"Tartuffe", 454 ans et pas une ride. Mieux encore, il rajeunit à l'heure actuelle, porté par un contexte politico-religieux qui le rend plus que jamais pertinent. Derrière la figure du faux dévot, seule possibilité de passer les fourches caudines de la censure à l'époque du Grand Siècle, ce sont tous les fondamentalismes, toutes les intolérances que Molière dénonce. C'est pour cela que l'œuvre est si plastique, s'adaptant aussi bien au catholicisme d'hier qu'à l'islamisme d'aujourd'hui (la version algérienne de 1995 d'Ariane Mmouchkine le prouve) et plus généralement à toutes les religions et courants de pensée intégristes. Murnau et son scénariste Carl Mayer ont parfaitement compris cette extraordinaire universalité et intemporalité de la pièce. Le film utilise un dispositif alors encore très rare, celui de la mise en abyme. Mayer a encadré en effet la pièce d'un prologue et d'un épilogue se déroulant à son époque (les années 20). Quant à Murnau, il utilise des références picturales et architecturales du XVIII° et XIX° siècle (Chardin, le palais de Frédéric II de Prusse surnommé le « Sanssouci », Jean-Léon Gérôme) alors que la pièce se déroule au XVII° c'est à dire à l'époque de sa création.
Murnau avait des raisons très personnelles de remanier le scénario que Mayer avait écrit pour "Tartuffe", une pièce qui au début des années 20 venait juste alors d'être découverte en Allemagne. Et ce même si à l'origine il s'agissait d'une commande qui lui a été imposée par la Ufa (nom du studio allemand de l'époque). En tant qu'homosexuel, il ne pouvait qu'être sensible à une pièce qui dénonçait l'oppression exercée sur tous ceux qui s'écartaient de la norme rigoriste fixée par l'église en matière de morale sexuelle. De fait, il a accentué cet aspect qui est devenu le thème central du film. Si celui-ci n'est pas fidèle au texte de la pièce, il l'est certainement à l'esprit. Tellement fidèle d'ailleurs que la version américaine du film (hélas la mieux conservée et donc celle qui nous est montrée aujourd'hui) est amputée de 35 minutes jugées offensantes pour la religion « Un dévot dégénéré qui veut coucher avec la femme de son hôte. Un sujet de choix dans les pays catholiques » titrait alors le journal Variety. C'est dire si cette œuvre dérangeait.
Murnau a ainsi réalisé une sorte d'épure de la pièce originelle. Mayer n'avait gardé que les quatre personnages principaux (Orgon, Elmire, Tartuffe et Dorine.) Le personnage de Dorine est cependant minoré, car ce qui intéresse Murnau, c'est l'étude du comportement des trois autres face à la sexualité réprimée entre hypocrisie et frustration. Le dualisme entre la religion et la chair est symbolisé par un décor à deux étages. Celui du haut représente la perfection divine à laquelle Orgon aspire et que Tartuffe feint d'avoir atteint puisqu'il est qualifié de saint. Celui du bas représente la descente dans les bas instincts et agit donc comme un révélateur de la personnalité profonde de chacun. Sous l'emprise de Tartuffe que l'on peut comparer à un gourou, le désir sexuel d'Orgon se détourne de sa femme pour se reporter sur Tartuffe. Dans une scène censurée par la version US et rajoutée par Murnau, on voit Tartuffe exploiter le sentiment de culpabilité d'Orgon pour lui soutirer toute sa fortune, ce dernier, dominé et sous emprise consentant à tout pour son pseudo-ami « O mon frère ! C'est maintenant que je sais ce que tu es pour moi. ». Elmire, délaissée par son mari est décidée à lui prouver l'hypocrisie de Tartuffe en le séduisant. Ce qui donne lieu à des scènes assez troubles où elle s'offre à Tartuffe de manière plutôt frontale (elle se jette sur lui, se penche, relève sa robe...) sous les yeux de son mari. Tartuffe enfin, interprété de façon extraordinaire par Emil Jannings incarne la lubricité dans toute sa splendeur sous son vernis d'austérité. De façon très parlante pour notre époque contemporaine, Murnau le filme en train de manger comme un porc puis adopte son point de vue fixé sur la poitrine d'Elmire avant de montrer ses yeux porcins se rincer l'oeil devant ses jambes. Et comme tout bon harceleur qui se respecte, le regard est suivi d'un geste éloquent lorsqu'il pose son missel entre ses deux seins (sur des affiches, il les agrippe!)
Tout d'abord un film des studios britanniques Aardman est un gage de qualité. Dans le domaine de l'animation en volume, ce sont des maîtres. Les mouvements en stop motion sont réalisés à la main avec beaucoup de précision. Les figurines sont également artisanales avec une armature en fil métallique recouvert d'une pâte à modeler spéciale plus résistante. Le résultat est parfaitement maîtrisé et dégage beaucoup de charme.
De plus leurs films, comme ceux des studios Pixar possèdent plusieurs niveaux de lecture. Les enfants peuvent apprécier cette histoire certes classique de David contre Goliath mais pleine d'inventivité et d'humour (souvent absurde comme le canard géant carnivore, la mésange vocale, les insectes à mandibules rasoir ou les chenilles à crampon) et de tendres portraits (celui du lapin est irrésistible). Les adultes eux peuvent être sensibles (ou non, les critiques sont partagés mais personnellement, j'adhère) au sous-texte de critique sociale. Ainsi les premières images de "Cro Man" font penser à celles de la période préhistorique de "2001 l'odyssée de l'espace" et les dernières à "Shaolin soccer". La fusion de l'homme de cro-magnon et du ballon rond produit un effacement de l'espace-temps exactement comme dans le film de Kubrick où le plan de l'os était prolongé par celui d'un satellite spatial. Et le sens est évidemment le même. Kubrick et Nick Park se moquent du comportement de "primate" des grandes puissances que ce soit au travers de la conquête spatiale ou de l'univers du foot. Ainsi dans "Cro-Man", la civilisation de l'âge du bronze, convaincue de sa supériorité s'empare de la vallée de celle de l'age de pierre et en chasse ses habitants ou tente de les réduire en servitude. Mais elle est minée de l'intérieur par la corruption et la cupidité (Lord Noz est un nouvel Harpagon amoureux de son coffre-fort), l'individualisme (les membres de l'équipe jouent "perso") et l'exclusion (les femmes sont bannies du jeu). Trois défauts qui se retournent contre eux lorsque l'équipe de l'âge de pierre présente son équipe mixte (il y a des femmes mais aussi un sanglier faisant office d'animal domestique, Crochon) et soudée.
Paddington est un monument national au Royaume-Uni, l'équivalent de notre Astérix en France. L'ironie étant qu'Astérix incarne plutôt le chauvinisme du petit village gaulois replié sur lui-même qui résiste encore et toujours à l'envahisseur alors que Paddington, l'ourson péruvien incarne l'étranger à qui une famille londonienne va offrir l'asile avant de l'adopter comme un des sien alors "qu'il n'est pas de la même espèce". On comprend pourquoi l'adaptation cinématographique la plus réussie d'Astérix ("Mission Cléopâtre") fait dialoguer les cultures et les personnages de diverses origines, noyant ainsi l'indigeste poisson gaulois dans le cosmopolitisme.
Il y a au moins deux allusions à des faits historiques majeurs dans "Paddington". La première fait référence aux voyages d'exploration du XIX° siècle, prélude à la conquête coloniale. Sauf qu'au lieu de ramener un spécimen empaillé de ses découvertes au muséum d'histoire naturelle, le géographe Montgomery Clyde préfère fraterniser avec la famille ours bipède et capable d'apprendre l'anglais qu'il a rencontré dans la jungle péruvienne. Il est d'ailleurs radié pour cela de son club de géographie et c'est sa fille, la méchante du film (jouée par Nicole Kidman) qui incarne le rôle de taxidermiste d'espèces rares. La deuxième fait allusion aux kindertransport, une opération de sauvetage de milliers d'enfants juifs d'Europe centrale et orientale recueillis par des familles britanniques, des pensions ou des fermes peu de temps avant le début de la seconde guerre mondiale. La Chambre des communes avait approuvé un décret permettant aux réfugiés de moins de dix-sept ans de pouvoir s'installer dans le pays à la condition d'y trouver un lieu d'accueil et de déposer cinquante livres en garantie pour un éventuel billet de retour chez eux. L'ami des Brown, l'antiquaire M. Gruber (joué par Jim Broadbent) est l'un de ces anciens enfants réfugiés.
Rien qu'avec un tel substrat, le film ne pouvait déjà que sortir du tout venant. Si on ajoute qu'il est bon enfant, charmant et élégant ce qui n'est pas si fréquent, on ne peut que vivement le conseiller comme un spectacle de qualité qui ravira petits et grands.
"Le petit Lord Fauntleroy" est le premier roman de littérature pour la jeunesse écrit par Frances Hodgson Burnett. Elle fait partie de tous ces auteurs et auteures qui construisent une littérature spécifiquement destinée aux enfants au XIX° siècle. "Le petit Lord" tout comme "Princesse Sara" acquit une renommée mondiale et durable, en témoigne ses nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles (1914, 1921, 1936, 1974, 1980, la série animée japonaise de 1988, la version russe inédite en France de 2003).
Celle de 1921 (la deuxième donc) se caractérise par la performance d'actrice de Mary Pickford qui joue à la fois la mère de Cédric et Cédric grâce à des trucages et effets qui permettent aux deux personnages d'être réunis à l'écran et à Cédric de paraître plus petit que les adultes. Une fois de plus Mary Pickford est convaincante dans un rôle d'enfant de 10 ans (elle en a alors 29). De plus elle est travestie en garçon, poursuivant au cinéma une tradition bien ancrée dans le monde du théâtre depuis ses origines. Chez les grecs, les élisabéthains ou les japonais, le travestissement était lié à l'interdiction faite aux femmes de se produire sur scène. Mais à partir du moment où les deux sexes ont eu le droit de monter sur les planches, le travestissement a acquis un caractère plus ludique et transgressif. En endossant deux rôles, celui d'une mère conventionnelle douce et soumise et celui d'un jeune garçon androgyne libre et spontané, Mary Pickford ne fait finalement que traduire le dualisme de l'œuvre originale entre tradition (l'aristocratie de l'Angleterre victorienne) et modernité (les self-made-men de l'Amérique issus des classes populaires et moyennes: la marchande de pommes, M. Hobbes, Dick...) dont le mélange final fait encore l'attrait du livre. aujourd'hui.
"On s'était dit rendez-vous dans 10 ans, Même jour, même heure, même pomme, On verra quand on aura 30 ans, Sur les marches de la place des grands hommes."
Parmi tous les tubes des eighties qui parsèment "Peter's friends" celui-ci aurait eu parfaitement sa place bien qu'il ne soit pas anglo-saxon. Car voilà une bande-son tout sauf décorative, qui commente l'action et en souligne les enjeux. Le "You're my best friend" de Queen pour accompagner les retrouvailles d'une bande de trentenaires qui ne se sont pas vus depuis 10 ans et se retrouvent en 1992 ou le "Everybody wants to rule the world" de Tears for fears pour le générique qui égrène 10 ans de ravages du thatchérisme ou encore le "Girls want to have fun" de Cindy Lauper pour la croqueuse d'hommes qu'est Sarah, tous ces titres ancrés dans la mémoire collective nous plongent dans la nostalgie d'une période révolue faussement légère.
Car "Peter's friends", le troisième film de Kenneth Brangh est ce qu'on peut appeler une comédie mélancolique. Contrairement à l'avis de certains critiques, je ne pense pas que la mise en scène du film soit "sans originalité". Elle se distingue au contraire par sa fluidité et son rythme enlevé. Je l'ai dit dans un avis précédent, Branagh est un cinéaste énergique qui aime le mouvement. Cela lui permet de ne jamais se laisser enfermer dans des cases. Par un mouvement subtil de va et vient, ses personnages très typés et qui nous offrent leur lot de scènes comiques (la nymphomane, l'intello coincée, l'hystérique, l'alcoolique, la vedette névrosée...) se glissent hors du moule pour devenir tout simplement humains, notamment lors d'une séquence finale poignante qui rappelle que les années 80 strass et paillettes étaient aussi les années sida.
Beaucoup de films (britanniques ou non) ultérieurs essayeront de copier la recette du film choral de Branagh, certains avec succès comme le "4 mariages et un enterrement" de Mike Newell, sorti en 1994. Mais aucun ne parviendra à atteindre ce degré de subtilité.
Ce n'est certainement pas par son scénario que ce film vaut encore aujourd'hui le coup d'œil. Il est obsolète, niais, rempli de clichés. Les personnages sont peu attachants à commencer par l'héroïne, la jeune Gwendolyn. Elle manque peut-être d'amour (la pauvre) mais elle fait tourner ses serviteurs en bourrique, vandalise la maison, jette par la fenêtre ses beaux vêtements ou les macule de boue (ce n'est bien entendu pas elle qui va nettoyer!) Quant aux cadeaux qu'elle reçoit pour son anniversaire, elle les snobe, ils font trop bébé. Devant de tels problèmes la compassion que l'on peut éprouver pour elle ne peut être que limitée.
L'intérêt du film est donc ailleurs. Tout d'abord dans la prestation de Mary Pickford qui parvient à nous faire croire qu'elle a 11 ans alors qu'elle en a 25. Sa (relative) petite taille est accentuée par le choix d'acteurs très grands, la mise en scène ainsi que les angles de vue de la caméra. Le résultat suscite le trouble d'autant que son jeu plein de vivacité et d'espièglerie sonne juste. Ensuite, la mise en scène met bien en valeur la solitude et l'enfermement de Gwendolyn par un jeu sur les reflets dans les miroirs et les vitres des fenêtres par lesquelles elle observe le monde extérieur dont elle est privée avec envie. Enfin la séquence finale onirique où droguée elle évolue dans un monde imaginaire (où l'on reconnaît sous une forme symbolique les personnes qui l'entourent) préfigure la veine psychédélique du cinéma de "Alice au pays des merveilles" au "Magicien d'Oz".
Une comédie romantique vraiment? J'ai rarement vu une comédie aussi morne et dépressive que celle-là. Les bonnes comédies traitent de sujets graves mais elles le font la plupart du temps avec une énergie subversive qui renverse tout sur son passage. Rien à voir avec le rythme mollasson adopté par cette galerie d'adulescents neurasthéniques avachis sur leur canapé, incapables d'endosser la moindre responsabilité (et donc à fortiori de changer quoi que ce soit). Il faut dire que la vision de la société véhiculée dans ce film est assez spéciale. Les liens familiaux et amicaux y sont atomisés. Les mères sont des célibataires qui cherchent à éviter la confrontation avec leur fils adolescent. Les pères sont absents. Les fils restent d'éternels enfants incapables de grandir et de s'émanciper comme le montre le personnage de Will (Hugh Grant) qui vit sur les droits d'auteur de la chanson écrite par son père. L'école est un lieu de harcèlement.
La solitude est finalement ce qui définit le mieux les personnages. Ce n'est pas un hasard si Will regarde le passage de "La fiancée de Frankenstein" où deux solitaires, la créature et l'ermite, se lient d'amitié. "Pour un garçon" narre en effet la rencontre de Will qui vit en ermite et de Marcus qui est considéré comme un freak par le reste de son école. Point de romantisme dans tout cela d'autant que la mère de Marcus, une maniaco-dépressive hippie adepte de la macrobiotique n'est pas glamour pour un sou. C'est pourquoi histoire de sauver les meubles du romantisme on parachute le personnage de Rachel Weisz qui sort de nulle part. On ne comprend pas non plus pourquoi Will s'attache à elle alors qu'il se présente comme un tombeur invétéré. Toutes ces incohérences scénaristiques rajoutées au manque d'entrain du film et au caractère assez peu sympathique des personnages finissent par gâcher le plaisir.
"Celebrity" est un remake new-yorkais de la "Dolce Vita" de Federico Fellini, l'un des maîtres de Woody Allen. Un journaliste-écrivain en panne (Woody Allen dans le corps de Kenneth Branagh) décide de relancer sa vie et sa carrière en se rendant disponible (c'est à dire en divorçant de sa femme enseignante bien peu glamour), en achetant une Aston Martin et en approchant le monde des paillettes et ses stars clinquantes (Melanie Griffith et Charlize Theron vampent, Leonardo DiCaprio casse tout, se drogue et fait des parties fines entre deux avions etc.) Il n'avait cependant pas prévu que son ex-femme (Judy Davis) allait mieux réussir que lui sans même l'avoir cherché. Elle a en effet l'occasion d'entrer dans le monde de la télévision et approche même un certain Donald Trump (on est en 1998) qui lui annonce qu'il va "acheter la cathédrale St-Patrick, la raser et construire un immeuble à la place"!
Ce n'est pas un grand Woody Allen. Sa satire du showbiz est divertissante avec quelques passages amusants comme celui-ci: "Papadakis le réalisateur est un artiste prétentieux, un de ces connards qui ne filment qu'en noir et blanc, un cliché après l'autre. Tom Dale, une grande star tourne une adaptation de la suite d'un remake. Voici un grand critique, il détestait tout, il a épousé une jeune plantureuse et il adore tout." Cependant ce dézingage des milieux intellos et people tourne rapidement à vide d'autant que l'intrigue principale sent le recyclage à plein nez (de "Maris et femmes" surtout). Les personnages principaux (un velléitaire qui ne sait pas ce qu'il veut et une hystérique qui rencontre un prince charmant qui accepte tous ses caprices)sont peu sympathiques. Le fait qu'il ne joue pas lui-même est également une faiblesse. Kenneth Branagh a été choisi sans doute parce qu'il est à la fois devant et derrière la caméra comme Woody Allen tout en étant plus jeune que Woody Allen. Mais il n'a visiblement pas le droit de faire autre chose que du Woody Allen. Résultat, cela sonne faux.
Cette deuxième adaptation d'une pièce de Shakespeare par Kenneth Branagh après le drame historique "Henry V" est aussi joyeuse, rayonnante et légère que la première est sombre et torturée. On en sort euphorique, avec l'impression que le soleil de Toscane a réussi à traverser l'écran pour nous englober dans son rayonnement. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression. En 1993, lorsque j'ai vu le film pour la première fois au cinéma, j'y suis allé avec une terrible migraine que ce film a réussi à guérir comme par enchantement. Et un film qui guérit les migraines, ce n'est pas si fréquent!
Il y a quand même quelques traces résiduelles du Shakespeare sombre et torturé, celui du "Conte d'hiver" au milieu de cet enchantement dionysiaque à base de jeux amoureux, de fêtes, d'agapes, d'ivresse. C'est le personnage luciférien de Don Juan (Keanu Reeves) jaloux et malfaisant qui en porte la plus large part. Refusant la main tendue de son demi-frère Don Pedro (Denzel Washington) qui est le prince légitime alors que lui n'est qu'un bâtard, il choisit de de se venger en semant la désolation autour de lui. Il est bien aidé par la crédulité (pour ne pas dire la bêtise) de Don Pedro et de son acolyte Claudio (Robert Sean Leonard, le minet benêt de service). Il suffit qu'il lui montre une scène de fornication au balcon de la chambre de celle qu'il doit épouser pour qu'il soit persuadé de la trahison de sa promise Hero (Kate Beckinsale alors encore étudiante et tout aussi lisse que son partenaire). Shakespeare nous livre alors l'une de ces scènes de violence passionnelle et destructrice dont il a le secret et qui font jaillir l'enfer au cœur du paradis. Claudio ruine son mariage avec la même violence aveugle que celle qui s'empare du roi Léonte dans "Le Conte d'hiver" et lui fait répudier sa femme et sa fille, hurlant que celle-ci "est de la graine de Polixène" (son pourtant meilleur ami).
Heureusement tout comme "Le Conte d'hiver", "Beaucoup de bruit pour rien" est une comédie où le mal peut être réparé après que le coupable ait éprouvé la souffrance du remords (et que les méchants responsables de la conspiration aient été punis. C'est le rôle du truculent Dogberry joué par un Michael Keaton directement échappé de "Sacré Graal" et ses chevaux fantômes). Et surtout, même au moment le plus critique, la joie ne s'éclipse pas. Elle est portée par l'autre couple vedette du film devant et derrière la caméra, Benedict et Beatrice alias Kenneth Branagh et Emma Thompson dont l'union faisait alors étinceler le talent (ce n'est pas pour rien que l'on parlait à leur égard de "couple doré"). Ceux-ci réussissent à introduire la screwball comedie d'Howard Hawks dans l'univers shakespearien. La modernité de ces personnages était déjà dans la pièce qui mettait en parallèle un couple romantique (Claudio et Hero) et un couple comique (Benedict et Beatrice). Beatrice regrette de ne pas être un homme alors que Benedict est le seul protagoniste masculin qui prend le parti des femmes (en dépit de sa misogynie de façade qui s'effondre d'une pichenette) De plus leurs chamailleries permanentes les placent dans une relation d'égalité (soulignée également par leurs prénoms similaires et leurs initiales identiques). Il n'y a pas une mais deux mégères à apprivoiser. D'où les hilarantes scènes parallèles où leurs amis leur tendent un piège pour les faire tomber amoureux l'un de l'autre. Branagh approfondit cette thématique en inversant les codes de genre: Beatrice parle d'une voix grave, a la peau brûlée par le soleil et est aussi décidée et intrépide qu'un garçon alors que Benedict est pâle, minaude devant la glace et est doté d'une voix qui part dans les aigus.
C'est un film qui permet de retrouver son âme d'enfant, y compris dans ses défauts (une morale trop appuyée, des personnages caricaturaux...) Il faut dire que l'œuvre d'origine est issue d'une époque dénuée de cynisme.
Visuellement, le film ressemble à un bonbon acidulé ou à un jouet coloré: on se situe à hauteur d'enfant. Plus précisément à la hauteur des maisons de poupée et des vignettes d'un Wes Anderson que ce soit la fable animalière "Fantastic M. Fox" ou la prison et la pâtisserie du "Grand Budapest Hôtel". On pourrait y ajouter l'univers des trains à vapeur (un train jouet qui devient réalité) et de la fête foraine. Le livre pop-up fait de papier découpé en trois dimensions s'anime comme par magie alors que les gags déclenchés par Paddington convoquent l'humour et la candeur du cinéma burlesque muet des années 10 et 20 (la scène où Paddington est pris dans les engrenages évoque directement les "Temps modernes" de Chaplin).
Mais la magie de l'enfance s'exprime aussi à travers les acteurs. Hugh Grant, génial, allie charme et autodérision avec brio. Il s'amuse comme un petit fou à endosser le rôle d'un méchant excentrique qui adore se déguiser. La famille Brown n'est pas en reste. Le père (Hugh Bonneville alias le comte de "Downton Abbey") se retrouve à faire un grand écart zen entre deux trains, sa femme interprétée par Sally Hawkins (vue dans "Persuasion", téléfilm de la BBC d'après Jane Austen avant d'être recrutée par Woody Allen) joue les Sherlock Holmes en herbe alors que la grand-mère n'est autre que Julie Walters, la Molly Weasley des Harry Potter. Un autre acteur issu du casting des Harry Potter, Jim Broadbent joue le rôle de l'antiquaire, M. Gruber.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.