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Articles avec #documentaire tag

Azar

Publié le par Rosalie210

Malik Bourkache Daoud (2024)

Azar

Depuis janvier 2024, "Azar" (mot berbère qui signifie racines) est projeté en avant-première dans plusieurs villes de France et d'Algérie (Paris, Toulouse, Nice, Marseille, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Oran, Bejaia ...) Il s'agit du premier long-métrage documentaire de Malik Bourkache qui a voulu rendre hommage à sa culture d'origine. Le film est centré sur trois femmes kabyles d'environ 60-70 ans, en tenue traditionnelle qui maîtrisent l'une des activités séculaires de la région. La première est agricultrice, la seconde tisserande et la troisième, potière. On les suit dans leur quotidien, marqué également par la confection de plats locaux (galette de semoule accompagnée d'une purée de piments et de tomates par exemple) à l'aide de techniques artisanales rudimentaires qui n'ont guère changé au cours du temps, hormis le réchaud à gaz et quelques appareils modernes à la présence discrète. La robustesse de ces femmes qui en dépit de leur âge s'activent du matin au soir dans des conditions spartiates (elles travaillent et discutent assises par terre, grimpent aux arbres, marchent souvent pieds nus) est mis sur le compte d'un mode de vie jugé sain mais est aussi lié à un passé de misère où il fallait survivre. Le réalisateur filme ces femmes dans un but de transmission de cet héritage en train de disparaître avec l'acculturation des jeunes générations. En creux, il dresse aussi un constat paradoxal du statut des femmes kabyles. On ne voit qu'elles, les hommes sont absents mais en même temps, tout repose sur elles ou presque et si cette vie frugale proche de la terre a des côtés enviables en terme de santé et de sérénité, on ne perd pas de vue qu'elle a été imposée par une nécessité révolue (et on ne voit pas toute la rudesse du milieu montagnard, les chaleurs torrides en été, le froid glacial en hiver). On remarque également que le réalisateur filme ces femmes au présent, sans leur poser de questions indiscrètes ce qui est une marque du respect qu'il leur porte et n'accompagne le documentaire d'aucune fioriture (pas de musique, pas de voix-off etc.).

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Varda par Agnès

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2019)

Varda par Agnès

Durant toute sa vie d'artiste, Agnes VARDA s'est livré au jeu de l'autoportrait sous diverses formes (mosaïque, peinture, photographie, cinéma etc.) En vieillissant, son travail s'est enrichi d'une dimension autobiographique dont l'aboutissement est "Les Plages d'Agnes" (2007). Cette oeuvre est aussi une somme artistique, mêlant les trois passions de Agnes VARDA: la photographie, le cinéma et les arts visuels avec de nombreux aperçus de son travail. Durant la décennie qui a suivi et surtout dans les dernières années de sa vie, Agnes VARDA a multiplié les documentaires sur son oeuvre, comme dans "Les 3 vies d'Agnes" (2012) ou "A Visual History with Agnes Varda" (2017). "Varda par Agnès", son ultime film ne fait pas exception à la règle. Se composant de deux parties chronologiques, "Causerie 1" (1954-1994) et "Causerie 2" (1994-2019), il se présente sous la forme d'extraits de conférences données par la réalisatrice dans lequel elle narre à la manière d'une conteuse aguerrie l'histoire de son parcours. Bien que le canevas soit chronologique, son oeuvre n'est pas présentée dans l'ordre mais selon le principe de l'association d'idées. Par exemple, dans la première causerie, elle relie "L'Opera-Mouffe" (1958) à "Documenteur" (1981) par Georges DELERUE qui a composé la musique des deux films et aussi par le fait qu'il s'agit d'oeuvres très personnelles voire introspective pour le deuxième. Dans la deuxième causerie qui est plus axée sur son oeuvre de photographe et d'artiste visuelle, le film "Les Glaneurs et la glaneuse" (2000) dont elle souligne le lien avec l'avènement technologique des caméras numériques permettant d'approcher les populations précaires l'amène par exemple à parler de son installation "Patatutopia". Avec le mantra "inspiration, création, partage" qui a guidé son travail, Agnes VARDA met en évidence quelques uns des procédés de sa "cinécriture" (c'est à dire de son style): le mélange entre fiction et documentaire, entre les différentes formes d'art (elle met en évidence par exemple le fait que plusieurs de ses installations ont une source d'inspiration picturale avec des panneaux comme le triptyque repliable de Noirmoutier jouant sur le champ et le hors-champ et le polyptyque de "Quelques veuves de Noirmoutier") (2006) et plus généralement le goût de l'hybridité, du collage et du recyclage comme le passage où elle raconte comment elle a redonné vie aux vieilles bobines du "Le Bonheur" (1965) en transformant les boîtes et la pellicule en installation. L'ultime cadeau d'une artiste soucieuse de son héritage.

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Sois belle et tais-toi

Publié le par Rosalie210

Delphine Seyrig (1981)

Sois belle et tais-toi

C'est en assistant à une conférence au Forum des images par un spécialiste de Delphine SEYRIG, Alexandre Moussa qui lui a consacré une thèse en 2021, "Je ne suis pas une apparition, je suis une femme" que j'ai découvert son activité de réalisatrice, la plupart du temps au sein de collectifs tels que le bien nommé "Insoumuses". C'est au sein de ce collectif féministe fondé en 1974 que Delphine SEYRIG s'est formée au maniement de la caméra vidéo sous l'égide de Carole Roussopoulos, première femme a s'être saisie de cette nouvelle technologie permettant de réaliser des documentaires militants donnant la parole à tous ceux que les médias traditionnels délaissaient, dont les femmes.

"Sois belle et tais-toi" qui est son seul long-métrage, nommé ainsi d'après le film éponyme de Marc ALLEGRET a été tourné entre les USA et la France de 1975 à 1976. Il se compose d'une série d'entretiens réalisés avec vingt-trois actrices de différentes nationalités, très célèbres pour la plupart (Jane FONDA, Marie DUBOIS, Louise FLETCHER, VIVA, Maria SCHNEIDER, Shirley MacLAINE, Anne WIAZEMSKY etc.). En dépit de la médiocre qualité de l'image, c'est passionnant d'écouter une parole sincère pouvant s'exprimer librement et en confiance dans un rapport égalitaire. C'est le précurseur du mouvement "Metoo cinéma" et également des questions posées par le film de Justine TRIET, "Anatomie d'une chute" (2022). Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'après une sortie confidentielle en 1981, il ait été restauré et soit ressorti en 2023. Nombre d'actrices sont frappées par la pertinence des questions que leur pose Delphine SEYRIG et se livrent à un constat édifiant des inégalités sexistes qui entravent leur carrière dans une industrie "faite par et pour les hommes". Tout y passe:
- Le faible nombre de rôles écrits pour les femmes, un pour cinq écrits pour les hommes en moyenne.
- Les stéréotypes attachés à ces rôles, souvent des ingénues, des femmes au foyer ou des prostituées. L'une des actrices qui tente de tirer l'un de ces rôles vers quelque chose de plus réaliste s'entend dire "c'est ce que les hommes veulent".
- L'absence presque complète d'histoire d'amitiés entre femmes (d'où le petit événement que fut à l'époque la sortie d'un film comme "Thelma et Louise") (1991).
- L'humiliation d'avoir été formée à l'Actor studios pour se voir proposer un rôle de pom pom girl.
- Variante, le "mansplaining" résumé par une actrice "Je suis idiote, expliquez-moi tout".
- Autre variante, la complicité masculine entre le réalisateur et son acteur principal au détriment de l'actrice qui se retrouve non seulement isolée mais piégée et manipulée. Maria SCHNEIDER évoque ainsi sa désastreuse expérience sur "Le Dernier tango a Paris" (1972) qui fait penser aux propos récents de Judith GODRECHE sur "La Fille de quinze ans" (1989) de Jacques DOILLON à savoir le coup de la scène de sexe rajoutée au dernier moment dans le scénario sans que l'actrice en soit informée et sans qu'elle ait son mot à dire.
- Plus globalement, ces femmes évoquent la dépossession de leur identité par des tyrans-Pygmalion contrôlant toute la chaîne de production et cherchant également à prendre le contrôle de leur image et de leur corps, la question du remodelage physique et de l'âge étant également abordée (les femmes priées de dégager avant la cinquantaine alors que les jeunes filles se retrouvent systématiquement avec des partenaires quinquagénaires).

Et s'il fallait encore convaincre de la brûlante actualité de ce film, il suffit d'écouter sa conclusion par Ellen BURSTYN: "En cet instant même, c'est la planète Terre qu'il faut sauver. (…) Ce film annonce le début du changement de ce qui doit se produire sur cette planète sans quoi il n'y aura plus de planète.” Ce film a près de cinquante ans. Sur le fond, on dirait qu'il a été tourné hier.

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Une famille

Publié le par Rosalie210

Christine Angot (2024)

Une famille

C'est un film brut, radical, qui prend aux tripes. Un film coup de poing qui montre la réalité de l'inceste. Non les faits en eux-mêmes mais ce qui le rend possible et ce qui lui permet de perdurer et de se reproduire dans le temps. Comme le résume parfaitement bien l'avocat de Christine ANGOT, l'inceste n'est pas un secret de famille mais l'affaire de tous. Un cancer social dont on mesure avec effroi les différentes ramifications.

Pendant que je regardais le film, j'ai réalisé pourquoi Christine ANGOT a dû tout au long de sa carrière littéraire ne cesser de dire et de redire sous une forme ou sous une autre ce qui lui était arrivé. J'ai en effet réalisé qu'elle devait avoir entre dix et vingt ans de plus que la génération Metoo: celle de Vanessa Springora, Flavie Flament, Camille Kouchner, Neige Sinno ou encore Judith GODRECHE. Le malheur de Christine ANGOT, c'est d'avoir parlé vingt ans trop tôt, quand personne n'écoutait, personne n'entendait. Bien au contraire, les images d'archives de l'émission de Thierry Ardisson en 1999 où tout le monde se moque d'elle sont aujourd'hui atroces à regarder et de ce point de vue "Une famille" apporte une pierre de plus dans le jardin de ces médias complices de l'horreur qui ne cessent plus d'être interrogés depuis l'affaire Matzneff et la violence des réactions à l'égard de Denise Bombardier, la seule personne a avoir rompu la loi du silence et de la complicité avec le bourreau.

Néanmoins, comme le titre l'indique, c'est avant tout les membres encore en vie de sa famille que Christine ANGOT interroge. Et d'abord sa belle-mère dont elle doit forcer la porte. Une scène d'une brutalité saisissante suivie d'un échange tendu qui laisse bouche bée. Car elle permet de comprendre la violence des émotions de Christine ANGOT face à ce bloc de déni parfaitement policé qu'est sa belle-mère, grande bourgeoise prétendant être de son côté tout en ne cessant de mettre en doute ses propos voire de renverser les rôles, l'accusant d'être violente voire d'avoir séduit son mari. Et la suite où elle porte plainte contre elle montre bien jusqu'où peut aller ce mécanisme pervers d'inversion. Avec sa mère également, les relations ne sont pas simples, même si une deuxième séquence vient nuancer la première qui donne l'impression que celle-ci est coupée de toute empathie. L'inertie de l'ex-mari est explicitée par le fait qu'il est lui-même une ancienne victime et donc, a été incapable de réagir de façon appropriée. On se rend compte à quel point l'inceste tord voire renverse tous les repères. La seule personne qui s'avère capable de remettre les choses à leur juste place est la fille de Christine ANGOT que le combat de sa mère a protégé et qui est solidaire d'elle. On ressort de ce film secoués et admiratifs devant le courage de cette femme pugnace dont la radicalité fait écho à la violence qu'elle a pris presque toute sa vie dans la figure et qui montre aussi la vulnérabilité et la solitude de la petite fille qu'elle fut et qu'elle refuse d'abandonner à son triste sort.

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1979)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1968)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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Les Vieux

Publié le par Rosalie210

Claus Drexel (2024)

Les Vieux

Dans les sociétés traditionnelles, la parole des anciens, porteuse de la mémoire de la communauté était infiniment écoutée et transmise. D'ailleurs c'est le propre des génocides de s'attaquer aux enfants et aux vieillards c'est à dire au futur et au passé d'une société. Notre société productiviste a cependant tendance à déconsidérer les vieux et leur savoir parce qu'elle privilégie l'innovation technologique à toute autre forme de savoir, parce qu'elle voue un culte au jeunisme et à l'inverse, est effrayée par le vieillissement et la mort, enfin parce qu'elle délaisse les populations jugées "inutiles", culpabilisant d'ailleurs certaines personnes âgées qui ont l'impression d'être un boulet.

A rebours de cette vision, le réalisateur a effectué un voyage à travers la France pour aller à leur rencontre et enregistrer leur parole. Celle-ci est entrecoupée de superbes plans sur les paysages dans lesquels ils ont vécu: villes, montagnes, forêts, mines, plages. C'est ainsi à une respiration face à l'agitation contemporaine que Claus DREXEL nous invite: "Je ne sais pas pour quelle raison, dans notre monde, tout doit aller vite. Il ne faut jamais s’arrêter. Il faut produire et consommer sans cesse". Pourtant, nulle idéalisation de la vie de ces gens issus de tous les milieux sociaux et origines, âgés de 80 à 100 ans dont une partie est filmée en EHPAD. Certains ont d'ailleurs des difficultés d'élocution, d'autres sont invalides et il y en a même un qui est désorienté et ne peut donc pas témoigner. Néanmoins la majorité s'exprime, sur des sujets variés et la plupart de ces témoignages sont intéressants, certains sont passionnants. Dommage qu'il n'y ait pas de véritable fil directeur, le montage au moins aurait pu être plus structuré. La seconde guerre mondiale revient plusieurs fois comme une expérience marquante, de même que les guerres de décolonisation. Beaucoup évoquent leurs expériences de vie singulières qui déconstruisent nombre d'idées reçues ou démontrent que certaines de nos problématiques actuelles comme le dualisme scolaire se posaient déjà à leur époque. Certains évoquent leur philosophie de vie comme cette résidente qui souligne l'importance de la créativité face à tous les conformismes ("l'uniformité ne fait pas l'unité") ou cet guide de montagne qui insiste sur les liens entre l'homme et la nature (incluant son environnement humain). Enfin si la tristesse d'avoir perdu des êtres chers est commune à nombre d'entre eux, on est frappé par la sérénité que la plupart expriment vis à vis de leur mort prochaine, certains la voyant comme une délivrance.

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Les Photos d'Alix

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1980)

Les Photos d'Alix

"Les Photos d'Alix" est l'un des derniers films de Jean EUSTACHE, tourné un an avant sa mort. On y voit en un étrange miroir une de ses amies, la talentueuse photographe Alix Clio-Roubaud, décédé jeune elle aussi trois ans plus tard commenter un jeu de ses photographies en compagnie du fils de Jean EUSTACHE, Boris EUSTACHE alors âgé d'une vingtaine d'années. Un spectateur non averti ne peut qu'être surpris par l'évolution du film. Alors que dans sa première partie, Alix fait un commentaire classique de ses photos, racontant le contexte de leur réalisation, identifiant les personnages, expliquant les effets artistiques recherchés, insensiblement, un décalage se fait jour entre l'image et le son au point que ce qu'elle raconte finit par ne plus rien à voir avec ce qu'elle montre. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux libres associations images-mots des tableaux de René Magritte d'autant que l'une des photographies ressemble beaucoup à la composition de "Le Modèle rouge" (Mi chaussures/Mi pieds humains). A travers ce dispositif de désynchronisation, le spectateur est donc invité à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se dit et à faire travailler son propre imaginaire pour combler les lacunes de ce qui est donné à voir. Et ce d'autant que Alix Clio-Roubaud est une conteuse formidablement charismatique qui suscite un trouble visible chez Boris EUSTACHE, ses commentaires revêtant un fort caractère à la fois exotique (l'importance des voyages où reviennent régulièrement la Corse, Londres et New-York) et intime (l'enfance, les amours, la sexualité, les paradis artificiels). On remarque aussi combien ce film présente de similitudes avec "Une sale histoire" (1977). Un conteur, un auditoire, un espace imaginaire, troublant et poétique, un temps suspendu, celui du récit, un temps retrouvé, celui des souvenirs. Au point même que dans "Les photos d'Alix", l'une d'elles fait penser à "La Jetee" (1963), "Ceci est une image d'enfance".

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Une sale histoire

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1977)

Une sale histoire

" Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles

Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
(...)

On en fait beaucoup
Se pencher, tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument ".

Oui il y a beaucoup de ça dans "Une sale histoire", récit d'une obsession racontée d'abord par un comédien professionnel (Michael LONSDALE) puis par celui qui est censé l'avoir sinon vécue du moins écrite (Jean-Noel PICQ) de façon quasiment identique ce qui redouble l'obsession tout en brouillant les repères entre documentaire et fiction. Les deux mots clés, "sale" et "trou" sont polysémiques. Ils renvoient au lieu du récit, les toilettes, plus précisément à leur cuvette. Ils renvoient au sexe féminin observé par le voyeur alors que la femme est en train d'uriner sans parler d'un autre trou jamais évoqué directement, celui de la défécation. Ils renvoient au trou de la serrure par lequel en se prosternant sur le sol souillé, le voyeur peut satisfaire sa pulsion scopique. Ils renvoient aussi à un trou noir, celui de la dépression qui guette le voyeur, enfermé dans sa névrose et au néant de ses relations avec les femmes, réduites à leur trou. Le trou, c'est aussi celui d'une représentation impossible autrement que par la parole, l'ouïe étant selon les dires de Jean-Noel PICQ qui cite Sade l'organe majeur de l'érotisme.

L'intérêt du film réside moins dans son contenu qui fleure bon les conversations d'il y a cinquante ans où il était de bon ton de choquer le bourgeois avec des propos crus mais énoncés avec une diction parfaite, un niveau de langue recherché et par la bouche de dandys germanopratins raffinés et décadents que dans ses interrogations sur les limites du cinéma et également de la libération sexuelle. Le besoin de recréer une forme de transgression dans une société l'ayant officiellement abolie ainsi que la description pathétique des collègues de bistrot s'adonnant à la même addiction perverse laisse entrevoir un paquet de frustrations non résolues. D'ailleurs le café est comparé à un cinéma porno, royaume de la masturbation. Les critiques envers les femmes "constipées" qui exigent tout un protocole social avant de se dénuder ne donne pas une image très heureuse des rapports entre les sexes. Enfin en prenant le parti de tout dire et de ne rien montrer, le film interroge la difficulté du cinéma à retranscrire visuellement la sexualité. Ainsi aussi scabreux soit-il, "Une sale histoire" renvoie au mal-être de "Mes petites amoureuses" (1974) d'autant que le poème de Rimbaud qui donne son titre au film donne une vision sadique et répugnante de la sexualité:

" Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;

J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiments;
Hop donc ! Soyez-moi ballerines
Pour un moment !

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent,
Tournez vos tours !

Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !

Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
− Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons."

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Gene Tierney, une star oubliée

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg et Julia Kuperberg (2016)

Gene Tierney, une star oubliée

"Ce n'est pas une femme, c'est une apparition". Ces mots prononcés par Antoine Doinel/Jean-Pierre LEAUD à propos de Fabienne Tabard/Delphine SEYRIG vont comme un gant à Gene TIERNEY dont l'image la plus célèbre est le portrait que contemple fasciné le flic joué par Dana ANDREWS dans "Laura" (1944) de Otto PREMINGER. Réalisé par les soeurs Clara KUPERBERG et Julia KUPERBERG, le documentaire tente d'expliquer pourquoi cette sublime actrice qui tourna dans 34 films principalement dans les années 40 et 50 fut si peu reconnue de son vivant (une seule nomination aux Oscars et aucun prix) et ensuite relativement oubliée. Sa discrétion sans doute mais aussi son refus de s'enfermer dans un type de rôles, son caractère insaisissable, son goût pour la retenue et les silences, un jeu subtil plus européen qu'américain, des prestations souvent teintées d'exotisme. Ses drames personnels (une enfant lourdement handicapée suite à une rubéole contractée pendant la grossesse, des amours malheureuses, des dépressions, des internements) qui provoquèrent sa décision d'abandonner le cinéma jouèrent sans doute également un rôle. Mais à défaut d'avoir marqué la mémoire du grand public, Gene TIERNEY est adulée par les cinéphiles dont Martin SCORSESE qui lui voue un culte. Mais on se rend compte qu'en dehors de ses films, Gene TIERNEY a laissé peu de traces publiques. Le documentaire s'appuie donc essentiellement sur des témoignages (ceux de ses petits-enfants notamment) et sur son autobiographie dont certains doutent qu'elle en soit l'autrice. Une énigme de plus?

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