Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #cinema japonais tag

Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1932)

Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo)

"Gosses de Tokyo" est le vingt-quatrième et dernier film muet réalisé par Yasujiro Ozu en 1932. Contrairement aux films muets occidentaux, il n'y a pas d'accompagnement musical pour briser le silence ce qui peut être déconcertant pour un néophyte. D'ailleurs lors des projections, les spectateurs bénéficiaient des commentaires d'un bonimenteur qui animait la séance.

"Gosses de Tokyo" frappe par ses qualités d'observation et la précision de sa mise en scène qui restitue dans les moindres détails aussi bien la rigidité des codes sociaux japonais que le naturel désarmant de gamins qui singent leurs aînés tout en se rebellant contre eux. Le film oppose ainsi le monde des enfants à celui des adultes en étant centré sur deux frères qui font les "Quatre cent coups" parce qu'ils rejettent le modèle paternel. Le regard de Ozu, bienveillant avec les enfants s'avère cruel pour leur père. Quelques plans burlesques suffisent à déboulonner la statue patriarcale, l'homme important s'avérant être le ridicule pantin servile d'une comédie sociale dont Ozu montre les ficelles comme le faisait à la même époque Jean Renoir dans "La Règle du jeu". Mais le style Ozu est beaucoup plus proche du néoréalisme et de la nouvelle Vague que de la théâtralité du film de Renoir. Son aspect sociologique déborde d'ailleurs l'étude des rapports hiérarchiques au travail ou dans la famille (la mère est un modèle de soumission comme il se doit) pour montrer l'étalement urbain au travers d'un paysage de banlieue encore très campagnard colonisé par les pavillons et parcouru par une voie ferrée, les passages des trains ponctuant le récit.

Voir les commentaires

Une femme dans la tourmente (Midareru)

Publié le par Rosalie210

Mikio Naruse (1964)

Une femme dans la tourmente (Midareru)

Cela a été souligné dans de nombreuses critiques, Mikio Naruse, le quatrième grand cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais aux côtés de Kurosawa, Mizoguchi et Ozu est beaucoup plus méconnu que ses trois contemporains en France. Pourtant il a réalisé 89 films dont 22 muets (hélas presque tous perdus) entre 1930 et 1967, date de son décès. "Une femme dans la tourmente" est l'un de ses derniers films et il est proposé durant tout le mois d'août sur Arte replay en streaming gratuit.

"Une femme dans la tourmente" est un film magnifique qui expose au grand jour les contradictions de la société japonaise prise en étau entre tradition et modernité dans les années 60. Le film commence par dresser le portrait socio-économique d'une petite classe moyenne de commerçants en voie de disparition avec le triomphe des grandes surfaces aux prix cassés et au marketing agressif. Une thématique des 30 Glorieuses que l'on retrouve dans tous les pays développés sous influence américaine à cette époque (le poujadisme en France par exemple). Là-dessus se greffe le portrait d'une famille japonaise en crise au travers de la relation tourmentée liant Reiko, une veuve de guerre qui gère l'épicerie de sa belle-famille en mémoire de son défunt mari et Koji, son jeune beau-frère rebelle que l'on a comparé à James Dean dans "La Fureur de vivre". La mutation du commerce pousse les belles-soeurs de Reiko à se débarrasser de l'intruse alors que le comportement dissolu de Koji dissimule les sentiments qu'il éprouve pour elle. Un drame intimiste qui infléchit le film de façon décisive quand, délogée de sa place, Reiko décide de retourner chez ses parents et Koji de la suivre. Le voyage en train qui ne semble jamais finir permet à Mikio Naruse d'affiner la relation complexe qui lie ces deux personnages et que l'on retrouve dans d'autres de ses films. Une relation faite d'attraction-répulsion (voire de sado-masochisme) où le poids des normes sociales joue un rôle déterminant. Reiko a tout de la femme japonaise traditionnelle soumise voire masochiste puisqu'elle se dévoue pour une belle-famille qui l'exploite puis la rejette quand ils n'ont plus besoin d'elle. Et bien que n'ayant été mariée que six mois, elle s'interdit d'aimer un autre homme en mémoire d'un mari dont elle transporte la photo partout. Si on ajoute le lien de parenté avec Koji et la différence d'âge (taboue au Japon) on comprend mieux les tourments de Reiko qui si elle finit par tomber son masque social une fois parvenue au bout du voyage n'en reste pas moins inaccessible au grand désespoir de Koji qui comprend qu'il n'y a nulle place pour eux dans ce monde.

Voir les commentaires

Dolls

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2002)

Dolls

Les différents visages de Takeshi Kitano sont réunis au sein de cette œuvre-somme qu'est "Dolls". Le peintre, le poète, l'ex-animateur TV comique défiguré par son "accident" et reconverti en observateur contemplatif et mélancolique de la nature sans parler des activités de sa famille (père fricotant avec le milieu des yakuzas, grand-mère conteuse de bunraku et joueuse de shamisen).

Le film commence par une représentation de bunraku, le théâtre de marionnettes traditionnel japonais qui donne son titre mais aussi son unité au film. D'emblée nous sommes placés dans le domaine de la représentation et de la tragédie. Les personnages du film, tirés de contes sont effectivement dépeints comme des marionnettes qui paient le prix du sacrifice de leur moi authentique à l'illusion de la réussite sociale. Bien qu'il suit trois histoires en parallèle, dispositif que j'apprécie peu habituellement, il ne leur donne pas la même importance. L'une d'entre elles constitue le "fil rouge" des autres, au sens propre comme au sens figuré et s'impose comme LE morceau de bravoure du film. Il s'agit des "mendiants enchaînés", Matsumoto et Sawako, figures spectrales reliées l'une à l'autre par une corde rouge qui errent à travers les paysages du Japon (et s'invitent dans les autres histoires) au fil des quatre saisons. La transition de l'une à l'autre s'effectue comme un changement de décor au théâtre alors que les deux personnages déambulent dans des tenues signées du grand couturier Yohji Yamamoto. Impression d'artifice renforcée par le fait qu'à la fin de l'histoire ils revêtent les kimonos des marionnettes vues au début du film dont ils sont donc l'incarnation. Matsumoto est écrasé par la culpabilité d'avoir cédé à la pression sociale en abandonnant sa fiancée pour faire un mariage d'intérêt. Sawako est coincée quelque part entre le monde des morts et celui des vivants depuis sa tentative de suicide. Son comportement est devenu celui d'une autiste. Elle a perdu l'usage de la parole, regarde dans le vide, marche de façon mécanique, ne réagit plus à son environnement et fixe son attention sur des objets, notamment un jouet dans lequel elle souffle inlassablement, fascinée par la petite balle qui s'élève dans les airs. Mouvement de balancier répété à l'infini également lorsque Matsumoto l'attache pour la première fois à la voiture avec la corde.

Ces amants tragiques sont omniprésents dans le film, soit au premier plan, soit en toile de fond. Ils donnent donc sens aux deux autres histoires qui semblent anecdotiques à première vue mais constituent en fait des fragments de l'histoire personnelle de Kitano. Haruna est une version féminine de lui-même, une pop idol de studios TV dont l'image est vénérée par ses fans jusqu'au jour où elle est défigurée par un accident et se retire du monde pour contempler la mer avec l'œil qui lui reste. Son fan réussit à parvenir jusqu'à elle… en se crevant les yeux comme Oreste avant de crever tout court. Un nihilisme qui fait froid dans le dos mais qui ressemble bien à la philosophie de Kitano. Ainsi en va-t-il de ce yakuza* qui au moment d'aborder la retraite comprend qu'il est peut-être passé à côté de l'essentiel mais c'est trop tard.

C'est ainsi que le sens du titre du film s'enrichit. Les "Dolls" ce ne sont pas seulement les marionnettes de bois mais aussi celles de chair et de sang qui préfèrent se laisser manipuler par le destin (un fatum lié aux pressions sociales dans le film) que d'assumer leurs propres choix. A l'exception de Matsumoto qui finit par lâcher prise avec le matérialisme pour suivre Sawako, comme le souligne l'évolution de sa voiture tape à l'œil qui finit à l'état d'épave au fur et à mesure que les deux amants se clochardisent.

* Milieu souvent dépeint par Kitano en raison des fréquentations de son père démissionnaire et de sa propre proximité avec les voyous dans sa jeunesse.

Voir les commentaires

Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Publié le par Rosalie210

Gisaburô Sugii et Arlen Tarlofsky (1985)

Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Un titre aussi poétique que "Train de nuit dans la voie lactée" ne pouvait que me donner envie de découvrir le film, adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa de 1927, auteur également de Goshu le violoncelliste, récit connu pour son adaptation pré-Ghibli par Isao Takahata. Poétique, le film l'est assurément mais il est surtout métaphysique et une référence culturelle incontournable de la culture japonaise. "Train de nuit dans la voir lactée" est par exemple à l'origine de la saga SF rétro-futuriste et nostalgique de Leiji Matsumoto "Galaxy Express 999" et joue également un rôle important dans "L'île de Giovanni" de Mizuho Nishikubo. Elle a été également déclinée au théâtre et sous forme de conte musical.

Le film est d'essence contemplative (cela peut rebuter, il ne se passe pas grand-chose) et l'animation qui date des années 80 est certes minimaliste mais empreinte de visions surréalistes saisissantes. Le caractère philosophique du film est cependant porté par une histoire très simple*. Giovanni, un enfant ostracisé par ses camarades parce qu'il est pauvre, que son père est absent et sa mère malade prend un train dans lequel il retrouve son seul ami, Campanella. Le train a plus ou moins la même fonction que la barque des égyptiens de l'antiquité, elle convoie ses passagers dans l'au-delà. Chaque station est l'occasion d'une rencontre avec des voyageurs en transit (un homme aveugle, un chasseur de hérons qu'il transforme en biscuits, des passagers du Titanic) et d'une élévation spirituelle. On y évoque le ciel, la croix du sud ce qui se rapporte au christianisme (sans doute en relation avec le fait que les personnages ont des noms italiens) mais celui-ci est croisé avec une philosophie bouddhiste. Peu à peu, on comprend que Giovanni effectue ce voyage au pays des morts pour affronter la douloureuse épreuve d'un deuil qui le laissera tout à fait seul. Il est en effet le seul passager du train à disposer d'un billet aller-retour.

"Train de nuit pour la voie lactée" peut être considéré comme le film le plus triste de l'histoire de l'animation japonaise, à égalité avec "Le Tombeau des Lucioles". On peut aussi le voir comme un trip sous acide à cause de ses flashs visuels oniriques abstraits (des points, des sphères, des triangles lumineux dans l'espace) accompagné d'une musique assez hypnotique. Le fait que les enfants soient représentés sous la forme de chats anthropomorphes accentue cette tendance.

* De même que "Le Voyage de Chihiro" a été souvent comparé à "Alice au pays des merveilles", la parenté entre "Train de nuit dans la voie lactée" et "Le Petit Prince" semble assez évidente.

Voir les commentaires

Ran

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1985)

Ran

"Ran" signifie "Chaos". C'est avec "Le Château de l'araignée" (inspiré de Macbeth) le plus shakespearien des films de Kurosawa puisqu'il s'agit d'une libre transposition du Roi Lear dans le Japon féodal. Les genres y sont inversés puisque les trois filles de Lear deviennent les trois fils du seigneur Hidetora Ichimonji dont le trait de caractère dominant est immédiatement identifiable à l'aide de la couleur primaire qui est attaché à chacun d'eux*. A Taro l'aîné revient le jaune de l'orgueil, à Jiro le cadet le rouge de la violence et enfin à Saburo le benjamin, le bleu de la sagesse, cette sagesse qui fait tant défaut à Hidetora en dépit de ses regards implorants vers le ciel et les nuages. Celui-ci en effet, aveuglé par son orgueil "voit rouge" quand Saburo ose mettre en doute la pertinence de sa stratégie de division du domaine familial. Bref il est jaune et rouge (les couleurs dominantes de ses costumes) mais certainement pas bleu. Autrement dit au lieu de la retraite tranquille à laquelle il aspire, il s'est préparé une descente aux enfers liée à son manque de discernement autant qu'à l'effet boomerang de son monstrueux passé. "Qui sème le vent récolte la tempête". Comment peut-il espérer de la gratitude de la part de fils à qui il n'a enseigné que l'orgueil et la violence? Le passé de terreur d'Hidetora s'incarne à travers Kaede et Sué, deux survivantes de clans adverses qu'il a exterminé, ne les épargnant elles que pour les marier à ses fils selon une logique de "butin de guerre" très semblable à celle de "L'Illiade". Les séquelles de cette politique de terre brûlée (symbolisée par les pentes volcaniques du Fuji-San où ont été tournées une partie des scènes) sont visibles dans la haine dévastatrice de Kaede, assoiffée de vengeance et "mauvais génie" du clan Ichimonji, dans les ruines du château de la famille de Sué et sur le corps de Tsurumuru son jeune frère dont les yeux ont été crevés par Hidetora (il n'a pas été tué parce qu'il était encore enfant au moment des faits mais Hidetora s'est assuré qu'il ne pourrait jamais se venger). Cependant, là encore, Kurosawa montre que l'être humain a toujours le choix, quels que soient les événements tragiques auxquels il a été confrontés. Sué en effet a trouvé l'apaisement dans la foi et le pardon tout comme Tsurumuru. Mais aucun d'eux ne peut arrêter la spirale infernale de violence dans laquelle finissent par sombrer corps et biens tous les Ichimonji.

La déchéance d'Hidetora et la destruction du clan Ichimonji sont admirablement dépeintes à travers un travail époustouflant sur les décors naturels qui reflètent les états d'âme des personnages tout en les noyant dans l'immensité d'un univers d'où la transcendance est visiblement absente. A une scène de folie d'Hidetora dans une prairie battue par les vents répond la zénitude de Sue au crépuscule. Mais les plans où Hidetora cherche une réponse divine restent muets et Tsurumuru est condamné à errer seul dans les ténèbres. Et la scène centrale de la bataille pour la prise du troisième château lors de laquelle les frères s'entretuent est d'une puissance inégalable (inégalée?) de par le choix du silence qui contraste avec l'accumulation des cadavres autour du vieillard à qui suprême ironie la mort est refusée au profit d'une errance spectrale autrement plus terrible.

*La formation de peintre de Kurosawa ressort de façon saisissante dans le film comme on peut le voir sur les images composées comme des tableaux avec une utilisation extraordinaire de la couleur.

Voir les commentaires

Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Publié le par Rosalie210

Shohei Imamura (1998)

Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Les plus timbrés ne sont pas ceux que l'ont croit semble nous dire Shohei Imamura dans son avant-dernier film, "Kanzo Sensei" (littéralement "Docteur foie"). En effet il nous dépeint comment un petit groupe de marginaux pittoresques tente de s'accrocher à la vie en se tenant les coudes alors même que le Japon sombre dans la barbarie et le chaos dans les mois qui précèdent la fin de la guerre. Le film alterne le burlesque (voire le grotesque) et la violence en montrant comment chacun à sa façon, le Dr Akagi et les déclassés qui gravitent autour de lui tentent de résister au naufrage de leur pays. Néanmoins ils ne sont pas tous traités avec la même profondeur. Le bonze débauché, le chirurgien morphinomane, le prisonnier évadé hollandais et la tenancière de la maison de geishas jouent le rôle de satellites du "couple" principal à savoir le Dr Akagi et son employée, la jeune Sonoko dont le film s'attache à suivre le parcours semé d'embûches. Le Dr Akagi est un homme entre deux âges atteint d'une étrange monomanie. Passant son temps à courir (littéralement!) d'un patient à l'autre, il diagnostique à chaque fois qu'il est atteint du foie (comique de répétition à la Molière garanti!) ce qui lui vaut son surnom un rien méprisant. Pourtant il s'avère qu'il s'agit surtout d'un docteur humain qui tente de soulager (avec du repos et de la nourriture tout simplement!) le supplice que l'attitude insensée de l'armée et de ses chefs au pouvoir inflige à la population. On comprend également que c'est par choix qu'il a préféré s'enterrer dans un trou perdu plutôt que de briller en tant que chercheur dans la capitale même s'il est tiraillé entre son besoin d'aider son prochain et son désir de reconnaissance (qui s'avère être mortifère). A la demande de son père, il prend Sonoko sous sa protection. Elle qui a toujours vécu dans l'idée que les hommes étaient fondamentalement intéressés découvre ce qu'est l'abnégation. De même que les villageois considèrent Akagi comme un charlatan, elle est à leurs yeux une putain qui doit leur rendre des "services" alors que lui essaye justement de la sortir de la prostitution*. Sonoko emploie alors toute son énergie à se faire aimer du docteur non pour qu'il cesse de se dévouer mais pour qu'il renoue avec la vie alors même que la mort s'abat sur leurs compagnons d'infortune et que lui-même est hanté par des visions de son fils décédé se livrant à de monstrueuses expérimentations médicales en Mandchourie.

* Il y a d'ailleurs une scène qui semble fortement s'inspirer de "L'Empire des sens" de Nagisa Oshima.

Voir les commentaires

Kié la petite peste (Jarinko Chie)

Publié le par Rosalie210

Isao Takahata (1981)

Kié la petite peste (Jarinko Chie)

Film pré-Ghibli réalisé par Isao Takahata, "Kié la petite peste" préfigure "Mes voisins les Yamada". En effet il s'agit de l'adaptation dans les deux cas d'un manga à sketches ayant pour thème principal la famille. L'époque de publication des mangas et de réalisation des animés (années 70-80 pour le premier, 90 pour le second) diffère ainsi que le style graphique mais dans les deux cas, ils sont très fidèles à l'œuvre d'origine qui est minimaliste.

"Kié la petite peste" est une chronique familiale haute en couleurs et qui s'apprécie encore plus si l'on fait l'effort de saisir son contexte culturel. L'histoire se déroule en effet à Osaka, surnommée la "Méditerranée du Japon" à cause de son tempérament nettement plus fou-fou qu'à Tokyo. La région se caractérise notamment par un accent gouailleur (qui nécessite de voir le film en VO), des spécificités culinaires (l'okonomiyaki, sorte d'omelette garnie), un vocabulaire fleuri et un humour de mauvais goût* que l'on retrouve dans le film au travers d'une galerie farcesque de personnages masculins (Tetsu le père de Kié, le patron de la salle de jeu auprès duquel il a contracté des dettes, son ancien prof, les yakuzas) ainsi que leurs animaux de compagnie (des chats bipèdes d'une force...surhumaine qu'ils tiennent de leurs testicules, cet attribut viril proéminent se retrouvant à l'identique chez des tanukis de "Pompoko" également réalisé par Takahata. Rien de vulgaire mais plutôt une célébration de la fertilité au travers de la mise en évidence de cet appareil reproducteur). Kié elle-même a un caractère bien trempé et il lui bien ça pour gérer une famille compliquée.

Car derrière la farce, le film raconte l'histoire d'une famille dysfonctionnelle avec une petite fille qui grandit entre un père irresponsable qui semble porter sur lui tous les défauts de la terre (elle refuse d'ailleurs de l'appeler "père", préférant l'appeler par son prénom) et une mère qui a abandonné le foyer familial. Kié est donc obligée de remplacer les adultes défaillants qui lui tiennent lieu de parents en gérant notamment le restaurant de son père ce qui perturbe ses études. Le seul être mature sur lequel elle puisse s'appuyer est son chat, Kotetsu. Mais rien de misérabiliste dans tout cela, au contraire car tous les personnages (sauf la mère de Kié, effacée dans la plus pure tradition japonaise) sont comiques et la solidarité du quartier joue à plein pour rabibocher de gré ou de force Tetsu et son épouse afin que Kié retrouve un minimum de stabilité familiale. C'est donc un mode de vie traditionnel en train de se perdre haut en couleur que fait vivre Takahata tout en jouant avec les formes et les codes (l'extrait live de Godzilla, un duel de chats testostéronés orchestré comme un western de Sergio Leone etc.)

* Un bon aperçu de cet humour dans le film est le moment où le patron de la salle de jeu reconverti en restaurateur offre un okonomiyaki à Kié. Pendant qu'il cuisine, il repense à son chat décédé Antonio qu'il a fait empailler et se met à sangloter de manière outrancière tant et si bien qu'il finit par arroser l'omelette de larmes mais aussi de morve sous les yeux effarés de Kié qui ne sait pas comment refuser le "cadeau" empoisonné. Du moins jusqu'à ce qu'un yakuza ne confisque l'okonomiyaki (sans savoir ce qu'il y a dedans) au grand soulagement de celle-ci et pour son grand malheur à lui!

Voir les commentaires

Herbes flottantes (Ukigusa)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1959)

Herbes flottantes (Ukigusa)

Il n'y a pas que les cinéastes anglo-saxons qui ont fait un remake en couleurs dans les années 50 d'un de leurs anciens films des années 30 en noir et blanc (pour mémoire les deux exemples les plus célèbres sont ceux de Leo McCAREY avec ses deux versions de "Elle et lui" et Alfred HITCHCOCK avec celles de "L'homme qui en savait trop"). "Herbes flottantes" qui date de 1959 est en effet le remake par Yasujiro; OZU de son film "Histoires d'herbes flottantes" (1934). Comme pour ses homologues anglo-saxons, les deux versions sont tout à fait remarquables et témoignent à 20 ans de distance d'évolutions aussi bien techniques, esthétiques que sociétales dans un schéma repris à l'identique.

Le titre, "herbes flottantes" est une notion issue du bouddhisme qui signifie l'impermanence de toute chose. Celles-ci sont changeantes, évanescentes, flottantes, il faut accepter de lâcher prise pour se laisser porter par le courant plutôt que d'essayer de le contrôler. Sur la tombe de Yasujiro OZU qui était adepte du bouddhisme zen est d'ailleurs inscrit le kanji "mu" qui signifie justement "impermanence". Au sens strict, le monde flottant désigne les quartiers de plaisirs et de divertissements des grandes villes japonaises à l'époque d'Edo et toutes les activités qu'ils abritaient dont le théâtre kabuki. C'est donc ce dernier qui fait l'objet du titre du film d'Ozu. Une petite troupe vient en effet rendre visite à un village de pêcheurs 12 ans après son dernier passage. Ce n'est pas exactement la durée qui sépare les deux films d'Ozu mais cela permet de mesurer le temps passé. Outre l'utilisateur splendide de la couleur, les cadrages et la mise en scène admirables, la subtilité des sons et des variations d'atmosphère (les cigales japonaises au crissement entêtant sous le cagnard sont remplacées par le tintement des carillons qui accompagnent un regain de fraîcheur avant la tombée d'une pluie diluvienne), l'alternance de moments franchement comiques et d'autres beaucoup plus dramatiques, ce qui frappe dans ce film, c'est une crudité inhabituelle chez Ozu que ce soit en terme de violence ou de sexualité. Voir des amoureux s'embrasser ou passer la nuit ensemble était inimaginable dans les films en noir et blanc d'un cinéaste connu pour son extrême pudeur. On y voit d'ailleurs un fils s'affirmer par rapport à un père "loser", défaillant et plein de complexes, la famille restant le sujet privilégié des films de Ozu. Le film réunit par ailleurs la fine fleur des acteurs et actrices de l'époque, de Machiko KYÔ à Ayako WAKAO et il y a même un clin d'œil à Toshiro MIFUNE.

Voir les commentaires

Un été avec Coo (Kappa no coo to natsu-yasumi)

Publié le par Rosalie210

Keiichi Hara (2007)

Un été avec Coo (Kappa no coo to natsu-yasumi)

"Un été avec Coo" est un grand film d'animation japonais qui à l'image de ceux de Hayao MIYAZAKI ("Mon voisin Totoro" (1988), "Le Voyage de Chihiro") (2001) et de Isao TAKAHATA ("Pompoko") (1996) permet de réfléchir aux rapports que l'homme entretient avec ses semblables et avec la nature. Si les japonais ont tout comme les occidentaux dévasté leur environnement, ils n'ont pour autant jamais oublié les croyances animistes de leur culture d'origine. Ce sont ces croyances qui sont "ranimées" par le bestiaire fantastique des studios Ghibli (les Totoros, les Tanukis, les Dieux courroucés et putrides de "Princesse Mononoké" (1997) et de "Le Voyage de Chihiro") (2001)).

Le Kappa appartient au même folklore shintoïste. Il s'agit d'une petite créature/esprit anthropomorphe mi-tortue, mi-grenouille vivant dans les points d'eau (fleuves, lacs, étangs) avec une bouche en forme de bec et un creux au milieu de la tête appelé "assiette" dont l'humidité est essentielle à sa force vitale. S'ils sont à l'origine décrits comme des vampires, des violeurs ou des cannibales, c'est la forme moderne, mignonne et bienveillante qui est présentée dans le film, celle qui se montre d'une extrême politesse avec les humains et aime le concombre et le poisson. Comme pour les autres yokais (créatures fantastiques), le constat est sans appel. Le Japon moderne en malmenant la nature a détruit ses esprits. Coo s'avère être un fossile "ranimé" par accident qui découvre qu'il est peut-être le dernier de son espèce.

En effet le film n'a rien de folklorique et est au contraire d'une impressionnante profondeur avec une subtilité et une sensibilité assez incroyables. En ces temps troublés où les dégâts que les sociétés "modernes" infligent à la nature sont en train de se retourner contre elles, il est d'une clairvoyance totale en montrant de manière limpide que c'est à eux-mêmes que les hommes se font du mal en maltraitant ainsi le vivant. A la solitude de Coo répond celle de celui qui l'a ranimé et adopté, Kôichi qui est de ce fait mis au ban de son école et harcelé avec sa famille par les médias. L'ambivalence de cette famille vis à vis de la célébrité est d'ailleurs assez révélatrice du genre de mirage dans lesquels se vautrent les sociétés contemporaines. Pour échapper à la curiosité malsaine qu'il suscite et conserver les restes de son père que les humains se sont appropriés, Coo se retrouve dans la même situation que "King Kong" (1932), film auquel Keiichi HARA se réfère visiblement quand il fait escalader à Coo la tour de Tokyo après une cavale en forme de cauchemar urbain. Cavale durant laquelle le seul être totalement intègre vis à vis de Coo, lui aussi une ancienne victime sauvée par Kôichi trouve la mort. Une séquence bouleversante qui m'a fait penser à la nouvelle de Jiro Taniguchi "Avoir un chien" dans le recueil "Terre de rêves".

Mais malgré ses moments durs et son constat implacable sur la nature humaine, montrée dans ses aspects souvent les moins reluisants (intolérance, cruauté, bassesse, égoïsme), le film fait une large place à la complicité qui unit Kôichi et Coo et qui n'est pas sans rappeler le film de Steven SPIELBERG "E.T. L'extra-terrestre" (1982). Kôichi est un être complexe qui évolue tout au long du film en acceptant peu à peu sa nature d'enfant différent de la norme ce qui le conduit à se rapprocher de la pestiférée de sa classe, Kikuchi et à voir le monde autrement. La petite sœur de Kôichi est également admirablement croquée. Alors peut-être que le design des personnages (hors Coo) est moins "finalisé" que dans les studios Ghibli, il n'en reste pas moins que "Un été avec Coo" est une œuvre admirable.

Voir les commentaires

La Saveur des Ramen (Ramen Teh)

Publié le par Rosalie210

Eric Khoo (2018)

La Saveur des Ramen (Ramen Teh)

"La Saveur des Ramen" est un film de commande dont le scénario, simple voire convenu est rehaussé et même transcendé par la façon dont il est accommodé. L'histoire comme je le disais est des plus basique avec pour héros un jeune homme, Masato, issu d'une union mixte qui à la mort de son père japonais découvre le journal intime de sa mère et part en pèlerinage à Singapour sur les traces de son enfance et de sa famille maternelle. Pour nouer des liens avec cette part de son identité quelque peu oubliée/refoulée, la cuisine joue un rôle essentiel. Tous les personnages de l'histoire qu'ils soient singapouriens ou japonais sont restaurateurs ce qui constitue leur langage commun. Les émotions sont traitées par le biais des sens et en particulier du goût (même si la vue des plats met également en appétit). De ce point de vue, on ne peut s'empêcher de penser au film "Les Délices de Tokyo" (2015) qui racontait également une histoire de filiation et de transmission par le biais d'une recette de cuisine. Mais les saveurs sont aussi, comme la petite madeleine de Proust, vectrices de mémoire. Par-delà les réminiscences de Masato et de sa famille maternelle (traitées en flashbacks), le film effectue aussi un rappel historique sur les relations complexes entre le Japon et ses voisins asiatiques faites de traumatismes (le poids de la seconde guerre mondiale durant laquelle le Japon a occupé et martyrisé une grande partie de l'Asie du sud-est) mais aussi d'influences culturelles (on découvre en particulier l'origine chinoise des ramens japonais* et le titre en VO "Ramen Teh" est la recette que Masato expérimente pour sa grand-mère qui mélange les ramens et le Bak Kut Teh, le plat national singapourien). Les personnages sont brossés avec une délicatesse toute asiatique qui compense ce que le film peut avoir par moment d'ouvertement sentimental. Si bien que l'alliage final est réussi comme quoi on peut surprendre, charmer, ouvrir l'appétit et faire réfléchir à partir d'éléments a priori peu ragoûtants ^^^^.

* Ils ont été apportés au Japon par des commerçants chinois à la fin du XIXème siècle et jusque dans les années 1950, on ne parlait pas de ramens mais de « shina soba », soit les « soba chinois.

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>