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Articles avec #documentaire tag

Jane Campion, la femme cinéma

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2022)

Jane Campion, la femme cinéma

Le documentaire consacré à Sidney Poitier commençait par "Il a été le premier". Celui consacré à Jane Campion aurait pu en faire de même. Car comme l'acteur américain, premier noir a avoir reçu l'Oscar du meilleur acteur, la réalisatrice néo-zélandaise fait figure de pionnière et d'exception. Son statut de première et seule femme (jusqu'en 2021) à avoir reçu la Palme d'Or à Cannes (et encore, elle conserve toujours l'exclusivité d'être la seule à avoir gagné deux Palmes, ayant décroché en 1986 celle du meilleur court-métrage pour "Peel, exercice de discipline") se double du fait qu'elle a été seulement la troisième femme à recevoir un Oscar pour l'une de ses réalisations: "The Power of the dog" en 2022 (après Kathryn Bigelow en 2010 et Chloe Zhao en 2021). Quelques années auparavant, elle avait lors de cette même cérémonie souligné de manière frappante la disparité entre réalisatrices et réalisateurs dans les nominations (5 contre plus de 300) et les victoires (1 contre 70). Depuis on est passé à 7 et 3, les deux dernières nominées ayant gagné mais le chemin est encore très long avant qu'on puisse parler d'équité.
 

Le film d'ailleurs évoque quelques unes des raisons qui expliquent la rareté des femmes réalisatrices. Un monde dans lequel les hommes se cooptent entre eux et où les équipes de techniciens, elles aussi majoritairement masculines ne tolèrent pas d'être dirigées par une femme. Jane Campion a subi à ses débuts quand elle n'était pas encore reconnue internationalement et manquait d'assurance des humiliations et des tentatives de déstabilisation de la part de certains d'entre eux qui cherchaient à lui imposer leur "mansplaining" c'est à dire lui apprendre à faire son métier alors que la suite a montré qui était la patronne ^^.

Mais le documentaire de Julie Bertuccelli (qui est fascinée par les femmes artistes exceptionnelles) s'intéresse surtout à la filmographie de Jane Campion que l'on voit en tournage ou en entretien à toutes les étapes de sa carrière. Ayant réalisé peu de films en 35 ans (huit longs métrages pour le cinéma, une poignée de courts-métrages, un téléfilm et deux mini-séries dont les deux saisons de son remarquable "Top of the Lake"), il est possible de s'attarder longuement sur eux et de mettre en évidence leurs points communs. Des portraits de femme fortes et marginales, des hommes qui échappent aux canons de la virilité dominante, une connexion particulièrement forte entre les êtres humains et une nature grandiose, une sensualité et un lyrisme puissant, une attention aux détails signifiants et aux plans d'ensemble qui le sont tout autant, une oscillation entre l'épure et le maniérisme sont quelques uns des traits les plus saillants de son oeuvre. La création et la folie sont également des thèmes structurants, notamment dans ses deux plus beaux films, "Un Ange à ma table" et "La leçon de Piano" qualifié de "Hauts de Hurlevents" néo-zélandais.

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Billy Wilder, la Perfection Hollywoodienne

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2016)

Billy Wilder, la Perfection Hollywoodienne

Quatrième documentaire des soeurs Clara KUPERBERG et Julia KUPERBERG que je découvre (après ceux consacrés à Anthony HOPKINS, Ida LUPINO et Jack LEMMON), c'est aussi celui qui m'a le moins convaincu. La raison en est simple: contrairement aux autres, elles ne sont pas parvenue à capturer l'essence de l'immense réalisateur qu'était Billy WILDER. La faute d'abord à un déséquilibre patent dans la construction du documentaire. Les soeurs ont choisi de privilégier la première partie de sa carrière hollywoodienne à la Paramount (jusqu'à "Sabrina") (1954) au détriment de la deuxième, à son propre compte et beaucoup plus personnelle (elle correspond à sa collaboration avec I.A.L. DIAMOND et Jack LEMMON). Elles ne consacrent donc que quelques minutes aux chefs-d'oeuvre que sont "Ariane" (1957), "Certains l aiment chaud" (1959) et la "La Garçonnière" (1960). Quant aux pépites méconnues de la fin de sa carrière (elles aussi intimistes), elles sont passées sous silence sauf "Fedora" (1978) en raison de ses liens avec "Boulevard du crépuscule" (1949). Ce n'est d'ailleurs pas la seule lacune dans l'évocation de sa filmographie puisque "Uniformes et jupon court" (1942) est présenté comme son premier film alors que c'est inexact: il s'agit de son premier film hollywoodien mais il avait réalisé lors de son passage en France après avoir fui le nazisme un premier film en 1934, "Mauvaise graine" (1934) avec Danielle DARRIEUX. Visiblement, ce qui a le plus intéressé les soeurs Kuperberg, c'est la relation que Billy Wilder entretenait avec le cinéma hollywoodien, la façon dont il s'est approprié le film noir, a contourné le code Hays ou a montré l'envers de l'usine à rêves. Pour un portrait plus approfondi de l'homme et de l'artiste, mieux vaut se plonger dans le "Billy Wilder et moi" de Jonathan Coe.

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Jack Lemmon - Une vie de cinéma

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2021)

Les soeurs Kuperberg ont réalisé depuis une quinzaine d'années de nombreux documentaires pour Arte ou pour OCS, scrutant l'envers du décor hollywoodien, recherchant la vérité derrière la légende ou bien éclairant ses angles morts. Leur travail sur Jack LEMMON, un de mes acteurs préférés, "muse" d'un de mes réalisateurs préférés, Billy WILDER (à qui elles ont également consacré un documentaire) est remarquable par sa clarté et sa pertinence. Elles montrent en premier lieu que dès son premier film "Une femme qui s'affiche" (1953), cet acteur venu du théâtre et de la télévision s'est inscrit en rupture avec l'image véhiculée jusque là par les acteurs hollywoodiens, façonnés pour être des stars inaccessibles. Jack LEMMON avec ses allures de "monsieur tout le monde" auquel n'importe quel quidam pouvait s'identifier pensait d'ailleurs à l'origine que le cinéma n'était pas pour lui. Mais s'il n'avait été que cela, il ne serait certainement pas sorti du lot. C'est Billy WILDER qui a "inventé" en quelque sorte Jack LEMMON au cinéma (pour qui il a tourné sept films). Dès "Uniformes et jupon court" (1942), Billy WILDER avait compris que pour contourner la censure du code Hays, il fallait jouer les illusionnistes en camouflant le sous-texte scabreux de ses films à l'aide d'un personnage principal candide: Ginger ROGERS jouant une petite fille de 12 ans, Audrey HEPBURN et ses couettes dans "Ariane" (1957) et bien sûr Jack LEMMON et sa bouille si attachante. La puissance d'incarnation de ce dernier et son talent tragi-comique donne vie à des personnages a priori sulfureux mais qui "passent crème" auprès du spectateur. C'est ainsi que l'air de ne pas y toucher, le voilà parti pour incarner à dix reprises (dont trois sous la houlette de Billy WILDER) le binôme "féminin" du "Drôle de couple" (1968) qu'il forme à l'écran avec Walter MATTHAU, contribuant à façonner le genre du Buddy movie (et toutes les ambiguïtés qui vont avec). Mais le rôle qui l'a fait entrer dans la légende du cinéma va encore plus loin puisqu'avec "Certains l'aiment chaud" (1959), Jack Lemmon compose un personnage travesti qui se métamorphose de façon irréversible (ce n'est pas par hasard que son personnage s'appelle Daphné) et forme avec Osgood ce que beaucoup considèrent comme étant le premier couple homosexuel du cinéma "grand public". D'ailleurs Tony CURTIS avait lancé une vanne particulièrement percutante au sujet de son binôme "« De toutes mes partenaires féminines, la seule avec qui je n'ai pas couché, c'est Jack Lemmon.» Tout au long de ses quarante ans de carrière, il aura ainsi incarné des personnages subversifs voire sombres sous une apparence lisse. Pour Wilder encore, il incarne des personnages de déviants compromis dans la prostitution avant d'évoluer vers la fin de sa carrière vers des rôles politiquement engagés et progressistes.

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"Retour vers le futur": voyage dans le temps, american dream and rock'n'roll

Publié le par Rosalie210

Nathalie Amsellem (2021)

"Retour vers le futur": voyage dans le temps, american dream and rock'n'roll

Le documentaire de Nathalie AMSELLEM lève un coin du voile sur un des trésors les mieux gardés du cinéma. La trilogie "Retour vers le futur" est semblable à "La lettre volée" de Edgar Allan Poe. Tout le monde croit la connaître tant elle elle fait partie du paysage de la pop-culture depuis presque quatre décennies maintenant mais personne n'y prête réellement attention parce sa valeur inestimable est maquillée sous l'étiquette d'un simple divertissement. Le documentaire de Nathalie AMSELLEM met en évidence le fait que cette oeuvre a un double fond.
Pour commencer, elle est difficile à classer en raison de son caractère hybride de comédie de science-fiction mais aussi parce que trop ingénue (pour la majeure partie des studios) et trop sulfureuse à la fois (pour Disney, choqué par le sous-texte incestueux). Ce scénario dérangeant (et oui, qui l'aurait cru?) a donc été refusé plus de quarante fois avant que Steven SPIELBERG qui avait mis le pied à l'étrier des deux Bob (Robert ZEMECKIS le réalisateur et Bob GALE le scénariste) en leur faisant scénariser son film "1941" (1979) n'accepte de produire le premier volet sous l'égide de Universal Studio avec le succès que l'on sait.
Dans un deuxième temps, le documentaire montre comment le film s'inscrit dans une filiation remontant à H.G Wells, en modernisant "La Machine à explorer le temps" (1960) dont il reprend les couleurs du tableau de bord (rouge, vert, jaune) et "C était demain" (1979) où Mary STEENBURGEN joue déjà le rôle de la petite amie du voyageur temporel qui n'est autre que H.G Wells. Plus généralement, le documentaire démontre que la saga est aussi un voyage dans l'histoire des séries et du cinéma américain, de "Happy Days" (1974) à "Taxi Driver" (1976), "L Inspecteur Harry" (1971) et "Star Wars" en passant par Sergio LEONE l'italien qui a révolutionné le genre typiquement américain du western en premier lieu et imposé Clint EASTWOOD à qui Marty s'identifie dans le troisième volet.
Enfin, le documentaire souligne l'aspect politique de la saga et son caractère visionnaire en ce domaine, de l'accession au pouvoir d'un afro-américain dans les années 80 qui n'est que balayeur dans une Amérique des années 50 marquée par la ségrégation raciale à un présent alternatif dystopique dans lequel les deux Bob ont imaginé que le milliardaire Donald Trump (sous les traits de Biff Tannen) prenait le pouvoir. De façon assez subtile, la saga s'avère être une critique de l'american way of life dont elle démontre les nombreux mirages que ce soit sur le statut des femmes (dont Lorraine, la mère frustrée et alcoolique de Marty est l'illustration parfaite) ou celui des artistes (la musique rock and roll de Marty choque l'Amérique puritaine -comme on peut le voir aussi dans un film comme "ELVIS (2020)- alors que l'espace vital du farfelu Doc Brown se réduit comme peau de chagrin, passant d'un manoir dans les années 50 à un garage dans les années 80 avant que ce dernier ne finisse à l'asile ou six pieds sous terre dans les versions alternatives). J'ajoute personnellement que la saga traite aussi d'un thème peu abordé au cinéma (et à peine effleuré dans le documentaire), celui de l'étalement urbain avec ses belles promesses publicitaires de lotissements pour classes moyennes qui 30 ans plus tard se dégradent ou se ghettoïsent tandis que les commerces de proximité désertent les centre-ville au profit des centres commerciaux de périphérie (le "two Pines Mall" sur le parking duquel Marty fait son premier voyage dans le temps est une ancienne ferme tout comme la maison de sa famille fait partie du lotissement pavillonnaire "Lyon Estates" construit au milieu des champs).

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Sidney Poitier, le révolutionnaire d'Hollywood (Sidney Poitier - Der Mann, der Hollywood veränderte)

Publié le par Rosalie210

Katja RUNGE, Henning VAN LIL (2022)

Sidney Poitier, le révolutionnaire d'Hollywood (Sidney Poitier - Der Mann, der Hollywood veränderte)

"Il a été le premier". C'est par cette accroche que débute le documentaire consacré à Sidney POITIER. Un bien lourd fardeau, celui d'avoir été la première star hollywoodienne afro-américaine et ce en pleine période du mouvement pour les droits civiques. Premier à avoir joué dans des rôles majeurs au sein de films mainstream et premier aussi à avoir reçu l'oscar du meilleur acteur en 1964 pour "Le Lys des champs" (1963), Sidney POITIER ne pouvait pas seulement être un acteur. Son statut de pionnier de l'intégration raciale à Hollywood en faisait un symbole politique et le plaçait dans une position identitaire particulièrement inconfortable et ce, des deux côtés de la barrière. Ainsi, à l'apogée de sa carrière en 1967 avec trois films importants dont "Dans la chaleur de la nuit" (1967) où il frappait un blanc sudiste raciste et "Devine qui vient dîner ?" (1967) où il embrassait une blanche alors qu'au début du tournage, 17 Etats interdisaient encore les unions interraciales dans un pays à la mentalité WASP obsédé par la pureté du sang, il se retrouva accusé dans un article intitulé "Mais pourquoi l'Amérique blanche aime-t-elle tant Sidney Poitier?" d'être "L'Oncle Tom" des blancs, une insulte désignant les noirs serviles et soumis (dont le personnage joué par Samuel L. JACKSON dans "Django Unchained" (2012) est l'archétype). Sa réplique fut mémorable: "Je suis un artiste, un homme, un américain, un contemporain. Je suis la somme de tout cela et je souhaiterais que vous me respectiez comme tel". Le documentaire souligne en effet que l'engagement de l'acteur dans le combat pour les droits civiques ne s'arrêtait pas à l'écran et qu'il fut bien évidemment victime de racisme (et même de mais ce n'était pas ce qu'il souhaitait mettre en avant. Comme Jean-Pierre BACRI avec les origines pied-noir, il refusait de se laisser enfermer dans "la négritude de sa vie" alors que comme tous les êtres humains, son identité était multiple. Ce qu'on retient de lui avant tout, c'est sa classe, son élégance, sa dignité, sa hauteur de vue. Agé et enfin reconnu à sa juste valeur (notamment par Barak Obama), son aura ressemble à celle de Nelson Mandela. Et il y a dans le documentaire comme un petit parfum de revanche lorsque plusieurs intervenants ironisent sur le caractère trop parfait du personnage qu'il interprète dans "Devine qui vient dîner ?" (1967) (film par lequel je l'ai découvert). L'aspect trop lisse et courtois de ses personnages lui a été souvent reproché dans les années 1960 mais en 2022, l'évidence, c'est que dans la réalité, un épidémiologiste célèbre travaillant à l'OMS ne s'intéresserait pas à une petite dinde de vingt ans, il aurait toutes les femmes à ses pieds.

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Bacri, comme un air de famille

Publié le par Rosalie210

Erwan le Gac, Stéphane Benhamou (2022)

Bacri, comme un air de famille

Pour le deuxième anniversaire de sa disparition, France 5 rend hommage à Jean-Pierre BACRI en proposant après la diffusion de "Les Sentiments" (2003) dans lequel il joue un rôle inhabituel le documentaire de Erwan LE GAC et Stéphane BENHAMOU qui retrace sa vie et sa carrière. Narré par Gilles LELLOUCHE, le film est assez classique sur la forme, faisant intervenir des amis et des collaborateurs entre deux scènes d'archives (mais pas tous. Agnès JAOUI brille ainsi par son absence). Sans prétendre éclairer toutes les facettes de sa personnalité, le film parvient tout de même par moments à sortir de l'anecdotique ou des platitudes. Il y a déjà tous les passages où à l'occasion de remises de prix ou d'émissions radio ou tv, Jean-Pierre BACRI a marqué les esprits avec son intelligence et son franc-parler. On peut ainsi rapprocher deux moments où il manie l'ironie pour dénoncer l'hypocrisie bien-pensante sur l'écologie (se payant la tête de Hulot au passage), l'autre dans lequel il feint de n'avoir aucune revendication à porter sur la place publique, preuve selon laquelle il est bien entré dans le système. Tant sur la forme que sur le fond, on reconnaît le Bacri observateur critique de son milieu et de son époque et ne s'épargnant pas lui-même. Ensuite il y a son rapport à ses origines dans lesquelles il a refusé de se laisser enfermer. Avant sa rencontre avec Agnès JAOUI qui l'a hissé au rang de co-auteur de pièces de théâtre et de scénarios de films, Jean-Pierre BACRI était l'acteur pied-noir de service, ce type de rôle culminant dans "Le Grand pardon" (1981) qui lui a permis de connaître une certaine notoriété. Mais contrairement à Roger HANIN avec lequel il a fini par se brouiller, Jean-Pierre Bacri détestait le communautarisme sous toutes ses formes. Il y a beaucoup de lui dans Castella, le chef d'entreprise autodidacte de "Le Goût des autres" (1999) (un des rôles dans lesquels je le préfère) qui s'ouvre à l'art, à la culture et aux autres en bravant courageusement le mépris et les humiliations des chapelles d'intellos snobinards. Et côté coulisses, c'est à lui et à Agnès JAOUI que l'on doit d'avoir enfin vu au cinéma dans un rôle important Anne ALVARO, cette formidable actrice qui était jusque-là cantonnée dans le milieu du théâtre (comme Jean-Pierre BOUVIER qui lui a mis le pied à l'étrier et que j'ai eu plaisir à revoir*). Le théâtre qui est aussi la matrice de la rencontre fructueuse avec Alain RESNAIS dont pourtant il n'avait rien compris dans sa jeunesse à "Hiroshima mon amour" (1958). Cet universalisme, on le retrouve jusque dans "Le Sens de la fête" (2016) où il dirige une brigade de carpes et de lapins qu'il cherche à fédérer, tel le double du duo de réalisateurs Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE qui réunissent dans un même film des acteurs jouant dans des univers très éloignés.

* Au cinéma, en dehors de Roger HANIN, son autre "parrain" a été Lino VENTURA.

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Gentlemen & Miss Lupino

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2021)

Gentlemen & Miss Lupino

Deuxième documentaire des soeurs Kuperberg que je découvre après "Hannibal Hopkins et Sir Anthony" (2020), "Gentlemen & Miss Lupino" s'avère tout aussi passionnant. Le titre fait référence aux assemblées générales de la Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs de cinéma qui commençaient par la formule "Gentlemen and Miss Lupino" parce que sur les 1300 membres de l'organisation, elle était la seule femme. La raison de cette exception à la règle est très bien expliquée au début du documentaire. Lorsque le cinéma hollywoodien est devenu une industrie puissante au début des années 20 en se structurant au sein des grands studios les femmes qui étaient jusque-là nombreuses dans tous les types de poste ont été exclues de la production et de la réalisation des films, c'est à dire des postes de pouvoir. Le syndicat qui représentait les intérêts de l'industrie hollywoodienne a beaucoup fait pour en faire un club exclusivement masculin. Si Ida LUPINO a pu intégrer l'organisation en 1950, c'est en raison du succès de ses premiers films, réalisés de façon indépendante grâce à la fondation de son propre studio avec son mari de l'époque, Collier YOUNG. A l'origine, Ida Lupino ne souhaitait être que scénariste et productrice mais la défaillance cardiaque de Elmer CLIFTON sur le tournage de "Avant de t aimer" (1949) lui fit sauter le pas de la réalisation. En tant qu'actrice, elle était déjà une rebelle qui se faisait régulièrement suspendre parce qu'elle refusait de se plier aux diktat des studios. Le documentaire analyse ensuite ses films, en rupture avec le classicisme hollywoodien et qui par bien des aspects annoncent la nouvelle vague du cinéma français et indépendant US (la parenté avec John CASSAVETES m'a frappé, particulièrement dans "Le Voyage de la peur") (1953). Les thèmes traités, tabous pour l'époque sont également un défi posé à une Amérique alors au sommet de son modèle social conservateur dans lequel la femme ne peut exister que dans le rôle d'épouse et de mère au foyer. Le viol, la maladie, la grossesse non désirée, l'adultère viennent bousculer le conformisme ambiant. Enfin, le documentaire explique les raisons pour lesquelles Ida Lupino n'a réalisé que sept longs-métrages de cinéma, sa société ayant fait faillite prématurément suite à de mauvais choix de ses associés. Si elle a pu se reconvertir avec succès dans la réalisation d'épisodes de séries pour la télévision, son identité s'y est retrouvée noyée dans la masse et son travail pour le cinéma est sombré dans l'oubli, la réalisatrice n'ayant pas en dépit de son succès suscité d'intérêt auprès des médias et des spécialistes. Dernier point à souligner, outre les intervenants extérieurs qui apportent des éclairages sur ses films et son parcours, le documentaire est parsemé d'extraits de l'autobiographie (non traduite) de Ida Lupino, "Beyond the Camera" dans laquelle elle explique que pour se faire respecter du milieu masculin dans lequel elle travaillait, elle endossait le rôle de "Mother of all of us" (Notre mère à tous) qui était écrit en lieu et place de son nom sur son fauteuil de réalisatrice. Et elle pratiquait l'art de la suggestion plutôt que celui de l'injonction.

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Al Pacino: Le Bronx et la Fureur

Publié le par Rosalie210

Jean-Baptiste Pérétié (2021)

Al Pacino: Le Bronx et la Fureur

"Al Pacino: Le Bronx et la fureur" laisse entendre rien que par le choix de son titre qu'il ne s'agit pas de bêtement compiler des archives mais qu'il y a un projet derrière. Mieux, une vision. Et c'est ce qu'il faut pour un acteur de cette trempe. Se concentrant sur les années fondatrices de sa carrière et lui donnant au maximum la parole au travers d'archives audio, le film met en évidence le lien organique qui relie l'acteur à sa ville et à une époque révolue, le New-York des années 70 ainsi que son lien très fort avec le Nouvel Hollywood qu'il contribua à façonner. C'est également un film habité par la passion de Al Pacino pour le théâtre, shakespearien en particulier et sa fidélité à des acteurs formant autour de lui une seconde famille (Marlon BRANDO son mentor formé comme lui à l'Actors studio et qui joue son père dans "Le Parrain" (1972), John CAZALE qu'il considérait comme son grand frère et qui l'était également dans ce même film ou encore Lee STRASBERG qui était alors directeur de l'Actors Studio et qui est le premier à prononcer son nom correctement, ce qui n'est pas un détail). Une flamme qui l'habite encore comme au premier jour comme le montre la conclusion du film, qui lui a permis de traverser cinquante ans de cinéma sans s'étioler et l'a régulièrement aidé à se ressourcer, à ne pas se faire "asphyxier" par un succès avec lequel on le devine, il n'a jamais été à l'aise, l'homme étant de nature réservée "le succès était fuyant, c'était étrange, cela me faisait peur. Ce qui me satisfaisait, c'était de jouer, c'est ce qui comptait. C'était vital, c'est ce qui me faisait tenir". L'homme est humble aussi. Lorsqu'il reçoit un Oscar après sept nominations pour un rôle dans un film pourtant mineur ("Le Temps d un week-end") (1993)", il évoque avec une émotion extrême ses origines modestes dans le sud du Bronx et le fait d'avoir donné de l'espoir à des jeunes issus du même milieu. De fait, Al PACINO a été le pionnier d'une lignée d'acteurs italo-américains issus des bas-fonds qui a vu la lumière grâce à la génération de réalisateurs contestataires du Nouvel Hollywood (qui voulait imposer des acteurs "non-aryens" à la culture WASP* dominante) et dont la légitimité à interpréter Shakespeare a sans cesse au début de sa carrière été interrogée en raison notamment de son accent**. Ce qui s'avère être d'une bêtise abyssale. Car où Shakespeare a-t-il puisé son inspiration sinon dans la tragédie antique c'est-à-dire en Grèce et en Italie, le berceau de la civilisation européenne mais aussi américaine. D'une certaine façon, Al Pacino qui incarne ce feu sacré ne fait que rappeler cette évidence.

* White anglo-saxon protestant.
** Cela m'a fait penser à Michael CAINE lui aussi issu d'un milieu populaire marqué par son accent cockney et qui affronte l'acteur shakespearien Laurence OLIVIER dans un duel cruel et feutré aux allures de lutte des classes dans "Le Limier" (1972) de Joseph L. MANKIEWICZ.

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Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2020)

Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Le début des années 90 correspond au moment où j'ai commencé à fréquenter les cinémas art et essai. C'est justement à ce moment-là que Anthony Hopkins est devenu célèbre pour son interprétation de Hannibal Lecter dans "Le Silence des Agneaux". Mais je suis bien d'accord avec lui, ce n'est pas sa plus grande interprétation. Sa plus grande interprétation, celle qui en dit le plus sur lui est celle du majordome Stevens dans "Les Vestiges du jour" sorti en 1993. La même année sortait "Les Ombres du coeur" de Richard Attenborough (qui avait déjà fait tourner Anthony Hopkins à la fin des années 70 dans "Magic") et dans lequel son personnage était un prolongement de celui du majordome Stevens. J'ai dû aller voir ce film au moins trois fois au cinéma et c'est aussi à cette époque que j'ai acheté un grand poster de l'affiche anglaise de "Les Vestiges du jour" tout en me plongeant dans le roman de Kazuo Ishiguro. A cette époque, le cinéma représentait pour moi ce qu'il représentait pour Woody Allen dans ses films des années 80: un refuge dans lequel Cecilia venait sécher ses larmes et oublier sa triste vie dans "La rose pourpre du Caire" et Mickey retrouver goût à la vie devant "La Soupe aux Canards" après avoir frôlé le suicide dans "Hannah et ses soeurs". J'avais instinctivement reconnu en Anthony Hopkins des problématiques qui étaient aussi les miennes et qui sont sans cesse évoquées dans le portrait que Arte diffuse jusqu'en janvier 2023: la sensation d'être coupé du monde et des autres, de venir d'une autre planète et d'être incapable de communiquer avec son environnement d'origine ("je ne comprenais rien à ce qu'on disait"), la solitude, les difficultés d'apprentissage et le harcèlement scolaire, le manque de confiance en soi, la nécessité de l'exil face à l'incapacité de s'intégrer ("Je ne supportais plus le théâtre anglais, je ne m'y sentais pas à ma place (...) quand je suis arrivé en Californie c'était comme être sur une autre planète. Les gens semblaient appartenir à une espèce différente (...) Comment peux-tu vivre ici? C'est comme vivre sur la lune. J'ai dit que c'est très bien, je me plaît ici."), un déracinement géographique mais aussi social, Anthony Hopkins étant un transfuge de classe (son père était boulanger, lui a été anobli). Les difficultés sociales et relationnelles d'Anthony Hopkins qui l'ont poursuivi toute sa vie sont bien résumées par Jodie Foster qui raconte qu'elle le fuyait parce qu'il lui faisait peur avant d'apprendre à la fin du tournage de "Le Silence des Agneaux" que lui aussi avait peur d'elle. Dommage que le film qui date de 2020 soit déjà daté. Il ne peut évoquer le rebond actuel de sa carrière à plus de 80 ans (nouvel Oscar pour "The Father", rôle dans le dernier James Gray) et fait l'impasse aussi sur le fait qu'il a été diagnostiqué comme étant atteint de troubles autistiques à plus de 70 ans ce qui rend évident l'ensemble des manifestations de son mal-être en société ("je ne suis pas grégaire du tout, j'ai très peu d'amis, j'aime beaucoup la solitude, je préfère ma propre compagnie") et de sa difficulté à en déchiffrer les codes ("Je suis naïf et facilement dupé, c'est ma principale faiblesse").

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Nuremberg, des images pour l'histoire

Publié le par Rosalie210

Jean-Christophe Klotz (2019)

Nuremberg, des images pour l'histoire

On croyait tout savoir sur le procès militaire international de Nuremberg intenté par les alliés vainqueurs de la guerre qui durant près d'un an, de novembre 1945 à octobre 1946 jugea 24 hauts dignitaires nazis de crimes contre la paix, crimes de guerre et, nouveau chef d'accusation, crime contre l'humanité. On sait aussi qu'il s'agit du premier procès dont les audiences ont été filmées (par les américains et par les soviétiques), ouvrant la voie à bien d'autres, d'Eichmann à Barbie et que les images y ont joué un rôle fondamental en tant que preuves des crimes commis, aux côtés des autres types d'archives.

Ce que l'on sait moins en revanche, c'est comment ces preuves audiovisuelles ont été réunies. Le procureur Jackson qui considérait le document d'archive comme central chargea de cette mission deux jeunes soldats, Budd et Stuart Schulberg qui travaillaient sous l'égide de John FORD au sein de l'OSS (Office of Strategic Services). Le film de Jean-Christophe KLOTZ retrace leur enquête de plusieurs mois au coeur de l'Europe dévastée pour retrouver à temps un maximum de documents afin de pouvoir les diffuser lors du procès. Ce qui compliquait leur tâche était d'une part le fait que les défenseurs des accusés avaient réussi à faire invalider nombre d'archives audiovisuelles d'origine américaine, de l'autre, le fait que les nazis et leurs complices encore en liberté s'acharnaient à détruire celles qui étaient d'origine allemande. A plusieurs reprises, les deux frères arrivèrent trop tard pour sauver les bobines qui se consumaient par milliers quand ce n'était pas le bâtiment qui les abritait qui flambait. Heureusement, à la suite d'un concours de circonstances improbable dans lequel on découvre que John FORD était également vénéré par des soviétiques, les deux hommes mettent la main sur un trésor conservé dans la zone allemande occupée par l'URSS à une époque où celle-ci était encore alliée aux occidentaux et effectuent alors avec leur équipe un long travail de montage pour les diffuser au procès.

Le film met en évidence de manière saisissante l'impact que ces images eurent sur les accusés qui jusque là se retranchaient dans le déni. Le procureur Jackson fit d'ailleurs avancer la date de leur diffusion et on sait que le tribunal fut aménagé spécialement pour permettre à l'écran d'y prendre une place de choix. Jean-Christophe KLOTZ montre le changement radical du visage des accusés après avoir été obligés de regarder en face l'étendue de leurs propres crimes. L'un des moments les plus évidents est celui où Rudolf Hess qui feignait l'amnésie fit une déclaration dans laquelle il reconnaissait endosser la responsabilité de ses actes.

A plus long terme, le travail des frères Schulberg a forgé la mémoire collective de ces événements. Même s'ils n'ont pu tourner que 35 heures de rushes sur plus de 10 mois de procès, ils ont pu enregistrer en audio l'intégralité des débats. Stuart Schulberg en a fait un film en 1948, "Nuremberg, it's Lesson for Today" qui ne sortit aux USA qu'en 2010 grâce au travail de restauration de sa fille car avec l'éclatement de la guerre froide, les priorités avaient changé et le film fut enterré.

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