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Articles avec #documentaire tag

L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Publié le par Rosalie210

Vincent Gaullier, Jean-Jacques Lonni (2020)

L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Les apparences sont trompeuses. Qui croirait que derrière les 138 pavillons de la cité-jardin Ungemach à Strasbourg se cache une histoire digne de "Bienvenue à Gattaca" (1997)? Même aujourd'hui, les édiles taisent le sulfureux passé du quartier où seule une plaque posée dans les années 50 rappelle sa vocation d'origine: abriter de " jeunes ménages en bonne santé désireux d’avoir des enfants et de les élever dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité".

Lorsque la cité est créée dans les années 20, il ne s'agissait pas à proprement parler d'eugénisme mais plutôt d'hygiénisme et de natalisme. La France avait en effet perdu une grande partie de sa jeunesse à la guerre, directement ou indirectement et connaissait un déficit de naissances ancien et préoccupant. De plus les masses populaires vivaient souvent dans des conditions (notamment de logement) déplorables héritées du XIX° siècle avec des problèmes de santé publique tels que l'alcoolisme ou la tuberculose. C'est donc pour lutter contre tous ces fléaux qu'un industriel du nom de Léon Ungemach décida avec son associé, Alfred Dachert de construire une cité-jardin dans un quartier populaire de Strasbourg. Cela s'inscrivait dans la tradition des initiatives paternalistes patronales du XIX° dont l'exemple le plus célèbre est le phalanstère Godin. De plus, dans l'entre-deux-guerres, beaucoup de cités-jardins virent le jour, notamment en Ile-de-France pour offrir aux ouvriers des conditions de vie plus saines et plus proches de leurs origines campagnardes (cultiver son jardin plutôt qu'aller boire au bar du coin).

La où les choses se corsent, c'est lorsqu'on analyse les critères d'admission et de maintien dans le logement. Les époux devaient être jeunes, féconds, en bonne santé, s'engager à avoir au moins trois enfants, le mari devait avoir une bonne situation, la femme quant à elle ne devait pas travailler (une question-piège demandait quelle était sa profession). Une fois installés, ils devaient respecter un règlement comportant plus de 300 articles et subissaient des contrôles incessants au cours desquels ils étaient notés selon un système de points. Si les inspecteurs découvraient que les époux ne respectaient pas les critères, ils étaient expulsés de leur logement. Celui-ci n'était par ailleurs loué que jusqu'au 21 ans du dernier enfant, ensuite, il fallait déménager. Les critères de sélection furent appliqués jusqu'aux années 60 et les critères d'expulsion jusqu'aux années 80 alors que la ville gérait la cité-jardin depuis les années 50.

Le documentaire, passionnant et glaçant, comble les non-dits de la ville qui pratique l'omerta sur le sujet. Des témoignages d'anciens habitants, le plus souvent enfants au moment des faits expliquent que même leurs parents n'avaient pas conscience d'être les cobayes d'une pratique d'eugénisme destinée à "améliorer l'espèce humaine", s'accompagnant en d'autres lieux de mesures de stérilisation forcées pour les populations indésirables. Des spécialistes explicitent le contexte, notamment l'importance de la culture protestante dans la politique d'eugénisme, celle-ci visant la perfectibilité de l'être humain alors que le catholicisme condamnait l'intervention de la science dans la reproduction humaine. Surtout, le film évoque comment la tentation de l'eugénisme a été stoppée in extremis au Royaume-Uni devant l'usage monstrueux qu'en a fait l'Allemagne nazie.

En raison du manque d'archives visuelles, le documentaire a recours à une animation décalée qui fait tantôt penser à celle des Monty Python, tantôt à celle de "Pink Floyd The Wall" (1982). Pour faire comprendre que ce que cachent les pavillons si proprets n'est rien d'autre qu'une variante de "1984" et "Le meilleur des mondes", un arrière-plan fait allusion à la cité de "Metropolis" (1927), les toits s'enlèvent pour laisser entrer la main des autorités ("Big Brother is catching you" ^^), les bébés, produits en série, défilent sur une chaîne de montage et les familles se transforment en souris de laboratoire.

Mais loin de cantonner l'expérience eugéniste au passé, le film démontre que celle-ci n'est qu'un avatar du système capitaliste anglo-saxon obsédé par le darwinisme social de la performance et la compétition que le nazisme a poussé jusqu'à la monstruosité la plus extrême. Qui entre aujourd'hui en contradiction avec le souci de protéger la diversité. Et de conclure sur ces mots à méditer "Quand tu fais la cité Ungemach, tu exclues d'emblée de fabriquer des Brigitte Fontaine, tu exclues d'emblée de fabriquer des Annie Ernaux, tu exclues d'emblée de fabriquer tout ce qui dépasse du cadre et pourtant ce qui dépasse du cadre pour moi c'est la vie."

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Vibrato, l'écoute des victimes du Bataclan

Publié le par Rosalie210

Jérémy Leroux (2021)

Vibrato, l'écoute des victimes du Bataclan

"Vibrato" est un documentaire qui s'intéresse au corps sonore chez l'être humain, à son fonctionnement, ses traumatismes et les soins dont il peut faire l'objet. Le corps sonore est à l'origine un objet émettant directement ou non des vibrations comme une corde ou une cloche mais c'est aussi le cas de l'être humain, qu'il émette des sons ou serve de caisse de résonance.

Le film de Jérémy LEROUX aborde donc les attentats du Bataclan sous cet angle. Des rescapés témoignent en voix-off de leur perception auditive des événements, des conséquences sur leur vie et de leur reconstruction pendant qu'un ballet de danseurs contemporains filmés tantôt en plan large et tantôt en gros plan tentent de représenter avec leur corps le traumatisme subi. Ces séquences sont entrecoupées d'interventions de spécialistes qui font tantôt de la pédagogie (comment fonctionne un être humain face à un stress intense), tantôt de la thérapeutique (les traumatismes de l'ouïe et comment les soigner, le rôle guérisseur du son sur le corps et l'âme à travers les âges et les cultures etc.) Le résultat aurait pu (dû?) être passionnant mais hélas, ce n'est pas le cas. D'une part parce que le format choisi est bien trop court pour permettre un développement satisfaisant des thèmes abordés. D'autre part parce que le dispositif s'avère extrêmement répétitif et finalement assez abstrait.

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L'Or des mers

Publié le par Rosalie210

Jean Epstein (1932)

L'Or des mers

"L'Or des mers" est ce que l'on appelle un docu-fiction c'est à dire un documentaire contenant des éléments de narration propres à la fiction. Il fait partie des nombreux films que Jean EPSTEIN a tourné dans les îles bretonnes avec les populations autochtones. Pour mémoire, la carrière de Jean Epstein se divise en deux parties. Une première dans les années 20 dans le cinéma d'avant-garde notamment pour les studios Albatros. Et une deuxième dans les années 30 en Bretagne dans un style mêlant ethnographie et légendes.

"L'Or des mers" se distingue tout d'abord par un hiatus très perceptible entre les images et le son lié à une technique de post-synchronisation alors balbutiante que Jean Epstein expérimentait pour la société Syncro-Ciné mais qu'il ne s'était pas vraiment approprié. De ce fait, "l'Or des mers" a été tourné comme un film muet et il est clair que le son y joue un rôle tout à fait accessoire.

Ensuite, le film s'enracine dans un terreau documentaire particulièrement rude, celui de l'île de Hoëdic, alors la plus pauvre des îles bretonnes. Les habitants, environ 300 pêcheurs, y vivaient alors dans l'isolement et la misère, ne mangeant pas à leur faim une partie de l'année. Ce climat d'enfermement, de promiscuité et de privations est le support de la fiction que Jean Epstein va développer, à savoir la découverte par le plus misérable et le plus méprisé des pêcheurs de l'île d'une boîte qui va déchaîner les passions des autres habitants contre lui et sa fille Soizic tant ils sont persuadés qu'il s'agit d'un trésor. Le film prend alors une allure quasi fantastique, les éléments naturels hostiles (mer, vent, sables mouvants, algues, rochers, froid mordant de l'hiver durant lequel a été tourné le film) jouant un rôle métaphorique prépondérant. Jouant beaucoup sur le montage alterné, Jean Epstein contrebalance la noirceur de son propos par de gros plans lumineux sur le beau visage de Soizic dont la pureté finit par toucher le coeur de celui qui l'a séduite par ruse ce qui lui permet de s'émanciper de son père en même temps que Soizic se libère du sien. Un très beau film.

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Wild Man Blues

Publié le par Rosalie210

Barbara Kopple (1997)

Wild Man Blues

"Wild man blues" est un documentaire sur Woody ALLEN sorti dans la foulée de "Harry dans tous ses états" (1996) à l'occasion de la première tournée européenne du cinéaste-clarinettiste et de son groupe de jazz "The New Orléans Jazz Band" dirigé par Eddy Davis. On reconnaît les sonorités indissociables des films du cinéaste dans le répertoire du groupe qui rappelle à notre bon souvenir la passion que Woody Allen voue au jazz depuis son enfance (comme expliqué dans le film, il l'écoutait à la radio, une époque à laquelle il a rendu hommage dans "Radio Days") (1986) au point qu'il a pris son surnom en hommage au clarinettiste Woody Herman.

Ce préambule établi, il faut tout de même souligner que s'il n'avait pas été un cinéaste majeur, son activité musicale serait restée cantonnée au domaine d'un passe-temps privé. On se doute que c'est ce qu'il représente bien plus que la qualité réelle de ses prestations musicales (sympathiques mais tout à fait anecdotiques) qui attire les foules dans les salles de concert où le groupe se produit. De fait, les séquences musicales du film sont assez longuettes et répétitives. Heureusement, il n'y a pas que cela. Ce que le film offre de plus intéressant, outre les traits d'humour, c'est la mise en évidence de l'importance que le déracinement joue chez un cinéaste intellectuel plus apprécié en Europe que "chez lui" (le film rappelle combien ses films introspectifs ont mieux marché sur le vieux continent) et qui se sent écartelé entre les deux mondes sans appartenir pleinement à aucun d'entre eux. On découvre également que ce déracinement est culturel et sociologique. Woody ALLEN tout comme sa femme, Soon-Yi* semblent inadaptés aux hôtels luxueux qu'ils fréquentent. Cela m'a rappelé une blague cruelle et douteuse (comme la plupart) de Laurent Gerra à propos de Céline Dion et de René Angelil dans leur palace en Floride "deux bouchers ayant gagné à la loterie". Mais c'est surtout la séquence de fin chez les parents de Woody Allen (très âgés mais encore en vie au moment du tournage) qui apporte un éclairage sur l'écartèlement identitaire d'un cinéaste "mondialisé" alors que sa mère aurait voulu qu'il épouse une juive et devienne pharmacien.

* Soon-Yi Prévin, d'origine sud-coréenne est la fille adoptive de Mia Farrow et André Prévin qui l'ont tous deux reniés (et réciproquement) après la révélation en 1992 de sa liaison avec Woody Allen alors le compagnon de Mia Farrow. La différence d'âge avec Woody Allen autant que leurs liens familiaux a créé le scandale, entretenu depuis par la guerre que se font les deux ex et leurs enfants autour d'accusations de maltraitance sur fond de climat incestueux.

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Patrick Dewaere, mon héros

Publié le par Rosalie210

Alexandre Moix (2022)

Patrick Dewaere, mon héros

Voilà un documentaire exceptionnel dont la portée va bien au-delà du sujet. 40 ans après le suicide de Patrick DEWAERE à l'âge de 35 ans, sa fille Lola DEWAERE a mené une enquête salutaire dans sa propre famille pour faire toute la lumière sur l'histoire de son père, pouvoir enfin mettre des mots sur la souffrance et le malaise que beaucoup de gens pouvaient ressentir quand ils le voyaient jouer ou plutôt mettre toute son âme dans ses rôles. Son besoin de vérité, sa pugnacité et sa franchise rendent justice à ce père qu'elle n'a pas eu le temps de connaître et à qui elle en a longtemps voulu de l'avoir abandonnée. En se délivrant du poids des secrets que sa grand-mère (la mère de Patrick DEWAERE) avait si bien cachés mais qu'elle a réussi à lui faire avouer, elle fait éclater pas mal d'hypocrisies. J'ai pensé à la phrase prononcée par l'actrice Corinne MASIERO "il y a deux mots que je déteste, c'est amour et famille" car comment ne pas les haïr quand ils ne sont que mensonges? On est ainsi saisi d'un profond malaise quand on voit dans des images d'archives la mère de Patrick DEWAERE afficher fièrement sa tribu d'apprentis-comédiens devant la caméra en proclamant combien elle aime ses enfants alors que les faits prouvent exactement le contraire, tout particulièrement en ce qui concerne Patrick DEWAERE a qui elle a menti sur ses origines, qu'elle a exploité (même après sa mort) et surtout livré en pâture à un beau-père pédophile (qu'elle a en plus fait passer pour son père). Une fois qu'on a digéré ces informations relatives à l'enfance et admis la réalité de la maltraitance au sein de familles que la norme sociale juge modèle (mais il y a de nombreux domaines dans lesquels il y a un gouffre entre le jugement social et la réalité), tout le reste devient limpide, à commencer par les interprétations si habitées mais aussi si torturées de Patrick DEWAERE, parfois à la limite du soutenable (comme dans "Série noire" (1979) ou "Un mauvais fils") (1980). Le documentaire revient sur ses 10 plus grands films et offre le témoignage d'acteurs et de réalisateurs l'ayant bien connu et fréquenté de façon saine (j'ai découvert à cette occasion des aspects méconnus de Francis HUSTER et de Jean-Jacques ANNAUD). Car l'histoire de Patrick DEWAERE jette aussi un trouble sur d'autres personnalités avec lesquelles il semble avoir rejoué une partie de son enfance: Gérard DEPARDIEU le pseudo-frère et redoutable concurrent, MIOU-MIOU, la mère de sa première fille qui l'a largué pour Julien CLERC -même si on se doute qu'il devait être impossible à vivre- et COLUCHE qui a dû porter avant sa mort prématurée à lui aussi le poids de l'avoir trahi et de lui avoir donné l'arme avec laquelle il a mis fin à ses jours.

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Les Saisons

Publié le par Rosalie210

Jacques Perrin et Jacques Cluzaud (2015)

Les Saisons

"Les Saisons" est le dernier documentaire animalier réalisé par le duo formé par Jacques PERRIN et Jacques CLUZAUD. Après les airs et les fonds marins, c'est la forêt (européenne) qui est au centre du film. Ne dérogeant pas aux principes qui ont guidé leurs précédents documentaires, "Les Saisons" se place du point de vue des animaux, l'homme n'occupant dans le film qu'une place très périphérique. Sa principale utilité est de permettre de mesurer le temps qui passe. En effet si la forêt (que l'on voit apparaître à la fin de l'ère glaciaire) semble obéir à des principes immuables (et cycliques, d'où le titre), l'évolution de l'homme joue le rôle d'élément perturbateur. Ainsi sur 1h30 de film, près d'une heure est consacrée au paléolithique, considérée comme la période la plus harmonieuse de cohabitation entre l'homme et la nature. Cela se gâte dès le néolithique avec les premiers défrichages puis avec la construction des routes qui segmentent le territoire des animaux*. Si Jacques PERRIN montre qu'une faune se développe dans paysages ruraux façonnés par l'homme, il passe très rapidement sur la période industrielle en dépit de quelques allusions aux dégâts écologiques de la première guerre mondiale ou aux ravages des pesticides sur les abeilles. Si l'on attend de la pédagogie ou bien des informations exhaustives, ce documentaire où les commentaires sont réduits au strict minimum (comme dans les autres films de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud) ne pourra pas combler les attentes. En revanche, il est tout comme eux d'une grande poésie grâce notamment à des images d'une qualité exceptionnelle. Et il nous rappelle l'urgence à protéger ce monde qui avec le réchauffement climatique risque de disparaître de plusieurs régions françaises.

* Il est d'ailleurs intéressant d'établir un parallèle avec le sort réservé aux femmes. Dans le livre de Titiou Lecoq "Les grandes oubliées", celle-ci aboutit à la même conclusion que Perrin et Cluzaud dans "Les Saisons" en se basant sur les travaux de l'archéologue et préhistorien Jean-Paul Demoule: le Paléolithique (ère des chasseurs-cueilleurs plus ou moins nomades vivant dans la forêt et se partageant ses richesses) se caractérisait par une certaine égalité des sexes (les femmes chassaient aussi contrairement aux idées reçues) alors qu'avec le Néolithique apparaît la séparation homme-nature (les forêts ont désormais une lisière c'est à dire une frontière, là où commencent les champs et les premières villes) mais aussi la hiérarchie sociale (liée à la sédentarisation et à l'appropriation des terres) avec une explosion des inégalités et de la violence ce qui entraîne la relégation des femmes à l'arrière-plan au profit du culte du chef viril et guerrier.

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Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (2021)

Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

"Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus" est un documentaire qui a été diffusé sur France 3 en septembre 2021 et qui se situe dans le prolongement de "Annette" (2019), le dernier film de Leos CARAX. Il a été réalisé par Sandrine VEYSSET qui avait rencontré Leos Carax sur le tournage de "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) alors qu'elle ne se destinait pas au cinéma. Il l'avait encouragée à transformer ses souvenirs d'enfance en un récit qui avait finalement abouti au remarquable "Y aura-t-il de la neige à Noël ?" (1996).

Comme son titre l'indique, le documentaire est consacré au travail des deux marionnettistes, Estelle Charlier et Romuald Collinet qui ont conçu et animé "Baby Annette" et ses nombreuses déclinaisons (selon l'âge et les émotions exprimées par son visage) à la demande de Leos Carax: « Annette ne pouvait pas être une vraie petite fille, ne pouvait pas être de la synthèse, ne pouvait pas être un robot. Alors que pouvait-elle être ? Un objet animé que je pourrais voir et filmer au milieu des acteurs et qu’eux pourraient toucher, enlacer. Un regard. Une marionnette. Ou une “mariannette”, comme on l’appelait. » Bien que très éloigné sur le fond de "Mary Poppins" (1964) ou de "Qui veut la peau de Roger Rabbit" (1988), "Annette" appartient en effet au monde des univers hybrides dans lesquels interagissent des acteurs de chair et d'os et des personnages animés. Une rencontre délicate. Outre un travail d'artisan et de technicien qui force le respect par sa minutie, sa patience, son amour du travail bien fait, on découvre l'ampleur des défis liés à l'intégration d'Annette dans un univers cinématographique, en particulier lorsqu'il est nécessaire qu'elle soit prise dans les bras: les teintes de peau doivent parfaitement correspondre. L'ingéniosité des marionnettistes pour lui donner vie est sans limite alors que eux-mêmes disparaissent dans des caches improbables et inconfortables dignes de R2D2 (l'intérieur d'une valise par exemple). Mais le résultat est digne d'un film qui est lui-même hors-normes: d'une grande poésie.

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Bruno Ganz, les révolutions d'un comédien

Publié le par Rosalie210

 Thomas ROSENBERG et André SCHÄFER (2021)

Bruno Ganz, les révolutions d'un comédien

Oui, Bruno GANZ, disparu en 2019 nous manque comme le dit dans le film l'un de ceux qui a travaillé avec lui. Bien que n'ayant jamais réussi à percer à Hollywood, l'acteur suisse était devenu au fil du temps une grande pointure du théâtre allemand et du cinéma européen. Et comme le dit un autre témoignage, en dépit de son caractère intellectuel et singulier, il avait réussi à conquérir le coeur des gens ordinaires, notamment sur tard avec des films comme "Pain, tulipes et comédie" (2001) où il mettait en avant son deuxième talent, la cuisine. D'ailleurs "Si loin, si proche!" (1993), la suite de "Les Ailes du désir" (1987) le montrait déjà une fois devenu humain en pizzaiolo patron d'un restaurant nommé "La Casa del angelo", une fibre culinaire certainement héritée de ses origines maternelles italiennes. De fait, sa tombe à Zurich est entourée de centaines de tulipes.

Mais en dépit de quelques moments forts comme celui que je viens d'évoquer ou encore le précieux témoignage de Wim WENDERS qui l'a dirigé à trois reprises et développe la naissance rock and roll de son amitié avec Dennis HOPPER au cours du tournage de "L Ami américain" (1977), j'ai été globalement déçue par ce film et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, en dépit de sa richesse documentaire, celui-ci est très lacunaire, en particulier en ce qui concerne sa carrière cinématographique. En fait de "cinéma européen", on ne le voit presque jouer que dans des films allemands et encore, Werner HERZOG et Volker SCHLÖNDORFF sont oubliés. Exit sa filmographie suisse (Alain TANNER), française (Éric ROHMER, Patricia MAZUY), anglaise (Sally POTTER), grecque (Theo ANGELOPOULOS) etc. De plus, parmi les intervenants, il y a une critique de théâtre particulièrement désagréable, Esther Slevogt qui "casse" ses deux films les plus connus, "Les Ailes du désir" (1987) qu'elle trouve kitsch et "La Chute" (2003) où elle réduit sa prestation en Hitler à celle d'un homme misérable et malade "comique sans le vouloir". Il y aurait eu beaucoup mieux à dire sur ceux deux films. D'ailleurs elle est plus inspirée lorsqu'elle parle de Bruno GANZ au théâtre et de la façon dont il a révolutionné le premier rôle puisque pour des raisons évidentes, il était devenu impossible d'incarner sur scène un héros allemand. Mais Bruno GANZ qui était de nationalité suisse, d'extrême-gauche comme son père et avait des origines juives du côté de sa mère savait mieux que personne faire résonner les mots qui dans sa bouche devenaient comme lui-même, doux et poétiques (quand je pense à la langue allemande, je pense à "Als das kind, kind war" et non à "raus/schnell" grâce à lui). Enfin, j'ai trouvé globalement l'évocation de Bruno Ganz trop froide, trop distanciée, désincarnée et ne parvenant pas à réellement dissiper le mystère de cet immense et fascinant acteur pour parvenir à entrer dans son intimité.

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Moonage Daydream

Publié le par Rosalie210

Brett Morgen (2022)

Moonage Daydream

Sacré expérience sensorielle que cette "Rêverie lunaire" qui m'a fait penser (et pas qu'un peu) au psychédélisme du voyage vers Jupiter vécu par Bowman dans "2001 : l odyssée de l espace" (1968). C'est logique car le premier tube de David BOWIE lui a été inspiré par le film de Stanley KUBRICK. De fait, "Moonage Daydream" commence très fort avec au terme d'une folle traversée de l'espace-temps (défilement d'images et de sons en accéléré) la chute d'un OVNI sur terre alias (plutôt qu'alien ^^) "Ziggy Stardust and the spiders from Mars" l'album de la consécration. A partir de là, on entre en immersion complète dans ce qui s'apparente à une reconstitution de l'univers mental de l'artiste (d'ailleurs la seule voix que l'on entendra dans le film est la sienne) avec une qualité de son et d'image assez impressionnante. Une reconstitution qui comme je le disais abolit les limites de l'espace et du temps même si le réalisateur trouve un bon compromis entre le chaos qui précède la création et un minimum de chronologie qui permet de ne pas complètement s'y perdre (même s'il vaut mieux connaître le parcours et l'oeuvre de David BOWIE pour pleinement apprécier ce travail kaléidoscopique rempli d'ellipses). Quoique se perdre dans ce dédale visuel et sonore a aussi son charme, personnellement ce que j'ai préféré, ce sont les rimes visuelles et sonores que j'ai trouvé d'une puissance poétique sans pareille en plus d'être riches de sens. J'en citerai trois: l'espace, le sol lunaire, la rotation des planètes, les images de SF tirées de BD ou de vieux films de série B formant une boucle qui correspond à l'oeuvre de l'artiste dont la légende commence avec "Space Oddity" et se termine avec "Blackstar" autour de la figure du major Tom; les nombreuses images liées de près ou de loin à l'expressionnisme allemand qui se rapportent autant à la période berlinoise de Bowie qu'à la thématique obsessionnelle du monstre ("Scary Monsters" pourrait d'ailleurs être Berlin, hanté par les fantômes du passé, couturé par la guerre, balafré par le mur); enfin la déambulation "zen" d'un Bowie peroxydé dans les années 80 en pleine retraite spirituelle dans un pays asiatique qui pourrait être la Thaïlande notamment le long d'escalators qui semblent former eux aussi une boucle mais en forme de 8, d'infini. Tout cela montre en définitive que Bowie était un marcheur, un explorateur, un défricheur de territoires mais qui finissait toujours par revenir sur ses pas ("ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre"). Evidemment, pour l'apprécier il faut adhérer au projet et en comprendre les limites. En insistant sur son isolement, son déracinement, sa recherche d'identité, son monde intérieur, bref en choisissant une vision quelque peu autiste de l'artiste, le réalisateur occulte presque totalement le monde extérieur et surtout les nombreuses collaborations sans lesquelles Bowie n'aurait pas atteint de tels sommets ni pu se renouveler autant.

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Belushi

Publié le par Rosalie210

R.J. Cutler (2020)

Belushi

Présenté au festival américain de Deauville début septembre, "Belushi" a été diffusé sur OCS le 18 septembre et est désormais disponible sur My Canal. Il s'agit d'une "biographie orale" de l'humoriste, acteur et musicien américain mort d'une overdose en 1982 à l'âge de 33 ans. Biographie orale car les nombreux intervenants qui témoignent sur sa vie n'apparaissent pas à l'écran. On n'entend que leurs voix-off qui se succèdent sur des images d'archives (photographies, coupures de presse, vidéos), les trous étant remplis par des séquences d'animation façon BD.

La notoriété mondiale de John BELUSHI (et son passage à la postérité) n'est due qu'à un seul film: "The Blues Brothers" (1980). "1941" (1979) a été en effet un échec commercial et son côté anarchiste et déjanté ne correspond pas à l'image que beaucoup se font de Steven SPIELBERG (qui pourtant apparaît brièvement dans "Les Blues Brothers"). En revanche "anarchiste et déjanté" correspond bien à la personnalité (privée et artistique) de John BELUSHI qui avant le film culte de John LANDIS avait étalé son humour trash et régressif (dont Jim CARREY est un héritier) durant quatre ans à la télévision américaine au sein du SNL (Saturday Night Live) avec une bande de potes devenus également des stars (le "brother" Dan AYKROYD, Harold RAMIS, Bill MURRAY, tous trois futurs "Ghostbusters") (1984). Parallèlement, il avait fondé un groupe de blues avec Dan AYKROYD et des musiciens, écumé les salles de concert de Los Angeles et sorti un album, prélude au film de John LANDIS. Sans parler d'une vie nocturne intense. John Belushi était donc un surdoué en de nombreux domaines mais aussi un écorché vif incapable d'encaisser les coups et un kamikaze sans limites qui s'est logiquement brûlé les ailes avec pour carburant une toxicomanie galopante et encouragée par l'époque, celle de la contre-culture. Autre camée célèbre, Carrie FISHER qui a été sa partenaire dans "Les Blues Brothers" explique avec bon sens que les cures de désintoxication ne pouvaient qu'échouer étant donné qu'elles ne s'attaquaient pas aux problèmes que la drogue servait justement à masquer. Souffrant (comme Carrie FISHER diagnostiquée à l'âge de 24 ans) vraisemblablement de troubles bipolaires (ses variations d'humeur étant de véritables montagnes russes avec "des hauts très intenses et des bas très sombres"), John Belushi était issu d'une famille albanaise immigrée qui ne s'était jamais intégrée et avec laquelle il n'était jamais parvenu à établir le contact. Par contraste, son besoin de relations fusionnelles aboutit à une solitude plus grande encore. Car c'est seul qu'il s'est éteint au Château-Marmont à Los Angeles pendant que sa femme avait pris le large pour sauver sa peau et que Dan AYKROYD n'est pas cette fois arrivé à temps avec le scénario de "Ghostbusters" (1984) pour le sortir de sa prison.

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