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Articles avec #cinema muet tag

Tabou (Tabu, A Story of The South Seas)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1931)

Tabou (Tabu, A Story of The South Seas)

La perfection de Tabou réside dans ses prodiges d'équilibre (une caractéristique de Murnau) à mi-chemin de la fiction et du documentaire, de l'esthétisme allemand et de la culture polynésienne, de la tragédie grecque et du tableau épicurien renoirien, de Gauguin et de Matisse, du sombre et du solaire, du paradis sur terre et des ravages de la colonisation. Le résultat est fascinant, envoûtant à l'image d'une scène de danse indigène qui met le spectateur en état de transe. Comme dans le Dernier des hommes, aucun intertitre ne vient polluer le flux d'images (magnifiques), tout semble couler de source.

Tabou qui semble au premier abord très rousseauiste contient une évidente critique de la civilisation corruptrice un peu comme dans l'Aurore. Dès que les deux jeunes gens rencontrent les colons français et les commerçants chinois, on devine qu'ils sont perdus. Mais comme l'Aurore, Tabou est en réalité bien plus nuancé et subtil. Il montre de façon très avant-gardiste la naissance d'une société multiculturelle (magnifique scène de bal où Murnau filme les pieds des danseurs dont certains sont nus et d'autres revêtus de chaussures de prix.) D'autre part il critique également le poids des traditions indigènes qui broient le libre-arbitre. On peut d'ailleurs voir dans la décision du vieux chef de tribu de faire de cette jeune fille une vestale privée de l'homme qu'elle aime une sorte d'inceste comme le montre une cérémonie qui ressemble à un mariage forcé.

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La Bru (City Girl)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1930)

La Bru (City Girl)

Egalement connu sous le titre de "L'intruse" ou "La fille de Chicago" ou encore "City Girl", La Bru est le troisième film américain de Murnau après l'Aurore et Four Devils (aujourd'hui perdu). Si l'Aurore était encore très expressionniste dans son esthétique, La Bru est beaucoup plus naturaliste. Murnau voulait tourner une ode au blé qu'il souhaitait intituler "Notre pain quotidien." On retrouve certes des points communs avec l'Aurore: l'art des éclairages contrastés, la dichotomie ville/campagne, un couple poignant mis à l'épreuve et la tempête au moment du climax émotionnel. Mais certaines scènes à la fois lyriques et quasi documentaires sur l'Amérique profonde annoncent déjà le cinéma de John Ford (Les raisins de la colère en particulier) et celui de Terrence Malick (Les Moissons du ciel semble être une réactualisation du film de Murnau). Une autre scène magnifique où les époux courent dans les champs de blé avec la caméra qui les suit en travelling annonce la Nouvelle Vague. Pourtant la sortie du film fut massacrée, le film lui-même fut défiguré. Il n'était en effet plus en phase avec une époque marquée par l'avènement du parlant. Il fallut attendre les années 60 pour qu'une version correctement restaurée voit le jour.

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Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wihelm Murnau (1924)

Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Murnau a porté le muet à un tel degré de perfection que le parlant paraît souvent bien fade à côté.
Pourquoi faut-il voir Le dernier des hommes?
- Pour la prouesse d'une narration entièrement visuelle. Murnau se passe d'intertitres hormis deux cartons au début et à la fin. Il prouve que l'image peut se substituer aux mots et devenir un langage à part entière.
- Pour la fluidité de la caméra qui évolue librement dans l'espace et place le spectateur en immersion.
- Pour la reconstruction d'une ville en studio avec de fausses perspectives et de multiples trucages pour un résultat étonnant de vie et de réalisme.
- Pour la performance d'Emil Jannings. Grand acteur expressionniste, il parvient à traduire par les postures de son corps et les expressions de son visage tous les états par lesquels il passe. On est frappé en particulier par le contraste saisissant entre sa droiture lorsqu'il arbore fièrement sa livrée de portier et son dos courbé lorsqu'il doit enfiler piteusement sa tenue de "Monsieur pipi".
-Pour la puissance métaphorique de l'utilisation des décors et des objets. Une porte-tambour qui symbolise la roue du destin, des portes battantes qui ouvrent sur une volée de marches descendantes jusqu'au sous-sol qui symbolisent la déchéance, des toilettes cellules-soupirail, une livrée chromée comme un uniforme de général etc.

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Intolérance (Intolerance : Love's Struggle Throughout the Ages)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1916)

Intolérance (Intolerance : Love's Struggle Throughout the Ages)

D.W Griffith en quête de rédemption après Naissance d'une nation choisit de réaliser dès l'année suivante une superproduction encore plus pharaonique et ambitieuse avec quatre récits d'époques différentes s'entrecroisant autour du thème de l'intolérance combattue par l'amour. Bien que reliés par un leitmotiv, celui de la mère (Lilian Gish) au chevet du berceau de l'humanité, les quatre récits forment un ensemble assez disparate.

Les trois récits historiques (Chute de Babylone, trahison et crucifixion de Jésus et la Saint Barthélémy) traitent tous trois d'intolérance religieuse mais la primauté est donnée au premier récit en raison de son aspect spectaculaire. La reconstitution de la cour du palais du roi de Babylone avec ses 3000 figurants est grandiose. D'autre part aussi bien dans ce récit que dans celui de la Saint-Barthélémy, Griffith mêle la grande et la petite histoire de façon à accrocher l'intérêt du spectateur. La fille des Montagnes, un garçon manqué amoureuse du roi de Babylone qui l'a affranchie sert de fil conducteur au récit. Pour le 16° siècle c'est une fille protestante aux yeux bruns fiancée à un catholique qui a cette fonction. Les extraits des Evangiles en revanche servent juste à souligner tel ou tel aspect des autres récits.

Le quatrième récit, contemporain du film est très différent. Il n'évoque pas l'intolérance religieuse mais la lutte des classes (c'est à dire l'intolérance sociale). Il critique de façon virulente la morale bourgeoise et dénonce l'utilisation de la charité. Il montre que l'argent des bonnes oeuvres est pris sur les salaires des ouvriers, que les grèves sont réprimées dans le sang, que les chômeurs réduits à la misère des bas-fonds sont traités en criminels et que leur réinsertion est impossible. Là encore, Griffith illustre son propos en prenant un couple en exemple. L'homme qui a déjà purgé une peine de prison est condamné à mort pour un meurtre qu'il n'a pas commis, la femme est contrainte de confier son enfant aux dames des "bonnes oeuvres" qui jugent qu'elle n'est pas capable de l'élever. C'est le seul des quatre récits où l'amour triomphe de l'intolérance annonçant la fin et son message pacifiste alors que l'Europe était plongée en pleine guerre mondiale.

On retrouve toutes les qualités de ce réalisateur, par exemple l'utilisation brillante du montage alterné pour faire monter le suspens, particulièrement à la fin, du gros plan pour souligner l'expressivité ou un leitmotiv (les yeux bruns) ou encore une utilisation magistrale de l'espace, des décors, des figurants et des acteurs.

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L'Aurore (Sunrise: A Song of Two Humans)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1927)

L'Aurore (Sunrise: A Song of Two Humans)

L'Aurore est un film d'une force expressive rare qui ferait presque regretter la "facilité" de l'avènement du parlant qui a lieu la même année. Chaque geste, chaque posture, chaque regard est puissamment évocateur et suscite une émotion profonde. Et à l'image de leur environnement, les personnages ne cessent de changer, de passer de l'obscurité à la lumière, de la tempête à la sérénité, de la gravité à l'insouciance (et vice versa). On a en effet beaucoup parlé des nombreuses dichotomies sur lesquelles se fonde le film (jour/nuit, soleil/lune, noir/blanc, ville/campagne, brune/blonde, vie/mort, sexe/amour, tragique/burlesque, réalisme/fantastique etc.) mais on a peu insisté sur la réversibilité de ces contraires et surtout sur leurs états intermédiaires c’est à dire un univers où tout n’est que changement, métamorphose et bouleversement. Par exemple le personnage masculin principal, Ansass, passe d’un bout à l’autre du film par 1001 états physiques et mentaux. On peut le voir tour à tour envoûté, possédé, tourmenté, ravagé, accablé, menaçant, suppliant, joyeux, vibrant et tout son corps l’exprime tantôt vulnérable et tendre comme un enfant, tantôt monstre de haine déformé par la colère. Sa femme Indre n’est pas en reste. Icône virginale menacée d’ophélisation, puis petit animal prostré dans une douleur sans fond, elle renaît à la vie en révélant qu’elle possède elle aussi certaines des qualités de la rivale qui a failli faire chavirer son couple. Indre la vierge devient Indre la femme désirante et désirée à l'image de ses cheveux qui à la fin se déploient librement (une métaphore bien connue de la sexualité). Le film est une métaphore de leur voyage intérieur vers leur accomplissement en tant que personne et en tant que couple et en même temps ce parcours a une valeur archétypale. Tout y passe: complicité enfantine (fous rires, bêtises, soirée au Luna Park), badinage, séduction, passion physique, engagement, enlisement dans la routine, tentations, pulsions meurtrières... mais pas dans cet ordre puisque tout est réversible, tout peut recommencer, aussi bien les multiples embûches et épreuves qui se dressent sur leur route que les cîmes de la félicité comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Situé entre conte (le cercle) et roman (la digression, l'échappée) le film est au final d’une sagesse toute orientale, encore un dépassement de la dichotomie Europe/Amérique mille fois soulignée. On se croirait parfois chez Miyazaki: Le tramway qui surgit de nulle part au milieu de la forêt pour embarquer ses voyageurs a quelque chose du Chatbus de Mon voisin Totoro ou du train du Voyage de Chihiro…

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Naissance d'une nation (The Birth of a Nation)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1915)

Naissance d'une nation (The Birth of a Nation)

Considéré hier comme aujourd'hui comme le film matriciel de l'histoire du cinéma, cette fresque suscite le malaise en mélangeant reconstitution historique et vision occidentale du monde (messianique, christique, utopiste, raciste). En effet ce qu'il nous montre surtout c'est l'utopie de l'union des blancs (symbolisée par les mariages entre nordistes et sudistes) contre un bouc-émissaire: le monde noir, montré comme extérieur à la nation américaine. Une scène retirée au montage devait d'ailleurs montrer les anciens esclaves re-déportés en Afrique. Cette vision excède largement le racisme historiquement daté du livre de Thomas Dixon "The Clansman" dont le film est une adaptation. Obsédé par la pureté raciale, Thomas Dixon a une phobie du métissage que l'on retrouve dans le film où les mariages mixtes sont dépeints comme le mal absolu et où le noir fait figure de violeur en puissance de la virginité blanche. Il faut dire que la société esclavagiste et ségrégationniste des USA considérait qu'une seule goutte de sang noir faisait de vous un noir d'où la haine que suscitent les mulâtres, les personnages les plus négatifs du film. De même le KKK est une armée de chevaliers blancs bardé de rouge (défense de la pureté du sang blanc). Si ce racisme biologique a pris du plomb dans l'aile depuis la Shoah, ce n'est pas le cas du racisme historique. Il est encore largement répandu de nos jours dans nos sociétés post-coloniales (comme le montre le discours de Dakar de Sarkozy selon lequel "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire") et explique en partie la tolérance bienveillante que continue à susciter le film dont les noirs sont en réalité absents (car ce sont des blancs maquillés de noir qui jouent les rôles de premier plan). Les films pro-nazis de Léni Riefensthal qui présentent bien des points communs avec l'oeuvre de Griffith ne bénéficient pas d'une telle mansuétude. Pourtant ils allient les mêmes qualités cinématographiques (ce sont des chefs d'oeuvre artistiques) à une propagande idéologique à caractère racial. Le tout a assez de force pour séduire c'est à dire manipuler les émotions du spectateur.

Griffith voulait faire un film moins historique qu'allégorique c'est à dire hors du temps. Le problème est qu'au final il manipule l'histoire et les émotions du spectateur contraint de prendre fait et cause pour ces pauvres blancs opprimés par ces méchants noirs, et fait oeuvre de propagande en désignant une communauté opprimée comme étant l'incarnation du mal. Son film a notamment encouragé la renaissance du KKK en 1915.

Comme le dit Pierre Berthomieu dans son analyse des films de Zemeckis (qui détourne les images de chevauchée du KKK de naissance d'une nation dans Forrest Gump, autre fresque dans laquelle l'Amérique s'est reconnue mais qui elle donne la première place aux minorités) "aucune image n'est innocente." De fait naissance d'une nation est celui de la nation blanche la plus intolérante, une représentation que les USA se font d'eux-même qui occulte tout ce qu'ils doivent aux autres communautés. 

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