L'histoire de ce film me fait penser à celle de "Apparences" (2000) de Robert Zemeckis. En effet dans les deux cas, il s'agit d'un "interlude" entre deux films plus importants. Dans le cas de Zemeckis, il fallait laisser le temps à Tom Hanks de perdre du poids pour "Seul au monde" dont le tournage a été interrompu 8 mois ce qui lui a laissé de temps de réaliser un autre film. "Nocturne" a quant à lui été réalisé dans le cadre du tournage de "Carmen" (d'après la nouvelle de Prosper Mérimée) de Jacques Feyder à Ronda, en Andalousie qui a été prolongé en raison d'une météo défavorable. Alexandre Kamenka, le directeur des studios Albatros qui produisait le film a donc maximisé la rentabilité des pauses forcées de "Carmen" pour réemployer les acteurs principaux, Raquel Meller et Louis Lerch dans un film plus court, tourné dans l'hôtel où logeait l'équipe de "Carmen" à Ronda: on ne peut pas faire plus économe! Et pour réaliser ce "Nocturne", il fait appel à l'assistant de Jacques Feyder, Marcel Silver.
Le résultat est un film d'atmosphère à l'intrigue minimaliste: une femme se consume à attendre l'homme qu'elle aime alors que seule une cloison de chambre d'hôtel la sépare de lui. On peut voir cela comme une métaphore du drame de l'incommunicabilité dans le couple. Ou bien comme un moyen inconscient pour un homme qui hésite entre deux engagements de choisir. La puissance expressive du visage de Raquel Meller est très bien mise en valeur ainsi que le parallèle entre sa solitude et sa souffrance et l'aridité des paysages. Néanmoins cette intrigue est trop mince pour tenir la route sur trois bobines. On a donc rapidement l'impression que cela traîne en langueur, pardon, en longueur...
Ce film est une curiosité puisque d'une part on y trouve Oliver Hardy dans un rôle secondaire mais sans son comparse à l'écran, Stan Laurel qui est présent derrière la caméra mais pas devant. De l'autre, le comique burlesque se concentre sur Clyde Cook qui joue un cuisinier très chaplinesque. Certains gags comme celui de l'aliment explosif rappellent "Charlot mitron" ("Dough and Dynamite") réalisé en 1914 pour la Keystone et d'autres "La Ruée vers l'or" (la maison qui penche dans le vide qui devient ici le train qui penche dans le vide). Il faut dire qu'avant de former son duo légendaire avec Oliver Hardy au cinéma, Stan Laurel comme la plupart des grands burlesques de cette époque avait débuté sur les planches en 1908, dans la même troupe que Charles Chaplin (celle de Fred Karno) et s'était retrouvé à jouer entre autres sa doublure.
Comme "Detained" que j'ai récemment chroniqué et plus d'une trentaine d'autres courts-métrages antérieurs à la formation du duo qui ont été miraculeusement retrouvés (sur des centaines perdus), on peut visionner "Wandering Papas" sur un double DVD édité par les éditions Lobster judicieusement intitulé "Laurel OU Hardy, avant le duo".
Detained est l'un des 12 films de deux bobines (environ 20 minutes) que Stan LAUREL a tourné pour le producteur Joe ROCK en 1924 et 1925. A cette époque, Stan Laurel ne forme pas encore officiellement de duo comique avec Oliver HARDY bien qu'il ait déjà tourné une fois avec lui. Les courts-métrages tournés pour Joe Rock font donc partie de la partie solo de sa carrière, de loin la moins connue.
Detained est un court-métrage burlesque qui comme son titre l'indique se déroule pour l'essentiel en prison. Laurel y joue un innocent qui subvertit le monde carcéral par son comportement totalement hors-sol. Il tourne particulièrement en dérision les armes et la peine de mort soit deux piliers de l'arsenal répressif des USA. Les gags autour de la chaise électrique et de la corde se rapprochent du cartoon avec notamment des trucages transformant son corps qui devient élastique (et ce près d'un siècle avant "One Piece" ^^). Le début et la fin ont un petit côté absurde et anarchisant avec un honnête citoyen transformé en bagnard par la grâce d'un changement de costume ("L"habit fait le moine") qui devient à la fin délinquant malgré lui mais grâce à la bonne fortune (une trappe bienvenue) il échappe miraculeusement aux poursuites.
Comme de très nombreux courts-métrages de Georges MÉLIÈS, "La Lanterne magique" recèle sa quantité de trésors. C'est un hommage à l'histoire du spectacle, présent sous plusieurs formes d'époques différentes:
- La Comedia dell'Arte, genre théâtral apparu au XVI° siècle en Italie avec comme protagonistes principaux du film Polichinelle et Pierrot.
- L'illusionnisme d'où est issu Georges MÉLIÈS, la lanterne magique servant une bonne partie du film de boîte à faire apparaître Colombine et diverses danseuses qui effectuent quelques figures dans les coulisses du théâtre.
- Le cinéma enfin, cette même boîte se transformant en caméra dotée d'un objectif projetant des images dans l'image principale.
La lanterne magique qui date du XVII° siècle sert de trait d'union: elle constitue l'ancêtre du cinéma, elle renvoie à la magie de par son titre (on l'appelait aussi la lanterne à illusions) et elle projette sur un écran en gros plan les images des personnages qui s'activent dedans et autour en chair et en os. Le film est également connu pour l'innovation technique ayant consisté à pratiquer le fondu enchaîné sur fond blanc et non plus sur fond noir comme c'était l'usage.
"Regeneration" est le plus ancien film de Raoul WALSH à avoir été conservé (à ce jour). C'est aussi son premier film pour la Fox. C'est enfin l'un des précurseurs du film de gangsters, genre qui s'épanouira à Hollywood avec le début du cinéma parlant.
L'histoire s'articule autour d'un drame social, celui d'un jeune orphelin qui est recueilli par des voisins misérables dont le mari est une brute et qui préfère donc fuir et se débrouiller par lui-même. A 25 ans, il dirige un gang sur les docks de New-York. Cela préfigure de ce fait "Sur les quais" (1954) de Elia KAZAN d'autant que l'acteur ressemble pas mal à Marlon BRANDO et que la morale chrétienne y est très présente (c'est lié aux origines des réalisateurs, la Grèce pour Elia KAZAN, l'Irlande pour Raoul WALSH). Le titre annonce la couleur si je puis dire mais surtout le personnage féminin principal est une jeune bourgeoise qui fonde un institut de charité pour venir au secours des miséreux et qui est prête à aller jusqu'au sacrifice pour accomplir sa mission. En cela, elle est bien plus active que son homologue dans le film de Kazan car elle endosse aussi les rôles masculins (celui du directeur de conscience et celui du christ rédempteur): dans une scène spectaculaire, elle échappe avec ses protégés à l'incendie du bateau où elle avait organisé une fête (dans le style du secours populaire) tandis que Owen sauve deux fillettes qui avaient été prises au piège. Plus tard, elle se retrouve aux prises avec Skinny, le nouveau chef du gang d'Owen, ce dernier ayant préféré le quitter pour se rapprocher d'elle.
Bien que le film soit par moments assez abîmé, il donne déjà une idée du talent du réalisateur. La vie dans les bas-fonds est restituée avec beaucoup de réalisme grâce notamment à l'utilisation de la profondeur de champ dans laquelle on voit se démener de nombreux enfants déguenillés qui semblent sortir de tous les coins de l'image. Raoul WALSH utilise aussi comme D.W. GRIFFITH (dont il a été l'assistant) le montage parallèle pour dynamiser les scènes et leur donner du suspens. Celle du bateau dans laquelle il dirige de main de maître l'évacuation d'une foule est un morceau d'anthologie. Il recourt également au flashback pour illustrer le dilemme du héros. Enfin, en ce qui concerne l'émotion, il utilise beaucoup le gros plan, notamment sur les visages charismatiques de Rockliffe FELLOWES et de Anna Q. NILSSON ce qui fait passer la pilule de la morale édifiante.
"Ménilmontant" est le deuxième film de Dimitri KIRSANOFF, cinéaste français d'origine estonienne (comme les fondateurs du studio Albatros, il a été chassé de Russie par la révolution bolchévique) dont l'activité couvre une période allant des années vingt jusqu'à la fin des années cinquante et l'avènement de la nouvelle vague. "Ménilmontant" est l'un des plus importants (a défaut d'être le plus célèbre) films de l'avant-garde des années vingt, une oeuvre singulière sans intertitres qui frappe par sa puissance expressive. L'histoire très marquée par la fatalité annonce le réalisme poétique tout en rappelant par son intrigue "Les Deux orphelines" (1921) de D.W. GRIFFITH: deux soeurs dont les parents sont sauvagement assassinés sombrent dans la déchéance après avoir été séduites et abandonnées par le même homme. Les deux actrices sont fascinantes dans leur capacité à incarner leur personnage à divers âges de leur vie, particulièrement Nadia SIBIRSKAÏA dont Dimitri KIRSANOFF (qui fut son époux) ne se lasse pas de filmer le beau visage. La mise en scène, fluide, dynamique et riche (surimpressions, caméra mobile, montage rapide, notamment de gros plans de visages expressifs saisis sur le vif à la manière de Sergei EISENSTEIN) est très moderne. Enfin comme beaucoup de films de cette époque, on a un bel aperçu du Paris d'autrefois, Ménilmontant étant alors un quartier populaire et industrialisé proche de Belleville dans laquelle l'héroïne, véritable "fleur de macadam" semble emprisonnée (au point de marquer les jours qui passent sur les murs), ses seuls échappatoires étant des flashbacks nostalgiques sur son enfance ou des pensées suicidaires liées à sa situation misérable de mère célibataire SDF qui découvre en prime que sa soeur se prostitue.
Belle découverte que ce film disponible sur Henri, la plateforme de la Cinémathèque qui consacre l'une de ses rubriques aux films Albatros. J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'évoquer les origines de ce studio fondé en 1920 à Montreuil par des émigrés russes et comment il a employé durant les années vingt la crème des réalisateurs français avant que l'avènement du parlant ne signe son arrêt de mort.
"Paris en cinq jours" est du slapstick dans la meilleure tradition du genre mais à la sauce franco-russe. Il raconte sur le ton de la satire le voyage organisé de riches américains dont la visite de la capitale est chronométrée jusqu'à l'absurde (ils ont 9 minutes pour manger, 6 pour danser, 5 pour prendre un verre, 15 pour visiter le Louvre etc.) Au milieu de cette course contre la montre, un personnage détone, Harry Mascaret (Nicolas RIMSKY, également co-réalisateur et co-scénariste) qui est un simple comptable ayant gagné au loto (de la bourse) qui ne parvient jamais à être dans le tempo et accumule les mésaventures plus savoureuses les unes que les autres, finissant invariablement au commissariat (du comique de répétition +++). Dès les premières séquences dans son pays d'origine, il est montré comme un rêveur romantique inadapté au monde qui l'entoure. Par la suite, son décalage spatio-temporel accentué par le dépaysement l'amène à être séparée de sa fiancée qui se fait draguer par un comte aux intentions douteuses qui n'a guère de difficulté à écarter Harry dont chaque effort pour tenter de recoller au train se solde par un échec.
Globalement sous-estimé pour ce que j'ai pu en lire, ce film méconnu mérite d'être redécouvert parce qu'il est très drôle (en dépit d'une baisse de rythme sur la fin), parce qu'il constitue un instantané saisissant du Paris des années folles (on peut voir l'ancien palais de Chaillot et aussi l'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes entre les Invalides et le Grand Palais qui lança la mode de l'art déco) et enfin parce qu'il préfigure "Minuit à Paris" (2011) (je me suis demandée si Woody ALLEN connaissait le film et s'il s'en était inspiré).
"Fait divers" est le premier film de Claude AUTANT-LARA. C'est un court-métrage expérimental à la tonalité surréaliste, une oeuvre phare de l'avant-garde artistique des années 20 qui comme "Le Dernier des hommes" (1924) de F.W. MURNAU raconte une histoire en se passant des intertitres. Pour parvenir à comprendre ce qui se passe dans la tête d'un homme jaloux (Monsieur 1 joué par Roland Barthet) qui soupçonne sa maîtresse (la propre mère du réalisateur, Louise Lara) de le tromper avec Monsieur 2 (Antonin ARTAUD), le réalisateur transforme son film en une séquence onirique à tendance cauchemardesque à l'aide des possibilités offertes par la grammaire du cinéma muet, faisant des associations d'images-idées par le biais du montage ou des surimpressions. Il utilise également les ralentis, les accélérés, des plans qui tanguent et divers trucages pour exprimer les pulsions de meurtre que le personnage a vis à vis de son rival. Les gros plans récurrents de mains (gantées ou non) avec en surimpression un calendrier qui affiche des dates dans le désordre mais toutes relatives à la guerre laissent entendre dès le début du film l'envie d'étrangler qui finit par se concrétiser en réifiant la chair. D'autres plans de mains entourant voire s'enfonçant dans la chair ont à l'inverse un caractère sensuel tout comme certaines des scènes qui tanguent, cette instabilité pouvant exprimer le basculement dans la folie meurtrière ou au contraire dans l'ivresse du désir.
Comme beaucoup de réalisateurs naturalisés américains de l'âge d'or hollywoodien, Michael Curtiz est issu d'un monde disparu, la Mitteleuropa. D'origine juive hongroise, Michael Curtiz (qui s'appelait alors Mihály Kertész dans le milieu du cinéma hongrois mais dont le vrai nom est Manó Kertész Kamine) a en effet réalisé ses premiers films dans l'Empire austro-hongrois, celui-là même qui fut le déclencheur de la première guerre mondiale et n'y survécut pas. D'ailleurs la région montrée dans le film ne se trouve ni en Autriche ni en Hongrie dans leurs frontières actuelles mais dans les Carpates qui sont aujourd'hui partiellement en Roumanie.
"L'indésirable" est une rareté qui vaut plus pour sa valeur historique (c'est l'un des premiers films du cinéma hongrois que Michael Curtiz a donc contribué à fonder, l'un des rares a être parvenu jusqu'à nous et on y voit des scènes d'un grand intérêt ethnographique avec des costumes folkloriques au début et à la fin que l'on retrouve à la même époque à Ellis Island, le centre qui accueillait les migrants européens à New-York) que pour son histoire, mélodramatique et bourrée d'invraisemblances. Quant à la forme, elle est inégale (sans parler du fait que certains plans ont sans doute disparu, le montage semblant parfois être fait à la hache). Une partie du film ressemble à du théâtre filmé avec des scènes statiques et en prime un jeu outré (Michael Curtiz venait d'ailleurs du théâtre, ce qui est logique à cette époque primitive du cinéma) mais il y a aussi quelques beaux passages dynamiques en montage alterné. On voit également que le réalisateur a le sens de la composition des cadres notamment dans le positionnement des corps dans l'espace et dans les angles de prise de vue. Enfin il affleure une certaine sensibilité dans la manière de filmer les scènes campagnardes dans lesquelles les paysages sont magnifiés, un monde traditionnel qui était en train de disparaître sous l'effet de l'exode rural et de l'émigration.
"Le Repentir" ("Shadows" en VO) ne doit pas être confondu avec un autre film au titre homonyme en VF (mais dont le titre en VO est "Back Pay") sorti la même année mais réalisé par Frank Borzage. De même, il n'a rien à voir avec le premier long-métrage de John Cassavetes (également intitulé "Shadows") et l'acteur qui joue le pasteur John Malden, Harrison Ford ne peut évidemment pas être celui que tout le monde connaît étant donné que le film a été réalisé 20 ans avant sa naissance.
Le film, à l'intrigue mélodramatique est imprégné d'une morale chrétienne très XIX° siècle comme le souligne son titre. La plus grande préoccupation du pasteur Malden, outre la direction de ses ouailles est en effet le "salut de l'âme" du chinois Yen-Sin qualifié de "païen". On sait avec quel zèle les missionnaires ont tenté de répandre la bonne parole de leur religion au sein du monde entier et comment l'Asie s'est protégée de leur influence notamment la Chine et le Japon, en se fermant aux échanges occidentaux pour plusieurs siècles.
Mais même si la conversion in-extremis dudit "païen" montre bien l'imprégnation religieuse de l'esprit américain, le fait est que c'est le chinois sauvé des eaux (comme Moïse ^^) qui est montré comme le sauveur d'une communauté religieuse rigoriste mise en péril par une brebis galeuse qui occupe pourtant une fonction haut placée en son sein alors que Yen-Sin qui est juste toléré vit à sa marge. Chinois qui plus est interprété (il n'en était pas à son premier essai) par l'incroyable transformiste Lon Chaney dont la performance est bluffante et qui offre une prestation ultra-touchante. Cette relecture très ouverte du message biblique qui s'accompagne d'une mise en scène soignée et dynamique mettant bien en valeur les acteurs dans leur environnement participe de la réussite du film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.