"Marius et Jeannette" est le film le plus célèbre de Robert GUEDIGUIAN, celui qui lui a apporté la notoriété et qui bénéficie d'un fort capital sympathie. Il faut dire qu'il s'agit de son propre aveu d'un conte et d'un conte particulièrement bien ficelé. Le titre déjà fait forcément écho aux deux premiers volets de la trilogie marseillaise de Marcel PAGNOL, "Marius" (1931) et "Fanny" (1932). Pas seulement le titre d'ailleurs, le décor et l'accent évidemment mais aussi la pittoresque micro-société formée par Jeannette (Ariane ASCARIDE) et ses voisins qui se retrouvent dans la cour de leur résidence pour rire, discuter, regarder la télé, préparer les repas, cour partagée qui est un lieu de sociabilité en forme de petit théâtre tout à fait comparable au café de César chez Marcel PAGNOL. Cet espace de convivialité plein de vie tranche avec celui de la cimenterie désaffectée, symbole de la désindustrialisation mais aussi de la disparition du monde ouvrier et de sa culture. Dans ce désert minéral, la seule présence vivante est celle du vigile, Marius (Gerard MEYLAN), un homme solitaire, taciturne et boiteux. Jeannette qui a du mal à joindre les deux bouts, seule pour élever ses enfants avec son boulot de caissière tente de chiper des pots de peinture aux abords de la cimenterie et se fait attraper par Marius. N'ayant pas sa langue dans sa poche, elle lui dit ce qu'elle pense de son boulot de sous-fifre, de même qu'au petit chef qui la flique dans son dos à la caisse, ce qui lui vaut d'être renvoyée. Mais puisque c'est un conte de fées, son franc-parler fait des miracles: le petit chef change de métier et Marius vient toquer à la porte de la communauté et bientôt dans le coeur de Jeannette. Robert GUEDIGUIAN créé ainsi une romance pleine de charme (l'alchimie des deux acteurs est parfaite et pour cause, ils tournent ensemble depuis le premier film de Robert GUEDIGUIAN et font partie de ses proches), cimentée par la solidarité du chaleureux groupe qui les entoure (eux aussi membres de la troupe). Un ciment humain qui s'oppose en tous points à la sinistrose économique où la rareté du travail atomise les groupes, transformant chacun en concurrent potentiel (voir l'interminable file de chômeuses attendant un entretien d'embauche faisant écho au récit de Marius expliquant par quelle ruse il a réussi à obtenir son emploi).
Le clown Chocolat est la première star noire-africaine ayant percé en France au tournant de la Belle Epoque. Les traces iconographiques de sa notoriété dans les dessins de Henri Toulouse-Lautrec ou dans la campagne du chocolat Felix Potin ("battu et content") illustrent pour la plupart les stéréotypes racistes en vigueur à l'époque, Chocolat n'ayant été accepté que par son rôle de faire-valoir du clown blanc George Foottit avec lequel il a formé un duo a grand succès avant de chercher à se détacher en vain de cette image humiliante et de tomber dans l'oubli. Jusqu'aux travaux de l'historien Gérard Noiriel qui se sont conclus en 2012 avec la publication d'un livre lui étant consacré. C'est ce livre qui a servi de base au film réalisé par Roschdy ZEM, même si celui-ci a pris pas mal de libertés avec l'histoire, notamment la relation entre Chocolat (Omar SY) avec George Foottit qui était davantage basée sur la rivalité que sur l'amitié. Il n'en reste pas moins que les caractères bien dessinés des deux personnages et l'alchimie entre les acteurs font que leur duo est très intéressant à regarder de par leur dynamique complexe. Si Chocolat doit supporter de terribles blessures d'amour-propre, c'est lui qui attire la lumière (il est seul sur les affiches!), les femmes et qui flambe l'argent. Foottit est quant à lui hors de la scène renvoyé dans l'ombre où il rumine ses frustrations. J'ai découvert James THIERREE dont la ressemblance avec son grand-père Charles CHAPLIN est extrêmement frappante et qui a une présence indiscutable. Si le message est parfois trop appuyé (la séquence de la prison par exemple où Chocolat est maltraité n'a pas existé!), certaines séquences sont délicieuses comme celle, véridique du tournage d'un film des frères Lumière (joué par les frères Bruno PODALYDES et Denis PODALYDES) mettant en scène les deux clowns.
Etonnant, ce Toni Erdmann qui évolue entre mélancolie quasi-dépressive et soudaines embardées burlesques totalement jouissives. Un burlesque qui m'a rappelé par certains côtés celui des frères Marx en raison de leur capacité à subvertir les rôles sociaux en démasquant par là-même leur vacuité. Dans le rôle du bouffon, un sacré personnage, Winfried (Peter SIMONISCHEK) qui dès la première séquence mystifie le facteur et le spectateur avec un récit farfelu et un dédoublement de personnalité. Par la suite, découvrant le mal-être de sa fille qui s'est enfermée dans un rôle d'exécutive woman chargée de préparer des plans de restructuration en Roumanie, il décide de surgir à l'improviste dans des déguisements désopilants pour l'entraîner dans des dialogues et des situations absurdes. Dans le rôle de Ines, Sandra HULLER excelle à traduire toute l'ambivalence de son personnage de freak control désincarné qui tente de mettre son père à distance tant elle en a honte mais s'effondre quand il fait semblant de partir. Ce double mouvement contradictoire donne tout son sel aux scènes où il la place dans des situations embarrassantes mais qui finissent par produire de petites (le rire) puis de grandes étincelles de complicité (le chant). A l'univers métallique, inhumain et hors-sol de l'entreprise auquel appartient Ines répondent les aventures incarnées que lui fait vivre Winfried qui noue le contact avec les roumains et entre dans leurs maisons. Jusqu'à la scène de l'anniversaire où Ines improvise son propre scénario et se libère littéralement d'une robe -d'une peau- dans laquelle elle était trop engoncée sous l'oeil bienveillant d'un énorme yéti. En dépit d'une durée trop longue qui se ressent par des baisses de rythme, le film par sa prise de recul salutaire interroge et bouscule nos perceptions et nos valeurs.
"Mes petites amoureuses" (d'après le poème de Arthur Rimbaud qui a incarné à lui seul l'adolescence rebelle bien avant Jean-Pierre LEAUD) aurait dû être un tremplin pour son réalisateur, Jean EUSTACHE comme l'avait été "Les Quatre cents coups" (1959) pour Francois TRUFFAUT. Mais cela ne fut pas le cas. Sans doute parce que le ton du film était trop âpre, trop amer bien que détaché. On y voit un jeune garçon de treize-quatorze ans qui sans doute renvoie au réalisateur étant donné que le film a une forte résonance autobiographique faire l'apprentissage de la vie sous l'angle des désillusions. Ce qui m'a frappé, c'est le contraste entre la vitalité et les aspirations de Daniel et les déceptions que la vie lui réserve. Le film s'ouvre pourtant sur de belles promesses. Daniel a été déclaré apte pour le collège, il ressent ses premiers émois, il a des amis et une grand-mère bienveillante jouée par la merveilleuse Jacqueline DUFRANNE que j'ai tant aimé chez Maurice PIALAT (lequel vient d'ailleurs jouer une petite scène dans le film). Hélas pour lui, sa mère le ramène chez elle à Narbonne où elle vit avec un ouvrier espagnol mutique sans avoir rien à lui offrir sinon de la promiscuité, de l'indifférence et de l'aigreur. Elle lui coupe les ailes en le mettant en apprentissage chez un mécanicien qui ne pense qu'à l'exploiter ce qui transforme Daniel en tire-au-flanc. En amour ce n'est pas mieux, ses initiatives maladroites se heurtent à une société encore très pudibonde et il en est réduit la plupart du temps à jouer les voyeurs. Le seul refuge de Daniel est le cinéma, le rêve à défaut d'une vie réelle mais décevante. Ce qui n'empêche pas d'apprécier la beauté de la photographie, les paysages solaires et bucoliques et 1001 détails de la vie d'autrefois saisis avec réalisme.
La bande-annonce m'avait donné envie de voir le film qui avait l'air drôle sauf qu'en réalité il est absolument navrant. J'ai pour principe de ne jamais quitter la salle en cours de route mais j'avoue qu'à deux ou trois reprises, ça m'a démangé car il ne faut que dix minutes pour comprendre le problème: les différents éléments de la sauce ne se raccordent jamais entre eux. On a donc des ch'tis du cru qui vivent leur vie en toile de fond et de temps en temps viennent balancer une ou deux blagounettes sans se soucier de l'histoire SF mise au premier plan avec une touche de polar et d'érotisme, ici et là. Visiblement, Bruno DUMONT a pensé qu'il pouvait se passer d'un scénario et qu'il lui suffirait de juxtaposer les différents éléments de son film pour que ça fonctionne. Or ce n'est pas le cas. On décroche d'autant plus vite que le rythme est extrêmement lent pour ne pas dire contemplatif et qu'il ne se passe quasiment rien. On comprend vaguement que les deux empires galactiques représentent le bien et le mal et qu'ils vont se bouffer entre eux, l'un dirigé par Fabrice LUCHINI qui n'est absolument pas drôle et l'autre par Camille COTTIN qui n'a droit qu'à une scène où elle peut jouer normalement, le reste du temps, elle est une sorte d'ectoplasme parlant une langue inconnue (sous-titrée heureusement). Leurs émissaires sur terre se disputent un bébé dont on ne comprend pas bien ce qu'il représente (Jésus? Satan? Les deux?) mais surtout batifolent dans les prés, les deux filles, Jane et Line (Anamaria VARTOLOMEI et Lyna KHOUDRI) avec leurs crop tops et leurs jupes au ras des fesses servant surtout à taquiner le goujon du pseudo-héros, un pêcheur-cavalier qui joue comme une brêle. La seule qualité du film est esthétique, ce sont les paysages de la côte d'Opale, superbement filmés et le design des vaisseaux spatiaux, une cathédrale et un château volants.
En regardant "Just a kiss" (2004), j'ai pensé à "My Beautiful Laundrette" (1985) de Stephen FREARS qui racontait également une histoire d'amour (gay de surcroît) entre deux jeunes, l'un d'origine britannique et l'autre d'origine pakistanaise cherchant à réussir, le tout dans un contexte difficile (les années Thatcher pour Stephen FREARS, les retombées du 11 septembre pour le film de Ken LOACH). Les premières images joyeuses de "Just a kiss" (2004) sont assez éloignées de l'univers habituel de Ken LOACH et de fait, "Just a kiss" est atypique dans sa filmographie même si à y regarder de plus près, le cinéaste s'est essayé à employer un ton plus léger dans d'autres réalisations ("La Part des anges" (2012) par exemple). De fait, "Just a kiss" peut être rangé dans la catégorie des comédies romantiques même si le film a également une portée sociale et critique. En témoigne des gags très efficaces comme celui du moyen inventé par le père de Casim pour empêcher les chiens d'uriner sur la réclame située devant son épicerie, la parenthèse espagnole où les amoureux batifolent en toute liberté et les scènes festives de boîte de nuit. C'est tout à fait adapté à l'âge des personnages principaux qui par ailleurs sont issus de la classe moyenne et non du prolétariat, c'est frais et agréable à suivre. Néanmoins, Ken LOACH n'a pas oublié ses combats et s'en prend avec virulence aux communautarismes et à l'intolérance religieuse. Et ce dès l'introduction de son film où la soeur cadette de Casim, Tahara refuse qu'on la réduise à sa confession. Son discours ressemble à celui de Sidney POITIER qui voulait que l'on prenne en compte les autres facettes de sa personnalité (artiste, américain etc.) et pas seulement sa couleur de peau. Tahara doit se battre sur deux fronts, le racisme blanc d'un côté, le patriarcat pakistanais de l'autre qui veut l'empêcher de s'émanciper. Son frère Casim n'a quant à lui pas le courage de s'affirmer face à sa famille qui fait des projets pour lui en lui préparant un mariage arrangé avec une cousine et en construisant un logement annexe à leur pavillon. Or il est tombé amoureux d'une belle prof de musique blonde et catholique et il rêve d'ouvrir un club dont il serait le dj. Sa copine Roisin se heurte de son côté au puritanisme religieux de l'école catholique où elle travaille ce qui nous vaut la scène la plus violente du film. Du pur Ken LOACH où un prêtre refuse de lui renouveler son certificat de bonne conduite, indispensable pour qu'elle conserve son travail sous prétexte qu'elle a une relation hors-mariage avec un musulman. Cette scène est une véritable piqure de rappel pour tous ceux qui ont oublié ce que la religion pouvait avoir de paternaliste et d'intrusif en cherchant à régenter la vie privée de ses ouailles. Quant à la famille de Casim, elle est renvoyée aux limites consistant à élever des enfants en Ecosse tout en faisant comme si elle résidait toujours au Pakistan. Mais l'histoire du père de Casim qui se confond avec celle de son pays aide à mieux comprendre son comportement. Bref un film qui allie avec réussite légèreté relative et réflexion.
J'ai failli ne pas voir "Le dernier des juifs" étant donné que j'ai acheté la dernière place disponible dans une salle pleine à craquer. Heureusement que le film au sujet sensible a pu sortir dans les conditions prévues. Il s'agit d'un premier film à petit budget, plein d'imperfections (un rythme mollasson, des répétitions) mais attachant et pertinent, plus mélancolique que drôle. Le film repose sur la relation fusionnelle d'une mère et d'un fils séfarades (Michael ZINDEL et Agnes JAOUI) vivant repliés sur eux-mêmes dans un territoire réduit aux dimensions d'un modeste appartement de HLM de banlieue. Autour d'eux, c'est le désert, la communauté juive a fui le quartier devenu hostile, la synagogue et les commerces spécialisés ont fermé. Ruben Bellisha a beau essayer de cacher la vérité à sa mère en lui racontant des bobards, elle dépérit, incapable de partir mais incapable aussi de rester autrement que dans la nostalgie d'un passé fantasmé (parce que l'Algérie coloniale n'était pas vraiment un succès en terme de vivre-ensemble c'est le moins que l'on puisse dire!) Plus que "Goodbye Lenin" (2001) auquel on l'a comparé (un monde disparu que le fils cache par ses mensonges à la mère malade et alitée), c'est à "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) que j'ai pensé en terme d'atmosphère entre désaffiliation et solitude. A cette différence près que Bellisha est une sorte de Pierrot lunaire dont l'incapacité à s'intégrer où que ce soit -y compris et surtout dans sa propre communauté, que ce soit en France ou en Israël, destination un temps envisagée- se marie avec son goût du mensonge, lequel lui sert à créer un monde sans clivages identitaires où il serait heureux. Son imperméabilité vis à vis des codes et son caractère tendre et doux lui permettent de rester imperturbable face aux attaques antisémites dont lui et sa mère font l'objet mais également de susciter la sympathie aussi bien chez les jeunes du quartier d'origine africaine que chez un vieux franchouillard adepte de la bonne franquette rouge-camembert sans parler de sa copine mariée que l'on devine d'origine arabo-musulmane. Bellisha est un avatar contemporain du juif errant, une figure chaplinesque que l'on voit s'éloigner avec sa valise et son baluchon pour un exil sans perspectives après l'échec de toutes les tentatives pour le récupérer.
"Les Pires" est un premier film original et d'une brûlante actualité. Qualifié de "La Nuit americaine" (1973) du pauvre, il raconte l'histoire d'un tournage dans une cité défavorisée de Boulogne-Sur-Mer, la cité Picasso. Boulogne-Sur-Mer, toute proche de la ville de M. Madeleine et de la déchéance de Fantine dans "Les Misérables", cela fait aussi penser au film éponyme de Ladj LY tourné dans un autre épicentre du roman de Victor Hugo, Montfermeil qui s'interrogeait déjà sur le pouvoir de la caméra pour renverser les rapports d'oppression. Mais avec un angle bien différent. Pour leur premier film, les réalisatrices Lise AKOKA et Romane GUERET font preuve d'une grande intelligence en faisant une critique acérée des dérives de réalisateurs en quête de sensationnalisme et d'images choc au point d'en oublier toute éthique. A l'heure où l'on interroge de plus en plus ouvertement les abus des réalisateurs lors des tournages longtemps couverts par le droit de tout faire au nom de l'art, le film montre que cela ne concerne pas seulement la prédation sexuelle. La misère sociale et le voyeurisme qu'elle peut susciter est au coeur du film. On y voit un réalisateur flamand que l'on peut considérer comme un avatar de Bruno DUMONT ou des frères Jean-Pierre DARDENNE et Luc DARDENNE filmer plein cadre les parties les plus dégradées des barres de la cité, concocter un scénario qui semble être un pastiche de celui de "Sheherazade" (2018), caster les "pires cas sociaux" comme le fait finement remarquer l'une des recrues, la jeune Maylis qui oppose la muraille de son visage indéchiffrable et la rareté de sa parole à la caméra intrusive du réalisateur. Un choix qui d'ailleurs révolte également les habitants de la cité qui se retrouvent confrontés à une image dégradante d'eux-mêmes ce qui anéantit au passage les efforts des travailleurs sociaux pour les sortir du ghetto. Mais l'aspect le plus sensible de cette critique porte sur les manipulations du réalisateur sur ses acteurs amateurs, en particulier le plus jeune et vulnérable d'entre eux, le petit Ryan (joué avec beaucoup de présence par Timéo Mahaut). Alors que celui-ci est pris en charge pour apprendre à canaliser ses colères incontrôlables, le réalisateur qui connaît les paroles susceptibles de les déclencher les souffle aux autres petits garçons du groupe qu'il filme après leur avoir dit en plus de s'insulter avec leurs propres mots. Le tout dans le but d'extorquer à l'enfant quelques plans bien obscènes. Même comportement envers les adolescents dont il veut tirer une scène d'amour. Si la jeune Lily (Mallory WANECQUE qui crève l'écran et semble bien partie pour faire carrière) affamée d'affection et dévorée par les écrans se laisse prendre à ce jeu de miroirs, Jessy (Loïc Pech) ne supporte pas d'être traité comme un bout de viande et le fait vite savoir. Bref de quoi nourrir une réflexion salutaire.
Un excellent cru que ce dernier film de Quentin DUPIEUX à ranger aux côtés des petites perles surréalistes que sont "Realite" (2015) et "Au Poste !" (2018), mes deux films préférés du réalisateur. Du premier, il partage la structure gigogne brouillant les frontières entre rêve et réalité et emboîtant même les rêves les uns dans les autres: c'est un festival de cadres dans le cadre rempli de réjouissantes surprises. Du second, il reprend l'influence de Luis BUNUEL ce qui est une évidence, les deux artistes surréalistes espagnols ayant étroitement collaboré, notamment sur "Un Chien andalou" (1929). Il pleut des chiens morts dans "Daaaaaali!" mais c'est surtout la trame de "Le Charme discret de la bourgeoisie" (1972) que l'on retrouve dans le dernier Quentin DUPIEUX. Dans le film de Luis BUNUEL, des bourgeois qui essayent de se réunir pour dîner sont interrompus par des situations plus absurdes les unes que les autres. Dans "Daaaaaali!", c'est la petite journaliste jouée par Anais DEMOUSTIER qui tente dans toutes les variations possibles et imaginables d'obtenir un entretien du peintre, lequel le fait capoter là encore de façon systématiquement absurde. Enfin, si le titre étire le nom du peintre, c'est à la fois pour souligner son comportement clownesque et parce chaque a du titre correspond à l'un des six acteurs qui l'interprète. La distorsion de l'espace-temps est l'une des caractéristiques du film de Quentin DUPIEUX. On y voit Dali se rencontrer à deux âges différents ou bien entrer dans un tunnel avec un visage et en sortir avec un autre ou bien trouver le repas si interminable qu'il en sort sur une chaise roulante ou encore (l'une des séquences que j'ai préférée), marcher le long d'un couloir d'hôtel sans pour autant se rapprocher de la journaliste incarnée par Anais DEMOUSTIER. Les différentes incarnations du peintre sont inégales et fort heureusement, Quentin DUPIEUX a laissé la part du lion aux deux meilleures, celle de Edouard BAER, impérial et celle de Jonathan COHEN, incroyablement expressif. Je l'avais détesté dans "Une annee difficile (2022)" mais là il m'a complètement bluffé!
"Le Péril jeune" est un film culte de la première moitié des années 90. Plus exactement un téléfilm commandé par Arte dans le cadre d'une collection sur les années lycée et qui s'est autonomisé du lot pour sortir au cinéma avec le succès et la postérité que l'on sait. D'ailleurs à la même époque, Arte avait commandé une autre série de téléfilms sur l'adolescence, "tous les garçons et les filles de leur âge" d'où sont sortis également quelques films importants transposés au cinéma dont "Les Roseaux sauvages" (1994) de Andre TECHINE avec Elodie BOUCHEZ qui jouait également dans "Le Péril jeune". Ces films ont en effet permis d'apporter un renouveau dans le regard porté sur l'adolescence et du sang frais dans le cinéma français. Le casting du film de Cedric KLAPISCH comporte plusieurs futures stars, Romain DURIS en tête qui avait 19 ans, dont c'était le premier rôle et qui crevait l'écran. Cedric KLAPISCH venait de dénicher son Antoine Doinel avec lequel il allait tourner par la suite sept films dont la trilogie de l'auberge espagnole traitant également de thèmes proches. On voit déjà dans "Le Péril jeune" (qui n'était que le deuxième film de Klapisch) s'esquisser une famille de cinéma avec des seconds rôles tels que Zinedine SOUALEM ou Marina TOME et même Renee LE CALM qui prononce la phrase donnant son titre au film. Cedric KLAPISCH lui-même fait plusieurs caméos dans le film ce qui deviendra son habitude.
"Le Péril jeune" est emblématique des films de jeunesse de Cedric KLAPISCH quand celui-ci savait saisir les changements à l'oeuvre dans un quartier, dans la famille ou dans la jeunesse avec justesse et légèreté tout en l'inscrivant toujours dans une certaine mélancolie. Je suis nostalgique de cette période de sa filmographie car je trouve que sa patte s'est depuis considérablement alourdie. L'idée de génie de "Le Péril jeune", outre le refrain "on s'était dit rendez-vous dans 10 ans" qui fait fonctionner le film en flash-backs, l'inscrivant d'emblée dans un cadre nostalgique de jeunesse révolue et de passage de témoin avec l'attente de la naissance d'un enfant, c'est le personnage de Tomasi. Sa disparition le transforme en symbole, l'incarnation de l'adolescent rebelle, fauché au zénith de sa jeunesse ce que les dernières images transcrivent parfaitement. Il s'inscrit dans une lignée qui évoque aussi bien James DEAN que Jim MORRISON d'autant que ce dernier appartient à la même époque que la jeunesse du film, à savoir la première moitié des années 70 marquée par le rock, la contre-culture, l'émancipation des filles mais aussi la montée du chômage de masse et la drogue, bref l'angoisse du "no future" qu'incarne parfaitement Tomasi, cet être solaire qui porte en lui la mort.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.