Était-ce une époque propice aux titres à rallonge remplis de questionnements existentiels pour ce qui était alors la nouvelle génération de cinéastes allemands nés de la seconde guerre mondiale? Toujours est-il qu'après "L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty" (1971) de Wim WENDERS vint "La grande extase du sculpteur sur bois Steiner" (1974) de son compatriote Werner HERZOG. De sculpture sur bois, il n'en sera guère question dans ce documentaire dont le sujet central est le saut à skis dont le dénommé Walter Steiner fut un champion au brillant palmarès* survolant c'est le cas de le dire tous les autres participants. Lui-même passionné par ce sport Werner HERZOG en fait une métaphore de sa vision du cinéma. Je connais peu la filmographie de Werner HERZOG mais tout de même assez pour y voir une quête philosophique et spirituelle du dépassement qui s'accorde parfaitement avec le sujet du film mais aussi avec son traitement. Là encore, comme son compatriote, Wim WENDERS, Herzog filme le vol comme un état de grâce absolu. Il en fait un moment qui échappe aux lois terrestres grâce au pouvoir que possède le cinéma de distordre le temps. Celui-ci plus que jamais suspend son vol avec de superbes ralentis d'éternité avant le moment inévitable de la chute qui marque le retour au réel. Un réel qui ramène au contexte dans lequel a été réalisé le film, celui des compétitions sportives servant d'exutoire aux peuples captifs du rideau de fer, ici la Yougoslavie de Tito qui organisait les championnats du monde en 1972 à Planica (aujourd'hui en Slovénie). Comme le cinéma, le sport est tiraillé entre son pouvoir émancipateur et son instrumentalisation à des fins politiques (distraire les masses, faire la propagande du régime). Comme à l'époque des gladiateurs, peuple et organisateurs en quête de frissons et de records tentent de pousser au-delà des limites un champion hors-normes animé par le désir mystique de fusion avec l'univers, quitte à mettre sa vie en danger.
* Il fut deux fois champion du monde de vol à skis en 1972 donc mais aussi en 1977 et vice-champion olympique à Sapporo en 1972.
Jean-Pierre LEAUD a été l'icône la plus célèbre de la nouvelle vague avec Jean-Paul BELMONDO. Mais là où le second a dès les premières années de sa carrière navigué entre cinéma d'auteur et cinéma populaire pour finir par choisir ce dernier, Jean-Pierre LEAUD est devenu indissociable de son père de cinéma, Francois TRUFFAUT qui l'a révélé à l'âge de 14 ans dans "Les Quatre cents coups" (1959) avec un rôle, celui d'Antoine Doinel qui s'est transformé en véritable saga. Mais Jean-Pierre LEAUD est lui-même un personnage, reconnaissable de film en film que le réalisateur, Cyril LEUTHY tente de cerner. Il ponctue en effet son film d'intervention d'acteurs de divers âges qui se glissent dans sa peau dont un Michel FAU assez bluffant (de loin, j'ai vraiment cru que c'était Jean-Pierre LEAUD), acteurs qui se demandent comment un jeu aussi décalé que le sien pouvait "passer crème", même s'il lui a valu beaucoup d'incompréhension et une longue traversée du désert dans les années 70 et 80. Celle qui le décrit particulièrement bien, c'est Noemie LVOVSKY qui l'a fait jouer dans "Camille redouble" (2012) le rôle de l'horloger. Parce que malgré son vieillissement, la présence de Jean-Pierre LEAUD nous ramène toujours à l'enfant qu'il a incarné à l'écran en 1959 avec ses yeux écarquillés, sa fébrilité inquiète et son visage longtemps resté juvénile. D'autant qu'à partir de cette année-là, sa vie s'est confondue avec le cinéma et que le spectateur a pu donc le voir grandir et évoluer au fil des années. D'ailleurs, le hasard a si bien fait les choses que seul Jean-Pierre LEAUD peut se targuer d'avoir joué avec les deux stars des enfants des années 70 et 80: Chantal GOYA (dans "Masculin feminin" (1966) de Jean-Luc GODARD quand celle-ci était une jeune idole yé-yé) et DOROTHEE (dans "L'Amour en fuite" (1978), le dernier film du cycle Doinel). Mais le réalisateur pour qui il semble le mieux fait, c'est Aki KAURISMAKI qui l'a fait jouer dans "J'ai engage un tueur" (1990). Son cinéma burlesque pince-sans-rire à la Buster KEATON (même si Kaurismaki est un chaplinolâtre ^^) lui va comme un gant! D'ailleurs à travers "Les Keufs" (1987), le réalisateur rappelle que Jean-Pierre LEAUD pouvait être excellent dans la comédie, loin des personnages de contestataires à la Jean-Luc GODARD ou de dandy à la Jean EUSTACHE ou encore de cinéastes dépressifs dans les années 90 lorsqu'il est redécouvert par toute une génération de réalisateurs en quête de filiation. On découvre également la popularité de Jean-Pierre LEAUD en Asie où son romantisme mystique, celui-là même que Francois TRUFFAUT a tant mis en scène a fait mouche.
"Pays de cocagne" est le dernier des cinq long-métrages de Pierre ETAIX et son premier et seul documentaire. C'est en suivant sa femme Annie FRATELLINI qui faisait une tournée des plages durant l'été 1969 pour le podium d'Europe 1 que Pierre ETAIX découvre la France du tourisme de masse dont il dresse un portrait particulièrement corrosif. Son précédent film "Le Grand amour" (1968) qui était son premier film en couleur amorçait déjà un virage entre la poésie tendre de ses débuts et la satire sociale mais "Pays de cocagne" va beaucoup plus loin dans l'humour grinçant. Par le biais du montage (qui a duré près de huit mois alors que le tournage n'en a pris que trois) et de la bande-son, Pierre ETAIX dézingue à tout va la mocheté de la France des années Pompidou (celle-là même que quelques années plus tard, Bertrand BLIER va à son tour prendre pour cible avec "Les Valseuses") (1974). Alors certes, les reproches qui lui ont été faits à propos de sa condescendance vis à vis de la France d'en bas ne sont pas tous infondés. Parfois son insistance à filmer et faire témoigner des gens bêtes, vulgaires et disgracieux fait penser aux "sans-dents" de François Hollande. Mais beaucoup de ses observations sont justes. Oui la Grande-Motte qu'il filme horrifié à au moins trois reprises est un cauchemar architectural, une dystopie de béton avec ses figures géométriques anxiogènes. Le parallèle avec les casernes HLM construites au même moment pour les mêmes populations s'impose et Pierre ETAIX créé une symphonie de l'enfermement, de l'uniformisation et de la promiscuité. Pendant qu'une voix s'extasie sur les vacances, il fait entendre les braillements des gosses, les tentes toutes semblables qui jouent à touche-touche comme les parasols et les serviettes sur les plages bondées, les sanitaires de campings à la propreté plus que douteuse. Il filme aussi des animations dégradantes dans lesquelles les caravanes publicitaires envoient des objets à la foule qui se jette dessus comme une meute de chiens affamés (aspect dont j'ai été témoin sur le Tour de France qui est d'ailleurs également montré au début du film). Ou bien des variantes dans lesquelles il faut grimper à un poteau pour attraper des produits, des jeux répugnants avec de la nourriture ou encore des prestations vocales plus risibles les unes que les autres. D'une certaine manière, "Pays de cocagne" est l'antithèse de "Les Vacances de Monsieur Hulot" (1952) et ce miroir tendu à "La France moche" a valu à Pierre ETAIX de tomber en disgrâce.
Charlotte GAINSBOURG s'est souvenue que sa mère, Jane BIRKIN avait fait l'objet d'un documentaire de Agnes VARDA en forme de portrait-miroir, "Jane B. par Agnes V." (1985). De toutes façons, comment aurait-elle pu l'oublier puisqu'elle y apparaissait, alors adolescente, tout comme dans le film suivant de la réalisatrice scénarisé par sa mère "Kung-Fu Master" (1987). Pourtant lorsque Jane BIRKIN évoque le souvenir de la réalisatrice disparue en 2019 devant la caméra de sa fille, c'est pour souligner ce qui était un pilier du cinéma de Agnes VARDA: "Capturer l'instant". C'est pourquoi le film de la réalisatrice auquel on pense le plus en regardant "Jane by Charlotte" est "Jacquot de Nantes" (1991). Car faut-il le rappeler, celui-ci contient une partie documentaire dédiée aux derniers mois de vie de Jacques DEMY, mort en 1990 avant la sortie du film. Les derniers plans tout particulièrement y font penser avec le bord de mer et l'enlacement final de la mère et de la fille "avant que la mort nous sépare". Dans "Jacquot de Nantes" (1991), c'était une peinture de Jacques DEMY que Agnes VARDA filmait longuement: celle d'un couple nu, entrelacé et étendu sur la plage, un couple sur le point d'être séparé à jamais. "Jane by Charlotte" est donc un film testamentaire et quelque peu crépusculaire réalisé deux ans avant le décès de la chanteuse et actrice britannique. Les fantômes y rôdent du début à la fin: celui de Serge GAINSBOURG à travers la visite de la maison de la rue de Verneuil sur le point d'ouvrir au public mais aussi celui de Kate BARRY, la fille aînée de Jane défenestrée en 2013 et dont l'image réapparaît sous les traits d'une petite fille pleine de vie "capturée" en super-8. Et la fragilité de Jane BIRKIN est pudiquement abordée à travers l'évocation d'une maladie que l'on devine être la rechute d'une leucémie qui l'a rendue vulnérable au covid (qu'elle a attrapé six fois!). Peu après le tournage du film, elle était victime de son premier AVC. La vieillesse mais aussi les addictions (aux somnifères, à l'alcool) surgissent au tournant d'une conversation entre mère et fille, la deuxième voulant faire le portrait de sa mère tout en se préparant à l'inéluctable. Un trait de caractère commun à Jane et à Charlotte apparaît d'ailleurs en filigrane, la difficulté à accepter le passage du temps. Dans le documentaire de Agnes VARDA, on repérait une obsession morbide de Jane BIRKIN pour la taxidermie (comme dans "Psychose") (1960) et pour les vases remplis de fleurs en décomposition avancée. Dans "Jane by Charlotte", ce sont les boîtes de conserve laissées rue de Verneuil après la mort de Serge GAINSBOURG qui ont été laissé en l'état. Et Charlotte de s'étonner qu'au bout d'un certain nombre d'années, celles-ci explosent. Faut-il alors s'étonner que la maison de la rue de Verneuil soit devenue un musée?
Pour contrebalancer l'atmosphère parfois lourde de son film, Charlotte GAINSBOURG filme le plus souvent possible sa plus jeune fille, Joe, alors âgée d'une dizaine d'années qui apporte évidemment de la joie et de la lumière ainsi que Dolly, le bouledogue "so british" de Jane BIRKIN et ses bébés.
Le cinéaste James IVORY me passionne et me questionne. Pourquoi cet américain a-t-il éprouvé un tel besoin de sortir de lui-même, d'aller explorer d'autres contrées et de créer un cinéma aussi "extraterritorial". La réponse se trouve peut-être dans ce documentaire réalisé en 2022. James IVORY alors âgé de 94 ans explique la genèse de sa singularité à travers un voyage effectué en Asie centrale en 1960. A l'origine, il avait décroché une bourse pour réaliser un documentaire sur les miniatures indiennes, mais ne supportant pas le climat étouffant du pays, il a fui dans les montagnes afghanes au climat plus tempéré (d'où le titre en VO, "A cooler climate"). Il a eu alors l'idée d'y tourner des images dans l'idée d'en faire un second documentaire mais finalement, celui-ci n'a jamais vu le jour et les images sont restées à l'état de rushes.
Le spectateur d'aujourd'hui curieux de voir à quoi ressemblait l'Afghanistan en 1960 en sera pour ses frais tant le pays semble avoir peu changé. Dépeint comme figé depuis le Moyen-Age, on constate sa pauvreté extrême, l'insécurité qui y règne hors des villes et la domination sans partage des hommes dans la vie publique. Les femmes n'en sont pas complètement bannies certes contrairement à aujourd'hui mais une bonne partie d'entre elles portent déjà la burqa, les autres dépeintes comme "occidentalisées" se contentant du hijab. De même, le séjour de James IVORY à Bamiyan permet de se rendre compte que le Bouddha a été déjà très endommagé bien avant sa destruction complète en 2001. Enfin le contexte de guerre froide est rappelé. Même si la guerre n'y fait pas encore rage, les deux grands se disputent les faveurs du pays à coup de grands travaux d'infrastructures.
Mais le vrai propos de James IVORY est ailleurs. Durant son voyage, il lit le Babur-Nama, l'autobiographie du premier Moghol des Indes ayant vécu à l'époque de la Renaissance. Il s'identifie à cet homme raffiné venu lui aussi se "rafraîchir" en Afghanistan et aux penchants nettement homosexuels. D'ailleurs, James Ivory prend soin de préciser qu'il a découvert l'existence de Babur dans les oeuvres de E.M. Forster dont on sait qu'il adaptera plus tard plusieurs de ses romans avec le succès que l'on sait. Quant aux documentaires sur les miniatures indiennes, qu'il a achevé celui-là et projeté à New-York, il a été à l'origine de sa rencontre avec Ismail MERCHANT et Ruth PRAWER JHABVALA, les deux autres membres du triangle magique à l'origine de ses plus beaux films. C'est ainsi que les boîtes contenant les pellicules de ce passé deviennent une madeleine de Proust, l'auteur de la recherche du temps perdu étant lui aussi une lecture favorite du cinéaste durant ce temps-là.
Les deuxièmes olympiades de l'ère moderne en 1900 ont eu lieu à Paris, dans le cadre de l'exposition universelle. Pas de cérémonie d'ouverture mais l'entrée des femmes dans les compétitions et par conséquent les premiers sacres féminins. C'est dans ce contexte que Etienne-Jules MAREY, pionnier de la chronophotographie et de la biomécanique réalise une série d'images découpant le mouvement des athlètes et permettant leur analyse dans le cadre de la commission d'hygiène et de physiologie créée à cette occasion et dont il est le rapporteur. Plusieurs techniques de franchissement d'obstacles novatrices démontrent ainsi leur efficacité et sont toujours en usage aujourd'hui. Par exemple celle de l'américain Alvin Kraenzlein qui saute les haies dans la foulée avec sa jambe d'attaque tendue et qui penche son buste en avant. Plus généralement, Etienne-Jules MAREY constate à cette occasion la supériorité technique des athlètes américains sur leurs concurrents. Les 20 petits films qui composent le court-métrage visible sur la plateforme HENRI sont un témoignage de la chaîne des progrès scientifiques et techniques de cette époque, l'invention du cinéma et sa capacité à enregistrer le mouvement étant mise au service du progrès technique dans le sport moderne, lequel est indissociable des révolutions industrielles. Le travail de Etienne-Jules MAREY n'est pas sans rappeler en effet le taylorisme dans la même logique d'efficacité et de performance avec une obsession du chronomètre et une standardisation des pratiques. C'est aussi un moyen d'immortaliser les gestes des sportifs et c'est sans doute avant tout pour cette raison qu'ils ont accepté de venir jouer les cobayes devant la caméra.
Pas si "neutre" (je cite l'avis du journal "Le Monde") qu'il en a l'air, ce documentaire qui fait de Uma THURMAN une des voix du mouvement Metoo. De la personnalité de Uma elle-même, on ne saura effectivement pas grand-chose hormis sur ses années de jeunesse. En revanche, celui-ci lève le voile sur les violences et agressions subies durant ses années fastes au cinéma. D'une certaine manière, "Les Aventures du baron de Munchausen" (1988) et "Les Liaisons dangereuses" (1988) par lesquels elle a commencé reflètent pour l'un l'image fantasmatique qu'elle véhicule auprès de la gent masculine et pour l'autre, la prédation à laquelle elle va devoir faire face. Car sa consécration chez Quentin TARANTINO, indissociable de Harvey WEINSTEIN qui a produit "Pulp Fiction" (1994) et "Kill Bill" (2002) s'est accompagnée hors-champ d'abus. Sexuels pour Weinstein qui l'a agressé à l'hôtel Savoy de Londres et sadiques pour Tarantino, aveuglé par son perfectionnisme sur les tournages. Une énième variante des rapports entre éthique et création résumé par la question "peut-on tout faire/cautionner/accepter au nom de l'art?". Le plus dérangeant est sans doute l'accident de voiture causé par l'injonction du réalisateur à l'actrice de rouler toujours plus vite sur le tournage de "Kill Bill" (2002). Accident filmé dont les images ont été remises à l'actrice par le réalisateur plusieurs années après les faits (car elles étaient bloquées par la production), qu'elle a publié sur les réseaux sociaux et que l'on voit dans le documentaire. Celui-ci a fait depuis son mea culpa mais il semble assez clair que cet événement a marqué une rupture dans la carrière de Uma THURMAN et dans sa relation avec son ancien pygmalion. Le documentaire revient également sur sa décision d'avorter alors qu'elle était à l'aube de sa carrière et dont "Kill Bill" se fait l'écho ainsi que sur sa relation toxique avec son premier mari, Gary OLDMAN qui était alors alcoolique. Tous ces éléments permettent de mieux cerner l'image de guerrière qui colle à la peau de l'actrice (et qui est repris dans le titre). Uma THURMAN apparaît surtout aujourd'hui comme la survivante d'une machine à broyer les actrices dont on ne cesse d'explorer les rouages.
A l'occasion de la mort à l'âge de 94 ans de Gena ROWLANDS, Arte rediffuse le documentaire de Sabine CARBON daté de 2017. On remarque au passage le changement de titre, "l'actrice et muse par amour" étant devenue "l'indépendante au cinéma et dans la vie". Façon de souligner la difficulté de trouver les mots justes pour dépeindre une actrice du cinéma indépendant américain exceptionnelle dans des rôles de femmes fortes et passionnées, s'aventurant en territoire inconnu, celui des gouffres s'ouvrant sous les pieds de ses personnages de femme au foyer gagnée par la folie, d'actrice hantée par la peur de vieillir ou de guerrière tenant tête à la mafia. Mais si elle a fait quelques prestations remarquées chez Woody ALLEN ou Jim JARMUSCH, c'est sous la direction de John CASSAVETES qu'elle a obtenu ses rôles les plus marquants, comme s'ils étaient les deux facettes d'une même pièce. Le film a ainsi bien du mal à ne pas se faire vampiriser par John et reste assez en surface. Néanmoins il a le mérite de restituer la totalité de la carrière de Gena ROWLANDS et notamment, celle qui a suivi la mort de son mari. Le temps ne s'est pas arrêté et c'est avec un certain étonnement que l'on découvre la vieille dame qu'elle est devenue, toujours élégante et coquette, recevant les hommages tardifs qui lui avaient été refusés du fait de son choix de servir le cinéma indépendant mais on décèle aussi les premiers signes de la maladie qui allait finir par l'emporter ce qui provoque un certain pincement au coeur.
C'est un documentaire qui accuse son âge, plus de 20 ans. Car depuis, d'autres ont vu le jour avec plus de recul sur l'oeuvre de Claude SAUTET, cinéaste connu pour être particulièrement secret. Sa raison d'être était de rendre publics des enregistrements audio réalisés peu de temps avant son décès en 2000 dans lesquels il commentait son oeuvre. Structuré de façon chronologique, le documentaire passe donc en revue presque chacun des 13 films de sa filmographie (il manque "Bonjour sourire!" sans doute considéré comme un faux départ) (1955) et donne aussi la parole à quelques proches et collaborateurs comme son épouse, Graziella SAUTET, Philippe SARDE, Jean-Paul RAPPENEAU, Jose GIOVANNI etc. Etrangement, presque aucun acteur alors que certains étaient encore en vie, même parmi l'ancienne génération (Sami FREY, Michel PICCOLI, Bruno CREMER, Serge REGGIANI etc.) Pourtant le rapport aux acteurs est longuement évoqué, certains jouant le rôle du double du réalisateur comme Yves MONTAND et surtout Michel PICCOLI dont la crise de colère dans "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) s'avère être le miroir de celles du réalisateur. A propos de double, le film suggère également la part féminine de Claude SAUTET révélée à l'écran par Romy SCHNEIDER et prolongée ensuite par Emmanuelle BEART qui pique elle aussi une grosse colère dans "Un coeur en hiver" (1992). Cette dualité indépassable explique peut-être la tonalité mélancolique de nombre de ses films, notamment dans le rapport entre les hommes et les femmes en dépeignant (et dénonçant subtilement) les masques sociaux et la misogynie les empêchant de communiquer. Le troisième acteur à savoir la musique, omniprésente chez Sautet n'est en revanche pas assez analysé et c'est dommage. Les extraits de "Un coeur en hiver" (1992) montrant Stéphane "tuant le père" suggèrent assez bien d'où vient cet empêchement. Il en va de même de la solitude qui semble être le lot de presque tous les personnages de Sautet pourtant dépeint comme le cinéaste du groupe. Lui-même explique que "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) ne forment pas un groupe mais une bande comme autant de variantes du même personnage de loser, arrêté en pleine course, empêché de vivre.
Le documentaire que Christophe CHAMPCLAUX a consacré à Anthony PERKINS a tout d'abord été diffusé sur OCS sous le titre, "L'homme derrière la porte" en référence à "Quelqu'un derriere la porte"(1971) dans lequel il a joué. Il faut croire que cela ne parlait pas à beaucoup de gens puisque sur Arte, le titre est devenu "L'acteur dans l'ombre de Psychose" ce qui a le mérite d'être clair! En effet, Anthony PERKINS est passé à la postérité pour avoir magistralement incarné Norman Bates dans le chef-d'oeuvre de Alfred HITCHCOCK au point de ne faire qu'un avec le rôle. Le reste de sa carrière est largement tombé dans l'oubli (en dépit d'un prix d'interprétation à Cannes pour "Aimez-vous Brahms" (1961) ou de son rôle dans "Le Proces" (1962) de Orson WELLES) de même que sa vie privée reste largement méconnue. Le documentaire tente donc de proposer un portrait plus complet de l'acteur, insistant sur ses rôles de jeune premier à Hollywood avant "Psychose" (1960) puis sur sa carrière européenne après "Psychose" (1960), le cinéma hollywoodien ne lui proposant que des succédanés de Norman. Mais preuve de l'échec à se défaire de ce rôle, il finit par le réincarner à plusieurs reprises dans des suites qui n'ont pas laissé beaucoup de traces dans les mémoires. On découvre les autres talents de l'acteur, sa voix de crooner et sa bonne maîtrise du français (il avait d'ailleurs un pied-à-terre à Paris). Sa vie privée est évoquée de la même manière que sa vie professionnelle, c'est à dire de façon factuelle. Assez bizarrement, le rapport à la mère (tyrannique et incestueuse donc très proche de Mme Bates mais ce dernier point n'est même pas abordé) est aussi survolé que sa prestation dans le film de Alfred HITCHCOCK alors que tout laisse à penser qu'il y avait une démarche thérapeutique dans le parcours d'acteur de Anthony PERKINS. Le documentaire préfère s'attarder sur l'aspect people c'est à dire ses relations homosexuelles "in the closet" dans les années 50 et 60 (dont celle avec Jean-Claude BRIALY), puis sur le bon mari et père de famille à l'américaine dans les années 70 avant de finalement mourir du sida en 1992. Un parcours en réalité très cohérent pour une personnalité de cette époque (et pas qu'aux USA, celui de Jacques DEMY a des points communs par exemple) mais qui n'est jamais interrogé. Les témoignages, dithyrambiques ont beau dépeindre Anthony Perkins comme souriant, drôle, cultivé, intelligent etc. l'image qui lui colle à la peau est celle du névrosé et ce documentaire trop superficiel n'y changera rien.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.