Un court-métrage burlesque à la trame conventionnelle et aux effets comiques peu originaux (chutes et torgnoles) qui aurait sombré dans l'oubli sans le moment où Charlot se travestit après avoir rasé sa moustache. Sa composition délicate est plus vraie que nature et réussit à jeter le trouble. Son numéro tout en minauderies et oeillades coquines est tout simplement époustouflant et confirme si besoin était son talent exceptionnel d'acteur.
Après le sommet artistique de Playtime qui valut à Tati son lot d'incompréhensions et d'ennuis financiers, Trafic est un film plus modeste mais il n'est pas pour autant mineur dans sa filmographie.
Trafic prend la forme d'un road-movie dont la trajectoire annoncée en ligne droite ne va cesser de dévier en raison de nombreux imprévus: crevaison, panne d'essence, accident, contrôle douanier. Deux temporalités cohabitent. Celle des cadences effrénées de la vie moderne pour qui le temps c'est de l'argent et qui correspond à l'autoroute. Celle plus contemplative des chemins de traverse où on prend son temps pour flâner ou pour jouer quitte à être en retard. Comme dans Playtime, Hulot et sa partenaire féminine Maria déjouent la rectitude des tracés, les chemins balisés, les directions qui ressemblent à des directives. Ils imposent leur démarche irrégulière ou virevoltante et leurs parcours en zigzag c'est à dire leur liberté de corps et d'esprit. Mieux encore ils provoquent le carambolage qui oblige les gens à quitter leur habitacle pour réapprendre à marcher. Et à pied ils finissent par s'échapper d'un monstrueux embouteillage, le trafic aboutissant paradoxalement à un blocage alors que les électrons libres eux peuvent fuir par tous les interstices vers une autre dimension (suggérée par le voyage lunaire qui accompagne à la TV celui des héros). Ironiquement, M. Hulot est congédié parce qu'il est arrivé trop tard pour exposer son invention dans l'espace prévu alors qu'elle "cartonne" partout où elle passe dans la plus totale improvisation. Ou l'art de pratiquer le commerce autrement (c'est le second sens du titre "Trafic").
Comme toujours chez Tati, les plans d'ensemble très soignés fourmillent de détails et il en est de même avec la bande-son qui met au même niveau et fait dialoguer les voix humaines en plusieurs langues, les cris d'animaux, la musique et les bruits émis par des objets.
Plans d'ensemble tournés en 70 mm, refus du récit classique et de l'identification aux personnages, paroles réduites à un effet sonore identique à celui des machines. Tout est en place pour un début froid et kafkaïen où l'architecture démesurée, rationnelle et standardisée jusqu'à l'absurde écrase l'homme, où les monuments ne sont plus que des reflets dans les vitres, où la nature et les couleurs se réduisent à une fleuriste au coin de la rue, où les lignes droites imposent aux hommes un comportement de bon petit soldat automate. Parallèlement, les baies vitrées, omniprésentes, agissent comme des barrières invisibles entre les hommes. Elles servent de vitrines sociales en supprimant la frontière entre le public et le privé, offrant en spectacle depuis la rue les intérieurs bourgeois.
Dans cet univers glacé, vide, faux, creux, les excentriques comme M. Hulot ne trouvent pas leur place. Comme dans les autres films de Tati, le regard et le corps inadapté de Hulot est une source importante de gags et de dérèglements. Les prisons de verre de l'entreprise et du "home" tentent de contenir ce doux anarchiste mais il finit par exploser les barrières. Car le morceau de bravoure du film est la séquence de 46 minutes du Royal Garden qui voit la machine à exclusion sociale se détraquer lorsque Hulot par maladresse brise la porte d'entrée en verre, permettant à toutes les populations de se mélanger sur la piste de danse. Danse et musique dont le mouvement courbe entraîne la décomposition du décor. De cette nuit de folie naît un monde plus chaleureux et convivial où même la circulation automobile s'incurve dans un joyeux carrousel. L'urbanité froide et sans âme retrouve des couleurs et sa poésie.
On a souligné à juste titre à quel point le film est moderne voire avant-gardiste. Du "je crois que ça va pas être possible" à l'entrée des boîtes de nuit à l'effacement de la distinction public-privé à l'ère des réseaux sociaux qui exigent la transparence en passant par le règne des open space, la Tativille de 1967 (inspirée de la Défense alors en construction) ressemble de façon troublante à notre société actuelle. La séquence du Royal Garden a directement inspiré La Party de Blake Edwards sorti l'année suivante.
La folie des grandeurs est l'un des grands succès comiques de Gérard Oury avec De Funès et un bijou de comédie comme La Grande vadrouille et Rabbi Jacob. Ayant interprété Don Salluste pour la comédie française au début des années 60, Oury souhaitait faire de Ruy Blas, le drame romantique de Victor Hugo une comédie burlesque. Le résultat est tout simplement génial. En effet l'esprit de la pièce qui est une satire du pouvoir est conservé. L'ignoble Don Salluste qui s'aplatit devant les riches et écrase les pauvres tout en faisant hurler de rire est l'un des plus grands rôles de De Funès. Montand (qui a remplacé BOURVIL, mort peu avant le tournage) en valet de comédie est remarquable également à la fois espiègle et romantique. Sa prestance donne beaucoup de crédibilité à "Don César", l'identité d'emprunt qui lui permet de devenir ministre et de rétablir la justice, notamment fiscale. Enfin le personnage de l'austère duègne soudainement "en chaleur" jouée par Alice Sapritch complète le festival du rire. Les dialogues cultissimes sont plein de trouvailles "Un pour tous, chacun pour soi", "L'or, c'est mon argent", "Il est l'or, l'or de se réveiller, monseignor, il est huit or", "Elle ment en allemand!", "Sa majesté a bien reçu ma lettre anonyme?", "je suis ministre je ne sais rien faire!", "Raus! Schnell! Quelle jolie langue!" (Allusion transparente aux ordres aboyés par les nazis) sans parler des extraits de Ruy Blas revus et corrigés comme le "Bon appétit Messieurs". Enfin l'esthétique du film est très soignée. Oury s'est inspiré notamment des tableaux de Velazquez pour reconstituer l'Espagne du siècle d'or alors que les paysages désertiques et grandioses ainsi que la musique morriconienne de Polnareff évoquent le western spaghetti.
La réussite de La Party tient d'abord à son respect des trois unités: temps, lieu, action. Une soirée mondaine dans une villa hyper-sophistiquée devient la base d'un festival de gags plus désopilants les uns que les autres. On pense évidemment à Tati qui savait pareillement utiliser les décors inhumains à force de dispositifs alambiqués pour dénoncer par le rire leur aberration. Deuxième réussite, le choix du grain de sable chargé de faire dérailler la machine trop bien huilée. Peter Sellers, acteur caméléon endosse le rôle d'une sorte de Gaston Lagaffe/Monsieur Hulot hindou, Hrundi V Bakshi qui à la suite d'un quiproquo se retrouve invité par erreur à la Party du tout Hollywood. Sa candeur et sa maladresse jurent tant avec la superficialité et l'hypocrisie des autres invités qu'il ne peut que multiplier les dérapages pour notre plus grand bonheur. Dérapages qui conduisent la soirée guindée à se transformer en joyeux capharnaüm où la mousse envahit le décor, faisant exploser toutes les conventions sociales. Une explosion annoncée par la mise en abyme de l'introduction du film. Seule entorse aux 3 unités, on y voit Hrundi V Bakshi alias M. Catastrophe involontairement saboter le tournage d'un film. La satire du milieu hollywoodien tourne déjà à plein régime, notamment les comportements racistes et machistes des metteurs en scènes, acteurs, producteurs, agents artistiques... Enfin l'influence du power flower se fait sentir par le choix d'un hindou pour héros, l'esthétique pop et psychédélique des génériques et la joyeuse fiesta libératrice de la fin avec un éléphant bariolé en guest-star.
Troisième et dernier épisode de la trilogie de Francis Veber consacrée à François Pignon avec le duo Gérard DEPARDIEU/Pierre RICHARD, les Fugitifs mélange avec bonheur le rire, les larmes et la tendresse. D'un côté on retrouve des situations burlesques irrésistibles (comme la grossesse "nerveuse" de Pignon ou la scène culte de l'extraction de la "ba-balle" chez un Jean Carmet vétérinaire maniant l'absurde avec brio). De l'autre, le film repose sur un lourd contexte social avec des héros marginalisés. Pignon est un chômeur et un SDF au bout du rouleau alors que Lucas est un ex-taulard dont la réinsertion est compromise par le harcèlement du commissaire Duroc qui rêve de le remettre en prison pour obtenir une promotion. Là-dessus se greffe un troisième personnage, la petite fille de Pignon, mutique et fragile que son père ne parvient plus à protéger et qui est placée à l'assistance publique où elle dépérit. Plusieurs décennies avant leur reconnaissance officielle, Veber met en scène la naissance d'une nouvelle famille de type homoparental, chacun de ses membres étant sauvé par les autres. On pense au moment où Pignon fait soigner Lucas, à la très belle scène où Lucas porte dans ses bras le père et la fille mais aussi aux échanges de regards entre Lucas et la petite. En l'adoptant comme second père, Jeanne lui donne une responsabilité qui le met à l'abri de la récidive.
Mélange de romantisme, de burlesque et de satire sociale, Diamants sur canapé est un concentré du talent de Blake Edwards. Le célèbre générique annonce le programme du film. Holly (Audrey Hepburn) sort au petit matin d'un taxi en robe givenchy et contemple la vitrine de la bijouterie Tiffany en avalant un petit déjeuner à la hâte. Puis elle rentre chez elle à pied. Le tout sur la célèbre composition d'Henry Mancini "Moon River". Le générique nous apprend ainsi que Holly est une fille de milieu modeste qui a des goûts de luxe et des moments de blues (ou plutôt de "reds"). On apprend par la suite qu'elle a fui sa vie de "bouseuse" au Texas pour celle d'une femme entretenue à New-York, son objectif étant de mettre le grappin sur un millionnaire. Mais en chemin elle rencontre son alter ego (qu'elle surnomme Fred du nom de son frère qu'elle idolâtre), Paul qui lui aussi vit de ses charmes, n'ayant pas réussi à percer en tant qu'écrivain. Ce dernier tombe amoureux d'elle mais il est désargenté... Cela pourrait être sordide, cela reste frais et pétillant grâce à l'élégance d'Audrey Hepburn et à la légèreté de la mise en scène. Les moments burlesques sont savoureux comme la Party ou le chapardage dans les grands magasins. Les deux héros en sortent masqués comme ils le sont dans la vie réelle. Or l'amour est incompatible avec le mensonge ce qui donne à ce moment un air de cruelle vérité d'autant qu'Holly s'identifie à son chat, animal dont elle porte le masque.
Le sens de la vie est un titre particulièrement ironique pour les maîtres du nonsense que sont les Monty Python. Troisième et dernier long-métrage du groupe d'humoristes anglais, il n'est peut-être qu'une suite de sketches mais quels sketches! Quasiment que du culte: éducation sexuelle en live dans un pourtant très strict college britannique (Cleese adore se désaper); catholiques pondeurs d'enfants entonants "Every sperm is sacred" sous le regard d'un protestant ultra coincé qui proclame sa fierté de pouvoir porter des capotes à plumes; parturiente oubliée au profit de la machine qui fait "ping"; client obèse d'un restaurant chic dévorant et vomissant à s'en faire péter la panse (au sens propre); donneurs d'organes prélevés de leurs vivant; colonisateur se faisant arracher la jambe sans sourciller; grande faucheuse venant embarquer les invités d'une soirée à la façon du 7eme Sceau; poissons sous LSD; employés de banque transformés en pirates et trucidants leurs patrons etc. Aucune forme d'autorité ne résiste aux Pythons. Comme toujours leur humour oscille du mauvais goût le plus assumé aux références culturelles les plus subtiles. Le court-métrage qui ouvre le film signé Gilliam tranche avec le reste par son ambition visuelle (un immeuble devient un bateau de pierre qui parcourt une terre plate jusqu'à atteindre sa bordure et tomber) et annonce Brazil.
Monte là-dessus est surtout connu du grand public pour la séquence où Harold Lloyd escalade un immeuble de 12 étages et se retrouve suspendu aux aiguilles de l'horloge. Il est vrai que la scène peut se suffire à elle-même. Elle procure au spectateur son lot de gags et de frissons (même aujourd'hui). Lloyd joue avec le vertige des hauteurs et avec les étages où la variété des gags garantit l'effet de surprise.
Néanmoins il serait dommage de réduire Monte là dessus à cette seule séquence tant le fait de la replacer dans le reste du film en enrichit le sens. Le film.est une fable typique des roaring twenties sur une ascension sociale...vertigineuse. Le capitalisme est en plein essor et le cadre du grand magasin où travaille le héros fait penser au Bonheur des dames (qui se situait sous le second Empire, une autre période de croissance et de modernisation économique). L'escalade est ainsi un coup de pub pour booster les ventes du magasin. D'autre part le héros qui est ambitieux est prêt à s'arranger avec la vérité pour gravir les échelons. Il fait croire à sa fiancée qu'il est directeur, n'hésitant pas à se mettre dans une situation périlleuse. A chaque instant on pense qu'il va être démasqué mais son audace paye, métaphore de l'exploit physique à venir mais aussi d'une certaine idée du rêve américain où la fin justifie les moyens. Le film joue beaucoup sur le trompe-l'oeil. La scène d'ouverture semble montrer un homme en prison. Faux, c'est une gare. Le héros semble être agressé. Faux, ce sont les soldes et les clientes s'arrachent les tissus. Et ainsi de suite jusqu'à la scène d'escalade elle-même truquée et doublée sur les plans d'ensemble par Bill Strothers, acteur-cascadeur qui joue l'acrobate poursuivi par le policeman et que Lloyd doit remplacer "au pied levé". Néanmoins Lloyd a pris de vrais risques et payé de sa personne. Dans les films burlesques muets, le corps des acteurs parlait à leur place il devait être agile, souple et dynamique. C'est pourquoi le parlant et le vieillissement ont souvent été fatals à ces acteurs.
Avant-dernier film des Marx sorti 5 ans après The big store sous le label United Artist, Une nuit à Casablanca aurait dû être au départ une parodie du film de Curtiz mais il a au final peu de rapport avec lui. Le film est une sorte de pot-pourri des meilleurs gags des Marx (rébus mimés, gags visuels comme Harpo qui "tient le mur", scène de vaudeville, bons mots de Groucho "Notre mariage est impossible"; " C'est après qu'il le devient") le tout teinté de nostalgie. Ainsi lorsque Groucho se retrouve enfermé dans un placard il dit " les placards ça me connait" allusion évidente à Monkey Business. Il y a également des allusions à d'autres films comme Le port de l'angoisse ("vous n'avez qu'à siffler"). Enfin les nazis d'opérette du film permettent aux Marx de prendre une revanche symbolique sur la prétendue "race des seigneurs." Néanmoins on est loin des meilleurs films des Marx. Même si on s'amuse, l'impression de déjà-vu domine et la lassitude du trio se fait sentir. Un trio dont l'équilibre s'ébranle déjà au profit de Harpo, le moins fatigué des 3 frères, annonçant Love Happy, leur dernier film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.