« Serial Mother » , film culte de la première moitié des années 90 est une satire vitriolée de l’american way of life, mélange de "Desperate Housewives" (2004) et de thriller hitchcockien avec une bonne dose d’humour absurde. Le personnage central de l’histoire est Beverly Sutphin (Kathleen TURNER), l’archétype de la mère au foyer irréprochable qui joue à la perfection son rôle de vitrine souriante de la famille américaine modèle. Celle qui trie ses déchets, offre un verre aux éboueurs, se rend aux réunions parents-professeurs avec un cake aux fruits maisons, à l’église le dimanche et adore les petits oiseaux. Évidemment derrière c’est le grand vide à l’origine d’une névrose carabinée laquelle se transforme en folie meurtrière. Le sexe et la violence bannis en façade des lotissements de banlieue proprets se déchaînent dans les magazines et à la TV avant de se déverser comme une benne à ordures par l'arrière-cour (la poubelle étant la métaphore qui ouvre le film). La moindre incartade vis à vis du code social et moral et c’est le zigouillage en règle. Beverly utilise tout ce qui lui tombe sous la main. Son téléphone et des lettres anonymes tout d'abord pour harceler la voisine qui a eu le toupet de lui griller sa place de stationnement. Le flot d'injures jusque là réprimées précède le passage à l'acte violent avec des ciseaux, un tisonnier, un climatiseur, une voiture ou une bombe à gaz. Le ton est volontiers outrancier et le mauvais goût, assumé ce qui souligne l’obscénité de la société américaine qui fait du fric sur ses pulsions morbides (Serial Mom devient une star, une marque que l’on s’arrache pour des droits d'adaptation TV ou pour des produits dérivés et si le dernier meurtre a lieu sur une scène en plein concert, ce n’est pas par hasard). Le procès devient lui-même une parodie où Beverly mène tout le monde par le bout du nez. Si certains passages font mouche, le film est toutefois inégal, la farce grotesque aussi subtile qu’un gros pudding s’avérant indigeste sur 1h30.
"Parasite" comme "Metropolis" de Fritz Lang ou "Entre le ciel et l'enfer" de Akira Kurosawa se déroule dans une ville verticale symbolisant la hiérarchie sociale. Sur les hauteurs dans de spacieuses maisons design agrémentées d'espaces verts vivent les nantis pendant que dans les profondeurs croupissent les parias dans la promiscuité, l'humidité et la vermine. Les deux sociétés semblent séparées par une barrière étanche. Le père de la famille Park ne cesse d'ailleurs de clamer à propos de sa domesticité qu'il la tolère tant qu'elle ne dépasse pas les limites. Mais ce que la famille Park ignore, c'est qu'elle abrite des parias dans sa propre maison qui se sont infiltrés sans qu'elle s'en aperçoive.
Il est en effet beaucoup question de régurgitation et d'émanations dans "Parasite", bref tout ce qui déborde les limites que voudraient tracer des riches à la mentalité hygiéniste pour se protéger des pauvres vus comme une source d'infection: eau qui déborde des égouts et des toilettes, odeurs d'humidité qui collent à la peau et suscitent des remarques humiliantes de la part des patrons dont le fils a "flairé" la supercherie en remarquant que les employés de maison sentaient tous pareil, portes inquiétantes s'ouvrant sur les ténèbres ou sur un bunker souterrain d'où peut surgir à tout moment un ogre sanguinaire, meubles dissimulant des corps suintants qui ne devraient pas se trouver là etc. Bong Joon-ho fait d'ailleurs cohabiter avec maestria le thriller et l'humour (souvent noir) lié aux fakes (les ruses de la famille de Ki-taek pour se substituer au chauffeur et à la gouvernante de la famille Park sont hilarants) et quiproquos (ou plutôt "incidents" comme le dit la maîtresse de maison) qui émaillent le film avec un sens très précis du cadrage, du timing et de la disposition des corps dans l'espace. Ce dispositif rigoureux qui nous réserve son lot de scènes virtuoses et jouissives n'occulte pas l'essentiel, à savoir la guerre des classes qui se joue dans le film, doublée d'une concurrence féroce des prolos entre eux pour accaparer les emplois de maison. La loi de la jungle du capitalisme mondialisé dans le contexte d'un huis-clos en somme. Les personnages, qu'ils soient de la haute ou des bas-fonds ont tous leurs parts d'ombre et de lumière. Aucun n'est un monstre mais ils sont pris au piège d'un engrenage infernal qui les dépasse et qui aboutit à une explosion de violence. On pense beaucoup à "La Cérémonie" de Claude Chabrol, référence avouée de Bong Joon-ho autant pour les petites humiliations du quotidien que pour la spectaculaire résolution finale.
Film défouloir kitschissime entre glam rock et movida tout entier polarisé sur Frank, sa star transgenre charismatique et l’hallucinante performance de celui qui l’incarne, Tim (MER)CURRY ^^. Bien que bourré de références de toutes sortes, notamment aux films hollywoodiens de monstres souvent détournés ou parodiés (J’aime particulièrement la créature de Frankenstein new look bodybuildée et bronzée sortant d’un cercueil arc en ciel et puis tel King-Kong, faisant l’ascension de la tour RKO avec Frank évanoui), le film est profondément ancré dans les seventies (dimension contestataire et libertaire, paranoïa). Face au couple aseptisé joué par Susan SARANDON et Barry BOSTWICK, Frank apparaît par antithèse comme un vampire sexuel affamé de chair fraîche. Les chansons et même certaines chorégraphies ont encore de la gueule aujourd’hui. Mais il manque à ce film une vraie mise en scène (on est davantage dans un enchaînement de numéros dans des décors statiques) et un vrai scénario. Voir tous ces pantins sans consistance s’agiter frénétiquement sans but véritable finit par lasser. Quant à l’hédonisme débridé du film, il n’est que l’envers de la médaille du puritanisme du début, une autre forme d’aliénation phallocrate symbolisée par l’emprise que Frank a sur ses créatures déshabillées et utilisées comme des poupées gonflables à usage unique, puis transformées en statues puis en pantins transformistes décalquées sur leur modèle. L’affichage transgenre dissimule en réalité un sexisme tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Janet passe ainsi du statut de sainte-nitouche à celui de salope (comme un air de déjà vu). Quant à Frank, une fois ses méfaits accomplis, il repart dans l’espace et n’aura constitué qu’une parenthèse de carnaval servant au final à conforter l’ordre établi.
"Beetlejuice" préfigure "Mars Attacks!" (1997) c'est à dire le côté "affreux, sale et méchant" (et très sarcastiquement drôle) de Tim BURTON. Mais alors que "Mars Attacks!" (1997) est une satire politique, "Beetlejuice" se concentre sur la sphère domestique avec ce qu'on pourrait appeler une bataille rangée pour l'appropriation d'une maison entre deux clans aussi caricaturaux l'un que l'autre:
- D'un côté le couple Maitland (Alec BALDWIN et Geena DAVIS alors tout jeunots) qui incarne l'Amérique profonde, celle qui ne jure que par le "home, sweet home". Cela donne (en caricaturant juste un peu) un couple qui ne rêve que de rester chez lui, y compris pendant les vacances et pour qui "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Eux mêmes le sont tellement (gentils) qu'ils n'osent pas toucher à la décoration vieillotte de leur maison qui est l'œuvre de l'ancienne propriétaire, laquelle œuvre à les en chasser. En effet ils font tache dans le paysage de "L'Américan way of life" car ils n'ont pas d'enfants et donc "la maison est trop grande pour eux". Finalement, les vœux des uns et des autres finissent par se réaliser avec l'accident qui coûte la vie aux Maitland. Ces derniers se retrouvent à l'état de fantômes enchaînés à leur maison pour 125 ans (ils vont en bouffer du "home, sweet home!") alors que l'ancienne propriétaire, débarrassée d'eux va pouvoir choisir des propriétaires plus conformes à ses souhaits.
-Pourtant les Deetz qui leur succèdent ne sont pas non plus les candidats idéaux. Ce sont des néo-ruraux issus de la bourgeoisie new-yorkaise affairiste et branchée. A travers eux, Tim BURTON caricature les élites urbaines avec délectation, que ce soit leur snobisme ou leur recherche du profit. Je pense en particulier à leurs goûts esthétiques discutables que ce soit les sculptures de Delia (Catherine O HARA) ou le réaménagement de la maison façon art moderne sous la direction de Otho (Glenn SHADIX) ainsi qu'à leur réaction intéressée lorsqu'ils découvrent que la maison est hantée. Il n'est guère étonnant que les Maitland fassent un "rejet" de ces nouveaux occupants et cherchent à leur tour à les chasser de la maison.
-Finalement c'est le personnage de Lydia (Winona RYDER) qui représente le terrain d'entente permettant à tous ces gens de cohabiter ensemble. D'une part parce que c'est une enfant permettant aux Maitland de remplir la case "famille" qui leur manquait. D'autre part parce que sa sensibilité gothique lui permet d'entrer en contact avec les fantômes, une excentricité qui plaît aux Deetz, eux qui aimeraient bien faire du business autour de l'aspect macabre de la maison. En revanche, Bételgeuse/Beetlejuice (Michael KEATON qui cabotine à qui mieux mieux) sorte de (mauvais) esprit frappeur, s'il permet d'animer (au sens propre comme au sens figuré) quelques séquences hautes en couleur est bien trop intenable pour pouvoir s'installer à demeure comme le montre l'échec de sa tentative de mariage avec Lydia.
Finalement, il s'agit d'une histoire qui est à l'image d'un film où cohabitent les contraires dans un joyeux bazar: la grosse farce et le macabre, les prises de vue réelles et l'animation, les décors champêtres en extérieurs et les décors de studios qui font penser à l'expressionnisme allemand des années 20, le tout combiné à des effets kitsch typiques des années 80!
"Le Drôle de Noël de Scrooge" est la troisième adaptation du célèbre conte de Charles Dickens par les studios Disney après "Le Noël de Mickey" (1983) et "Noël chez les Muppets" (1992). C'est également la troisième film d'animation en motion capture de Robert ZEMECKIS après "Le Pôle Express" (2004) et "La Légende de Beowulf" (2007). La fascination de Robert ZEMECKIS pour les nouvelles technologies notamment en ce qui concerne la combinaison entre le réel et l'animation l'ont poussé à fonder le studio d'effets spéciaux numériques IMD (Image Movers Digital) qui a été ensuite racheté par Disney de 2007 à 2010. C'est durant cette période de collaboration qu'est né un film dont l'aspect expérimental, lugubre et effrayant l'emporte sur l'aspect édifiant et merveilleux. On retrouve en effet les thèmes chers du réalisateur tels que l'hybridité, l'envol (les séquences aériennes sont proprement vertigineuses), les voyages spatio-temporels ou le dédoublement (les acteurs prêtent leurs traits à plusieurs personnages, par exemple Jim CARREY joue les trois fantômes en plus de Scrooge). Certains passages du film utilisent les effets 3D pour flirter avec le film d'épouvante notamment la séquence cauchemardesque du fantôme des noëls futurs. Robert ZEMECKIS y expérimente avec brio le passage de la 2D à la 3D quand l'ombre de la main de la grande faucheuse prend du volume ce qui la rend autrement plus tangible et effrayante.
En dépit de tous ces aspects positifs, le film n'est pas une pleine réussite. Tout d'abord parce que la morale du conte est aujourd'hui frappée d'obsolescence. "L'esprit de noël" apparaît comme un moyen de s'acheter (ou se racheter) une bonne conscience à peu de frais. La fête en elle-même ressemble surtout à un moment social convenu où il est de règle selon la morale chrétienne d'être convivial, généreux et charitable (ce qui dispense de l'être le reste de l'année?). Scrooge a beau être un odieux personnage, on perçoit aujourd'hui que ce qui est stigmatisé dans son comportement ce n'est pas seulement son inhumanité mais également sa résistance à la norme. On ne peut pas expliquer autrement par exemple l'acharnement de son neveu à vouloir l'inviter chez lui alors que sa réaction naturelle aurait été de le fuir. Cette confusion explique que la rédemption morale de Scrooge passe par sa soumission aux règles du jeu social. La manière dont a lieu cette rédemption est d'ailleurs discutable tant elle semble motivée par la crainte de la damnation bien plus que par une conversion authentique. Il faut dire que la peur de l'enfer était un bon moyen pour l'Eglise d'établir son emprise sur les âmes. Mais le recul de son influence sur les sociétés européennes fait que les ficelles idéologiques du conte apparaissent plus visibles. Ensuite la technique d'animation en motion capture produit un résultat assez froid et artificiel. Les personnages en particulier ressemblent à des pantins sans substance, ni âme. Leurs visages manquent d'expressivité, leurs mouvements de fluidité et leurs corps de densité.
"La petite boutique des horreurs" de Frank OZ est un remake eighties du film éponyme des années 60 de Roger CORMAN. Il faut dire qu'à l'époque la paranoïa liée à la guerre froide battait son plein et que les invasions d'extra-terrestres hostiles (ici sous forme de plantes) étaient nombreuses. Bien que le film de Frank OZ soit résolument kitsch et rétro (les robes et les rêves d'Audrey sont typiquement ceux de la ménagère américaine des années 60 accro à l'american way of life), il ajoute plusieurs nouveautés.
Tout d'abord, il s'inspire directement de la comédie musicale adaptée du film de Roger CORMAN. Composée par Alan MENKEN et écrite par Howard ASHMAN, la première fut jouée en 1982 dans une petite salle avant que, succès aidant elle ne déménage pour une salle plus prestigieuse où elle fut jouée pendant cinq ans. Il est d'ailleurs très dommageable que les paroles des chansons sur le DVD français ne soient pas traduites car elles participent directement à l'action.
Ensuite, il fait intervenir dans les rôles secondaires toute une brochette d'acteurs comiques, la plupart issus du Saturday night live des années 80 : Christopher GUEST, John CANDY, Bill MURRAY et James BELUSHI (frère du regretté John BELUSHI des BLUES BROTHERS). La scène la plus drôle du film est celle où Bill MURRAY (qui reprend le rôle du patient masochiste tenu dans le film de Roger CORMAN par Jack NICHOLSON) se rend chez un dentiste sadique (joué par Steve MARTIN qui lui aussi a fait ses classes au Saturday night live) dans l'espoir de se faire charcuter. Mais l'attirail pourtant impressionnant d'appareils de torture exhibé par ce dernier ne réussit qu'à lui soutirer des soupirs d'extase!
Enfin ce film préfigure en un certain sens les comédies d'adolescents/adultes obsédés par la perte de leur pucelage tout en étant plus digeste qu'une "American Pie" (1999). La métaphore de la plante à laquelle le héros (joué par l'impayable Rick MORANIS vu notamment dans "S.O.S. fantômes" (1984) aux côtés de Bill MURRAY) se pique le doigt et qui porte le prénom de la fille qu'il convoite est assez limpide, depuis au moins "La Belle au bois dormant" (mais j'aime bien aussi le poème "Ronce au tronc gris" de Federico Garcia Lorca).
La genèse de ce chef-d'œuvre de l'animation est le reflet de son intrigue. Il y est en effet question de cases, de marginalité et de normalité et au final de mélange des genres.
L'ouverture du film montre des cases ou plutôt des portes dans des arbres. Chacune ouvre sur une fête différente. Mais Halloween et Noël sont-elles réellement à l'opposé l'une de l'autre? La réponse du film jette la confusion. Halloween est joyeusement macabre grâce à l'animation d'esprits et de monstres plein de ressources, d'énergie et de vitalité alors que Noël est triste sous un maquillage festif. Elle se réduit à une succession de pièces vides que l'on remplit avec des objets "politiquement corrects". Il faut dire que son maître est lui-même un pur produit de consommation (issu d'une publicité pour Coca-Cola, faut-il le rappeler ?)
La manière dont Jack Skellington va secouer la torpeur de ces noëls convenus ressemble à s'y méprendre à celle de Tim BURTON employé au sein des studios Disney au début des années 80. Ceux-ci sont alors en panne de créativité et leur vision du monde bien-pensante leur fait rejeter tout ce qui est différent. Pourtant c'est de cette différence que pourrait venir leur revitalisation. Ils refusent donc d'assumer le décalage burtonien qui s'en va alors prouver son talent sous d'autres cieux. Mais le poème écrit par Tim BURTON qui est à la base de "L'étrange Noël de monsieur Jack" reste la propriété de Disney. Burton et le studio se retrouvent donc 10 ans après pour réaliser ce projet, le premier ayant acquis une notoriété suffisante pour crédibiliser l'entreprise et le second ayant un nouveau directeur plus éclairé, Michael Eisner . Néanmoins avant de devenir le 41° long-métrage du studio et de trôner dans ses parcs à thèmes à chaque Halloween, il lui faudra passer par la filiale Touchstone, l'image du film étant décidément trop décalée avec le style bonbonnière habituel de Disney. Tim BURTON a réussi au bout du compte à casser les codes et à faire accepter à l'Amérique son côté sombre (comme avec les films Batman) et ambivalent ce qui n'est pas une mince affaire dans un pays marqué par un mode de pensée manichéen qui veut maîtriser le monde en collant des étiquettes à chacun.
La réussite totale du film n'est cependant pas seulement due à Tim BURTON. Il s'est appuyé autant par manque de temps que de savoir-faire sur Henry SELICK, un spécialiste de l'animation en stop-motion qui n'avait pas eu droit aux honneurs d'un long-métrage depuis des décennies. Le succès du film ouvre la porte à d'autres longs-métrages de ce type qu'ils soient réalisés par Tim BURTON, Henry SELICK ou d'autres (Wes ANDERSON, Nick PARK etc.) Et la musique de Danny ELFMAN est tout simplement exceptionnelle. Les chansons envahissantes des films Disney sont la plupart du temps convenues et superflues. Ici elles font corps avec la narration et la mise en scène, contribuant à leur lisibilité et à leur dynamisme.
Plus abouti au niveau technique que le premier volet, mieux rythmé et encore plus jouissif, "Les valeurs de la famille Addams" est un jeu de massacre jubilatoire contre le conformisme et l'hypocrisie de la société américaine.
Dès le premier volet on s'attache à cette famille de prime abord étrange mais ultra attachante, ouverte à la différence (forcément!) et plutôt matriarcale. Les femmes s'y révèlent exceptionnellement fortes et charismatiques ce qui est logique quand on sait que la chasse aux sorcières de la Renaissance était en réalité une guerre contre les femmes trop émancipées, celles qui menaçaient l'ordre patriarcal. Or Morticia (Angelica Huston) et Mercredi (Christina Ricci) sont les héritières de ces femmes incontrôlables. Elles ont une relation sadomasochiste avec l'époux (pour la première) et le frère (pour la seconde) qui s'avère au final source de plaisir, d'équilibre et dans le cas du couple parental, de passion physique inépuisable.
Le deuxième volet va encore plus loin dans cette voie subversive. S'il met en sourdine les effusions du couple Gomez-Morticia il leur offre quand même une scène de tango "caliente" (au sens propre) mémorable. Il s'amuse aussi beaucoup avec la libido de l'oncle Fétide dont on découvre les penchants voyeuristes (il observe par le trou de la serrure les ébats de son frère et de Morticia) avant qu'il ne tombe sous la coupe d'une mante religieuse aux faux airs de Marilyn Monroe. L'immense pavillon de banlieue atrocement kitsch du couple est une caricature efficace du rêve américain.
Mais la palme du mauvais esprit est décrochée par Mercredi qui est la véritable vedette de cette suite. Mercredi a déclaré définitivement la guerre au politiquement correct. Avec son franc-parler, elle décoche quelques flèches bien senties. Par exemple, à une fillette qui déclare que les bébés naissent dans les choux elle répond que ses parents eux ont un sexe. En guerre avec le nouveau bébé de la famille qu'elle essaye d'expédier par 1001 moyens plus macabres les uns que les autres dans l'autre monde, elle est envoyée avec son frère dans un camp de vacances où sévit un conformisme et un racisme écoeurant. Tous les enfants qui ne répondent pas aux critères WASP (les minorités ethniques mais aussi les gros, les asthmatiques, les handicapés, les bras cassés, les brunes aux vêtements sombres qui n'affichent pas un sourire éclatant etc.) sont exclus des premiers rôles. Les plus récalcitrants sont punis et il n'est guère étonnant que Mercredi et son frère soient en tête de liste avec Joel qui a le tort d'être intello et juif (partenaire naturel de la sorcière dans le rôle du bouc-émissaire victime de lynchage). Mais la vengeance de Mercredi nous vaut une scène d'anthologie lorsque déguisée en Pocahontas elle rétablit la vérité historique malmenée par la pièce de théâtre de Thanksgiving pro-WASP jouée au camp. Avant que la petite musique ironique du générique ne retentisse au moment où elle s'apprête à faire frire sur le bûcher l'élève la plus insupportable du camp pendant que ses camarades parias ne fassent rôtir les animateurs et n'incendient le camp dans un retournement historique...croustillant.
Le film parfait pour célébrer Halloween d'autant qu'il est ressorti en salles le 25 octobre pour ses 25 ans (rajoutons que l'on fête dans l'intrigue le retour de l'oncle fétide qui a disparu depuis 25 ans). Il a certes un peu vieilli et manque parfois de rythme mais il reste intéressant à plus d'un titre.
Pour mémoire, il s'agit d'une satire de la famille américaine à travers son double monstrueux, une famille de gothiques freaks gentiment frappés inventée par le dessinateur Charles Addams dans les années 30. Aux WASP puritains et moralisateurs, les Addams répondent en célébrant le sexe (tendance sado-maso) et la mort soit les deux plus gros tabous de l'Amérique. Les second rivalisent également de mauvais esprit et de mauvais goût pour s'attaquer aux premiers, cassant les carreaux de leurs maisons-bonbonnières ou repeignant de rouge sang leurs visages pâles et leurs couleurs pastels. A ce petit jeu, ce sont les femmes qui s'en sortent le mieux grâce aux prestations marquantes des actrices du film. Angelica Huston est magnétique en Morticia dont l'hyper sensualité vénéneuse n'a d'égale que son humour subversif débité sur un ton imperturbablement aimable et éthéré. Et Christina Ricci alors débutante impose une Mercredi aussi fascinante qu'inquiétante. Son apparence de petite fille modèle est systématiquement démentie par les jeux sadiques auxquelles elle s'adonne, mettant en lumière les facettes obscures de l'enfance.
La vitalité de cette famille (les parents irradient de désir l'un pour l'autre, les enfants y sont très libres, l'oncle finit par s'y sentir s'y bien qu'il ne veut plus la quitter) met paradoxalement en lumière la morbidité névrotique de la famille ordinaire, coupée des aspects indésirables et pourtant vitaux de son existence.
L'animation française a encore frappé très fort avec ce merveilleux film à déguster sans modération qui "déniaise" le genre tout en restant accessible au plus grand nombre (les enfants peuvent l'apprécier dès 5-6 ans).
Zombillenium, c'est une atmosphère, gothique et brumeuse, portée par des graphismes d'une beauté et d'une originalité que l'on avait pas vu depuis longtemps dans le cinéma d'animation. Il n'y a d'ailleurs pas que l'atmosphère qui est originale dans Zombillenium. Le mélange de comédie, d'horreur, d'énergie rock et punk, de lutte des classes et enfin de romance est inédit.
Zombillenium nous scotche également par la puissance avec laquelle il nous parle d'un drame social qui n'était jusque là illustré que par quelques banderoles de la CGT. Le film se situe dans un contexte historique, géographique et sociologique précis, celui du Nord de la France, pas le Nord métropolisé et intégré dans la mondialisation mais le Nord des anciennes mines de charbon et des terrils, sinistré par le chômage. Le générique de début, remarquable de bout en bout, évoque la reconversion économique de la région. A savoir comment le parc d'attraction (activité tertiaire touristique soumise aux lois du capitalisme mondialisé) a poussé sur les ruines de la mine de charbon (dans un contexte de désindustrialisation de la France) alors que les mineurs, pris dans un "coup de grisou" (au sens propre et au sens figuré) devenaient les zombies-employés du parc. Ces zombies "pas assez glamour" contrairement aux vampires scintillants et romantiques néo-Twilight qui font fureur auprès des touristes-consommateurs, les actionnaires veulent définitivement les effacer du paysage en les envoyant trimer dans les tréfonds de l'enfer (qui ressemble étrangement aux barbaresques de la "Folie des grandeurs" de Gérard Oury).
La résistance s'exprime en musique, comme celle des esclaves noir-américains. La puissance des séquences musicales est un autre moment fort du film. Arthur du Pins (auteur de la BD d'origine et réalisateur) et Alexis Ducord (co-réalisateur et scénariste) ont fait appel à Mathieu-Emmanuel Monnaert, alias Mat Bastard, chanteur du groupe punk "Skip the use" pour un concert d'anthologie. Mais l'utilisation de la chanson de Pierre Bachelet "Les Corons" est tout aussi forte.
Seul bémol, un scénario un peu "bateau" avec un personnage en trop, Lucie sans lequel il n'y aurait eu aucun enfant dans le film. Les auteurs n'ont pas très bien réussi à intégrer cette variable enfantine dans leur histoire mais cela reste accessoire au vu de la qualité de l'ensemble.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.