Je me suis laissé prendre par ce film qui m'a rappelé "Candide" pour son caractère de conte philosophique faussement naïf. Sauf qu'à la sortie, il a été largement descendu en flammes par la critique, a connu un succès en demi-teinte en salles et n'a été redécouvert et réhabilité que bien plus tard. Sans doute était-il trop en avance sur son temps. Qu'une réalisatrice de comédies se permette de tailler en pièces la civilisation occidentale considérée comme le modèle à suivre, le nec plus ultra du développement, la Rolls Royce du monde a dû être perçu à l'époque comme un insupportable blasphème par ses têtes pensantes. Mais près de trente ans plus tard, ce monde soi-disant si enviable a perdu de sa superbe avec les effets néfastes du productivisme en terme de santé publique et d'environnement, l'explosion des inégalités sociales, la malbouffe ou encore le mouvement Metoo qui a révélé l'ampleur de l'écrasement des femmes par les hommes à tous les échelons de la société. Le monde "extra-terrestre" inventé par Coline SERREAU ressemble en fait beaucoup à celui des indiens précolombiens que Terrence MALICK a reconstitué dans "Le Nouveau monde" (2006): un monde dans lequel les hommes vivent simplement, sans technologie, sans urbanisme, sans hiérarchie, sans argent, ne produisant que la nourriture (végétarienne) nécessaire pour vivre et consacrant leur temps au développement de leur corps et de leur esprit. Une espèce complètement adaptée et connectée à son environnement naturel comme le montre les "concerts de silence" qui ressemblent beaucoup à de la méditation (chez Terrence Malick, ils pratiquaient une sorte de Qi-Gong). Tout cela évidemment dans un cadre magnifique qu'ils ne cherchent pas à transformer. Sauf que ce monde extra-terrestre est en fait présentée comme une humanité évoluée, donc un futur peut-être possible. On comprend en effet qu'aucun de ses habitants n'aie la moindre envie de se rendre sur la terre, qualifiée "d'arriérée". Et quand Mila (Coline SERREAU) se dévoue, c'est pour mieux faire ressortir l'absurdité de notre monde. Vu par ses yeux, il apparaît toxique à tous les niveaux: nourriture transformée immangeable, eau traitée chimiquement imbuvable, air irrespirable à cause du CO2 et de la nicotine (c'était avant l'interdiction du tabac dans les bars et restaurants), bruit, stress, artificialisation des sols, fascination pour le métal. Mais à la manière d'un François Terrasson, géographe auteur de "La civilisation anti-nature", Coline SERREAU établit le lien avec les émotions et relations humaines, détruites par le stress, le mensonge, le mépris, la cupidité, le goût du pouvoir etc. Les scènes les plus drôles sont celles dans lesquelles Mila utilise ses pouvoirs psychiques pour "déconnecter" les gens de leur société mortifère. Vincent LINDON qui joue (comme d'habitude chez la réalisatrice) le rôle d'une tête à claques devient le principal allié de Mila et dans une tirade bien sentie recadre sévèrement un automobiliste énervé (Francis PERRIN). Les institutions en prennent plein la figure, de même que les loisirs de masse. Même un concert de musique guindé prend une allure beaucoup plus fantaisiste après le passage de la "fée Mila".
C'était un bonheur de revoir ce film absolument jouissif. Comme dans "Chaos" (2001), Coline SERREAU ne s'embarrasse pas de préliminaires, elle entre directement dans le vif du sujet en nous plongeant en même temps que son personnage (joué encore une fois par Vincent LINDON) dans un maelstrom de bruit et de fureur. Aussi égocentrique que son avatar de "Chaos" (2001), Victor reçoit coup sur coup deux grosses claques: bim, il est largué par sa femme, bam, il est mis à la porte de son boulot. N'étant pas du genre introspectif, Victor se met en mode "geignard" sauf que personne ne l'écoute. Il serait presque à plaindre si lui aussi ne se fichait pas comme d'une guigne des problèmes des autres. Coline SERREAU s'amuse alors à porter à ébullition son dispositif cacophonique où tout le monde parle et où personne ne s'écoute, le tout sur fond d'instabilité généralisée, tant dans la vie professionnelle que familiale. Son sens de la mise en scène fait merveille, notamment au coeur d'une famille se recomposant sous nos yeux où on se perd malgré les vaillants efforts de Michele LAROQUE. Dans un formidable numéro de "Mme Loyal", elle tente d'expliquer à Victor (vite dépassé tout comme nous) qui est avec qui, qui est l'enfant de qui et qui est le demi-frère ou la semi-soeur de qui. Bon courage pour y comprendre quelque chose! Mais le clou du spectacle, c'est bien sûr le moment d'anthologie où la mère de Victor (jouée par Maria PACOME) annonce à sa famille qu'elle se barre avec un homme plus jeune. Sous chaque mot perce la jubilation de la ménagère qui ayant atteint 50 ans estime qu'elle a assez donné, rien reçu en retour et qu'il est temps d'arrêter les frais et de commencer à vivre pour soi. La soeur de Victor (jouée par Zabou BREITMAN) s'en inspirera pour défendre son indépendance par rapport à un homme qui tente de l'envahir sans son consentement.
Cette satire énergique des travers de la société moderne aborde donc le féminisme sous l'angle du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes mais aussi donc les ravages de l'individualisme et également les rapports de classe et le racisme d'une manière qui frappe aujourd'hui par sa pertinence. En effet Victor qui appartient à la bourgeoisie se retrouve flanqué d'un partenaire prolo (Patrick TIMSIT) qu'il méprise. Seulement voilà, Michou est chômeur, lui aussi. Et sans filtre. Lorsque les bourgeois chez qui il s'est invité sont choqués de l'entendre dire qu'il est raciste (non pas parce qu'ils ne le sont pas eux aussi mais parce que ce n'est pas politiquement correct de le dire), il leur rétorque que c'est tellement plus facile d'être contre le racisme quand on habite Neuilly que quand on habite Saint-Denis! Et ce n'est pas la sociologie du vote RN qui dira le contraire! On le voit, Coline SERREAU n'a pas le verbe dans sa poche et sait user de dialogues percutants. Couplé à une mise en scène pleine de vivacité mais jamais brouillonne, son film rappelle la screwball comédie à l'américaine, sauf que le conflit y dépasse celui des sexes pour toucher toutes les fractures de nos sociétés (elle aborde également le conflit entre les générations au travers de la malbouffe, les médecines alternatives etc.) Des comédies de cette trempe, on en redemande!
Enfin je découvre le chef-d'oeuvre de Pierre ETAIX dont j'ignorais à peu près tout. Mais le film, un bijou de poésie burlesque suffit à lui seul à faire son portrait. Dès les premières séquences, il se place dans le sillage de Jacques TATI dont il a été l'assistant. On reconnaît un héritage commun aux deux hommes dans l'utilisation des bruitages dans la première partie muette et dans la critique burlesque de la société des trente glorieuses dans la seconde partie. Yoyo ou Hulot sont les avatars français des années 60 des Charlot, Malec, Frigo ou Harold du slapstick américain muet (auxquels on peut rajouter ceux du parlant: Laurel et Hardy, les Marx Brothers, Groucho étant d'ailleurs cité à plusieurs reprises) mais il y a spécifiquement dans Yoyo une touche d'élégance aristocratique qui rappelle fortement Max LINDER qui fut leur ancêtre à tous. Cette prouesse d'avoir réussi à créer un personnage-somme qui réunit tous ceux qui l'ont précédé s'accompagne d'un croisement fécond avec sa passion du cirque qui tout autant que son talent de dessinateur le rapproche de Federico FELLINI. "Yoyo" a été réalisé avant "Les Clowns" (1971) auquel il a participé mais dans un passage du film, la troupe de Yoyo arrive dans un lieu où figure une affiche annonçant le spectacle de Zampano et de Gelsomina alias les personnages de "La Strada" (1954). Mais la spécificité de "Yoyo" par rapport à tous ces modèles revendiqués est de s'inscrire dans les événements de la grande histoire sur deux générations, des années vingt aux trente glorieuses. Ainsi que de construire le père et le fils sur une contradiction qui structure tout le film. Contradiction entre la vie de châtelain et celle de saltimbanque, entre nomadisme et sédentarité, entre responsabilités et libertés. Les allers-retours d'un pôle à l'autre de ces deux choix de vie opposés relèvent d'un dilemme très humain que l'on retrouve aussi bien dans le western que dans le road-movie sans parler d'un gag d'effeuillage de chaussure qui semble tout droit sorti de "Gilda" (1945)!
Je ne connaissais pas "Un beau dimanche" et c'est le premier film de Nicole GARCIA auquel j'adhère (presque) totalement. Peut-être parce qu'elle montre autre chose que des costard-cravate et des tailleurs-chignon engoncés dans des halls de grands hôtels. J'ai même cru à un moment qu'elle avait fait un film ne portant pas sur la bourgeoisie car le scénario, à l'image du parcours accidenté de son héros réserve de multiples rebondissements. Assez bizarrement, les invraisemblances de l'intrigue ne m'ont pas vraiment gêné, notamment le fait que Nicole GARCIA ne connaît manifestement pas le fonctionnement de l'éducation nationale. Cet aspect n'est de toutes façons qu'un prétexte pour mettre dans les jambes de Baptiste (qui ressemble plus à un paumé -ce qu'il est effectivement- qu'à un instituteur) un gamin négligé par ses parents. Le gamin n'est d'ailleurs lui-même qu'un moyen pour rencontrer la mère, Sandra (Louise BOURGOIN), une serveuse de plage qui veut s'en sortir mais qui est débordée et ne parvient pas à solder son passé. Face à elle, Baptiste (joué par Pierre ROCHEFORT) qui est taciturne, secret, en retrait comme détaché de tout finit par sortir de sa réserve et prendre une décision qui entraîne une heureuse bifurcation du récit vers le road-movie lumineux à la "Un week-end sur deux" (1990) puis un basculement dans une ambiance à la "Festen" (1998) dans un domaine du sud-ouest de la France*. Baptiste s'y révèle comme le fils différent, rejeté, interné, errant, désaffilié, déraciné qui tente de parler lors d'un repas de famille et que l'on n'écoute pas, hormis Sandra, d'abord exclue puis incluse mais dans l'espace des domestiques alors que son fils, Matthias en dépit des apparences se retrouve lui aussi irrémédiablement seul. Cet aspect là du film m'a beaucoup touché, Nicole GARCIA casse la glace et fait preuve d'une vraie sensibilité dans la description de ces êtres venus d'horizons éloignés qui nouent une intimité véritable. Le tout sous le regard de l'impériale Dominique SANDA dans le rôle de la matriarche incapable de franchir les barrières de classe. Comme si le fantôme de "Le Jardin des Finzi Contini" (1970) s'invitait sur les cours de tennis du présent. A jamais.
* Ce n'est peut-être pas innocent si la mère de Baptiste lui dit qu'à ceux qui demandent de ses nouvelles, elle répond qu'il vit en Suède (même si "Festen" est danois).
Un film dont le titre commence par "Comment" est parfois -mais pas toujours- une promesse comico-satirique. Exemple "Comment j'ai appris a surmonter ma peur et a aimer Ariel Sharon" (1997) ou dans le même genre "Docteur Folamour, ou : Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe" ou encore "Comment reussir... quand on est con et pleurnichard" (1974), les exemples ne manquent pas. "Comment devenir cinéaste sans se prendre la tête" est un court-métrage malicieux et délicieux dans lequel Jacques ROZIER fredonne sa petite musique bien à lui, celle d'un cinéaste ne se prenant pas au sérieux et qui s'est toujours moqué des hiérarchies et des cases. Anticonformiste, "casseur de codes" dirait-on aujourd'hui, ses films sont plein de fraîcheur, d'humour et de fantaisie. On retrouve cette légèreté, cette liberté de ton dans ce modeste court-métrage hilarant volontairement réalisé comme une sitcom bas de gamme qui se compose de deux parties. Dans la première qui se déroule dans un appartement parisien, un couple de bourgeois (joués par Marie LENOIR et Henri GUYBET) tente de dissuader leur fille Agathe de se lancer dans ce métier "pas sérieux". Manque de bol, le technicien qu'ils ont recruté pour la raisonner (Roger TRAPP) est un amoureux du septième art qu'il traite avec le plus grand sérieux puisqu'il évoque le concours de la Fémis qu'il compare à Polytechnique ou Centrale. Les bourgeois en sont pour leur frais sous l'oeil rigolard de leur ami qui n'est autre que Roland TOPOR. Dans la deuxième partie, en bon passeur qu'il est, le technicien présente Agathe à Jean-Christophe AVERTY (dans son propre rôle) qui est en train de réaliser une émission de télévision. Un débat s'engage sur les mérites comparés du cinéma et de la télévision sous l'oeil de Agathe qui ne perd pas une miette de la "leçon". Car elle représente la nouvelle génération de cinéastes en herbe qui veut "changer les choses". Jacques ROZIER anticipe la féminisation de la profession et rappelle que faire du cinéma, ce n'est pas d'abord une question de technique ou de moyens mais de talent et de désir, voire un besoin vital!
Excellent film de Claude LELOUCH dont j'ai particulièrement apprécié l'ironie. J'ai mis quelques minutes à entrer dedans, histoire de m'habituer à la couleur sépia et de comprendre où il voulait en venir mais une fois la machine lancée, on se régale jusqu'aux dernières secondes. Tout le sel de ce film provient de la manière avec laquelle Claude LELOUCH brouille les frontières entre le bien et le mal, les "gentils" et les "méchants", pas très loin finalement d'un Sergio LEONE dans "Le Bon, la brute et le truand" (1966). Mais si la cible du réalisateur italien était la morale religieuse, celle de son homologue français vise la bourgeoisie collaborationniste et le fonctionnement de l'Etat sous et après Vichy. Car rappelons qu'en 1976, celui-ci n'avait pas reconnu sa responsabilité dans les crimes commis pendant l'Occupation. Le tout avec un ton mi espiègle, mi grinçant et un mélange de légèreté et de gravité qui fait mouche. Dans un premier temps, c'est la légèreté qui l'emporte. On suit d'un côté deux petits malfrats, Jacques et Simon joués par Jacques DUTRONC et Jacques VILLERET, bientôt rejoints par une prostituée, Lola (Marlene JOBERT) qui se met en couple avec Jacques. Ces trois-là suscitent en dépit de leurs forfaits une certaine sympathie de par la joie de vivre qui les anime et leur côté libertaire, mis en valeur par Lelouch via un montage alterné qui contraste avec l'union guindée de Dominique (Brigitte FOSSEY) issue d'une famille bourgeoise maurassienne avec l'inspecteur Deschamps (Bruno CREMER). Tout ce petit monde se retrouve pourtant compromis avec la Gestapo française lorsque la guerre éclate. Les liens du régime de Vichy comme de l'Allemagne nazie avec la pègre sont en effet évoqués. Avec la spoliation des juifs il y a plein d'opportunités à saisir pour les plus combinards alors que le carriériste Deschamps ressemble de plus en plus à un certain Maurice Papon. Et la conscience morale dans tout ça? Elle viendra des femmes, Lola qui ne veut pas que son homme se rende complice d'un crime de guerre et Dominique qui ne supporte pas la collaboration. C'est par elles que viendra la gravité car elles en paieront le prix fort. Un sacrifice qui permettra à leurs compagnons, eux aussi éprouvés, d'être décorés pour faits de Résistance après la guerre. Mais le seul des deux dont la conscience a réellement basculé n'est pas celui qu'on croit. Et suprême ironie, que ce soit volontaire ou pas, le chef de la Résistance dans le film est joué par Serge REGGIANI. Soit le faux résistant et le vrai traître de "Marie-Octobre" (1958)...
"L'Effrontée" est l'un des films importants de ma propre adolescence et que je n'avais jamais revu à l'âge adulte. Entretemps j'ai découvert les autres films de Claude MILLER et notamment celui qui est devenu mon préféré, "La Meilleure façon de marcher" (1976). Néanmoins, "L'Effrontée" tient encore aujourd'hui remarquablement la route, notamment grâce à la prestation à fleur de peau de la toute jeune (alors) Charlotte GAINSBOURG. Je n'ai pas vu souvent au cinéma une adolescente mal dans sa peau aussi criante de vérité, que ce soit dans ses postures corporelles pleine de gaucherie ou dans ses comportements oscillant entre inhibition et rébellion. Depuis que les témoignages de femmes ont afflué (Vanessa Springora, Flavie Flament, Jennifer Fox, Judith Godrèche etc.) on a réalisé combien les filles de 13 et 14 ans, âge particulièrement délicat sont des proies faciles pour les prédateurs et le film de Claude MILLER n'élude pas la question. Le personnage de Charlotte est écrit avec beaucoup de finesse, que ce soit les difficultés relationnelles avec son entourage (son père, son frère, sa nounou, la petite Lulu), son sentiment de vide existentiel (symbolisé par la scène de la piscine) ou sa quête d'identité qui lui fait rejeter son milieu modeste au profit de celui de Clara Bauman, la petite pianiste prodige au mode de vie clinquant qui la fait rêver. Quête illusoire qui la fait prendre des risques inconsidérés puisque c'est pour approcher Clara qu'elle se met à fréquenter Jean (Jean-Philippe ECOFFEY), un ouvrier plus âgé qu'elle et dont le comportement ne laisse guère de doutes sur ce qu'il recherche. L'inexpérimentée Charlotte n'est pas insensible à son intérêt pour elle mais elle ne voit évidemment pas venir le danger, contrairement au spectateur adulte. Le personnage n'est pas sans rappeler celui de Patrick BOUCHITEY dans "La Meilleure facon de marcher" (1976): quête identitaire (et sexuelle), manque de confiance en soi, attraction pour un double envié en apparence plus sûr de lui et jusqu'au costume de scène enfilé par l'un et par l'autre, une robe rouge. Outre Charlotte, deux autres personnages sont assez inoubliables: la collante mais adorable Lulu (est-ce une coïncidence si elle porte un surnom aussi important pour la famille Gainsbourg?) et Leone qui m'a fait découvrir Bernadette LAFONT. Pour moi elle est à jamais associée à ce rôle et à ce film.
Je n'ai pas vu tous les films réalisés par Mike NICHOLS, loin s'en faut mais ils me frappent à la fois par leur ancrage dans la tradition du cinéma hollywoodien dont il maîtrise parfaitement les codes et par des thématiques sociales progressistes dans lesquelles les jeunes, les femmes et les minorités sexuelles sont mis en avant. "Working girl" est ainsi d'abord une comédie à l'américaine tout à fait délicieuse à la Hawks ou à la Cukor dans laquelle Harrison FORD n'a jamais paru aussi proche de Cary GRANT et Sigourney WEAVER de Katharine HEPBURN, sauf qu'entre les deux il y a Melanie GRIFFITH, petite secrétaire dont l'apparition rappelle combien les coiffures volumineuses et maquillages pétard heighties des classes populaires dans les années 80 étaient de mauvais goût. Mais l'habit ne fait pas le moine et la petite secrétaire n'a pas l'intention de rester à la place qu'on lui assigne: celle de la petite amie trompée du tombeur beauf de service (c'est Alec BALDWIN qui s'y colle), celle de la cruche bonne à servir le café ou de l'objet sexuel éveillant les appétits lubriques de ses supérieurs (en l'occurence Kevin SPACEY ce qui de nos jours apparaît pour le moins cocasse). Lorsqu'elle est mutée au service de Katharine (!) Parker, celle-ci qui a sans doute repéré la pépite sous le sac lui fait miroiter un partenariat égalitaire mais c'est pour mieux "te manger mon enfant" enfin lui piquer ses idées qui sont meilleures que les siennes. Donc on peut tout à fait coller à Tess l'étiquette d'arriviste qui profite de l'absence momentanée de sa boss pour lui piquer son mec et son job. On peut déplorer un système fondé sur la loi de la jungle et ne tolérant aucune défaillance. On peut aussi y voir le sacre du rêve américain qui couronne la meilleure, quel que soit ses handicaps de départ, surtout quand celle-ci a bossé comme une malade pour intégrer les codes des dirigeants. On peut apprécier par ailleurs le fait que ce soit une femme qui mène la danse auprès d'un homme sachant partager intelligemment le pouvoir mais qui n'est pas écrasé pour autant (et ça rappelle furieusement dans un tout autre contexte la relation Léïa/Han Solo, comme quoi le charme de Harrison FORD a quelque chose à voir avec sa relation à l'autre sexe à l'écran). On peut aussi décider d'arrêter de se prendre la tête et juste savourer une bonne comédie, bien menée et avec un irrésistible trio d'acteurs.
Décidément, la filmographie de Philippe de BROCA réserve bien des surprises. Après "Chere Louise" (1972), un autre film méconnu de lui (parce qu'ayant été un échec à sa sortie) est remis en lumière, "Le roi de coeur". Même si j'ai trouvé que les acteurs surjouaient et que le film comportait des longueurs, l'intrigue me paraissant davantage convenir à un moyen qu'à un long métrage, le pas de côté antimilitariste effectué par le cinéaste ne manque pas de charme. Le film a pour cadre le théâtre d'un village abandonné que les allemands ont décidé de faire sauter à la fin de la première guerre mondiale (Marville en réalité Senlis). Un soldat britannique, francophone et colombophile (manière de souligner son pacifisme foncier, comme dans le très beau "Les Fragments d'Antonin") (2006) est envoyé en mission (suicide) pour désamorcer la bombe. Mais celui-ci réussit à échapper aux allemands en se réfugiant chez les fous et en se faisant passer pour l'un d'entre eux. C'est ainsi que naît le roi de coeur (Alan BATES) aux côtés du duc de trèfle (Jean-Claude BRIALY) et de monseigneur marguerite (Julien GUIOMAR). Ce n'est qu'un petit échantillon de ce qui constitue selon moi la plus belle scène du film, lorsque les aliénés décident d'investir la ville désertée dans un mouvement carnavalesque. Chacun fouille dans les lieux, revêt les habits de son personnage et l'on découvre alors Micheline PRESLE sous les traits d'une tenancière de bordel, Mme Eglantine, Michel SERRAULT sous celui d'un coiffeur maniéré qui préfigure "La Cage aux folles" (1978) ou encore Pierre BRASSEUR dans le rôle du général géranium. Bref, deux ans avant mai 1968, Philippe de BROCA a inventé le flower power des patronymes. L'idée est fort belle, de même que la parade colorée qui illumine les rues grises un peu à la manière d'une comédie musicale (avec la BO de Georges DELERUE et la photographie de Pierre LHOMME). J'ai pensé à "Le Joueur de flute" (1971) de Jacques DEMY qui montrait des saltimbanques comme une bouffée d'oxygène dans un bourg sclérosé par la haine antisémite d'autant qu'en s'enfuyant, les habitants de Marville ont laissé une ménagerie de cirque (celle de Jean RICHARD) qui a également l'occasion de s'échapper de sa cage. Tandis que l'une des filles de Mme Eglantine, Coquelicot (Genevieve BUJOLD dix ans avant "Obsession") (1976) s'essaie au funambulisme sous les yeux de Charles alias le roi de coeur avec lequel elle entame une idylle. Mais comme dans "Le Joueur de flute" (1971), la parenthèse enchantée n'est pas destinée à durer. Charles dont on peut imaginer qu'il est le double de Philippe de BROCA a quant à lui définitivement choisi son camp et la fin repose également sur une belle idée paradoxale de liberté en cage après que chacun se soit dépouillé des insignes qui l'encombrait.
"La Villa" est un Robert GUEDIGUIAN majeur. Il y a le cadre déjà, cette villa-restaurant construite dans une calanque (celle du grand Méjean) en contrebas d'un viaduc qui ressemble à une scène de théâtre. On est en hiver, le lieu est désert car presque totalement dévolu au tourisme. Mais une maison résiste encore et toujours à l'envahisseur. Elle n'abrite pas seulement une fratrie, celle formée par Angèle, Armand et Joseph réunis autour du patriarche qui à la suite d'une attaque mène une vie végétative. "La Villa" fait le bilan d'une génération vieillissante confrontée à un monde en transformation et à une jeunesse plus cynique (moins toutefois que dans "Gloria Mundi" (2018) qui reprend les mêmes ingrédients). Le film baigne dans la nostalgie avec un flashback puissant qui fait mesurer le travail de longue haleine que Robert GUEDIGUIAN mène sur le temps: on y voit le même trio d'acteurs (Ariane ASCARIDE, Gerard MEYLAN et Jean-Pierre DARROUSSIN) trente ans auparavant chahuter dans "Ki lo sa ?" (1985), l'un de ses films de jeunesse. La jeunesse enfuie, les illusions perdues s'accompagnent d'une atmosphère funèbre de fin d'un monde. C'est l'état léthargique de Maurice (Fred ULYSSE), le couple de vieux voisins et amis (joués par Jacques BOUDET et Genevieve MNICH) qui étranglé par les problèmes financiers décide d'en finir ou encore le fantôme de la petite Blanche, la fille d'Angèle, morte noyée à cause du relâchement de la vigilance de son grand-père. Mais le film possède aussi un côté lumineux qui fait sa force. La vie continue et l'espoir renaît, autrement. C'est le jeune pêcheur joué par Robinson STEVENIN qui courtise Angèle, les retrouvailles entre frères et soeur et surtout, l'accueil d'une fratrie d'enfants migrants fonctionnant en miroir qui symbolisent une descendance adoptive dont la famille est privée.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.