Film dramatique passable, mauvais film comique tant les situations pathétiques prêtent peu à rire. Chaplin a voulu parodier la ballade The Face Upon the Floor de Hugh Antoine d'Arcy qui évoque un peintre autrefois prospère que sa bien-aimée Madeleine (Cecile Arnold) quitte pour un autre homme. Conséquence, il sombre dans le désespoir (et l'alcool). Mais Chaplin qui utilise un récit en flash-back n'a pas poussé la parodie assez loin. Le décalage entre ce qu'il raconte aux piliers de bars (qu'il était un grand artiste, que sa femme l'adorait etc.) et ce que l'on voit apparaître sur l'écran ne fonctionne pas bien. Les situations censées être comiques tombent alors à plat. Dommage car l'idée de départ était intéressante. Et on peut souligner l'audace de Chaplin qui expérimente de nouvelles façons d'essayer de faire rire à l'opposé des recettes stéréotypées de la Keystone.
Un tout petit film à tous les sens du terme: sa durée (6 minutes) et ses ressorts comiques (un best-of des gags les plus éculés de la Keystone: coups de pied, gifles, lancer de briques, intervention des Keystone cops.) Chaplin ne s'est pas cassé la tête car Recreation (un titre en VO plus évocateur que celui de la VF) a été conçu pour accompagner un film éducatif, The Yosémite. Au moins la chute dans le lac finale offre une variante intéressante à celles que l'on a déjà pu voir: cette fois il n'y a pas de jaloux et tout le monde y passe, hommes et femmes.
A noter que la pellicule du film est partiellement dégradée. Les 2/3 des images du film sont de très mauvaise qualité.
The Property Man est la première comédie de deux bobines de Chaplin en tant que réalisateur, scénariste et acteur principal. Elle s'inspire d'un sketch de l'époque où Chaplin travaillait pour l'impresario de music-hall britannique Fred Karno. Le sketch s'intitulait Mumming Birds et mettait en scène des numéros burlesques particulièrement mauvais. Et ce sujet reste au centre de The Property Man. On y voit en effet se succéder de soi-disant vedettes à l'ego surdimensionné et aux numéros plus exécrables les uns que les autres. Chaplin se paye leur tête en apparaissant à plusieurs reprises sur le devant de la scène, provoquant des catastrophes et le rire des spectateurs. Un running gag qu'il reprendra pour Le Cirque.
Le film a suscité de nombreuses critiques à toutes les époques à cause de sa méchanceté gratuite. C'est pourtant un des piliers du burlesque Keystone fondé sur le slapstick. Mais visiblement les coups de pied de Charlot sur le visage d'un vieil homme plié en deux sous le poids d'une malle sont restés sur l'estomac de quelques uns. Pourtant cette violence semble ici limitée à un effet cartoon (ou spectacle de catch!) avec des acteurs clownesques parfaitement entraînés à ce genre de numéro.
Laughing gas est le deuxième court-métrage réalisé par Chaplin seul aux manettes. Et ce sera pareil pour les suivants jusqu'à la fin de sa collaboration avec la Keystone (à l'exception du long-métrage Le roman comique de Charlot et Lolotte). En effet le succès est au rendez-vous et grandira de film en film au même rythme que sa popularité. De plus comme Chaplin exclut Mabel Normand du casting (pas assez docile? Lui faisant trop d'ombre?), Mack Sennett n'a plus à jouer les chaperons.
La marque de Chaplin est immédiatement reconnaissable dans le scénario. Le comique repose en effet en partie sur le thème de l'imposture, récurrent dans son univers. Charlot qui n'est qu'assistant se donne des airs importants et tente dès qu'il le peut de prendre la place de son patron pour voler des baisers aux jolies patientes. Son incompétence est source de gags très chaplinesques comme lorsqu'il écoute le pouls du patient à partir de la plante de son pied. Mais pour le reste, cela reste une comédie Keystone avec son burlesque grossier fait de violence gratuite: claques, coups, lancer de briques et KO général à la fin.
Mabel Normand, Charles Chaplin, Mack Sennett (1914)
Encore un film à la réalisation incertaine faute de crédits précis. Disons que c'est la dernière co-réalisation Chaplin-Normand avec la supervision de Mack Sennett. Tourné à l'Echo Park situé à quelques encablures des studios Keystone, le film présente des similitudes avec la première réalisation de Chaplin Caught in the rain (la trilogie parc-bar-hôtel, la drague rustre avec la jambe sur le genou de la belle ) mais aussi avec l'Etrange aventure de Mabel car de nouveau celle-ci apparaît vêtue d'un pyjama. Elle affirme ainsi son caractère de garçon manqué et son refus des conventions. Quant à la confrontation avec le mannequin, elle préfigure les nombreux films où Charlot lutte contre des objets.
Comme le film précédent, Charlot et Fatty dans le ring, il existe une incertitude sur le degré d'implication de Mack Sennett dans sa réalisation. Certaines sources l'attribuent seulement à Mabel Normand mais elle aurait en fait seulement dirigé ses propres scènes, laissant à Chaplin une grande liberté pour jouer les siennes. Quant à Sennett, s'il s'attribue un petit rôle et réalise les scènes de Chaplin c'est surtout pour garder un oeil sur lui car il craignait qu'il ne séduise sa protégée (voir Le Maillet de Charlot pour plus de détails sur le triangle amoureux Sennett-Chaplin-Normand).
Comme beaucoup de courts-métrages de la Keystone, le film a été tourné sur les lieux d'un événement réel, le Ascot Park Speedway de Los Angeles lors d'une course amicale spéciale le 17 mai 1914. Le réalisateur saisit au passage les réactions amusées des spectateurs devant les facéties de Chaplin ce qui rappelle Charlot est content de lui. De fait, ce dernier s'en donne à coeur joie dans les mimiques chaplinesques: roulement de chapeau sur son bras, dérapages contrôlés, danse provocatrice autour du policier, multiples acrobaties... Quant à Mabel Normand, le film permet d'apprécier autant ses talents de mime que son tempérament de garçonne bagarreuse. Bien que Charlot se montre surtout malhonnête et violent dans le monde de brutes évoqué par le film, il choisit au final de consoler Mabel avec tendresse plutôt que de continuer à se battre avec elle. De fait, dès qu'il sera totalement libre de réaliser ses films, Chaplin s'éloignera de la violence gratuite et critiquera la loi de la jungle. Il suffit de comparer ce film de 1914 et Une vie de chien réalisé pour la First National en 1918 pour mesurer cette évolution.
Première chose importante à savoir sur ce film: l'attribution de sa réalisation fait toujours débat. Certaines sources l'attribuent à l'obscur acteur Charles Avery, d'autres (dont Lobster Films) à Mack Sennett. C'est pourquoi faute d'en être sûr à 100% les deux hommes figurent sur la fiche du film en tant que réalisateurs.
Deuxième chose tout aussi importante: le titre en VF est trompeur. On a l'impression que Chaplin et Roscoe Arbuckle se partagent l'affiche du court-métrage alors que c'est un film où Fatty est la star et où Charlie fait juste une courte apparition au début de la deuxième bobine (c'est à dire après environ 1/4 d'heure de film). Arbuckle affronte Edgard Kennedy sur un ring de boxe et Chaplin joue le rôle de l'arbitre. Dès qu'il apparaît, le rythme qui ronronnait s'accélère et son numéro est irrésistible. La fin avec une course-poursuite débridée entre Arbuckle qui tire dans tous les sens, Kennedy et les Keystone Cops est également assez tordante. Dommage qu'il y ait clairement une bobine de trop...
En apparence, ce court-métrage ne casse pas des briques (un jeu de mots facile...) car son burlesque est hyper-rudimentaire (des coups, des coups et encore des coups...de poing, de briques et de maillet). Le montage brutal et haché made in Keystone n'arrange rien. Mais sa signification elle est absolument fascinante car elle ne relève pas seulement de la fiction. Dans le film on assiste à une confrontation de coqs entre Chaplin et Sennett pour gagner le coeur (et plus si affinités) de la jolie Mabel Normand. Laquelle est courtisée également par un troisième larron, plus bourgeois et plus fort. Sennett envoie finalement le bourgeois costaud et Chaplin au tapis (en version Keystone, ça signifie dans le lac) et s'en va avec la belle. Or voici ce que Chaplin écrivait dans son autobiographie:
"[Sennett] m’avait pratiquement adopté et m’amenait dîner chaque soir. A cause de Mack je voyais beaucoup Mabel ; tous trois nous dînions ensemble et après le repas Mack s’endormait dans le lobby de l’hôtel pendant que nous passions une heure devant un film ou au café, puis nous revenions le réveiller. Cette proximité aurait pu se transformer en une liaison, mais ce ne fut pas le cas. Nous sommes restés, malheureusement, seulement bons amis." Sennett avait conscience de cette proximité et était jaloux de l'élégance et du charme de Chaplin. On comprend pourquoi dans le scénario qu'il a écrit il prend cette revanche symbolique sur son rival. L'aspect "primaire" du film a donc une signification bien plus profonde qu'il n'y paraît.
Ce court-métrage d'une demi-bobine (six minutes environ) est une nouvelle illustration de l'art de la Keystone à tirer parti d'événements réels pour les intégrer à leurs films. De façon très similaire à Kid Auto Races at Venice (Charlot est content de lui) on voit Chaplin s'interposer entre une équipe de prise de vue et ce qu'ils filment à savoir la cérémonie d'inauguration et le défilé célébrant l'agrandissement du port de Los Angeles le 11 avril 1914. D'autre part c'est le premier film où l'on voit Chaplin (qui signe le scénario) jouer travesti. Il réitérera l'expérience l'année suivante pour les studios Essanay avec Mademoiselle Charlot. Entre temps, il aura considérablement affiné scénario et personnage. Car dans A Busy Day, il se contente de jouer les mégères en distribuant les coups de pied et coups de poing à tour de bras. Un burlesque keystonien basique que le costume renouvelle au final assez peu.
Caught in the Rain est une oeuvre importante dans la carrière de Chaplin car c'est le premier film dont il signe seul le scénario et la réalisation ainsi que le montage. Il a dû cependant laisser 1500 dollars d'économie comme caution dans le cas où le film serait un échec pour que Sennett accepte de lui laisser carte blanche. Chaplin raconte ses doutes dans son autobiographie : « Ce n’était pas un chef d'oeuvre du genre, mais c'était drôle et le film eut beaucoup de succès. Quand je l’eus terminé, j’avais hâte de connaître la réaction de Sennett. Je l’attendis à la sortie de la salle de projection. 'Alors, me dit-il, tu es prêt à en commencer un autre?' ». Sennett lui accordera même une augmentation de 25 dollars pour cette réalisation et les suivantes.
Caught in the Rain reste une comédie très keystonienne car Chaplin voulait plaire à Sennett et au public. On retrouve donc des lieux communs du burlesque sennettien: flirt au parc ou à l'hôtel, quiproquos dans les chambres et bagarre finale avec les Keystone cops. Chaplin rajoute son numéro bien rôdé d'ivrogne dragueur qui lui valait un succès garanti. Il en rajoute d'ailleurs au point que l'on peut se demander s'il n'a pas inspiré Harpo Marx (on le voit entre autre courir d'une fille à l'autre et mettre ses jambes sur les cuisses d'une femme assise.) Néanmoins, il imprime sa propre marque par petites touches. Il joue sur ses talents d'acrobate (une séquence de glissade dans les escaliers préfigure Charlot rentre tard), sur les détournements d'objets (le whisky devient une lotion, la cigarette une clé, la chaussure un doudou...) et sur une narration plus fluide avec des plans plus longs et un rythme moins serré. Les personnages s'affinent également comme le montre la réaction courtoise de Charlot lorsqu'il découvre la femme assise sur son lit.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.