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Articles avec #corneau (alain) tag

Le Choix des armes

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1981)

Le Choix des armes

La première fois que j'ai vu ce film, c'était dans le cadre d'un cycle consacré à Catherine Deneuve et j'avais trouvé que ce n'était pas le meilleur choix pour lui rendre hommage. Bien que le "Le Choix des armes" dépasse son genre pour atteindre une véritable profondeur, il traite d'un univers d'hommes tout juste "coloré" par la présence de l'actrice dont le rôle quelque peu potiche (^^) se résume selon ses propres termes à "obéir" (à son mari) mais surtout à symboliser (au choix) la douceur, l'innocence, la rédemption, le paradis pour Noël Durieux, le personnage de Yves Montand, ancien truand devenu "gentleman farmer" à la tête d'un haras. Lorsque Serge, un ancien membre de sa bande s'évade de prison avec un jeune chien fou du nom de Mickey (Gérard Depardieu), ce n'est pas seulement son passé qui vient frapper à sa porte. C'est aussi son avenir, incarné par Mickey, cet écorché vif aux accès de violence imprévisible qui aurait l'âge d'être son fils. Celui-ci l'arrache à son confort bourgeois pour le plonger au coeur de la misère sociale des cités de banlieue, dépeintes avec un naturalisme impressionnant ce qui était à l'époque une nouveauté*. D'ailleurs le film en lui-même est hybride, conciliant un polar à l'ancienne avec l'esprit de bande composée de personnages charismatiques élégamment vêtus et se comportant selon un code d'honneur et un polar plus moderne âpre, urbain, chaotique faisant une large place aux paumés, aux marginaux, aux "rebuts" de la société incluant également Dany, l'ami de Mickey père de famille (joué par Richard Anconina alors peu connu) et Ricky le drogué (Jean-Claude Dauphin). Ce même choc social et culturel des générations se retrouve du côté de la police avec d'un côté le placide commissaire Bonnardot (Michel Galabru) et de l'autre le fougueux inspecteur Sarlat (Gérard Lanvin) dont les actes irréfléchis ont des conséquences aussi tragiques que ceux de Mickey de l'autre côté de la barrière. Mais le coeur du film se retrouve dans la confrontation entre Noël et Mickey, joué par un Gérard Depardieu habité dont la composition est tout bonnement hallucinante. Complètement fou furieux au début, son personnage devient peu à peu poignant et tragique au fur et à mesure qu'il est approfondi. C'est dans cette confrontation (qu'on retrouve jusque dans le choix du montage alterné) qu'il faut chercher le sens du titre "Le Choix des armes" qui est polysémique. On peut l'interpréter comme un retour au choix de recourir à la violence lorsque celle-ci frappe à nouveau Noël de plein fouet ou bien à l'inverse, comme la décision d'y renoncer pour mettre fin au cycle infernal de la vengeance. En cherchant par exemple à comprendre cette jeune génération privée de repères, en assumant ses responsabilités vis à vis d'elle, en retissant du lien (aussi bien social que filial). La parole est une arme. L'éducation également comme le laisse entendre la fin de ce film très noir mais où perce une lueur d'espoir.

* Cette confrontation générationnelle de personnages issus d'un même milieu d'origine mais dont les plus anciens se sont embourgeoisés et les plus jeunes au contraire précarisés m'a fait penser au film de Robert Guédiguian "Les Neiges du Kilimandjaro".

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Série Noire

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1979)

Série Noire

Plus glauque et sordide que ce film tu meurs! D'ailleurs le titre en VF du polar de l'américain Jim Thompson* qui l'a inspiré "Des cliques et des cloaques" est évocateur d'une atmosphère parfaitement rendue à l'écran. La banlieue blafarde aux intérieurs décrépis et aux sinistres terrains vagues dans laquelle l'intrigue est transposée fait écho à une galerie de personnages repoussants, véritable lie de l'existence humaine sur laquelle trône le non moins minable Frank Poupart, habité par un Patrick Dewaere dont la performance hallucinée situe son personnage aux portes de la folie. De n'importe quel autre acteur, on aurait dit "qu'est ce qu'il cabotine!". Pas de Patrick Dewaere. Il ne fait pas semblant, quand il se tape la tête contre le capot de sa voiture, il le fait vraiment et on sent que sa prestation borderline, il va la chercher dans les tréfonds de ses tripes**. Ce loser des bas-fonds qui dresse sa personnalité exubérante comme un bouclier face au néant est un véritable one-man show que l'espoir de sortir de son impasse existentielle et l'amour que lui inspire l'énigmatique Mona (Marie Trintignant) aussi mutique que lui est volubile plonge dans une descente aux enfers qui ne semble pas avoir de fond. Alain Corneau a très bien saisi dans ses films la déréliction des banlieues (dans "Le Choix des armes", la Courneuve est filmée de façon quasi-documentaire) et il est assisté pour ce film par l'écrivain George Pérec qui a ciselé les dialogues poétiques pleins d'humour noir, respectés à la lettre malgré une impression d'improvisation. Tout comme la prestation de Patrick Dewaere, ils contrebalancent l'aspect hideux du film sans lui enlever son caractère désespéré. J'ajoute que la bande-son composée de tubes de variété et de disco écoutée sur des postes de radio transistor a quelque chose de grotesque et de poisseux en même temps qui se marie bien avec le reste du film.

* Auteur également du roman à partir duquel Bertrand Tavernier a réalisé "Coup de Torchon", l'un de ses meilleurs films.

** Le rôle est quasiment autobiographique dans le sens où Patrick Dewaere a en vain tenté d'échapper au gouffre insondable qui le rongeait intérieurement de plus en plus en se réfugiant dans des paradis artificiels (drogue, alcool, sexe et jeu).

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Tous les matins du monde

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1991)

Tous les matins du monde

Très beau film né de la passion pour la musique baroque du réalisateur, Alain CORNEAU, du scénariste et auteur du roman Pascal QUIGNARD et enfin du compositeur et violiste catalan Jordi SAVALL qui devint célèbre à la suite du succès du film. Celui-ci fit sortir de l'oubli ce courant musical, les instruments anciens qui lui donnent vie et enfin leurs principaux compositeurs et interprètes.

Le film est en effet centré sur la relation compliquée mais essentielle de deux figures majeures de ce mouvement ayant réellement vécu à l'époque du grand siècle,
deux violistes que tout oppose, du moins en apparence: Marin Marais (Guillaume DEPARDIEU puis son père Gérard DEPARDIEU) et Monsieur de Sainte Colombe (Jean-Pierre MARIELLE). Le premier, qui fut musicqueur à la cour de Louis XIV est du moins dans sa version juvénile solaire, flamboyant, frivole, carriériste et mondain. Le second qui vit en ermite au fond des bois est austère, ascétique et asocial. C'est aussi un grand mystique qui nuit après nuit convoque le fantôme de son épouse disparue à sa table au travers des sons déchirants produits par son instrument si proche de la voix humaine. Moments sublimes et saisissants
qui réactualisent le mythe d'Orphée au travers de la nature morte aux gaufrettes peinte par un autre artiste qu'Alain Corneau sort de l'oubli, Lubin Baugin (Michel BOUQUET). Marais et Colombe sont cependant réunis par des fêlures communes. Ils ont perdu leur voix ou sont fâchés avec le langage. Et ils ont la mort d'une femme qu'ils ont abandonné sur la conscience. La viole de gambe devrait les sortir de leur enfermement intérieur mais Sainte Colombe le janséniste se replie sur lui-même et s'isole du monde alors que Marin Marais après avoir été son élève se perd dans les fastes de la cour. Du moins jusqu'à ce qu'il soit rattrapé par une sourde mélancolie, un vide intérieur qui de son propre aveu lui fait "fuir les palais et rechercher la musique", celle de Sainte-Colombe en l'occurrence, produite par lui et pour lui seul qu'il va s'ingénier à apprendre et mémoriser pour pouvoir la transmettre avec l'accord de ce dernier. L'ambiance intimiste du film est créée par la musique, les éclairages en clair-obscur et enfin les gros plans fixes scrutant les visages de Gérard DEPARDIEU et de Jean-Pierre MARIELLE, tous deux bouleversants. Les dix premières minutes du film, poignantes laissent ainsi les musiciens de la cour hors-champ alors que peu à peu les ténèbres se referment telles un tombeau sur l'expression douloureuse du visage de Marin Marais.

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