aimé l'atmosphère de "Woyzeck", son alternance entre la place d'une ville typique d'Europe centrale qui enferme les personnages pour toutes les scènes en rapport avec le théâtre social et ses échappées dans une campagne bucolique pour les scènes où les instincts sauvages prennent le dessus. Le travail sur la photographie, brumeuse ou en clair-obscur est fabuleux et plusieurs scènes ressemblent à des tableaux vivants. La scène du meurtre au ralenti est très expressive. Mais le propos m'a paru trop alambiqué. On y voit un soldat (joué par l'acteur fétiche de Werner HERZOG, Klaus KINSKI, complètement halluciné) se faire constamment harceler et humilier par ses supérieurs, par ses pairs, par le médecin militaire du camp qui effectue des expériences douteuses sur lui-même et sur les animaux, par sa femme aguicheuse qui le trompe. Et ce jusqu'à ce qu'il sombre dans la folie meurtrière. Cependant, on a bien peu d'empathie pour le personnage de Klaus KINSKI lequel apparaît frappadingue dès les premières images alors que les propos tenus par ceux qui l'entourent sont alourdis par des considérations philosophiques sur la condition humaine quelque peu hermétiques. Enfin le fait que le seul échappatoire que trouve Woyzeck à ses malheurs soit de commettre un féminicide achève de le rendre complètement repoussant. En résumé j'ai admiré l'esthétique du film mais je suis resté complètement en dehors de ce qui s'y jouait.
Un des quelques films de Francois TRUFFAUT que je n'avais jamais vu. Un film très littéraire, follement romantique et d'une grande richesse. Sans doute un nouvel autoportrait déguisé de Francois TRUFFAUT à travers son double, Jean-Pierre LEAUD qu'il dirigeait pour la première fois dans un rôle différent de celui de Antoine Doinel. Autoportrait déguisé aussi à travers l'oeuvre originale de Henri-Pierre Roché publiée en 1956 dont on aperçoit la couverture dans le générique, dont on entend des extraits en voix-off (celle de Francois TRUFFAUT lui-même) alors que son double de fiction, Claude Roc publie dans la même édition au cours du film un roman "l'histoire de Jérôme et de Julien" qui se réfère de façon assez transparente à "Jules et Jim" (1962) qui est aussi à la base un roman de ce même auteur. Les deux romans sont d'ailleurs liés par leur thème principal, celui du triangle amoureux. Mais dans "Les deux anglaises et le continent", ce sont deux soeurs qui sont amoureuses du même homme et le récit, initiatique, est centré sur leur éducation sentimentale et sexuelle. Autre différence majeure avec "Jules et Jim" (1962), l'histoire se déroule à la Belle Epoque et se divise en deux parties. La première qui se déroule en Angleterre ressemble à un roman du XIX° siècle. On se croirait presque chez les soeurs Brontë ou chez Jane Austen ou encore dans le dîner de Babette et d'autres romans contemporains évoquant le puritanisme. D'ailleurs Truffaut lui-même disait que l'histoire du film était celle d'un jeune Proust qui se serait épris de Charlotte et d'Emily Brontë. Sentiments comme transports y sont en effet retenus à l'extrême. Le moindre regard échangé étant alors considéré comme une invitation érotique, il n'est guère surprenant que Ann Brown (Kika MARKHAM) se révèle à travers une voilette ou ne reçoive le premier baiser qu'à travers les barreaux d'une chaise. Quant à sa soeur, Muriel (Stacey TENDETER), elle a la plupart du temps le regard dissimulé derrière des lunettes ou un bandage sous prétexte qu'elle est fragile des yeux. Une maladie que je soupçonne d'être psychosomatique au vu de ce que l'on découvre plus tard, à savoir qu'il s'agit d'un personnage déchiré entre ses pulsions sexuelles et sa culpabilité à les assouvir. Car la deuxième partie, par contraste avec la première se déroule pour l'essentiel à Paris où vont se rendre l'une puis l'autre des deux soeurs afin d'assouvir leur passion pour le jeune homme qui mène une vie de libertin. Néanmoins ce libertinage n'empêche pas Claude d'éprouver des sentiments profonds pour les deux jeunes filles. On est frappés par le respect qu'il leur porte et par son sens de l'écoute. Le jeu amoureux qu'Ann et lui mettent en place rappelle fortement "le mur de Jéricho" de "New York - Miami" (1933) et il ne tombe que lorsque Ann le décide. Même chose pour Muriel, Claude s'assure plusieurs fois de son consentement. Bref, le séducteur se révèle être aussi un gentleman très éloigné de la masculinité dominatrice et toxique qui a gangrené le monde du cinéma comme le reste de la société. Cette approche délicate met particulièrement bien en valeur la fragilité de Jean-Pierre LEAUD et la pudeur de Francois TRUFFAUT, notamment dans sa manière de filmer les étreintes charnelles. C'est pourquoi leurs amours ont beau être malheureuses, impossibles dans le cadre social qui est le leur, elles n'en restent pas moins belles et émouvantes, à l'image d'un film sublimé par sa mise en scène, sa photographie (signée Nestor ALMENDROS) et la musique de Georges DELERUE.
Misères de l'aiguille ou mystères de l'aiguille? Il est bien difficile de suivre ce film de 1913. Celui-ci est privé d'intertitres, l'image est très dégradée au point d'être parfois aux deux-tiers illisible. Pour ne rien arranger, la fin du film est parasitée par des images venues d'un autre film qui n'a strictement rien à voir. En plus de ces problèmes que l'on peut qualifier de techniques, le peu d'informations que l'on arrive à saisir relève du plus lourd pathos avec une héroïne sur qui les malheurs pleuvent: on la voit rechercher du travail, se faire agresser sexuellement par un alias de Harvey Weinstein qui la renvoie quand elle le repousse puis s'échiner à la tâche à domicile pendant que son mari se meurt. Après avoir déposé au clou ses maigres biens, elle reçoit une mauvaise nouvelle (sans doute l'annonce de son expulsion) qui l'amène au bord du suicide. Heureusement une miraculeuse coopérative ouvrière vient la sauver. Car c'est l'objectif final du film (issu lui même d'une coopérative d'artistes venus du théâtre et du music-hall), faire la propagande d'une oeuvre sociale de charité. Bref rien d'intéressant sinon que l'héroïne, Louise est jouée par MUSIDORA dont c'était la première apparition à l'écran, le film étant réalisé par l'un de ses partenaires au théâtre du Châtelet, Raphael CLAMOUR.
Il y a des éclairs de génie dans "Un peuple et son roi", à l'image de cette pierre de la Bastille qui tombe, faisant symboliquement entrer le soleil dans le quartier populaire du faubourg Saint-Antoine. Comme un mai 1968 avant la lettre ("Let the sun shine, let the sun shine in"). Dans le même esprit, il y a cette petite fille qui danse au milieu des plumes échappées des oreillers éventrés lors de l'assaut des Tuileries du 10 août 1792. Mais le problème, c'est que ces moments visionnaires ne parviennent pas à s'assembler pour former un tout cohérent et puissant qui nous emporte tout en nous éclairant sur une période historique riche et complexe. En effet, où que l'on se tourne, le film apparaît bancal. Sur le plan historique tout d'abord, le film s'intitule "Un peuple et son roi" mais il ne respecte pas le contrat en introduisant un troisième protagoniste: l'assemblée législative. Or cette assemblée, le film en escamote complètement les origines ce qui d'ailleurs explique que la prise de la Bastille soit évoquée sans être expliquée (attaquer un symbole de l'arbitraire royal oui mais pourquoi à ce moment là? Aller prendre de la poudre, oui mais dans quel but?) C'est ennuyeux parce que soit il ne fallait pas en parler du tout, soit il fallait au moins montrer qu'elle était issue d'un vote populaire et qu'elle représentait les aspirations populaires, au moins à ses débuts. Cela aurait permis de mieux comprendre le fossé croissant entre la bourgeoisie (bien représentée à l'assemblée) et les classes populaires (réduites au rang de spectateurs et privées du droit de vote) jusqu'à la rupture définitive de la fusillade du champ de Mars du 17 juillet 1791. Mais on s'éloignait sans doute trop du sujet. Autre problème majeur, l'escamotage quasi complet du clergé et de la noblesse, les ordres privilégiés qui tout autant que le roi étaient au coeur du pouvoir sous l'Ancien Régime. Dans le film de Pierre SCHOELLER, on a l'impression que le roi gouverne seul et qu'il est la seule cible des soulèvements populaires. Or le film escamote complètement la grande peur, jacquerie qui s'est répandue dans la majorité des campagnes françaises à la suite de la prise de la Bastille et a conduit à l'abolition des privilèges puis à l'adoption de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le versant sombre des émeutes populaires comme les massacres de septembre 1792 est également ignoré. De même que le rôle des soldats fédérés dans l'assaut des Tuileries. Il faut dire que les personnages issus du peuple sont à une exception près des artisans et ouvriers parisiens. Et l'exception, c'est un vagabond pas vraiment représentatif de la paysannerie française (et puis choisir Gaspard ULLIEL, ça fait très "Jacquou le croquant"). On a donc une vision de l'histoire abusivement simplifiée. Car sur le plan romanesque, ce n'est guère plus convaincant. Pierre SCHOELLER tente de relier petite et grande histoire en suivant toute une série de personnages, célèbres ou anonymes mais fatalement, il s'éparpille. Plus ennuyeux encore, il alterne des scènes qui se veulent épiques (mais qui manquent d'ampleur, faute de moyens?) et des joutes oratoires très statiques à l'assemblée. C'est dommage au regard de la qualité du casting (Olivier GOURMET est une fois de plus excellent tout comme Laurent LAFITTE dans le rôle d'un Louis XVI dépassé par les événements) et le réalisateur fait un effort louable pour mettre en avant le rôle des femmes (les lavandières jouées par Adele HAENEL et Izia HIGELIN). Mais il est noyé sous le poids d'une Histoire trop lourde pour ses frêles épaules.
"Saint Omer" est un cas d'école d'un film que la critique a encensé, qui a obtenu des prix prestigieux (le lion d'argent à Venise, le prix Jean Vigo) mais dont les choix artistiques ont quelque chose de rédhibitoire. Il y a le postulat de départ déjà, le parallèle effectué par Alice DIOP entre Rama et Laurence, deux femmes qui ne se connaissent pas, l'une allant simplement assister au procès de l'autre dans le but d'écrire un livre, pourquoi pas? Fallait-il pour autant à ce point faire de l'une le miroir de l'autre, à savoir une femme noire vivant en couple mixte, n'assumant pas sa grossesse devant sa famille et ayant une relation difficile avec sa propre mère? A y regarder de plus près, leurs situations respectives sont différentes et l'histoire de Rama (double de la réalisatrice?) a tendance à recouvrir celle de Laurence, autrement plus tragique (et inspirée d'une affaire réelle, celle de l'infanticide commis par Fabienne Kabou). Ensuite, il y a l'aridité du dispositif. Le film est majoritairement un huis-clos judiciaire se composant de plans fixes dans lesquels l'accusée, plutôt que de se souvenir semble réciter d'une voix monocorde un texte appris par coeur. Il en va de même lorsque la juge et les avocats interviennent. Cette distanciation, cette froideur semblent plus appropriés pour écrire un essai philosophique que pour faire partager une expérience sensible. Bref c'est trop abstrait, trop intellectuel, trop artificiel si bien que les questionnements, aussi pertinents soient-ils (sur la maternité, sur le racisme, la condition féminine, l'immigration etc.) n'impriment pas, faute d'être véritablement incarnés à l'écran. Seule la fin apporte enfin quelque chose d'un peu humain (des larmes, la voix de Nina SIMONE etc.) mais c'est trop tard. Ce n'est pas parce que les personnages sont vides et secs à l'intérieur d'eux-mêmes que le film doit à ce point leur ressembler. A moins que ce ne soit calculé pour plaire aux critiques en leur balançant une ou deux références capables de les faire se pâmer (allusion à la Chimère, extrait du film de Pier Paolo PASOLINI, "Medee") (1969) De ce point de vue, c'est réussi.
En dépit du grand prix obtenu à Cannes, "All we imagine as light" est bien parti pour rester un film confidentiel, peu distribué et projeté dans de petites salles. C'est avant tout un film d'atmosphère, construit sur un contraste entre l'effervescence de Mumbai et le calme apparent d'un village au bord de la mer. D'une nuit bleutée filmée à l'aube en caméra cachée à la façon d'un documentaire émergent trois femmes qui ont en commun d'avoir comme des centaines de milliers d'autres habitants de l'Inde quitté leur village pour une vie meilleure dans la métropole économique du pays. Une vie meilleure toute relative avec des maux communs aux autres grandes villes d'Asie: le surpeuplement, la promiscuité mais aussi la gentrification qui grignote l'espace de vie déjà restreint des classes populaires au profit des privilégiés. S'y ajoute la question du communautarisme qui aussi bien issu du système des castes que du modèle anglo-saxon fait cohabiter les groupes en leur interdisant de se mélanger. Ainsi que celle d'une condition féminine marquée par l'empêchement.
Le poids du patriarcat est en effet un autre thème majeur. Prabha, Ranu et Parvaty, les trois héroïnes du film travaillent dans le même hôpital. La troisième qui est la plus âgée est sur le point de se faire expulser de son logement qui va être rasé. La première et la deuxième qui sont colocataires ont beau travailler, elles sont victimes du poids des traditions et du machisme. Prabha a été mariée à un homme qui l'a délaissée pour partir travailler en Allemagne et s'interdit d'aimer à nouveau alors que Ranu est amoureuse d'un musulman qu'elle ne peut fréquenter que clandestinement. Elle rêve de se donner à lui mais cela aussi est impossible: ils n'ont nulle part où se réfugier, l'intimité leur est interdite.
Réunies à la ville, les trois femmes le sont aussi à la campagne lorsque Prabha et Ranu accompagnent Parvaty qui décide de retourner dans son village. Par rapport au tumulte de Mumbai, filmé comme un carrousel de lumières rouges et bleues, le village apparaît comme un havre de paix, propice à l'échappée onirique et spirituelle. Chacune d'elle semble y revivre et une lueur d'espoir jaillit enfin dans la prise de conscience de leur condition commune et de la nécessité de se serrer les coudes pour gagner en liberté. On assiste au triomphe du naturel sur l'ordre social mais celui-ci a été gagné de haute lutte et l'avenir de Prabha et Ranu reste en suspens. "All we imagine as light" est un film assez lent, voire languide et comme beaucoup de films d'auteur/d'autrices asiatiques, très esthétique mais il n'est ni abstrait, ni abscons. Contrairement aux films de Apichatpong WEERASETHAKUL ou à "L'Arbre aux papillons d'or" (2023), l'être humain reste au centre du récit. De même, la société dans laquelle il vit est montrée avec un réalisme documentaire.
Il y a du bon et du moins bon dans "Les Témoins". Le bon: l'atmosphère estivale et joyeuse dans une première partie solaire qui rappelle par certains aspects "Les Roseaux sauvages" (1994) avec l'éclosion dans la nature de la passion amoureuse entre Mehdi (Sami BOUAJILA) et Manu (Johan LIBEREAU). Lorsque les ténèbres succèdent à la lumière, c'est le sublime air de Barberine dans "Les Noces de Figaro" interprété par le personnage de Julie DEPARDIEU qui erre dans la nuit avec sa petite lanterne sous la lune qui produit une émotion à la mesure du drame vécu par son frère Manu. La musique est d'ailleurs particulièrement expressive dans "Les Témoins". Celle du générique, particulièrement nerveuse et signée Vivaldi (le compositeur des quatre saisons, thème majeur du film) donne le ton: celui d'un sentiment d'urgence lié aux enjeux du film, une course contre la montre avec la maladie, une course contre la montre avec l'oubli (d'où le titre, "Les Témoins"). Autre choix ultra-pertinent, "Marcia Baila" des Rita Mitsouko, chanson permettant de dater l'époque retranscrite, 1984-1985 mais aussi histoire d'une vie fauchée en pleine jeunesse par la maladie. Seulement, il y a aussi du moins bon dans "Les Témoins". Le personnage d'Emmanuelle BEART qui se définit elle-même comme une enfant gâtée est insupportable de nombrilisme (on plaint son gosse!) et l'actrice, très peu vêtue semble n'avoir que deux expressions à son répertoire: soit elle fait la gueule, soit elle prend un air vicieux dès qu'on parle de sexe. Ca finit par devenir lassant. Quant au personnage de médecin gay malheureux en amour joué par Michel BLANC, il est plombé par son didactisme. Enfin le personnage de Sandra la prostituée (Constance DOLLE) est à peine effleuré alors qu'il aurait été autrement plus intéressant que celui du club bourgeois auquel décide de se rattacher Manu et donc Andre TECHINE.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.