Comme le film précédent, Charlot et Fatty dans le ring, il existe une incertitude sur le degré d'implication de Mack Sennett dans sa réalisation. Certaines sources l'attribuent seulement à Mabel Normand mais elle aurait en fait seulement dirigé ses propres scènes, laissant à Chaplin une grande liberté pour jouer les siennes. Quant à Sennett, s'il s'attribue un petit rôle et réalise les scènes de Chaplin c'est surtout pour garder un oeil sur lui car il craignait qu'il ne séduise sa protégée (voir Le Maillet de Charlot pour plus de détails sur le triangle amoureux Sennett-Chaplin-Normand).
Comme beaucoup de courts-métrages de la Keystone, le film a été tourné sur les lieux d'un événement réel, le Ascot Park Speedway de Los Angeles lors d'une course amicale spéciale le 17 mai 1914. Le réalisateur saisit au passage les réactions amusées des spectateurs devant les facéties de Chaplin ce qui rappelle Charlot est content de lui. De fait, ce dernier s'en donne à coeur joie dans les mimiques chaplinesques: roulement de chapeau sur son bras, dérapages contrôlés, danse provocatrice autour du policier, multiples acrobaties... Quant à Mabel Normand, le film permet d'apprécier autant ses talents de mime que son tempérament de garçonne bagarreuse. Bien que Charlot se montre surtout malhonnête et violent dans le monde de brutes évoqué par le film, il choisit au final de consoler Mabel avec tendresse plutôt que de continuer à se battre avec elle. De fait, dès qu'il sera totalement libre de réaliser ses films, Chaplin s'éloignera de la violence gratuite et critiquera la loi de la jungle. Il suffit de comparer ce film de 1914 et Une vie de chien réalisé pour la First National en 1918 pour mesurer cette évolution.
Première chose importante à savoir sur ce film: l'attribution de sa réalisation fait toujours débat. Certaines sources l'attribuent à l'obscur acteur Charles Avery, d'autres (dont Lobster Films) à Mack Sennett. C'est pourquoi faute d'en être sûr à 100% les deux hommes figurent sur la fiche du film en tant que réalisateurs.
Deuxième chose tout aussi importante: le titre en VF est trompeur. On a l'impression que Chaplin et Roscoe Arbuckle se partagent l'affiche du court-métrage alors que c'est un film où Fatty est la star et où Charlie fait juste une courte apparition au début de la deuxième bobine (c'est à dire après environ 1/4 d'heure de film). Arbuckle affronte Edgard Kennedy sur un ring de boxe et Chaplin joue le rôle de l'arbitre. Dès qu'il apparaît, le rythme qui ronronnait s'accélère et son numéro est irrésistible. La fin avec une course-poursuite débridée entre Arbuckle qui tire dans tous les sens, Kennedy et les Keystone Cops est également assez tordante. Dommage qu'il y ait clairement une bobine de trop...
En apparence, ce court-métrage ne casse pas des briques (un jeu de mots facile...) car son burlesque est hyper-rudimentaire (des coups, des coups et encore des coups...de poing, de briques et de maillet). Le montage brutal et haché made in Keystone n'arrange rien. Mais sa signification elle est absolument fascinante car elle ne relève pas seulement de la fiction. Dans le film on assiste à une confrontation de coqs entre Chaplin et Sennett pour gagner le coeur (et plus si affinités) de la jolie Mabel Normand. Laquelle est courtisée également par un troisième larron, plus bourgeois et plus fort. Sennett envoie finalement le bourgeois costaud et Chaplin au tapis (en version Keystone, ça signifie dans le lac) et s'en va avec la belle. Or voici ce que Chaplin écrivait dans son autobiographie:
"[Sennett] m’avait pratiquement adopté et m’amenait dîner chaque soir. A cause de Mack je voyais beaucoup Mabel ; tous trois nous dînions ensemble et après le repas Mack s’endormait dans le lobby de l’hôtel pendant que nous passions une heure devant un film ou au café, puis nous revenions le réveiller. Cette proximité aurait pu se transformer en une liaison, mais ce ne fut pas le cas. Nous sommes restés, malheureusement, seulement bons amis." Sennett avait conscience de cette proximité et était jaloux de l'élégance et du charme de Chaplin. On comprend pourquoi dans le scénario qu'il a écrit il prend cette revanche symbolique sur son rival. L'aspect "primaire" du film a donc une signification bien plus profonde qu'il n'y paraît.
Ce court-métrage d'une demi-bobine (six minutes environ) est une nouvelle illustration de l'art de la Keystone à tirer parti d'événements réels pour les intégrer à leurs films. De façon très similaire à Kid Auto Races at Venice (Charlot est content de lui) on voit Chaplin s'interposer entre une équipe de prise de vue et ce qu'ils filment à savoir la cérémonie d'inauguration et le défilé célébrant l'agrandissement du port de Los Angeles le 11 avril 1914. D'autre part c'est le premier film où l'on voit Chaplin (qui signe le scénario) jouer travesti. Il réitérera l'expérience l'année suivante pour les studios Essanay avec Mademoiselle Charlot. Entre temps, il aura considérablement affiné scénario et personnage. Car dans A Busy Day, il se contente de jouer les mégères en distribuant les coups de pied et coups de poing à tour de bras. Un burlesque keystonien basique que le costume renouvelle au final assez peu.
Caught in the Rain est une oeuvre importante dans la carrière de Chaplin car c'est le premier film dont il signe seul le scénario et la réalisation ainsi que le montage. Il a dû cependant laisser 1500 dollars d'économie comme caution dans le cas où le film serait un échec pour que Sennett accepte de lui laisser carte blanche. Chaplin raconte ses doutes dans son autobiographie : « Ce n’était pas un chef d'oeuvre du genre, mais c'était drôle et le film eut beaucoup de succès. Quand je l’eus terminé, j’avais hâte de connaître la réaction de Sennett. Je l’attendis à la sortie de la salle de projection. 'Alors, me dit-il, tu es prêt à en commencer un autre?' ». Sennett lui accordera même une augmentation de 25 dollars pour cette réalisation et les suivantes.
Caught in the Rain reste une comédie très keystonienne car Chaplin voulait plaire à Sennett et au public. On retrouve donc des lieux communs du burlesque sennettien: flirt au parc ou à l'hôtel, quiproquos dans les chambres et bagarre finale avec les Keystone cops. Chaplin rajoute son numéro bien rôdé d'ivrogne dragueur qui lui valait un succès garanti. Il en rajoute d'ailleurs au point que l'on peut se demander s'il n'a pas inspiré Harpo Marx (on le voit entre autre courir d'une fille à l'autre et mettre ses jambes sur les cuisses d'une femme assise.) Néanmoins, il imprime sa propre marque par petites touches. Il joue sur ses talents d'acrobate (une séquence de glissade dans les escaliers préfigure Charlot rentre tard), sur les détournements d'objets (le whisky devient une lotion, la cigarette une clé, la chaussure un doudou...) et sur une narration plus fluide avec des plans plus longs et un rythme moins serré. Les personnages s'affinent également comme le montre la réaction courtoise de Charlot lorsqu'il découvre la femme assise sur son lit.
Après les déboires rencontrés lors de son précédent court-métrage Mabel au volant, Mack Sennett promet à Chaplin qu'il pourra diriger ses propres films. Twenty minutes of love est sa toute première oeuvre. Dans son autobiographie, Chaplin revendique être l'auteur du scénario et de la réalisation alors que la plupart des sources lui attribuent seulement une co-réalisation aux côtés de Joseph Maddern. Mais peu importe car ce film tourné en une après-midi dans un parc public porte déjà la marque de Chaplin. Celui-ci disait d'ailleurs qu'il lui suffisait d'un banc, d'une jolie fille et de deux trouble-fêtes pour faire une bonne comédie. Effectivement son sens du rythme fait mouche et la fin où après avoir éjecté toute la distribution dans le lac il quitte les lieux bras-dessus bras-dessous avec la fille en appellera bientôt d'autres...
A noter le fait que l'année suivante, Chaplin tournera In the park (Charlot dans le parc) pour la Essanay sur les lieux même de Twenty minutes of love.
Un petit garçon malicieux (Gordon Griffith) photographie Charlot et sa logeuse (Minta Durfee) dans des situations compromettantes puis projette les photos lors d'une séance de lanterne magique devant toute la pension. Le mari voit rouge (Edgard Kennedy) ce qui provoque une bataille générale. Quant à l'enfant, il est sévèrement corrigé. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire!
Ce court-métrage de George Nichols pour la Keystone, dispensable, est inégal avec de gros passages à vide (alors qu'il ne dure que 14 minute!), on regrette que la partie de tennis soit à peine esquissée alors que Chaplin brillait dans ce sport et aurait pu en tirer plus de gags. De même la fin est un peu escamotée. Mais le passage où le garnement prend les photos et les projette ainsi que la grosse moustache frétillante du mari restent amusants.
Si ce film est relativement raté (et était détesté par Chaplin) c'est parce qu'il avait dû remplacer Ford Sterling qui avait quitté le studio Keystone. Par conséquent ce n'est pas le vagabond que l'on peut voir ni aucune des créations de Chaplin mais une imitation de l'immigré allemand "Dutch" personnage créé par Ford Sterling avec haut-de forme, redingote et barbiche. Ce personnage jaloux et mesquin sert de faire-valoir aux héros (Mabel Normand et Harry Mc Coy) ce qui ne pouvait que le contrarier. D'ailleurs le tournage fut houleux et les disputes avec Mabel Normand, fréquentes. Mack Sennett dû promettre à Chaplin de lui confier la réalisation de ses futurs courts-métrages pour calmer le jeu et éviter son renvoi. C'est néanmoins le premier film de Chaplin qui dure deux bobines (soit plus d'une vingtaine de minutes au total) et on y assiste à quelques scènes de slapstick amusantes ainsi qu'une course automobile semée d'embûches assez sympathique.
Huitième court-métrage de Chaplin pour la Keystone, Charlot marquis est un film charmant et grande nouveauté, doté d'un vrai scénario à rebondissements. Chaplin joue le rôle d'un gentleman très amoureux de sa fiancée. A la suite d'un quiproquo, celle-ci le croit infidèle et rompt ses fiançailles. Déprimé, Charlot boit ce qu'il croit être du poison et s'imagine déjà en proie aux pires tortures de l'enfer (une séquence onirique à la Méliès très amusante où il se fait piquer les fesses par les fourches des démons). Mais lorsque sa fiancée lui écrit une lettre dans laquelle elle avoue qu'elle a compris son erreur et l'aime toujours, sa souffrance se transforme en panique et il appelle les médecins à son secours. S'ensuit une course contre la montre en montage alterné digne de D.W Griffith. Tout cela pour finalement découvrir que le soi-disant poison n'était en fait que de l'eau. Ce que savait son majordome depuis le début mais il était trop occupé à se fendre la poire pour le lui dire. Après une scène slapstick où Charlot envoie valser tout le monde, il tombe dans les bras de sa fiancée.
Le film fut considéré comme perdu pendant 50 ans jusqu'à la découverte miraculeuse d'une copie en Amérique du sud. Il est d'autant plus précieux qu'il contient une scène que Chaplin reprendra dans l'un de ses derniers films, M. Verdoux. Il s'agit du moment où il boit de l'eau (en croyant boire du poison) puis du lait comme antidote. Dans M. Verdoux, il s'agit de vin.
Ce court-métrage de la Keystone sorti en mars 1914 met de nouveau en scène le personnage du vagabond après Tango Tangles où Chaplin incarnait un dandy sans moustache. Mais il y a un point commun entre Charlot est trop galant et son prédécesseur: l'ivresse. Le titre original (His favorite pastime) et le titre alternatif français (Charlot entre le bar et l'amour) annoncent beaucoup mieux la couleur. On y voit le vagabond draguer une jeune femme entre deux cuites de bar en bar. Peggy Pearce est connue pour être la première relation "sérieuse" que Chaplin eut à Hollywood. Un flirt plutôt qu'une vraie liaison, l'actrice vivant encore chez ses parents et ne voulant pas dépasser certaines limites. C'est le seul film où ils apparaissent ensemble.
Ce film en annonce d'autres de la période Essanay, Mutual et First National. On y voit Charlot de nouveau utiliser le comique de transposition en se servant d'une saucisse comme d'un cigare. On le voit également se battre avec des portes battantes récalcitrantes, former un duo comique de poivrots avec Roscoe Arbuckle et se faire expulser manu militari par le mari de la jeune femme de leur maison après une séquence de pur slapstick. Enfin cette comédie nous rappelle qu'à cette époque, les afro-américains n'avaient pas accès à Hollywood et que les noirs étaient joués par des blancs grimés. Sans surprise ceux-ci jouent des rôles d'escla....euh non, de domestiques et le spectateur est censé rire à leurs dépends. Lorsque Chaplin aura le contrôle de ses films il refusera de recourir à l'humour raciste contrairement à ses collègues du burlesque, exprimant ainsi une fibre humaniste qu'il aura l'occasion de manifester souvent par la suite.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.