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Articles avec #cinema muet tag

Sage-femme de première classe/La naissance des enfants

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1902)

Sage-femme de première classe/La naissance des enfants

"Sage femme de première classe" est une version XXL (pour l'époque) de "la Fée aux choux", premier film de l'histoire du cinéma réalisé par une femme et l'un des tous premiers relevant de la fiction. XXL car il dure 4 fois plus longtemps que les versions de 1896 (qui s'est autodétruite) et de 1900 qui étaient de 1 minute, il comporte plus de personnages (deux femmes, un homme et six bébés contre une femme et deux bébés dans la version de 1901 et deux hommes, une femme et un bébé dans la version de 1896) et il est plus élaboré avec deux plans fixes se succédant dans deux décors différents, celui de la devanture de la marchande de bébés et celui de l'arrière cour où se trouve le potager dans lequel elle les "cueille" dans les choux pour les vendre, la césure ayant d'ailleurs lieu au milieu du film (soit à la fin de la deuxième minute, le film en comportant quatre au total). Le titre "La Fée aux choux" par lequel le film est parfois désigné provient des confusions qu'a pu faire Alice Guy à la fin de sa vie sur les différentes versions de son travail. S'il n'y a en effet pas de fée dans cette version, le magasin de la marchande de bébés se nomme bien "La Fée aux choux" et se base sur la légende selon laquelle les petits garçons naissent dans les choux et les petites filles dans les roses. Les bébés sont pour la plupart de véritables nouveaux nés que l'on voit d'ailleurs gigoter et que l'on imagine facilement brailler à pleins poumons vus qu'ils sont étendus sur un drap après avoir été "cueillis". Mi conte de fée, mi folklore populaire, cette illustration d'une croyance surannée ne manque pas de charme.

Par ailleurs il existe une polémique sur les premières années d'activités de Alice Guy, un autoproclamé historien du cinéma allant jusqu'à lui dénier la maternité des films qu'elle aurait réalisé entre 1896 et 1902 ce qui revient à l'accuser de mythomanie (aurait on osé remettre ainsi en cause l'autobiographie d'un pionnier masculin du cinéma?). Il considère à partir d'arguments technicistes fallacieux dont on sait qu'ils sont le carburant des négationnistes* de tout poil que "Sage-femme de première classe" est son premier film et qu'elle l'aurait copié sur des versions plus anciennes réalisées par des hommes qui lui auraient -bien évidemment- tout appris (c'est sûr que le sujet n'indique pas du tout qu'il est réalisé par une femme ^^^^^). Nul n'est prophète en son pays et Alice Guy est aujourd'hui mieux reconnue aux USA (plus à l'aise que nous sur le révisionnisme historique*, surtout quand il ne les concerne pas ^^) qu'en France où sa redécouverte est très récente.

* Il convient de ne pas confondre négationnisme et révisionnisme (confusion entretenue par les négationnistes eux-mêmes qui se prétendent historiens alors qu'il s'agit d'imposteurs). Le négationnisme dénie des faits historiques avérés notamment en refusant de croire ceux qui en ont été les acteurs ou les témoins (sur la base de critères subjectifs avoués ou non tels que le racisme, l'antisémitisme ou le sexisme). Pierre Vidal-Naquet les désigne comme étant "les faussaires de l'histoire". Le révisionnisme remet en cause l'interprétation des faits historiques admise jusque là à partir de nouvelles sources. Par exemple c'est l'accès aux archives allemandes sur le régime de Vichy qui a permis à l'historien américain Robert Paxton en 1973 de remettre en cause la thèse de la connivence Pétain-De Gaulle (dite de "l'épée et du bouclier") qui était alors admise en France comme étant la vérité historique.

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La Fée aux choux

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1896 et 1900)

Il existe (au moins) trois versions de "La Fée aux choux". L'originale qui date de 1896 n'a pas été conservée et c'est bien dommage car elle fermerait le bec à ceux qui sans preuves lui dénient son rôle dans l'histoire du cinéma. Celle de 1900 ou 1901 (photo) et enfin celle de 1902 ou 1903, plus élaborée et qui a pour titre "Sage-femme de première classe" ou "La naissance des enfants".

Il existe (au moins) trois versions de "La Fée aux choux". L'originale qui date de 1896 n'a pas été conservée et c'est bien dommage car elle fermerait le bec à ceux qui sans preuves lui dénient son rôle dans l'histoire du cinéma. Celle de 1900 ou 1901 (photo) et enfin celle de 1902 ou 1903, plus élaborée et qui a pour titre "Sage-femme de première classe" ou "La naissance des enfants".

" Si j'étais née en 1873 (…)./Si j'avais travaillé pour Gaumont pendant 11 ans (…]./Si j'avais été la seule femme metteur en scène du monde entier pendant 17 ans, /Qui serais-je?/Je serais connue,/Je serais célèbre/Je serais fêtée/Je serais reconnue./[…] Qui suis-je?/Méliès, Lumière, Gaumont?/Non./ Je suis une femme. (préface de l'autobiographie de Alice Guy, Autobiographie d'une pionnière du cinéma par Nicole-Lise Bernheim).

Si dans l'histoire des Arts, le premier roman est l'œuvre d'une japonaise, Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu, l'un des premiers films de fiction de l'histoire du cinéma mondial est "La Fée aux choux" de Alice Guy qui est entrée dans le milieu du cinéma en devenant la secrétaire de Léon Gaumont en 1895 (alors patron d'un laboratoire de photographie avec le destin que l'on sait). La première version de la "Fée aux choux" se situe certes après "L'Arroseur arrosé" des frères Lumière mais elle précède de quelques semaines les premières réalisations de Georges Méliès. Alice Guy a inventé d'abord en France puis aux USA une bonne partie de l'art cinématographique (y compris la colorisation, la superproduction, le making-of et le clip sonore, ancêtre du parlant), se partageant les meilleurs acteurs américains dans les années 10 avec D.W. Griffith et n'hésitant pas contrairement à lui à tourner un film à 100% afro-américain, lui aussi le premier de l'histoire, "A Fool And His Money" en 1912. Elle a également eu un rôle important comme productrice. Elle a été à la tête des productions Gaumont jusqu’en 1907, embauchant des assistants comme Ferdinand Zecca et Louis Feuillade et elle a fondé aux USA la société de production Solax en 1910. "La Fée aux choux" est une métaphore de ce qu'elle a représenté pour le cinéma qu'elle a aidé à mettre au monde en France et aux Etats-Unis avant que celui-ci ne devienne un big business dont les femmes productrices et réalisatrices se sont retrouvées exclues (grosso modo au début des années 20). L'histoire du cinéma, elle aussi accaparée par les hommes tout comme la cinéphilie a parachevé l'œuvre d'emprise du patriarcat sur le septième art en l'oubliant malgré tous les efforts d'Alice Guy pour retrouver ses films et prouver qu'elle en était bien la réalisatrice. Ainsi alors que Georges Méliès bénéficiait d'une réhabilitation dès 1925 dans l'anthologie de Georges-Michel Coissac, elle n'y était même pas mentionnée. George Sadoul a attribué ses films à d'autres, Henri Langlois l'a négligée, Henri Toscan du Plantier, directeur de la Gaumont de 1975 à 1985 ne savait même pas qui elle était, ignorant l'histoire de sa propre société. Aujourd'hui, sa réhabilitation est en marche, surtout aux Etats-Unis où Martin Scorsese, un grand admirateur de la cinéaste au même titre que Georges Méliès lui a remis un prix honorifique en 2011 et a écrit une nouvelle préface pour la réédition de son autobiographie (à quand un "Huguette Cabret"? ^^^^) et en 2018, un documentaire a été diffusé à Cannes hors-compétition "Be natural, the untold story of Alice Guy-Blaché". Mais il n'a pas été distribué en France où l'accès à ses œuvres reste plus difficile. Néanmoins dans les années 80, un téléfilm "Elle voulait faire du cinéma" retraçait déjà son parcours avec (faut-il s'en étonner?) Christine Pascal dans son rôle et un prix Alice Guy est décerné depuis 2018 au meilleur film français réalisé par une femme.

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Les Rapaces (Greed)

Publié le par Rosalie210

Erich von Stroheim (1924)

Les Rapaces (Greed)

"Je considère que je n'ai fait qu'un seul vrai film dans ma vie… et personne de l'a vu". En fait la phrase de Erich von Stroheim est inexacte puisque 12 personnes ont assisté à la projection de l'intégralité du film soit 9h en 1924. Conscient que c'était une durée inexploitable, il accepta de raccourcir son film mais pas suffisamment aux yeux de la MGM qui lui enleva le final cut. Il faut dire qu'il avait commencé son film sans savoir qu'il allait être une victime de la concentration d'entreprises avec entretemps la fusion de la Goldwyn Pictures pour laquelle il travaillait avec la Metro et la Louis B. Mayer Pictures. La version qui nous reste aujourd'hui de ce chef-d'oeuvre considéré à juste titre comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma est amputée de plus de moitié par rapport à la dernière validée par Erich von Stroheim soit 2h au lieu de 4 à 5h. Les scènes coupées qui semblent définitivement perdues (mais elles sont activement recherchées et qui sait, un jour peut-être on les retrouvera comme on a retrouvé celles de "Metropolis") sont remplacées par des photographies et des intertitres soit intercalés dans le film à l'emplacement où elles auraient dues être soit regroupées à part sur les bonus du DVD. Elles montrent que c'est surtout la première partie du film qui a pâti des coupes car elle est très affadie par rapport à ce qu'elle aurait dû être. Par exemple elle était beaucoup plus explicite sur l'atavisme familial du personnage principal. La deuxième partie en revanche peu presque se passer d'une reconstitution tant elle est puissante telle qu'elle est.

Contrairement aux autres films de Erich von Stroheim, centrés sur des aristocrates voire des têtes couronnées dégénérées, "Greed" se situe dans le milieu des petites gens. Il s'agit en effet de l'adaptation d'un roman naturaliste de Frank Norris, "Mc Teague" publié en 1899, pionnier du genre aux USA. Celui-ci par son histoire de déchéance fait beaucoup penser à "l'Assommoir" de Emile Zola, auteur-référence de Frank Norris. Il montre comment les pulsions primitives et les atavismes familiaux et environnementaux triomphent du vernis éducatif et civilisationnel inculqué aux individus pour s'emparer d'eux et les dévorer. De façon très symbolique, le roman et le film commencent dans une grande ville et se terminent dans le désert. Ils mettent en lumière les soubassements de la société américaine où puritanisme religieux et soif de l'or vont de pair, le deuxième servant de compensation névrotique aux frustrations imposées par le premier. De fait le "Greed" de Erich von Stroheim oscille souvent entre le trop et le trop peu, l'excès et la pénurie. Excès d'argent/pénurie de sexe, excès de nourriture/pénurie d'eau, excès d'alcool/pénurie d'argent etc. Bien que la délation attribuée à Marcus (Jean Hersholt) marque le début de la déchéance du couple formé par Trina (Zasu Pitts) et Mc Teague (Gibson Gowland), le ver est dans le fruit dès leur mariage. D'abord parce qu'on a vu dans la première partie la répugnance de cette dernière vis à vis des contacts physiques que lui impose Mc Teague ce qui ne laisse pas présager une sexualité épanouie, ensuite parce qu'on lui annonce qu'elle a gagné 5000 dollars à la loterie, 5000 dollars qui deviendront un objet de convoitise (pour lui et pour Marcus) et de rétention (pour elle), passions poussées jusqu'à la folie et à la mort, enfin parce que le mariage se termine par un banquet gargantuesque où la nourriture est engloutie aussi voracement que les mains qui plongent frénétiquement dans les pièces d'or. Par la suite, lorsque la déchéance du couple s'accentue, elle frappe également des objets au statut symbolique dont nous suivons le parcours. Dans la version filmée qui nous reste, on voit ainsi la photo de mariage subir des dégradations, se déchirer en séparant les deux membres du couple pour finir à la poubelle. Sur les photographies donc dans les scènes coupées, la dent en or offerte à Mc Teague pour servir d'enseigne à son activité de dentiste termine vendue à un confrère pour une bouchée de pain. Enfin le canari femelle meurt à peu près en même temps que Trina alors que Mc Teague emporte le mâle jusqu'au bout de son voyage dans la très symbolique Vallée de la mort. Le fait d'avoir tourné en décors naturels renforce considérablement la puissance du film que ce soit pour la reconstitution de la vie de quartier dans la ville de San Francisco ou pour le duel final dans le désert au milieu de conditions extrêmes.

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La Reine Kelly (Queen Kelly)

Publié le par Rosalie210

La Reine Kelly (Queen Kelly)

Erich von Stroheim (1929)

Tous ceux qui aiment Billy Wilder et en particulier "Boulevard du crépuscule" connaissent forcément "Queen Kelly". "Boulevard du crépuscule" fait en effet référence à cette production inachevée qui fut engloutie par l'arrivée du parlant. Gloria Swanson qui joue un rôle autobiographique, celui d'une star déchue du muet se regarde en effet jouer dans un extrait de "Queen Kelly" alors que son majordome (et ex-mari) est joué par le réalisateur du film, Erich von Stroheim. Les rôles de "Boulevard du crépuscule" respectent la relation hiérarchique entre Gloria Swanson et Erich von Stroheim. La première n'était pas seulement l'actrice principale de "Queen Kelly", elle était également à la tête de sa propre société de production, la "Gloria Swanson Pictures Corporation" en association avec son amant de l'époque, Joseph Kennedy (le père de John à qui il a visiblement transmis son goût pour les stars). Erich von Stroheim était donc son subordonné.

"Queen Kelly" fut son dernier film en tant que réalisateur. Comme la plupart des autres, c'était un "monstre" qui devait durer à l'origine cinq heures, coûter une fortune et comporter plusieurs scènes jugées scandaleuses. C'est pour toutes ces raisons que la production fut stoppée en plein tournage, Erich von Stroheim licencié et la sortie du film repoussée à 1932, assortie d'une fin bâclée tournée par un autre réalisateur (visible dans les bonus du DVD). Il existe aujourd'hui plusieurs versions dont une qui ne contient que le prologue d'une heure et onze minutes (la seule partie achevée du film) et une autre qui ajoute à ce prologue une vingtaine de minutes de bobine retrouvée dans les années 60 racontant des événements ultérieurs se déroulant en Afrique. Des photos et des intertitres relient prologue et partie africaine et résument la conclusion que souhaitait Erich von Stroheim.

En dépit de ce charcutage, les séquences qui nous restent sont tellement saisissantes qu'elles impriment la rétine et le cerveau mieux n'importe quel film insipide complètement achevé. Mélange détonnant de conte de fée, de romantisme, d'érotisme et de décadence, le film sent le souffre dès ses premières images avec sa reine dégénérée (Seena Owen) déambulant ivre et nue dans les couloirs du palais. Une dominatrice indissociable de sa cravache dont elle cingle quiconque ose lui déplaire, à commencer par son fiancé attitré, le prince Wolfram (Walter Byron) un libertin notoire qui n'est autre que son cousin (un abus de mariages consanguins est nocif pour la santé si j'en juge par la paupière tombante de la reine ^^). Arrive alors la rencontre torride entre le prince noceur et Kitty (ou Patricia selon les versions) Kelly (Gloria Swanson), pensionnaire d'un couvent qui perd (littéralement) sa culotte devant lui avant de la lui jeter à la figure, comme quoi Madonna n'avait rien inventé ^^^^. Toutes ces scènes "hot" se déroulent devant une assemblée hilare et voyeuriste histoire de rajouter au malaise. Mais entre la maîtresse SM et cette orpheline "culottée" ^^, il n'y a pas photo pour le prince et on comprend ainsi que Kelly ne va pas rester bien longtemps dans son couvent ^^. Le passage le plus dingue reste cependant celui du bordel africain. Un passage particulièrement malsain avec le mariage forcé entre Kelly et le tenancier du bordel, Jan (Tully Marshall), un boiteux syphilitique si lubrique qu'on plaint non seulement Kelly mais aussi Gloria, obligée de se laisser peloter de longues minutes par ce personnage répugnant toujours en train de se pourlécher les babines. Erich von Stroheim a un talent incroyable pour filmer en gros plan et celui du visage crispé de Kelly avec le visage de Jan à demi-enfoui dans son voile de mariée (fabriqué à partir d'un voile de lit recouvert de poussière) reste l'un des plus puissants qu'il m'ait été donné de voir. Gloria Swanson a fait couper la partie africaine et arrêter la production sans doute parce qu'elle a pris peur devant le caractère incontrôlable de Erich von Stroheim qui l'entraînait sur des chemins de plus en plus tortueux qu'elle n'était pas prête à emprunter.

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Rosita, chanteuse des rues (Rosita)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1923)

Rosita, chanteuse des rues (Rosita)

"Rosita, chanteuse des rues" est le premier film américain de Ernst LUBITSCH. Surnommé le "D.W. GRIFFITH allemand", il acquiert une célébrité internationale dès la fin des années 10. En 1923, il est invité aux USA par Mary PICKFORD qui vient de fonder sa propre société de production. Il est donc logique qu’il lui renvoie l’ascenseur en lui donnant le premier rôle de "Rosita". Adapté d’une pièce de théâtre, "Don César de Bazan" qui se déroule dans l’Espagne du XVII° siècle, "Rosita" est une délicieuse comédie romantique pleine de quiproquos et de rebondissements où les femmes, magnifiées par la caméra de Ernst LUBITSCH osent tenir tête au pouvoir masculin et affirmer leurs propres désirs. Une solidarité de fait se créée ainsi entre Rosita la chanteuse des rues et la femme du roi (Irene RICH) pour mettre au pas l’époux volage (Holbrook BLINN), une fripouille libidineuse au possible (dont l’aspect physique n’est pas sans rappeler Serge Lama jouant Napoléon ^^). On pense au "mariage de Figaro" de Beaumarchais qui se déroule aussi en Espagne et qui partage avec "Rosita" le même caractère pétillant et une intrigue assez similaire : un époux volage et lubrique, une épouse bien décidée à ne pas se laisser faire et qui devient de ce fait l’alliée d’une femme de condition inférieure convoitée par le mari mais qui est amoureuse d’un autre et défend bec et ongles son droit au bonheur. Même si Mary PICKFORD se plaignait du fait que Lubitsch préférait filmer des portes plutôt qu’elle-même, elle est fort bien servie par celui-ci dans son premier vrai rôle de femme et non dans plus dans celui d’une éternelle gamine. Et quelle femme! Fidèle à elle-même, elle en fait des tonnes mais son énergie et son exubérance vont bien avec son rôle piquant de chanteuse satiriste de de la cour, sa cible préférée étant bien entendu le roi à qui elle en fait voir de toutes les couleurs pour la plus grande jubilation du spectateur. La célèbre scène où elle pique des raisins dans la corbeille à fruits symbolise fort bien son appétit de la vie. Ernst LUBITSCH orchestre d’ailleurs admirablement sa relation avec Don Diego (George WALSH), la séparation et l’adversité ne faisant au final que les rapprocher toujours plus l’un de l’autre, au point d’oser suggérer des scènes d’intimité physique dans la prison en ombres chinoises. Et pour couronner le tout il lie cet intimisme avec a contrario de superbes scènes de foule (l’histoire se déroule pendant le carnaval de Séville), remarquablement filmées.

A noter que le film a bénéficié d’une restauration en 2017 par le MOMA qui a également complété les intertitres manquants. Il est disponible jusqu’en août sur Arte replay.

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Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Publié le par Rosalie210

John S. Robertson (1920)

Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Avant la version de John S. ROBERTSON, il y a eu plusieurs films muets consacrés au héros à deux visages du roman de Robert Louis Stevenson publié en 1886 mais c’est celui qui a fixé les canons repris ensuite par les versions parlantes ultérieures. Parmi eux le choix de situer l’intrigue dans l’époque victorienne qui par sa rigidité morale est propice au dédoublement entre le « surmoi » de Jekyll et le « ça » de Hyde (« Hide »). Le film narre donc la fabrication d’un monstre de par la séparation de l’être en deux entités distinctes de façon manichéenne. Une opération permise par la science qui connaît des avancées très importantes au XIX° mais suscite des craintes liées au pouvoir sans limite qu’elle donne à l’homme et qui sans conscience peut aboutir aux pires catastrophes. Cependant le film montre surtout comment la science moderne reprend à son compte la vision chrétienne de la dualité corps/esprit à travers l’interprétation puissante de John BARRYMORE (petit frère de Lionel BARRYMORE et de Ethel BARRYMORE). Même avant de boire la potion, Jekyll est présenté comme une figure christique, un saint qui accomplit des miracles auprès des plus déshérités et qui se désintéresse de la vie terrestre. Lord Carew (Brandon HURST), le père de sa fiancée Millicent (Martha MANSFIELD) représente Charon, celui qui l’introduit aux enfers en l’initiant aux plaisirs charnels comme cela se pratiquait beaucoup au XIX° dans les milieux bourgeois (la fiancée virginale versus la prostituée qui servait d’égout aux pulsions de ces messieurs). Ayant goûté au fruit défendu, Jekyll ne peut plus s’en passer mais pour ne pas souiller son âme immaculée, il a l’idée de transférer ses bas instincts sur une créature qu’il invente de toutes pièces. Le fantastique traduit ainsi un mécanisme psychologique bien connu, celui de la projection sur un bouc-émissaire de ce que l’on rejette de soi. Hyde avec ses longs doigts crochus, son crâne protubérant, ses yeux exorbités et son rictus est plus proche de la bête que de l’homme. Il rappelle aussi ce que le cinéma des origines doit au « freak show » des fêtes foraines : la métamorphose du saint en démon est le clou du film à la fois par le jeu habité de John BARRYMORE, les trucages en surimpression et l’apparence hideuse de Hyde. Comme dans « Frankenstein », la créature échappe rapidement au contrôle de son créateur. Elle s’empare de lui et le dévore après avoir au passage détruit Lord Carew, le tentateur.

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Les Coeurs du monde (Hearts of the World)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1918)

Les Coeurs du monde (Hearts of the World)
Griffith pendant le tournage du film

Griffith pendant le tournage du film

La propagande moderne est née avec la première guerre mondiale et le cinéma en est un de ses principaux vecteurs. En 1916, après avoir réalisé son monumental "Intolérance" (1916), D.W. GRIFFITH fait une tournée de promotion au Royaume-Uni. Il rencontre le premier ministre britannique Lloyd George qui le convainc de réaliser un film de guerre pour convaincre l'opinion publique américaine alors réticente de s'engager dans le conflit (comme le fera Frank CAPRA au début de la seconde guerre mondiale avec la série des "Pourquoi nous combattons : Prélude à la guerre" (1942)). Mais lorsque les USA entrèrent finalement en guerre, D.W. GRIFFITH n'avait pas encore eu le temps de tourner la moindre image ce qui réorienta la film vers une dimension plus romanesque et épique.

Le premier intérêt de "Cœurs du monde" est donc d'avoir été tourné au cœur des événements. Même si une partie d'entre eux ont été reconstitués, D.W. GRIFFITH ayant tourné près des lignes de front en France mais aussi en Angleterre et aux USA, il fait preuve d'un réalisme assez cru dans sa description de la violence sur le front mais aussi à l'arrière (certaines images chocs peuvent faire penser au début de "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998)). Si un spectateur de 1918 voyait tout de suite la différence entre le documentaire et la fiction, celui d'aujourd'hui ne les distingue plus l'un de l'autre. En revanche les orientations propagandistes du film le feront sourire. "Cœurs du monde" est en effet germanophobe, les allemands étant présentés comme des brutes épaisses martyrisant la France symbolisée par le personnage de Marie jouée par la muse de D.W. GRIFFITH, Lillian GISH. Il est intéressant de souligner que, comme dans l'entre deux guerres, la personnification de l'Allemagne échoit à Erich von STROHEIM. Celui-ci est à la fois co-réalisateur, conseiller technique et acteur de figuration dans le film (on le voit passer plusieurs fois au fond du champ) et il donne son nom à l'espion allemand Von Strohm (George SIEGMANN), l'un des protagonistes principaux. A l'inverse, le patriotisme américain est exalté jusqu'au ridicule, Douglas le jeune premier (Robert HARRON) s'engage ainsi dans l'armée pour défendre la France alors qu'il est américain et la fin célèbre avec force flonflons le triomphe de l'armée des USA alors même que la guerre n'était pas encore terminée au moment de la sortie du film en mars 1918!

Le deuxième intérêt de "Cœurs du monde" provient du génie propre à D.W. GRIFFITH pour mêler, outre la fiction et le documentaire la grande et la petite histoire comme il l'avait fait dans ses films précédents. Ainsi les décisions des Etats-majors ont des répercussions directes sur un petit village paisible dont le seul tort est d'être situé près de la ligne de front. D.W. GRIFFITH se focalise sur deux familles américaines vivant l'une à côté de l'autre dans une maison double dans la très symbolique rue de la paix, celle de Douglas et celle de Marie qui sont bien entendus destinés l'un à l'autre mais que la guerre sépare. Pour pimenter l'intrigue, il introduit également un personnage d'intruse joué par la propre sœur de Lillian GISH, Dorothy GISH aussi photogénique que sa sœur mais au tempérament beaucoup plus exubérant. Avec son amoureux, mister Cuckoo (Robert ANDERSON) ils offrent un contrepoint plus léger au couple principal dans la veine des comédies shakespeariennes. Ce jeu d'échelles se répercute sur la grammaire cinématographique, D.W. GRIFFITH alternant les plans en 4/3 pour les scènes de village et les plans en cinémascope pour le champ de bataille.

Au final "Cœurs du monde", moins connu que les grandes fresques de "Naissance d une Nation" (1915) et "Intolérance" (1916) mérite d'être redécouvert tant pour le génie de la mise en scène de D.W. GRIFFITH qui parvient à faire d'un patchwork un tout cohérent et à impliquer le spectateur par son montage trépidant que pour sa vision de la guerre, orientée certes mais qui ne se borne pas au front et met l'accent sur ses dégâts collatéraux. C'est aussi par sa contradiction que le film est intéressant, dénonçant les horreurs de la guerre d'un côté, exaltant le nationalisme guerrier (xénophobie incluse) de l'autre.

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A Country Cupid

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

A Country Cupid


Parmi les très nombreux courts-métrages tournés par D.W. GRIFFITH avant 1915, "A Country Cupid" apparaît assez anecdotique. Son atmosphère fait penser à celle de "La petite maison dans la prairie" avec son école du Midwest à classe unique accueillant des enfants d'âge et de classe sociale différents (on le remarque surtout à la présence ou non de chaussures aux pieds des enfants. Pour mémoire, Mary et Laura Ingalls se rendaient à l'école pieds-nus mais avec une coiffe sur la tête, tout comme une partie des fillettes du film). La mise en scène transcende ce que l'histoire (une dispute puis une réconciliation entre la maîtresse et son fiancé) peu avoir de banal. Comme toujours chez D.W. GRIFFITH, l'intrigue est très lisible et les personnages, relativement nombreux pour un court-métrage ont tous une bonne raison d'être. On remarquera en particulier l'ingéniosité de l'utilisation du petit Billy (en réalité joué par une petite fille) et la fin en montage alterné typique du cinéaste pour faire monter le suspense (Jack joué par Edwin AUGUST arrivera-t-il à temps pour sauver sa fiancée?) Enfin, un aspect moins réjouissant du film mais tout aussi caractéristique de l'œuvre de D.W. GRIFFITH est la stigmatisation des minorités. Le croquemitaine amateur de chair fraîche bien blanche (l'actrice qui joue la maîtresse se nomme d'ailleurs Blanche SWEET!) est à rechercher du côté des noirs-américains ou pire des métis ("Naissance d une Nation") (1915), des gitans ("Ce que disent les fleurs") (1910) ou ici des handicapés mentaux, le "half-wit" s'avérant être l'intrus que la communauté doit éliminer pour vivre en parfaite harmonie.

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Alas and Alack

Publié le par Rosalie210

Joseph De Grasse (1915)

Alas and Alack

Un court-métrage de 1915 incomplet (il manque la fin) mais qui est proposé en bonus sur le DVD de "Notre-Dame de Paris" (1923) sans doute parce qu'il met déjà en scène Lon CHANEY dans un rôle de bossu. Un double rôle pour être exact, l'histoire se déroulant sur deux plans: celui du conte et celui d'un certain réalisme social. Dans le conte, la femme du pêcheur (Cleo MADISON) est une jeune fille (sans doute une fille de pêcheur) qui a pour amant un prince (Arthur Shirley). Mais une méchante sorcière les sépare et confie la jeune femme au destin bossu (Lon CHANEY donc) qui l'enferme dans un coquillage géant. Dans la réalité, le prince est un homme très riche (toujours interprété par Arthur Shirley) qui possède un yacht. Il est marié à une insupportable mégère (Margaret Whistler) qui ne se sépare jamais de son petit chien. La femme du pêcheur qui lui a offert des fleurs lors de son escale à terre et sa petite fille le font rêver d'une vie plus épanouissante que la sienne. Pourtant celle-ci semble aussi mal lotie que lui avec son mari pêcheur (Lon CHANEY encore) toujours absent dont la bosse laisse penser qu'il est plutôt son geôlier que son grand amour. Une mélancolie commune lié au sentiment d'avoir raté sa vie relie donc ces deux personnages situés aux antipodes du spectre social. Il y a un très beau plan où pendant que l'homme contemple le bouquet offert par la femme du pêcheur, le visage de sa petite fille apparaît à l'intérieur de chacune des fleurs. On ne peut que conjecturer sur sa signification mais il est assez évident que le yachtman est en mal d'enfant à moins que la trame du conte ne nous indique que cette enfant pourrait bien être la sienne...

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Le Fantôme de l'Opéra (The Phantom of the Opera)

Publié le par Rosalie210

Rupert Julian (1925)

Le Fantôme de l'Opéra (The Phantom of the Opera)

Le film d'épouvante américain est né de la littérature française, reflétant l'histoire du cinéma lui-même. Après "Notre-Dame de Paris" (1923) adapté du classique de Victor Hugo qui en dépit de son personnage difforme n'est pas à proprement parler un film d'épouvante, les studios Universal ont eu l'idée de transposer "Le Fantôme de l'Opéra" de Gaston Leroux qui est le vrai point de départ d'un genre incarné aux USA par des figures telles que Dracula ou Frankenstein. Et après Quasimodo, Lon CHANEY incarne à nouveau un personnage monstrueux avec génie. La découverte de son visage défiguré qui se fait à la moitié du film fait partie des grands moments du cinéma d'horreur.

En dépit de sa réalisation morcelée (outre l'officiel, Rupert JULIAN, il y a eu pour certains segments Edward SEDGWICK, Ernst LAEMMLE et Lon CHANEY lui-même), le résultat est remarquable. Visuellement tout d'abord, le film est splendide. Il bénéficie comme son prédécesseur d'un décor pharaonique reconstituant les moindres recoins d'un opéra Garnier qui avec ses loges, ses souterrains et ses salles secrètes fascine tout autant qu'il inquiète. On voit également brièvement la façade de la cathédrale Notre-Dame issue du film précédent. La scène du bal masqué retient tout particulièrement l'attention parce qu'elle a été tournée en Technicolor bichrome et que la cape rouge du fantôme doté d'un masque à tête de mort tranche sur le noir et blanc, symbolisant la passion amoureuse et la tragédie funèbre (un procédé repris par Steven SPIELBERG dans "La Liste de Schindler") (1993). Enfin les filtres de couleur, les lumières expressionnistes et la composition des cadres renforcent l'ambiance fantastique dans laquelle baigne le film.

Ensuite sur le plan narratif, "Le Fantôme de l'Opéra", fidèle à l'œuvre d'origine nous raconte les conséquences funestes d'un pacte faustien signé entre Christine, une jeune cantatrice en devenir et le fantôme qui est amoureux d'elle. La cantatrice vedette, Carlotta (une "fille de") est en effet frappée d'une malédiction orchestrée par le fantôme pour permettre à Christine d'occuper le devant de la scène. Par une ingénieuse mise en abyme, celle-ci interprète Marguerite dans le "Faust" de Gounod sauf que Faust c'est en réalité elle. Mais lorsque le fantôme réclame ce qu'il pense être son dû, l'amour de la jeune femme, celle-ci le repousse. Il faut dire que tenter de posséder quelqu'un n'est pas la meilleure façon de s'en faire aimer. Or Erik enlève Christine, la séquestre et lui donne des ordres (ne pas lui ôter son masque, ne plus revoir son amant) auxquels elle s'empresse de désobéir. On comprend que par delà son indicible laideur, sa tragédie intime est son incapacité foncière à entrer en contact avec autrui. Il ne sait qu'imposer et opprimer. Sa demeure ressemble à un tombeau entouré de chambres de tortures. Dans ces conditions, son désir de beauté (magnifié par son amour de la musique et du visage de Christine) ne peut que se fracasser contre la violence de la réalité.

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