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Articles avec #cinema japonais tag

Kids Return

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1996)

Kids Return

L'âge des possibles version Takeshi KITANO ce sont les trajectoires croisées de deux amis inséparables ainsi que celles en arrière-plan de certains de leurs camarades de lycée. Les deux amis, Shinji (en bleu) et Masaru (en rouge) sont des cancres qui vivotent en marge du système. En marge mais pas en dehors puisque la mise en scène les montre seuls et un peu perdus tels deux taches de couleur au milieu des immenses espaces gris et désertés de leur lycée: principalement la cour et le toit d'où ils s'amusent à jouer les éléments perturbateurs pour leurs camarades assis sagement en classe pendant qu'eux sèchent ostensiblement les cours. Camarades dont ils rackettent par ailleurs les éléments les plus vulnérables dans les couloirs pour se payer des cigarettes et des coups au bar du coin, leur autre lieu de prédilection dans lequel traîne aussi un gang de yakuzas. Un troisième lieu névralgique fait son apparition lorsque Masaru est mis KO par un lycéen: la salle de boxe dans laquelle Masaru qui désire se venger vient s'entraîner mais qui s'avère mieux taillée pour Shinji.

L'école, la mafia et le sport de haut niveau: trois destins, trois cheminements offerts par la société japonaise qui ont pour point commun d'aboutir selon Kitano à des impasses. La première, voie soi-disant royale débouche sur l'enfer de la machine à broyer l'individu qu'est le monde du travail au japon. Avec son art consommé de l'ellipse mais aussi du détail, un simple objet (une petite poupée en porcelaine qui peut symboliser le coeur) suffit à résumer le triste sort de celui qui l'emprunte. Les deux autres, incarnés par les deux rebelles que sont Shinji et Masaru sont aussi des voies qu'a exploré ou voulu explorer Takeshi KITANO. Et de ce point de vue, "Kids Return" devrait être une référence du film de boxe, tant on sent la patte du connaisseur derrière la caméra qui confère dynamisme et réalisme au ring et à ses coulisses. Quant aux yakuzas et à leur univers, ils constituent une part essentielle du cinéma de Kitano. Tout comme la musique de Joe HISAISHI qui signe l'une de ses plus belles partitions. Mais Shinji tout comme Masaru sont voués à rater leurs carrières respectives. S'ils ne finissent pas dans le fossé comme leur camarade pris dans la "job machine", ils semblent condamnés à tourner en rond. Reste la quatrième voie, explorée par deux lycéens timides ayant joué le rôle de bouc-émissaires (les ijime, une véritable "institution" sociale dans les lycées du Japon servant de défouloir à l'extrême normativité du parcours scolaire) à savoir le spectacle au travers des duos comiques de Manzai par où a commencé Takeshi Kitano à l'époque où il était Beat Takeshi au sein des "The Two Beats". L'humour est la politesse du désespoir mais aussi peut-être sa seule porte de sortie.

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Yoyage à Yoshino (Vision)

Publié le par Rosalie210

Naomi Kawase (2018)

Yoyage à Yoshino (Vision)

"Voyage à Yoshino" m'a fait penser à un remake de "La Forêt de Mogari" (2007) avec Juliette BINOCHE qui s'était alors embarquée dans un trip avec les cinéastes japonais du festival de Cannes (encore que "La Vérité" (2019) de Hirokazu KORE-EDA se déroule à Paris). Il m'a également fait penser par son ésotérisme à "Still the Water" (2014) l'un des précédents films de la cinéaste.

Bilan: Les images sont sublimes mais la narration est confuse. Quant à histoire de deuil et de renaissance par le ressourcement dans la nature, elle est bien mieux traitée dans "La Forêt de Mogari" (2007). Pourquoi? Parce qu'il en émanait une fraîcheur et une simplicité dont celui-ci est dépourvu à force de surcharger la barque spatio-temporelle. Il n'y avait pas non plus une célèbre actrice occidentale dans le film qui semble plaquée artificiellement sans parler du fait que la manière dont elle est introduite est d'une insigne maladresse. Elle est présentée comme une touriste alors qu'elle est censé avoir tout un passé douloureux dans cette forêt et posséder des connaissances shintoïstes pointues. De plus elle est accompagnée par Hana, une jeune guide japonaise qui disparaît brutalement du récit sans que cela n'entrave en rien la communication entre elle et son hôte -et bientôt amant- Tomo (Masatoshi NAGASE). Mais ce qui vaut pour Hana, vaut en fait pour tous les personnages du film. Flottants à l'extrême, ils apparaissent et disparaissent du champ pour philosopher, se mettre en situation de transe chamanique (ou amoureuse) ou bien chasser et tuer ou encore mourir et renaître (tout est toujours cyclique chez Naomi KAWASE). Tout cela donne une impression éthérée qui finit par contredire la sensualité véhiculée par les images tant les personnages et leurs relations sont opaques et le dispositif autour, fumeux. Et finalement la montagne accouche d'une souris car cet écran de fumée lorsqu'il se dissipe enfin révèle un dénouement d'une platitude totale.

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La Vérité

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2019)

La Vérité

Depuis le premier jour où j'en ai entendu parler, j'ai été perplexe à propos de ce film. Et son visionnage m'a confirmé qu'il s'agissait d'un ratage. Il y a quelque chose de l'ordre "film de prestige" dans cette affiche avec un réalisateur japonais qui venait d'être palmé pour "Une Affaire de famille" (2018) et deux actrices françaises iconiques. Mais en fait le résultat est sans identité. Ou plutôt il possède l'identité du petit microcosme upperclass polyglotte qui est toujours entre deux avions quand il ne navigue pas dans la stratosphère, loin de la plèbe (du moins jusqu'à ce que le covid ne cloue les avions au sol et ne vide les palaces). Je suis mauvaise langue mais rien que la maison et le grand parc bucolique en plein Paris donne une petite idée du milieu qui nous est dépeint... loin, si loin des préoccupations du commun des mortels. D'autre part, après un début plutôt plaisant et filmé avec la sensibilité esthétique propre à Hirokazu KORE-EDA, le film se met très vite à tourner en rond tant il a au final peu de choses à raconter, sinon une énième mise en abyme du cinéma propre à se faire pâmer les critiques avec un tournage dans le film qui emprunte son argument à "Interstellar" (2014) bien que j'ai pensé aussi à "Proxima" (2019) puisqu'il s'agit de raconter à travers la science-fiction les difficultés relationnelles entre une mère narcissique et absente et sa fille frustrée. Quand enfin va-t-on changer de disque et arrêter de culpabiliser les femmes qui font carrière?
Réponse:

a: Quand le cinéma français "de qualité" arrêtera de se regarder le nombril et d'aller chercher chez une Catherine DENEUVE usée jusqu'à la corde de son énième lifting la réponse à sa crise d'inspiration (je devrais même dire, de civilisation, je me souviens encore que c'était elle qu'on était allé chercher pour faire la promo des J.O. 2012 en vantant la muséification parisienne avec le "succès" que l'on sait). Les clins d'oeil à une certaine "Sarah" qui pourrait tout à fait être Françoise DORLÉAC montre à quel point ce film s'adresse à un tout petit public. Et par sa construction prétentieuse, il me rappelle "La Petite Lili" (2003) (en plus il y a dans les deux films Ludivine SAGNIER à qui le cinéma français a collé l'étiquette de "doublure jeune de Catherine DENEUVE").

b: Quand il cessera de reproduire encore et encore l'énième schéma patriarcal éculé derrière l'étiquette frauduleuse des "femmes libérées avec plein d'amants" mais se donnant plutôt à des hommes de pouvoir qu'à des larbins (et très complaisantes avec les agissements de ceux-ci). Ou bien comme dans le film de Hirokazu KORE-EDA, des sorcières (le personnage de Catherine DENEUVE y est explicitement comparé) qui détruisent les hommes et sont punies par la solitude (et une certaine mauvaise conscience). Quand va-t-on enfin comprendre qu'il s'agit d'un fantasme de mâle alpha? Dans "Interstellar" (2014) comme par hasard la fille ne reprochait pas à son père d'être parti loin d'elle. Là on seulement on baigne dans un milieu tellement privilégié qu'il semble rejeter les spectateurs mais en plus tout ce qui s'y dit est d'un convenu affligeant ou d'une vacuité totale (les questions sur la mémoire sélective sans support consistant, désolé mais ça tourne à vide). Vu, revu, has been, cliché et se donnant des grands airs par dessus le marché.

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Les Enfants de la mer (Kaijû no kodomo)

Publié le par Rosalie210

Ayumu Watanabe (2019)

Les Enfants de la mer (Kaijû no kodomo)

"Stanley KUBRICK est un réalisateur qui m'a profondément marqué" (Ayumu WATANABE). C'est un euphémisme. Quand on regarde "Les Enfants de la mer", s'il y a une référence qui saute aux yeux, c'est bien "2001, l odyssée de l'espace" (1968), son psychédélisme, sa dimension métaphysique, ses interrogations existentielles (d'où venons-nous, où allons nous?) Oui mais le film de Stanley KUBRICK a beau être énigmatique et rebuter certains par son hermétisme, il me semble bien plus lisible et maîtrisé que "Les Enfants de la mer". Car le problème de ce film d'animation, c'est son scénario qui semble être resté à l'état d'ébauche. Après un début qui tient à peu près la route, même s'il n'est pas follement original (une adolescente en mal de communication avec ses parents et mise au ban de la société via la métaphore de son exclusion du club de handball se retrouve "en vacance" c'est à dire disponible), la rencontre avec Umi et Sora, les deux mystérieux frères venus de la mer et cousins de l'enfant astral de Kubrick semble tracer de nouvelles perspectives fort intéressantes. Sauf qu'elles ne sont pas creusées et ne mènent finalement nulle part. Au lieu de donner du sens à cette rencontre, le réalisateur préfère se concentrer sur une débauche d'effets visuels -magnifiques au demeurant- à la Kandinsky naviguant entre les échelles micro et macrocosmiques pour évoquer quoi au fond? Le mal que l'homme s'inflige à lui-même en dévastant les océans? Le fait qu'il doit se reconnecter de toute urgence au langage du vivant s'il veut survivre? Le lien entre la plus infime cellule et "le grand tout"? Hayao MIYAZAKI fait passer les mêmes messages dans ses films (on pense notamment à "Le Voyage de Chihiro") (2001) avec autrement plus d'efficacité narrative et d'émotions grâce à des personnages intelligemment travaillés. Dans "Les Enfants de la mer", ces aspects sont expédiés au profit d'une débauche grandiloquente qui à force d'excès finit par lorgner plus du côté du "Lucy" (2014) de Luc BESSON que de Stanley KUBRICK dont la froideur et la rigueur formelle permettent d'éviter in extremis ces écueils. C'est regrettable car le spectateur se sent rapidement exclu, s'ennuie et parfois quitte la salle avant la fin. Autrement dit, le réalisateur a un peu trop oublié les destinaires de son oeuvre pour que celle-ci reste dans les annales.

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The Third Murder

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2017)

The Third Murder

Hirokazu KORE-EDA ne manque pas d'ambition, ni d'audace. Il a voulu changer de son registre habituel (le film intimiste sur la famille) pour un thriller judiciaire dans lequel il interroge néanmoins toujours autant les institutions de son pays. Jamais autant que dans ce film, celles-ci ne semblent avoir été plus construites sur du sable, pour ne pas dire sur du vent. L'accusé de "The Third Murder" est en effet proprement insaisissable. Une vraie "coquille vide" comme il le dit qui n'arrête pas de changer sa version des faits et qui tel un miroir, renvoie les images, les projections que chacun se fait de lui ou plutôt de ce qu'il représente. Car le film fonctionne comme une mise en abîme en nous mettant en garde contre la véracité de ce qui est donné à voir: si les premières images indiquent qu'il est le tueur, d'autres images plus tardives mettent en doute ce postulat à peu près au moment où lui-même finit par prétendre qu'il n'a pas tué. On n'arrive plus alors à démêler le vrai du faux, ce qui est l'objectif du réalisateur: nous faire douter voire nous perdre dans un grand labyrinthe d'images trompeuses.

Ceci étant, je n'ai pas été pleinement convaincue par ce procédé aux ramifications si absconses et complexes qu'il finit par noyer tous les enjeux dans un océan d'illisibilité et d'abstraction que ce soit la dénonciation de la peine de mort, la démonstration du machiavélisme des procédures judiciaires, l'exploration de la part de mystère et d'ombre en chacun de nous, la mise en évidence des injustices sociales, de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la corruption, du sexisme, de l'inceste, bref de tout ce qui peut mener à l'homicide. A force d'emprunter des pistes comme autant d'images et de les brouiller entre elles, aucune n'est creusée ce qui laisse un sentiment de frustration et de vide. Mieux aurait valu en rabattre sur l'ambition et rester à hauteur d'homme. Et non d'ectoplasme servant de support à une démonstration brillante certes mais un peu vaine parce que manquant d'incarnation en dépit d'acteurs émotionnellement impliqués.

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Fleurs d'Equinoxe (Higanbana)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1958)

Fleurs d'Equinoxe (Higanbana)

La fleur d'équinoxe (higanbana en VO) est une fleur japonaise d'un rouge profond qui pousse près des cimetières, éclôt au moment de l'équinoxe et dont le bulbe est toxique. Pour toutes ces raisons, elle sert à fleurir les tombeaux, comme les chrysanthèmes sous nos contrées et est devenue le symbole de la séparation définitive. Soit exactement la thématique que Yazujiro Ozu a développé de film en film et qui fait que chacun d'eux n'est "ni tout à fait pareil, ni tout à fait un autre". Le moment-clé de "Fleur d'équinoxe" est celui de la sortie à Hakone de la famille Hirayama au complet. Parce que c'est la dernière, celle qui précède le départ de l'enfant après lequel ce ne sera plus jamais pareil. Le cinéma de Ozu est pleinement conscient du temps qui passe et des déchirures qu'il entraîne avec son lot de deuils à faire et de mélancolie associée. Exactement comme la fresque que tissent aux USA les studios Pixar et qui porte sur le deuil de l'enfance associé à la nécessité de grandir, la mémoire et l'oubli. Pour des raisons intimes, c'est la séparation entre les parents et leurs enfants au moment où ceux-ci partent se marier qui est au coeur du cinéma si délicat de Ozu.

"Fleurs d'équinoxe" qui ouvre la dernière partie de sa filmographie, celles des films en couleur, aborde également la fracture générationnelle entre les parents modelés par la tradition et des enfants ayant goûté à la modernité, notamment les filles qui travaillent et s'habillent à l'occidentale. Comme toujours, ce sont les femmes les plus adaptables alors que les hommes apparaissent monolithiques et dépassés. Le pater familias, Wataru Hirayama pourtant le premier à porter des toasts aux jeunes qui se marient par amour n'arrive pas à accepter que sa propre fille Setsuko arrange son mariage toute seule, c'est à dire en se passant de son avis. Lorsqu'il est touché personnellement, ses beaux discours s'évaporent devant la réalité de son orgueil de mâle dominant qui ne supporte pas que sa fille lui échappe. Sa femme, Kiyoko ne rate d'ailleurs pas l'occasion de souligner qu'il nage en pleine contradiction, celle-ci étant tout aussi humaine que celle de son impuissance à arrêter le temps. La manière dont Wataru se comporte avec son épouse, filmée par petites touches montre à quel point il ne lui porte aucune considération (ce qui est une façon de "tacler" la tradition des mariages arrangés). Pas plus qu'il n'en porte à sa fille d'ailleurs qu'il n'écoute pas. Mais celle-ci trouve des alliées en la personne de sa mère qui peut par procuration réaliser le mariage d'amour qu'elle n'a pas pu faire, sa petite soeur et ses amies qui ne veulent pas plus qu'elle entendre parler de mariages arrangés. Elles prennent au piège Wataru qui de son côté est bien obligé d'enquêter sur cette jeune génération à laquelle décidément il ne comprend rien. Et il découvre que les temps ont bien changé. L'un de ses jeunes collègues ne montre rien devant lui mais part s'éclater quand il a le dos tourné dans un bar de Ginza (quartier de Tokyo) "Le Luna" tenu par des femmes "libérées" dont la fille d'un ami de Wataru qui n'ayant pas obtenu de son père la permission de se marier avec l'homme qu'elle aime, s'est enfuie avec lui. Les séquences du bar sont d'ailleurs parfois très drôles à cause de la différence de comportement du jeune en présence ou en l'absence de Wataru ("quand le chat n'est pas là les souris dansent"). Celui-ci bon gré mal gré comprend que le seul choix qui lui reste est soit de prendre le train de la vie en marche, soit de rester à quai.

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Dans un jardin qu'on dirait éternel (Nichinichi Kore Kôjitsu)

Publié le par Rosalie210

Tatsushi Omori (2018)

Dans un jardin qu'on dirait éternel (Nichinichi Kore Kôjitsu)

"Dans un jardin qu'on dirait éternel" qui se déroule sur plus d'une trentaine d'années cite trois fois "La Strada" (1954) de Federico FELLINI, l'héroïne ayant à chaque fois une vision différente du film en fonction de son âge et de son expérience. Cette comparaison est intéressante parce que "La Strada" épouse une temporalité linéaire, celle du road movie alors que "Dans un jardin qu'on dirait éternel" évoque le temps cyclique, celui des rituels toujours recommencés dans lequel se trouve le secret du bonheur. Pourtant "La Strada" et "Dans un jardin qu'on dirait éternel" racontent deux itinéraires plus spirituels que temporels au bout desquels les personnages finissent par être "touchés par la grâce" et sortir de leur condition humaine pour accéder à une dimension supérieure. Si "Dans un jardin qu'on dirait éternel" est loin d'atteindre la puissance du film de Federico FELLINI, il s'avère être d'une superbe délicatesse, une ode à la joie de goûter l'instant présent où tous les sens sont convoqués (le goût du thé et des pâtisseries, leur présentation raffinée qui est un régal pour les yeux, l'ouïe qui s'affûte au fur et à mesure que la maîtrise du rituel de la cérémonie du thé grandit ou encore la précision millimétrée de chaque geste) procédant à un élargissement des perceptions que nous avons du monde. "Dans un jardin qu'on dirait éternel" est une expérience cinématographique de méditation en pleine conscience. Dommage que l'arrière-plan narratif soit un peu faible, les héroïnes étant esquissées trop schématiquement ou trop allusivement pour susciter un véritable intérêt. La critique sous-jacente du patriarcat japonais est donc assez convenue et décevante. En revanche elles bénéficient d'une enseignante de premier ordre, le professeur Tadeka étant joué par la magnifique Kirin KIKI dont ce fût le dernier rôle avant son décès en 2018. Pour les cinéphiles français amoureux du Japon dont je fais partie, Kirin Kiki est indissociable de Hirokazu KORE-EDA, notamment de sa palme d'or "Une Affaire de famille" (2018) et de Naomi KAWASE dans "Les Délices de Tokyo" (2015) où elle interprète l'inoubliable Tokue, une philosophe culinaire assez proche de son rôle dans le film de Tatsushi OMORI.

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Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1932)

Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo)

"Gosses de Tokyo" est le vingt-quatrième et dernier film muet réalisé par Yasujiro Ozu en 1932. Contrairement aux films muets occidentaux, il n'y a pas d'accompagnement musical pour briser le silence ce qui peut être déconcertant pour un néophyte. D'ailleurs lors des projections, les spectateurs bénéficiaient des commentaires d'un bonimenteur qui animait la séance.

"Gosses de Tokyo" frappe par ses qualités d'observation et la précision de sa mise en scène qui restitue dans les moindres détails aussi bien la rigidité des codes sociaux japonais que le naturel désarmant de gamins qui singent leurs aînés tout en se rebellant contre eux. Le film oppose ainsi le monde des enfants à celui des adultes en étant centré sur deux frères qui font les "Quatre cent coups" parce qu'ils rejettent le modèle paternel. Le regard de Ozu, bienveillant avec les enfants s'avère cruel pour leur père. Quelques plans burlesques suffisent à déboulonner la statue patriarcale, l'homme important s'avérant être le ridicule pantin servile d'une comédie sociale dont Ozu montre les ficelles comme le faisait à la même époque Jean Renoir dans "La Règle du jeu". Mais le style Ozu est beaucoup plus proche du néoréalisme et de la nouvelle Vague que de la théâtralité du film de Renoir. Son aspect sociologique déborde d'ailleurs l'étude des rapports hiérarchiques au travail ou dans la famille (la mère est un modèle de soumission comme il se doit) pour montrer l'étalement urbain au travers d'un paysage de banlieue encore très campagnard colonisé par les pavillons et parcouru par une voie ferrée, les passages des trains ponctuant le récit.

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Une femme dans la tourmente (Midareru)

Publié le par Rosalie210

Mikio Naruse (1964)

Une femme dans la tourmente (Midareru)

Cela a été souligné dans de nombreuses critiques, Mikio Naruse, le quatrième grand cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais aux côtés de Kurosawa, Mizoguchi et Ozu est beaucoup plus méconnu que ses trois contemporains en France. Pourtant il a réalisé 89 films dont 22 muets (hélas presque tous perdus) entre 1930 et 1967, date de son décès. "Une femme dans la tourmente" est l'un de ses derniers films et il est proposé durant tout le mois d'août sur Arte replay en streaming gratuit.

"Une femme dans la tourmente" est un film magnifique qui expose au grand jour les contradictions de la société japonaise prise en étau entre tradition et modernité dans les années 60. Le film commence par dresser le portrait socio-économique d'une petite classe moyenne de commerçants en voie de disparition avec le triomphe des grandes surfaces aux prix cassés et au marketing agressif. Une thématique des 30 Glorieuses que l'on retrouve dans tous les pays développés sous influence américaine à cette époque (le poujadisme en France par exemple). Là-dessus se greffe le portrait d'une famille japonaise en crise au travers de la relation tourmentée liant Reiko, une veuve de guerre qui gère l'épicerie de sa belle-famille en mémoire de son défunt mari et Koji, son jeune beau-frère rebelle que l'on a comparé à James Dean dans "La Fureur de vivre". La mutation du commerce pousse les belles-soeurs de Reiko à se débarrasser de l'intruse alors que le comportement dissolu de Koji dissimule les sentiments qu'il éprouve pour elle. Un drame intimiste qui infléchit le film de façon décisive quand, délogée de sa place, Reiko décide de retourner chez ses parents et Koji de la suivre. Le voyage en train qui ne semble jamais finir permet à Mikio Naruse d'affiner la relation complexe qui lie ces deux personnages et que l'on retrouve dans d'autres de ses films. Une relation faite d'attraction-répulsion (voire de sado-masochisme) où le poids des normes sociales joue un rôle déterminant. Reiko a tout de la femme japonaise traditionnelle soumise voire masochiste puisqu'elle se dévoue pour une belle-famille qui l'exploite puis la rejette quand ils n'ont plus besoin d'elle. Et bien que n'ayant été mariée que six mois, elle s'interdit d'aimer un autre homme en mémoire d'un mari dont elle transporte la photo partout. Si on ajoute le lien de parenté avec Koji et la différence d'âge (taboue au Japon) on comprend mieux les tourments de Reiko qui si elle finit par tomber son masque social une fois parvenue au bout du voyage n'en reste pas moins inaccessible au grand désespoir de Koji qui comprend qu'il n'y a nulle place pour eux dans ce monde.

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Dolls

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2002)

Dolls

Les différents visages de Takeshi Kitano sont réunis au sein de cette œuvre-somme qu'est "Dolls". Le peintre, le poète, l'ex-animateur TV comique défiguré par son "accident" et reconverti en observateur contemplatif et mélancolique de la nature sans parler des activités de sa famille (père fricotant avec le milieu des yakuzas, grand-mère conteuse de bunraku et joueuse de shamisen).

Le film commence par une représentation de bunraku, le théâtre de marionnettes traditionnel japonais qui donne son titre mais aussi son unité au film. D'emblée nous sommes placés dans le domaine de la représentation et de la tragédie. Les personnages du film, tirés de contes sont effectivement dépeints comme des marionnettes qui paient le prix du sacrifice de leur moi authentique à l'illusion de la réussite sociale. Bien qu'il suit trois histoires en parallèle, dispositif que j'apprécie peu habituellement, il ne leur donne pas la même importance. L'une d'entre elles constitue le "fil rouge" des autres, au sens propre comme au sens figuré et s'impose comme LE morceau de bravoure du film. Il s'agit des "mendiants enchaînés", Matsumoto et Sawako, figures spectrales reliées l'une à l'autre par une corde rouge qui errent à travers les paysages du Japon (et s'invitent dans les autres histoires) au fil des quatre saisons. La transition de l'une à l'autre s'effectue comme un changement de décor au théâtre alors que les deux personnages déambulent dans des tenues signées du grand couturier Yohji Yamamoto. Impression d'artifice renforcée par le fait qu'à la fin de l'histoire ils revêtent les kimonos des marionnettes vues au début du film dont ils sont donc l'incarnation. Matsumoto est écrasé par la culpabilité d'avoir cédé à la pression sociale en abandonnant sa fiancée pour faire un mariage d'intérêt. Sawako est coincée quelque part entre le monde des morts et celui des vivants depuis sa tentative de suicide. Son comportement est devenu celui d'une autiste. Elle a perdu l'usage de la parole, regarde dans le vide, marche de façon mécanique, ne réagit plus à son environnement et fixe son attention sur des objets, notamment un jouet dans lequel elle souffle inlassablement, fascinée par la petite balle qui s'élève dans les airs. Mouvement de balancier répété à l'infini également lorsque Matsumoto l'attache pour la première fois à la voiture avec la corde.

Ces amants tragiques sont omniprésents dans le film, soit au premier plan, soit en toile de fond. Ils donnent donc sens aux deux autres histoires qui semblent anecdotiques à première vue mais constituent en fait des fragments de l'histoire personnelle de Kitano. Haruna est une version féminine de lui-même, une pop idol de studios TV dont l'image est vénérée par ses fans jusqu'au jour où elle est défigurée par un accident et se retire du monde pour contempler la mer avec l'œil qui lui reste. Son fan réussit à parvenir jusqu'à elle… en se crevant les yeux comme Oreste avant de crever tout court. Un nihilisme qui fait froid dans le dos mais qui ressemble bien à la philosophie de Kitano. Ainsi en va-t-il de ce yakuza* qui au moment d'aborder la retraite comprend qu'il est peut-être passé à côté de l'essentiel mais c'est trop tard.

C'est ainsi que le sens du titre du film s'enrichit. Les "Dolls" ce ne sont pas seulement les marionnettes de bois mais aussi celles de chair et de sang qui préfèrent se laisser manipuler par le destin (un fatum lié aux pressions sociales dans le film) que d'assumer leurs propres choix. A l'exception de Matsumoto qui finit par lâcher prise avec le matérialisme pour suivre Sawako, comme le souligne l'évolution de sa voiture tape à l'œil qui finit à l'état d'épave au fur et à mesure que les deux amants se clochardisent.

* Milieu souvent dépeint par Kitano en raison des fréquentations de son père démissionnaire et de sa propre proximité avec les voyous dans sa jeunesse.

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