Les Fiancés du pont Mac-Donald est un court-métrage muet de style burlesque inséré au milieu du long-métrage Cléo de 5 à 7. Tous deux ont été réalisés en 1961 par Agnès Varda avec une musique de Michel Legrand. Le court-métrage agit comme un miroir grossissant du long-métrage, emblématique de son oeuvre à la fois lumineuse et hantée par la mort. "La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort." (Agnès Varda)
Les Fiancés du pont Mac-Donald illustre cette question de l'union des contraires au pied de la lettre. Il est tourné en noir et blanc, son sous-titre est "méfiez-vous des lunettes noires" et il met en scène le couple vedette de la Nouvelle vague: Jean-Luc Godard et Anna Karina. Agnès Varda joue sur les lunettes de soleil de Godard qui lorsqu'il les met lui font voir les choses "en négatif" et lorsqu'il les ôte, il les voit en "positif" de part et d'autre des escaliers symétriques du pont. Godard jeune sans lunettes a d'ailleurs des faux airs de Buster Keaton ce qui colle parfaitement à l'esprit burlesque du court-métrage.
Henri Lehrmann, acteur pour D.W Griffith est aujourd'hui un réalisateur tombé dans l'oubli. Si ce court-métrage slapstick Keystone très brouillon a un quelconque intérêt pour le cinéphile aujourd'hui, c'est parce que c'est le premier film où apparaît Charles CHAPLIN. Son énergie phénoménale crève l'écran et efface tous ses partenaires. Il n'est pas encore Charlot mais on le reconnaît déjà à certains gestes, attitudes et gags. Et aussi au fait qu'il joue le rôle d'un imposteur, un clochard qui se déguise en gentleman, séduit la fiancée d'un autre avant de lui piquer son emploi de journaliste en lui volant son reportage.
Chaplin détestait ce film et considérait qu'Henri Lehrmann avait coupé ses meilleures scènes au montage parce qu'il trouvait qu'il lui faisait de l'ombre (non sans blague!) ce qui est amusant quand on pense qu'ils sont justement rivaux dans le film. On sent bien que Chaplin ne supportera pas longtemps d'être dirigé et qu'il voudra prendre le contrôle de la réalisation des films dans lesquels il joue.
The Kid est considéré comme le premier long-métrage de Chaplin même s'il ne dure que 50 minutes (alors que le Pélerin qui fait 10 minutes de moins est considéré comme un court-métrage). Il fait partie des oeuvres tournées pour la First National qui ne devaient être à l'origine que des courts-métrages. Mais de plus en plus perfectionniste et ambitieux, Chaplin fit durer le tournage du Kid près d'un an, tournant entre-temps Une journée de plaisir avec déjà Jackie Coogan pour faire patienter les distributeurs.
Si le Kid résonne encore si fortement aujourd'hui dans le coeur des cinéphiles, s'il incarne à ce point la quintessence du cinéma qui est de nous faire ressentir des émotions ("un coeur qui bat à 24 images par seconde" comme le disait Godard), s'il marie à la perfection la comédie et la tragédie, le rire et les larmes, s'il capte aussi bien les instantanés de la vie c'est qu'il se nourrit de la substance intime de son auteur. Avec ce film qui raconte une histoire d'amour belle et poignante entre un vagabond et un orphelin, Chaplin exorcise ses propres traumatismes d'enfance. La masure misérable où il vit avec l'enfant reproduit celle où il a vécu et la scène terrible où ils sont séparés de force par les services sociaux et la police, celle où il a été séparé de sa mère quand il était petit pour être placé à l'assistance. On comprend instantanément d'où lui vient sa révolte contre l'autorité et l'injustice. On ressent son besoin énorme d'amour, de tendresse et d'affection. Le miracle est qu'en dépit de toute cette adversité, l'enfant en lui n'est pas mort. Bien au contraire il est retrouvé et adopté par des parents faillibles mais aimants. Le film raconte l'histoire d'une résilience. Il est d'ailleurs probable que le point de départ du film est la mort du premier enfant de Chaplin à l'âge de quelques jours. Dans ses courts-métrages précédents, Chaplin était distant voire hostile aux enfants (dans Charlot Papa, il porte son fils comme un paquet dégoûtant et l'expose à des accidents domestiques par négligence, dans Charlot Policeman il les traite comme des poules, leur envoyant des céréales à la volée, dans Une vie de chien, la place du bébé est occupée par une portée de chiots etc.) Au début du Kid, le vagabond essaye encore sans succès de "refiler le bébé" à d'autres. Mais la nécessité de se reconnecter à son enfance est finalement la plus forte. Et c'est beau.
Le Pélerin est le dernier court-métrage de Chaplin. Il n'est pas sans rappeler le dernier film réalisé pour la Mutual, l'Evadé. Mais le Pélerin est plus développé (il dure 40 minutes), moins slapstick et plus mordant dans la critique sociale. Même s'il y a des moments hilarants (les mauvais tours du sale gosse, le sermon sur David et Goliath remarquablement mimé), la bigoterie de l'Amérique profonde est visée. L'usurpation en soi est lourde de sens. Un voleur échappé du bagne se fait passer pour un pasteur et la crédulité des villageois est totale. On pense d'autant plus à Tartuffe que ce film provoqua une levée de boucliers auprès des religieux et fut interdit dans certains comtés. Pire, Chaplin dut faire face par la suite à la haine de tous ceux dont il se moquait qui le couvrirent de calomnies jusqu'à avoir sa peau au temps du Maccarthysme.
Mais le pèlerin comporte aussi un espoir de rédemption qui se heurte à la difficulté de trouver sa place. La fin du film est claire: un pied de chaque côté de la frontière, le Vagabond n'est ni d'ici ni d'ailleurs.
Premier film tourné pour la First National et dans son propre studio californien, Une vie de chien marque un nouveau tournant dans la carrière de Chaplin. Il a signé pour 8 nouveaux courts-métrages mais on sent que le passage au long-métrage est imminent. De fait Une vie de chien préfigure le Kid et est déjà en soi un pur petit chef-d'oeuvre mêlant harmonieusement gags burlesques, satire sociale et tendresse pour les exclus.
Le monde dépeint dans Une vie de chien est âpre. La loi du plus fort y règne et les policiers veillent à enfoncer encore plus la tête sous l'eau des "salauds de pauvres". Dans la rue c'est chacun pour soi. On est en plein darwinisme social lorsque l'on voit lors d'une séquence magistrale Charlot se faire doubler à l'agence pour l'emploi par une meute de chômeurs enragés...la métaphore animale est limpide lorsque la scène est rejouée à l'identique autour d'un bout de viande par des molosses s'en prenant à un petit chien bâtard. Mais Charlot refuse cet ordre du monde et son humanité sauve le malheureux des griffes de ses adversaires. Non seulement il rejette ainsi le féroce individualisme du capitalisme libéral mais sans le savoir il nous offre déjà la rigoureuse antithèse du nazisme qu'il combattra dans Le Dictateur. Les nazis imprégnés de spencérisme (darwinisme social) projetaient sans arrêt des films de combats animaliers se terminant par la mise à mort du plus faible, "la lutte pour la vie" ou l'on mange pour ne pas être mangé. A contrario Une vie de chien est imprégné d'humanisme. Une solidarité se créé entre Charlot, son chien et Edna une autre victime du système. Sans parler de Sydney Chaplin qui dans sa baraque à saucisses a toujours le dos tourné au bon moment pour laisser Charlot et Scraps chaparder sur le comptoir. Et la chance qui s'en mêle lorsque Scraps trouve un portefeuille plein de billets dans le terrain vague où ils dorment. Portefeuille auparavant dérobé par des voleurs mais qui finit par leur échapper. Ajoutons que le gag où Chaplin joue au marionnettiste avec un des deux voleurs est brillantissime.
Au départ Charlot Soldat, sorti quelques jours avant l'armistice de 1918 aurait dû être un long-métrage mais Chaplin a dû se contenter du format moyen. Le film se divise clairement en deux parties distinctes. La première est une satire de la vie dans les tranchées qui vaut son pesant de cacahuètes. Chaplin tourne en dérision les conditions de vie extrêmes des poilus : inondation de la casemate où ils dorment à cause des torrents de pluie et de boue, tir nourri de l'ennemi qui permet à Charlot de sabrer sa bouteille ou d'allumer sa cigarette en l'élevant au-dessus de lui de quelques centimètres, faim qui tenaille (l'occasion d'un hilarant lâcher de camembert coulant sur l'ennemi façon tarte à la crème), froid mordant. La deuxième partie est une mission périlleuse où Charlot déguisé en arbre puis en officier allemand se montre ingénieux et héroïque, parvenant avec l'aide d'un camarade sergent (Sydney Chaplin) et d'une jolie française (Edna Purviance) à capturer le kaiser et les principaux chefs de guerre allemands, tous plus ridicules les uns que les autres. Mais le twist final remet en question l'apparente célébration patriotique tout comme le début montre que Charlot ne parviendra jamais à marcher au pas. NB: On voit Chaplin signer son film lors du générique pour freiner les copies pirates qui se multipliaient.
Jour de paye est l'un des derniers courts-métrages de Chaplin. Après avoir réalisé son premier long-métrage (Le Kid en 1921), il devait encore trois courts-métrages à la First National. Jour de paye est l'un de ces trois films (les deux autres sont Charlot et le masque de fer et Le Pèlerin). Peut-être parce que Chaplin le considérait comme son court-métrage favori, Jour de paye a la réputation d'être le meilleur court-métrage qu'il ait réalisé. C'est pourtant loin d'être le cas car le film est inégal. L'histoire est celle d'un ouvrier exploité sur un chantier de construction qui échappe à la surveillance de son dragon d'épouse pour dépenser sa paye dans un bar. Il a ensuite le plus grand mal à rentrer chez lui passablement éméché. Il y a d'excellents gags parfaitement rythmés dans la première partie. On pense au célèbre numéro de Chaplin avec les briques qui s'apparente à du jonglage ou au va et vient d'un monte-charge qui apporte un repas providentiel à un Charlot au ventre creux. La deuxième moitié du film est beaucoup plus poussive même si la séquence du tramway témoigne d'une grande maîtrise technique. Derrière l'humour, on perçoit une certaine forme de critique sociale. L'ouvrier est sous-payé pour ses heures supplémentaires, n'a pas de quoi manger, n'a que la boisson pour loisir, n'arrive pas à prendre le tramway qui est surchargé... Une vie loin d'être idéale.
Une idylle aux champs court-métrage réalisé pour la First National en 1919 constitue une régression dans la carrière de Chaplin. A partir d'une idée de départ (ici Charlot dans un décor champêtre), Chaplin développait une histoire en improvisant. Parfois cela aboutissait au meilleur mais ce n'est pas le cas ici. Le manque d'inspiration du réalisateur se fait sentir dans les gags très slapstick qui rappellent la période Essanay, un montage décousu de scènes ayant peu de rapport les unes avec les autres et un final tiré par les cheveux. Le passage le plus connu du film, celui où Charlot danse avec quatre nymphes est un hommage au ballet L'après-midi d'un faune et au danseur Vaslav Nijinsky qui en était le chorégraphe et l'interprète principal. Prise isolément, la séquence a un certain charme mais elle dessert le film en constituant une digression inutile qui nous fait perdre le fil de l'histoire. De plus son caractère poétique est bien trop appuyé pour convaincre.
Un des trois derniers courts-métrages de Chaplin pour la First National où celui-ci s'offre un double rôle (comme il le fera plus tard dans Le Dictateur): celui du vagabond et celui d'un grand bourgeois distrait et alcoolique (un trait récurrent lorsque celui-ci interprète ce genre de personnage). Comme dans le roman du Prince et du pauvre, leur ressemblance va donner lieu à d'amusants quiproquos quand lors d'une soirée déguisée le bourgeois coincé dans son masque de fer voit avec impuissance son sosie prendre sa place. L'occasion encore une fois d'égratigner la upper class ou plutôt la "classe oisive", titre en VO du film. Ce dernier est inégal mais il offre quelques moments franchement hilarants comme celui où le bourgeois découvre qu'il a oublié d'enfiler son pantalon où encore plus drôle, celui où on le croit secoué de sanglots alors qu'il secoue en fait un shaker à cocktails!
Court-métrage tardif tourné pour la First National, Une journée de plaisir résonne comme une ironique antiphrase. Dans la peau d'un américain lambda avec une maison, une Ford T et une petite famille, Charlot va vivre une journée pleine de mésaventures. Au menu, une excursion en bateau particulièrement mouvementée, une bagarre avec un mari jaloux et un incident mémorable à un carrefour avec deux policiers dont Charlot se débarrasse en les collant dans le goudron. Les gags tournent le plus souvent autour d'objets récalcitrants comme un transat impossible à monter qu'il finit par jeter par-dessus bord ou une voiture qui met un temps fou à démarrer. Ce rapport conflictuel aux objets, symboles du matérialisme est récurrent chez Chaplin (c'est le sujet par exemple de Charlot rentre tard). Il contient une critique contre la société industrielle de consommation de masse qui prendra toute son ampleur dans Les Temps modernes. Chaplin plaide pour une sortie du rapport imposé par la société aux objets au profit d'un rapport libre et poétique où l'homme les détourne de leur fonction première (le plus bel exemple d'un tel détournement se trouvant dans La ruée vers l'or). Ainsi il reste le maître de son environnement au lieu d'en devenir l'esclave.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.