Dans une scène clé (et véridique!) de "Battle of the sexes", celle qui précède la reconstitution du match qui opposa en 1973 la championne de tennis trois fois titrée en grand Chelem Billie Jean King âgée de 29 ans au vétéran et ancien numéro un mondial Bobby Riggs âgé de 55 ans, ceux-ci s'échangent des cadeaux qui soulignent que le combat ne se situe pas seulement sur le terrain sportif. Bobby qui surjoue les phallocrates donne en effet à Billie Jean une sucette géante ("Annie aime les sucettes, les sucettes à l'anis") non aux couleurs de ses grands yeux mais à celles de son sponsor "Sugar Daddy" à qui il fait les yeux doux ^^. Billie Jean qui ne manque pas de répartie lui balance alors un porc(elet) dans les bras. Le film, lui même hybride (mi biopic, mi comédie sociale) illustre en effet deux combats inextricablement liés derrière l'enjeu sportif, l'un, féministe, pour la reconnaissance de l'égalité hommes-femmes et le second, LGBT, pour l'acceptation de son identité sexuelle. Billie Jean est au carrefour des deux problématiques et on se passionne pour son parcours, formidablement porté par l'énergie pleine de détermination de Emma STONE. Les discriminations (être payée 1/8° du salaire d'un tennisman à niveau égal par exemple) et humiliations (les propos sexistes décomplexés qui étaient la norme à l'époque) la poussent à sortir de sa réserve et à prendre ses responsabilités sociétales en tant que championne face à un monde d'hommes machistes qui fixes les règles inégalitaires du monde du tennis professionnel (et ce combat là est loin d'être terminé même si l'angle du harcèlement sexuel n'est pas évoqué). Parallèlement, elle découvre son homosexualité à la fois dans le trouble du désir et dans le secret et la honte qui était le propre de cette époque. Deux dimensions que les réalisateurs, Jonathan DAYTON et Valerie FARIS parviennent à parfaitement retranscrire dans leur mise en scène. Néanmoins à la différence de tant de jeunes femmes célèbres des seventies qui ne parvinrent jamais à faire leur coming out, Billie Jean fut la première sportive à effectuer le sien en 1981 et finit par refaire sa vie pour vivre en accord avec elle-même. Tout le contraire du personnage de Bobby Riggs dont les outrances machistes mise en avant dans ses mises en scène de showman sont subverties par l'interprétation qu'en donne Steve CARELL qui le rend surtout pathétique à force de vouloir prouver "qu'il en a" alors que visiblement il a surtout un sacré trou non dans la raquette mais dans le pantalon.
A l'image de leurs deux premières réalisations, le cultissime "Little miss Sunshine" (2005) et "Elle s appelle Ruby" (2012), "Battle of the sexes" est donc une comédie intelligente à plusieurs niveaux de lecture (ce dont je suis particulièrement friande, je pense aussi à celles d'un autre duo, Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE). Et bien que le tennis ne soit qu'un prétexte à des sujets plus universels, la reconstitution du match final (tout comme celles des années 70) est remarquable de limpidité, faisant entrer le spectateur de plein pied dans ce combat pour l'égalité et l'émancipation qui se joue non aux poings mais à la balle de match.
Comment échapper à la malédiction du deuxième film? Après le succès de "Little miss Sunshine" (2005), le couple de réalisateurs Jonathan DAYTON et Valerie FARIS a mis en abyme ce défi. Les premières minutes de "Elle s'appelle Ruby" se focalisent en effet sur la panne d'inspiration d'un jeune écrivain à la vie ascétique et solitaire, le bien nommé Calvin qui après un premier succès à l'âge de 19 ans n'a pas réussi en dix ans à réitérer son exploit. Jusqu'au jour où sur la suggestion de son psy, il a l'idée de mettre par écrit l'histoire de la fille de ses rêves, laquelle devient presque aussitôt réelle. Mais ce postulat fantastique (à tous les sens de ce terme) est trop beau pour être vrai. Car la fille dont rêve Calvin, c'est celle sur laquelle il peut exercer un contrôle total, à l'image du livre qu'il écrit. Un fantasme de toute-puissance qui se heurte au libre-arbitre qu'elle porte en elle depuis qu'il en a fait un être humain. Contradiction insurmontable qui grippe progressivement les ressorts de la romance au point de mener les deux personnages aux portes de la folie. Calvin étant présenté dès le départ comme un déséquilibré limite sociopathe qui s'interroge légitimement sur sa santé mentale quand il voit débarquer Ruby, il n'est guère étonnant qu'après une période fusionnelle de type lune de miel, celle-ci qui est aussi exubérante que lui est coincé commence à étouffer dans le huis-clos austère qu'il lui impose et veuille d'une autre vie. Avant une conclusion moins pessimiste qui rappelle celle de "Eternal sunshine of the spotless mind" (2004) (y compris dans la caractérisation des personnages et le caractère fantastico-romantique).
Si le film patine au peu au début, il surprend par ses changements de tons qui le font glisser de la comédie romantique vers le thriller psychologique dans lequel on sent poindre la pulsion de mort sous l'élan amoureux et la mélancolie sous l'euphorie. Il est intéressant également de souligner qu'il s'agit de la création d'un quatuor, un film fait à "deux fois deux" pour reprendre l'expression du journal Le Monde ou encore le film d'un couple sur un autre couple ou encore une mise en abyme du rapport entre créateurs et créatures. En effet ce qui a fait sortir les réalisateurs du syndrome de la page blanche au bout de six ans, c'est le scénario écrit par Zoe KAZAN*, compagne à la ville de Paul DANO qui est resté proche de ceux qui lui ont donné son premier rôle marquant au cinéma. Résultat, Paul DANO joue Calvin-Pygmalion dans le film alors que Zoe KAZAN interprète sa Galatée, Ruby. Soit l'inverse de la réalité ce qui je trouve ne manque pas de sel.
Voilà un film qui fut un succès surprise il y a 10 ans et qui aujourd'hui encore est une sorte de référence de ce que le cinéma indépendant américain a produit de meilleur (mais non sans difficultés puisque sa gestation a duré 6 ans).
Little miss Sunshine, c'est une galerie de portraits aussi réussis les uns que les autres d'une famille américaine qui aimerait se fondre dans le moule sans y parvenir. Le père, Richard Hoover qui est coach enseigne la philosophie américaine de la réussite, celle des winners et des losers mais tout indique dans le film qu'il fait partie de la seconde catégorie. La mère Sheryl Hoover est dépassée. Le grand-père a un comportement d'adolescent rebelle (il se drogue, il parle vulgairement, il s'habille jeune) qui lui a valu d'être exclu de sa maison de retraite. Le frère de Mme Hoover, Frank est encore plus marginal qu'eux: spécialiste de Proust et homosexuel, il n'a pas obtenu la bourse qu'il espérait et son ami l'a quitté. Le fils lunaire et nietzschéen Dwayne rêve d'être pilote d'essai mais il est daltonien et n'a pas le physique d'un sportif. Enfin la fille boulotte et bigleuse, Olive rêve de participer au concours Little miss Sunshine alors qu'elle est loin de correspondre aux canons de beauté d'une mini-miss.
La qualification d'Olive permet de souder cette drôle de famille éclatée autour d'un projet commun: rallier la Californie où se déroule le concours. Le trajet et le dénouement confirment en tous points ce que nous savions dès le départ à savoir l'incapacité de cette famille à s'intégrer au rêve américain. Du minivan délabré qu'il faut pousser pour faire démarrer (comble d'horreur aux USA) au numéro de striptease d'Olive qui choque l'Amérique puritaine, tout n'est que dissonances et dysfonctionnements. Mais la beauté du film est le changement d'attitude des membres de la famille vis à vis de leur identité profonde. De subie voire niée, elle finit par être assumée et devient même un motif de fierté. Cette réconciliation avec soi-même aboutit à une communion avec les autres membres de la famille au moment où ils montent sur scène dans la joie et la bonne humeur pour soutenir Olive. C'est la norme américaine incarnée par des mini-miss transformées en ridicules poupées Barbie qui apparaît alors pour ce qu'elle est: un mirage monstrueux.
"Little Miss Sunshine" est par ailleurs un film qui a révélé des acteurs au diapason de son état d'esprit auxquels je me suis fortement attachée au fil des années et des rôles qu'ils ont interprété, en premier lieu Steve CARELL (Frank, l'oncle homosexuel et dépressif) et Paul DANO (Dwayne, le neveu mutique et nihiliste). Il s'est donc à mes yeux bonifié au fil du temps en devenant un porte-voix de la fierté de la différence.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.