Go West est le meilleur des 3 films tournés par les Marx dans leur seconde période MGM. En effet le scénario fut écrit juste après Une nuit à l'opéra du vivant de Thalberg et les Marx purent roder leurs gags sur scène. Mais après la mort prématurée de leur mentor les Marx n'étaient plus la priorité du studio et le tournage fut repoussé jusqu'en 1940 date à laquelle il eut enfin lieu. La différence avec At the Circus et The Big store saute aux yeux. Go west est beaucoup plus rythmé. On entre immédiatement dans le vif du sujet avec Groucho qui tente d'escroquer le guichetier de la gare avant de se faire escroquer par Chico et Harpo (une scène dans la lignée du célèbre scketch tutsi-frutsi d'Un jour aux courses.) Les scènes s'enchaînent ensuite quasiment sans temps mort. Celle de la diligence (qui évoque une parodie de la chevauchée fantastique) utilise les cahots de la route pour mélanger la cabine surpeuplée dUne nuit à l'opéra, les échanges de chapeaux de Soupe au canard et le corps envahissant de Harpo des premiers films. Même les numéros musicaux sont bien intégrés à l'intrigue, interagissent avec les Marx et ne cassent pas le rythme du film. Groucho y expose par exemple sa conception de la séduction. Le film se termine en apothéose avec le démontage du train lancé à toute vapeur, un gag keatonien réapproprié par les Marx.
La MGM a assagi, domestiqué les Marx. Ceux-ci n'ont plus rien de dangereux. Mais leur énergie subversive colore tout ce qu'elle touche. Ainsi à partir d'Un jour aux courses, les films MGM se parent d'une scène "ethnique" digne des pires clichés coloniaux et racistes. Les noirs comme les indiens sont caricaturés et ghettoisés. Un seul homme blanc est autorisé à franchir la barrière: Harpo, l'homme-enfant innocent. Le but est d'amadouer (et manipuler) ces peuples dominés. Mais Harpo (ou plutôt Adolph/Arthur) comme ses frères a subi toute sa vie l'antisémitisme des dominants WASP (white anglo-saxons protestants) et lorsqu'il joue pour les afro-américains ou les native americans il se retrouve en communion avec ces peuples "muets" dont le seul langage autorisé est la musique. Pas étonnant que le chef indien finisse par poser sa main sur son épaule. Tel est pris qui croyait prendre.
Après leur incursion (ratée) à la RKO, les Marx retournèrent à la MGM pour tourner trois nouveaux films. Mais ils ne bénéficiaient plus des attentions d'Irving Thalberg. Par conséquent les moyens alloués à ces films furent réduits. Ainsi Un jour au cirque se contente de décliner la formule scénaristique d'Un jour aux courses. Mais les personnages et l'intrigue sont négligés (ce n'était pas le cas avec Thalberg) si bien que leur interaction avec les Marx est quasi-nulle. Cette faiblesse scénaristique pèse sur le film qui connaît plusieurs passages à vide. Restent les numéros des Marx. Certes, ils ont perdu leur esprit corrosif et ils ne nous surprennent plus (un critique évoque At the circus comme le premier de la trilogie du "trio fatigué") mais ils restent si bons que l'on prend beaucoup de plaisir devant certains passages: le numéro de flatteries-goujateries Groucho-Dumont, la fouille de la cabine de Goliath par Chico et Harpo (où affleure même un peu du surréalisme d'autrefois), le dialogue absurde Chico-Groucho, le premier empêchant le second de monter à bord du train car il n'a pas de badge. Enfin la scène de trapèze finale est très réussie avec Margaret Dumont qui donne de sa personne au point de se retrouver en sous-vêtements avec les frères accrochés à ses basques. La chanson interprétée par Groucho " Lydia the tatoo lady" est reprise par Robin WILLIAMS dans Fisher King de Terry Gilliam, fervent admirateur des Marx.
Les Marx au grand magasin est le 11° film des frères Marx et le 5° tourné à la MGM. Comme ses deux prédécesseurs (At the Circus et Go West) The Big Store enregistre le lent mais inexorable déclin du trio. Certes ceux-ci restent excellents (et c'est pourquoi le film est passé à la postérité) mais ils ne se renouvellent plus et surtout l'âge entame sérieusement leur condition physique ce qui affaiblit leur puissance comique. Par exemple la scène de course-poursuite finale en patins à roulette aurait été meilleure 10 ans plus tôt car elle n'aurait pas été assurée par des doublures et donc filmée de loin (néanmoins ce style de scène n'a plus rien à voir avec les gags visuels personnels des Marx). Il faut dire que les scénarios sentimentaux et répétitifs de la MGM n'aident pas à emballer le rythme. Sans parler de numéros musicaux encore plus ennuyeux que d'habitude hormis ceux des Marx. La scène où Chico et Harpo jouent du piano à 4 mains est drôle et émouvante et ce d'autant plus qu'elle comporte une part d'autobiographie. La mère des Marx qui voulait rentabiliser au maximum le professeur qu'elle payait voulait en effet que son fils aîné Léonard (Chico) donne des leçons de seconde main à son cadet Adolph (Harpo) qui en réalité a appris plus ou moins à en jouer tout seul. Ce dernier donne justement dans le film un solo de harpe particulièrement ravissant, costumé comme un marquis du XVIII et entouré de miroirs qui dupliquent son image ou la dédoublent, l'une faisant du violon, l'autre du violoncelle etc.
The Big store marque également la dernière collaboration des Marx avec Margaret Dumont ce qui donne lieu comme toujours à de superbes scènes de marivaudage avec Groucho. Le maintien aristocratique de Margaret Dumont, son excellent sens du rythme et de la mise en place, son infinie patience et sa bonne humeur sans limites (les frères lui en faisaient voir de toutes les couleurs mais elle était sous leur charme) ont fait d'elle plus qu'une bonne partenaire. Elle a incarné à elle seule toute la pompe et la prétention de l'aristocratie ce qui en a fait une cible portative de choix pour les Marx tout au long de leur carrière.
Some like it classic and some like it hot. Un des maîtres-mot du chef-d'oeuvre de Billy Wilder est la diversité et pas seulement celle des musiques. Celle des genres: poursuite du film noir/gags burlesque/comédie romantique d'un côté, filles/garçons/transgenres de l'autre. Celle des sexualités: hétérosexuelles et homosexuelles (féminine et masculine). Celle des climats: neige et mort à Chicago/soleil, palmiers et désirs torrides en Floride.
Car les autres thèmes majeurs du film sont le travestissement et la transgression. La Prohibition (le film se situe dans les années 20) cache le vrai sujet du film qui est le code de censure Hays encore en vigueur au moment du tournage à la fin des années 50. Seul le travestissement permet la transgression. Le cercueil contient des bouteilles de whisky, le corbillard contient des armes, les pompes funèbres abritent un tripot, le gâteau d'anniversaire cache un tueur, Joséphine et Daphné sont deux hommes, le millionnaire aux faux airs de Gary Grant (star glamour connu pour ses tendances bisexuelles et son goût pour le travestissement) est un saxophoniste fauché etc.
Certains l'aiment chaud s'avère donc être outre une comédie irrésistible un film très moderne dans son approche du désir, de la sexualité et de la féminité. Le film raconte l'initiation de deux hommes plutôt machistes au féminisme en les faisant passer de l'autre côté de la barrière. Ils découvrent la complicité et l'intimité avec des femmes et ils découvrent aussi les désagréments d'être considérés comme des objets sexuels par la gent masculine. En définitive ils découvrent surtout leur propre part de féminité. Joe acquiert une sensibilité qui lui faisait défaut dans son rapport à l'autre sexe alors que Jerry se retrouve coincé dans une hybridité comique dans laquelle son identité (de genre et sexuelle) vacille lorsqu'il se prend au jeu de la séduction avec le désopilant et néanmoins adorable millionnaire Osgood Fielding III. La scène finale ouvre tous les possibles comme le souligne la dernière réplique devenue culte, véritable provocation lancée à la face du puritanisme. Il est significatif que cette fin ouverte donne lieu aujourd'hui à deux interprétations diamétralement opposées. Pour la critique traditionnelle plutôt machiste, Jerry est pris au piège. Son "je suis un homme" est interprété comme une volonté d'être reconnu comme tel et le nobody's perfect d'Osgood est perçu comme une castration. Pour les gender studies, les féministes et les critiques LGTB il est au contraire libéré du poids de l'hétéro-machisme symbolisé par Joe et la mafia et l'on assiste à la naissance du premier couple homosexuel de l'histoire du cinéma, le nobody's perfect d'Osgood résonnant comme une déclaration d'amour inconditionnelle. Quant à Marilyn, elle est absolument parfaite dans le rôle de Sugar car elle est aussi hybride, ingénue d'un côté, bombe sexuelle de l'autre (et le film ne se prive pas de le souligner par tous les moyens!)
La pêche au trésor est le dernier film tourné par les Marx Brothers en tant que trio. Mais le coeur n'y est plus aussi le film souffre-t-il de gros défauts. L'histoire est téléphonée, le rythme est poussif, les numéros de music-hall ennuyeux. Et surtout la dynamique du trio est brisée ne permettant pas à la mayonnaise comique marxienne de prendre. En effet on ne voit jamais les 3 frères ensemble. Et pour cause. A l'origine le film avait été conçu seulement pour Harpo. Mais les producteurs refusèrent de le financer si ses frères ne jouaient pas avec lui. Chico qui était pris à la gorge par ses dettes de jeu ne fut pas difficile à convaincre. Mais Groucho tourna le film tellement à contrecœur qu'il ne le cita même pas dans son autobiographie. De fait on ne le voit que très peu, dans un rôle de narrateur "homme-tronc" quasi statique hormis l'impayable scène finale. Son abandon se mesure au fait que pour la première fois il porte une vraie moustache. Bref il n'a plus envie de jouer. Et par conséquent le rôle de Chico qui dans le trio a toujours fait la pendule d'un frère à l'autre est réduit de moitié. Ce déséquilibre pèse terriblement sur le film.
Si celui-ci échappe quand même au naufrage absolu, c'est pour deux raisons: - La première apparition (éclair) de Marilyn Monroe qui a fait plus pour la postérité du film que la prestation des Marx. - Le numéro quasiment en solo de Harpo (Chico continue tout de même à "lire dans son esprit" et à traduire ses rébus mimés) qui contrairement à Groucho a conservé son enthousiasme et son énergie intacte. En dépit du fait qu'il a vieilli et qu'il s'est adouci, sa nature profonde reste inchangée. Son abattage impressionne tout autant que sa poésie subjugue. Comme il est l'auteur du scénario il a pu également donner plus d'amplitude à son personnage de clown muet. Les admirateurs de Harpo ont d'ailleurs renommé le film (dont le titre en VO est Love Happy) " Love Harpo".
Après la mort d'Irving Thalberg, le "pygmalion" des Marx à la MGM, ceux-ci se retrouvèrent dans l'incertitude. Louis B Mayer le patron de la MGM les haïssait ce qui était de mauvais augure pour la prolongation de leur contrat. En attendant d'y voir plus clair et avec la bénédiction de la société, les Marx partirent donc faire un tour chez un concurrent, la RKO qui leur proposa l'adaptation d'une pièce de Broadway dont elle avait acheté les droits: Room Service (alias Panique à l'hôtel en VF.)
Le moins que l'on puisse dire c'est que le 8eme film des Marx Brothers n'est pas une expérience concluante. Il est même de l'avis général l'un de leurs plus mauvais films (il fut d'ailleurs un échec à sa sortie). En effet pour la première fois les personnages principaux n'avaient pas été créés pour les trois frères. Ils n'étaient donc pas adaptés à leurs personnalités et cela se ressent. Quant au réalisateur William Seiter qui appartenait pourtant à l'équipe de Max Sennett et avait fait tourner Astaire et Rogers, il ne fut guère inspiré. Le film (qui ne dure pourtant qu'1h18) met un temps interminable à démarrer, son rythme reste ensuite poussif et 95% de l'action se déroule dans la même pièce ce qui est lassant à la longue. Ce n'est certes pas la première fois qu'un film des Marx se contente d'être du théâtre filmé. Mais Cocoanuts et Animal Crackers à défaut d'être de vrais films étaient un feu d'artifice comique verbal et visuel grâce à la liberté totale laissée aux délires des 3 frères (alors au sommet de leur génie.) De plus il y avait les interludes musicaux poétiques de Chico et de Harpo, deux merveilleux musiciens. Dans Panique à l'hôtel il n'y a aucun intermède musical (il paraît que les chansons de la pièce ont été enregistrées par les Marx mais non insérées dans le montage final), peu de mots d'esprit, pas d'image surréaliste. Pas de poésie, pas de grain de folie. C'est triste.
Quelques scènes surnagent cependant dans la médiocrité ambiante. Celle du repas express où Harpo démontre qu'il a un sacré coup de fourchette et celle du faux malade qui laisse entrevoir ce que peut être le délire marxien. Mais ce n'est vraiment pas le film à conseiller à celui ou celle qui veut découvrir ce trio génial et immortel.
Les chefs-d'œuvre se rencontrent dans toutes les catégories. Roi de la comédie populaire française, Gérard Oury a hissé un genre longtemps méprisé par l'intelligentsia au rang d'œuvre d'art. Non seulement La grande vadrouille a battu tous les records d'entrées à sa sortie (un record battu seulement 30 ans après avec Titanic) mais il est devenu un classique multirediffusé qui a su résister à l'épreuve du temps tout comme La folie des grandeurs ou Rabbi Jacob. Le point commun de ces trois films c'est Louis de Funès, un génie du comique burlesque plébiscité par les enfants génération après génération ce qui le rend proprement immortel!
Pourtant le thème choisi par Oury (comme pour les autres films cités plus haut) était audacieux. En 1966, la seconde guerre mondiale était encore un sujet contemporain et hautement sensible dans la société française. Les plaies de l'occupation n'étaient pas cicatrisées. Oury choisit d'en rire avec ses allemands ridicules façon légionnaires dans Astérix mais il met également du poil à gratter dans sa comédie. En effet les deux "héros", Stanislas De Funès et Augustin BOURVIL issus de deux milieux sociaux différents (bourgeois et ouvrier) et dont le comique est complémentaire deviennent résistants à leur corps défendant. Et Stanislas en particulier est particulièrement ambigu en chef d'orchestre égoïste, mesquin, flagorneur, veule devant les puissants, tyrannique avec les faibles. Il tend ainsi un miroir peu reluisant à la société française comme il le fera avec son inénarrable Pivert raciste dans Rabbi Jacob. Tout le génie de De Funès consistant à nous rendre ces personnages détestables sympathiques à force de drôlerie!
Le film regorge de scènes d'anthologie comme celle des chambres d'hôtel ou du bain turc sans parler du jeu de mots célèbre "Il n'y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os."
Une des meilleures comédies de Gérard Oury avec La grande vadrouille et La folie des grandeurs. Sur un sujet particulièrement délicat et d'une brûlante actualité en 1973 (le film est contemporain de la guerre du Kippour et des actions terroristes de l'OLP), Oury dresse le portrait du français de souche grincheux et borné confronté aux affres de la multiculturalité. Son film, d'une énergie et d'une inventivité folle est porté par un Louis de Funès monté sur pile électrique. Son Victor Pivert raciste et antisémite par ignorance subit un traitement de choc (homme noir puis homme vert puis rabbin) qui l'oblige à ouvrir des yeux effarés sur l'altérité puis à s'y adapter ce qui donne lieu à des scènes tour à tour cocasses, bondissantes, émouvantes. Même mutation pour Larbi Slimane contraint de devenir le rabbin Seligman qui coopère avec Salomon le chauffeur de Pivert et est attiré par la fille de ce dernier. La cuve à chewing-gum est d'ailleurs symbolique: tous dans le même bain! Comme toujours Oury titille les mentalités racornies de la France profonde. Ainsi Claude Piéplu et ses collègues se comportent à la synagogue comme des Dupont-Dupond (Lajoie) bien français.
Il s'agit également d'un film très personnel. Oury était d'origine juive alors que De Funès n'était pas loin de partager les opinions de Pivert. De son propre aveu le film lui a "décrassé l'âme."
Un jour aux courses est le deuxième film de la période MGM des trois frères Marx après Une nuit à l'opéra. Comme ce dernier, il porte la marque du "système Thalberg." Si le but de la MGM était de faire de l'argent et non des classiques, Irving Thalberg réussit à faire les deux au prix de compromis que l'on peut trouver regrettables (rendre les Marx plus immédiatement lisibles et aimables en les diluant et les intégrant à une histoire politiquement correcte ponctuée de passages musicaux et sentimentaux). Mais comme Thalberg décéda trois semaines après le début du tournage, le film pâtit de son absence sur le plateau. C'est pourquoi Un jour aux courses est légèrement inférieur à Une nuit à l'opéra. Néanmoins les spécialistes s'accordent pour considérer qu'il s'agit du dernier film de l'âge d'or des Marx.
La perte de qualité entre les deux films se mesure au fait qu'Un jour aux courses met plus de temps à démarrer qu'Une nuit à l'opéra. De plus si l'opéra constitue un milieu snob et guindé où la folie anarchiste des Marx peut particulièrement s'exprimer, c'est moins le cas avec le milieu de l'hôpital et surtout de l'hippodrome (dans la réalité, Chico et Harpo alias Léonard et Adolph/Arthur étaient de gros joueurs, le premier étant même atteint d'une addiction si grave qu'il finit sa vie ruiné et sous tutelle de ses frères). Enfin les trouvailles visuelles et verbales des frères commencent à se raréfier. L'appauvrissement du langage parlé basé sur des jeux de mots (homonymies, homophonies, polysémies, nonsense etc.) est cependant partiellement compensé par les rébus mimés de Harpo traduits par Chico et ses calembours visuels (il craque une allumette pour signifier qu'il a été renvoyé, "fired" en anglais ce qui est proche de "fire", feu).
Mais Un jour aux courses conserve heureusement intacte l'énergie des Marx et leur offre autant de scènes d'anthologie qu'Une nuit à l'opéra. Citons particulièrement ce moment de folie pure qu'est l'examen clinique de Mrs Upjohn. La grande Margaret Dumont endure toutes sortes de sévices avec un stoïcisme admirable! Autre moment savoureux, le bal où Groucho mène deux intrigues amoureuses à la fois tout en montrant son talent de danseur. La scène du tête à tête galant de Groucho torpillé par Chico et Harpo qui lui sauvent la mise au passage, empêchant Mrs Upjohn de le surprendre en flagrant délit d'infidélité est un autre très grand moment.
En 1975 et 1976, le groupe rock Queen a sorti deux albums intitulés "A night at the opera" et "A day at the races" en hommage aux deux films des Marx. Groucho qui était le seul des trois frères encore en vie les a félicités par télégramme puis reçus chez lui lors de leur passage à Los Angeles et ils ont même chanté tour à tour quelques chansons a capella!
Si Soupe au canard est le chef-d'oeuvre de la période Paramount des Marx, Une nuit à l'opéra est le chef-d'oeuvre de leur période MGM. Soupe au canard n'ayant pas été un succès, la Paramount traînait des pieds pour renouveler leur contrat. Ce fut Chico qui dénoua la situation. Accro aux salles de jeux, il y fit la rencontre d'Irving Thalberg, le producteur de la MGM qui décida de les engager et leur fit tourner un film sur mesure qui fut un de leurs plus grands succès au cinéma. L'estime mutuelle que Thalberg et les Marx se portaient fit aussi beaucoup pour la réussite du film.
Les films Paramount proposaient du comique marxien à l'état pur. C'est pourquoi Soupe au canard, le plus radical d'entre eux, excluant tout élément sentimental ou romanesque est un tel ravissement pour les puristes (dont je fais partie). Mais il s'agit d'une minorité du public. La majorité se retrouve plutôt dans le savant dosage d'Une nuit à l'opéra.
En effet Une nuit à l'opéra est un film structuré, doté d'une véritable intrigue, d'une solide distribution et de gros moyens. Dans les films Paramount, la folie des Marx se déployait gratuitement et les seuls messages lisibles dans le chaos créé par leurs interventions étaient anarchistes et nihilistes. Dans Une nuit à l'Opéra leurs actes sont justifiés. Par exemple dans Soupe au canard, Harpo coupait avec des ciseaux tous les insignes de pouvoir, de rang, de grade ou de vanité sociale (plumets, queue de pie etc.) Dans Une nuit à l'opéra il coupe les barbes de trois officiers et vole leurs uniformes pour se déguiser ainsi que Chico et Allan Jones (le jeune premier qui a remplacé Zeppo) afin d'échapper à la police. De même Harpo est ignoblement maltraité par son maître, le méchant de l'histoire Lasspari ce qui le pose en victime et justifie ensuite qu'il l'assomme. Dans un film Paramount il aurait assommé un représentant de l'autorité ou un bourgeois sans raison apparente (sinon celle de la lutte des classes). Enfin au lieu de travailler pour leur pomme, les Marx se mettent au service d'une noble cause qui est de défendre un jeune couple victime d'une injustice. La morale est sauve. "Thalberg cherche à normaliser les Marx, à les rendre déglutissables, fonctionnels (...) à les civiliser, contrôler, domestiquer." (Robert Benayoun). A transformer des graines de voyous en américains modèles.
Malgré ces arrières-pensées idéologiques, Une nuit à l'opéra reste un régal d'humour burlesque avec des scènes cultes comme celle très célèbre de la cabine ou moins connue mais tout aussi géniale, celle (vaudevillesque) des lits qui passent d'une pièce à l'autre au nez et à la barbe du policier. La scène du contrat est un summum de dialogue absurde Groucho-Chico (sanity clause/santa claus), le duo comique Groucho/Margaret Dumont (Thalberg avait compris qu'elle était le véritable 4° Marx Brothers) fait plus que jamais des étincelles et la scène du sabotage de la représentation du Trouvère de Verdi est le bouquet final.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.