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Articles avec #cinema finlandais tag

L'Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä)

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2002)

L'Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä)

"L'homme sans passé" est le premier film que j'ai vu de Aki KAURISMAKI et une belle entrée en matière dans son univers attachant et reconnaissable entre tous. Une fable sociale autour d'une renaissance symbolisée par une attention aux petits gestes du quotidien qui n'est pas sans rappeler Yasujiro OZU. M (Markku PELTOLA) nettoie son conteneur-bungalow, récupère un juke-box que l'électricien du campement répare, plante des pommes de terre et les regarde pousser, adopte un chien et apprivoise son maître (nommés respectivement Anttila et Hannibal avec l'humour pince-sans-rire caractéristique du réalisateur) et enfin, rencontre l'amour sous les traits de Irma (Kati OUTINEN, l'actrice-fétiche de Aki KAURISMAKI) qui travaille pour l'armée du salut et vit dans un foyer. La reconstruction personnelle de M qui est amnésique suite à une violente agression subie au début du film quand il débarque à Helsinki est indissociable de la réparation du lien social abîmé par la misère et l'oppression (Aki KAURISMAKI renvoie dos à dos le capitalisme et les institutions). L'armée du salut (la bien nommée) joue le rôle d'infirmier, pas seulement à travers Irma qui restaure la dignité de M en lui donnant des vêtements et un travail mais aussi à travers l'avocat qui vient sauver M de l'emprisonnement parce qu'il ne peut décliner son identité. On croirait entendre Adolphe Thiers en 1850 "Nous avons exclu cette classe d'hommes dont on ne peut saisir le domicile nulle part (...) Mais ces hommes que nous avons exclus, sont-ce les pauvres ? Non, ce n'est pas le pauvre, c'est le vagabond. Ce sont ces hommes qui forment, non pas le fond, mais la partie dangereuse des grandes populations agglomérées." Cette citation éclaire particulièrement bien je trouve la filiation entre le cinéma de Charles CHAPLIN et celui de Aki KAURISMAKI. L'adoption du chien (que l'on retrouve dans son dernier film "Les Feuilles mortes") (2023) et le dernier plan où les amoureux s'éloignent à la manière du final de "Les Temps modernes" (1936) en sont autant d'exemples. "L'Homme sans passé" sous ses airs peu engageants est en réalité gorgé d'espoir. Que ce soit dans le collectif des déshérités qui chasse les voyous responsables de l'agression de M, dans le patron qui comme dans les fables sociales de Frank CAPRA se retourne contre la logique capitaliste pour rendre justice à ses ouvriers ou dans l'amour qui irradie les personnages ou encore dans l'oeuvre d'art totale dont Aki KAURISMAKI est adepte. Comme ses autres films, "L'Homme sans passé" bénéficie d'une esthétique particulière, minimaliste et vintage mais profondément étudiée. Chaque plan est composé et éclairé comme un tableau et la musique rock rythme l'ensemble.

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Les Feuilles mortes (Kuolleet lehdet)

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2023)

Les Feuilles mortes (Kuolleet lehdet)

La projection et les commentaires autour de "The Dead Don't Die" (2018) de Jim JARMUSCH* ne constitue pas seulement le climax hilarant du dernier film de Aki KAURISMAKI (qui a compris le potentiel comique "décalé" du film et en joue fort bien). Il donne une bonne définition de son dernier opus. Avec Hayao MIYAZAKI, celui-ci constitue le plus célèbre vrai-faux retraité du cinéma mondial. Visiblement il n'est pas si simple d'en finir avec le septième art quand celui-ci fait à ce point partie de vous, chacun des deux cinéastes incarnant en prime en tout ou en partie son pays à l'international. Et puis un film qui s'appelle "Les Feuilles mortes" avec deux personnages qui ont tout de zombies, cela ressemble assez au style Aki KAURISMAKI. Des cadres figés, des décors démodés, des couleurs délavées, des visages fatigués, des nouvelles tournant exclusivement autour de la guerre en Ukraine, histoire de rappeler que la Finlande partage une frontière de 1300 km avec la Russie, des rues désertées, un monde du travail déshumanisé, il y aurait de quoi se flinguer. C'est oublier que le monde froid et gris de Aki KAURISMAKI est constellé d'humanisme, d'humour, de touches de couleurs vives et d'amour. Car "Les Feuilles mortes" raconte surtout cela: une histoire d'amour entre deux prolétaires solitaires et malmenés par la vie dont les rencontres, systématiquement contrariées sont ponctuées de chansons et de cinéma. Comme dans ses autres films, la figure tutélaire de Charles CHAPLIN veille sur les amoureux avec une fin entre "Une Vie de chien" (1918) et "Les Temps modernes" (1936).

* Dans "Night on earth" (1991), la dernière séquence se déroulait à Helsinki et mettait en scène un acteur fétiche de Aki KAURISMAKI, Matti PELLONPAA.

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Master Cheng (Masteri Cheng)

Publié le par Rosalie210

Mika Kaurismäki (2019)

Master Cheng (Masteri Cheng)

"Master Cheng", c'est un peu le "Bagdad café" (1987) sino-finnois de Mika KAURISMÄKI, grand frère de Aki KAURISMÄKI. A savoir la rencontre improbable de deux cultures des antipodes dans un petit village perdu, non plus dans le désert des Mojaves mais en Laponie avec pour unité de lieu un restaurant revivifié par la succulente cuisine chinoise et quelques piliers de bistrot pittoresques qui l'initient aux coutumes locales. Jusqu'à ce que l'expiration du visa de Cheng ne mette en péril ce nouvel équilibre: la solution au problème est bien évidemment aussi prévisible que le film lui-même dont l'intrigue est cousue de fils blancs. La gastronomie au cinéma comme moyen de transmission générationnelle ou interculturelle est un thème archi rebattu qui a donné des pépites ("Le Festin de Babette" (1987), "Les Délices de Tokyo" (2015)). "Master Cheng" n'atteint pas ce niveau à cause de ses grosses ficelles scénaristiques mais reste un joli petit film superbement cadré et photographié qui se contemple comme une succession de tableaux que ce soit dans la mise en valeur des paysages ou des plats.

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La vie de Bohème

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (1992)

La vie de Bohème

"La vie de bohème" est l'adaptation toute personnelle par Aki KAURISMÄKI du livre "Scènes de la vie de bohème" de Henry Murger publié en 1851 dont la postérité est surtout due à la popularité de l'opéra de Puccini (ce qui explique sans doute que Aki Kaurismäki ait inséré dans son film une scène où les compagnes des artistes, Mimi et Musette vont à l'opéra, même si c'est pour y écouter du Mozart et faire dire à leurs homme que l'opéra est mort). On peut y ajouter également les allusions explicites à des poètes français ayant vécu ou célébré la vie de bohème (Baudelaire et Rimbaud en premier lieu).

Henry Murger disait que la bohème était impossible en dehors de Paris. Pourtant, il a bien fallu que Aki KAURISMÄKI délocalise son film en banlieue (plus précisément à Malakoff) afin de donner à son film l'esthétique des années cinquante qu'il affectionne particulièrement. Hommage à la France et aux cinéastes français qui l'ont inspiré (René CLAIR, Marcel CARNÉ, Jacques BECKER etc.) "La vie de bohème" est ainsi un étonnant mélange spatio-temporel (comme le sera vingt ans plus tard "Le Havre" (2011)) traitant de problématiques contemporaines à travers un filtre résolument nostalgique et réunissant un casting franco-finlandais dans lequel on distingue André WILMS et Evelyne DIDI que l'on retrouve tous deux dans "Le Havre" (2011). André WILMS dont c'était la première collaboration avec le cinéaste finlandais y interprète d'ailleurs le même personnage, Marcel Marx, un écrivain-philosophe désargenté qui se reconvertira ensuite dans le cirage de chaussures. Les thématiques de l'immigration et de la maladie sont communes au deux films (au travers de son ami peintre Rodolfo et sa compagne Mimi dans "La vie de bohème"). Autre acteur commun, Jean-Pierre LÉAUD qui joue le rôle d'un collectionneur (dans "Le Havre" il se fera délateur). L'humour absurde débité sur un ton pince-sans-rire est savoureux (le "C'est ma mère" dit par un Rodolfo albanais joué par l'acteur finlandais Matti PELLONPÄÄ devant son autoportrait vaut bien Marcel Marx se dépeignant en albinos africain dans "Le Havre") rehaussant un mélodrame résolument mélancolique et sans perspectives autre que la survie au jour le jour mais qui célèbre l'amitié, la solidarité et l'idéalisme un peu fou de ces artistes qui comme le chantait si bien Anne Sylvestre "passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté".

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Juha

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (1999)

Juha

Une décennie avant Michel HAZANAVICIUS et Pablo BERGER, Aki KAURISMÄKI a eu l'idée de réaliser "le dernier film muet du XX° siècle". Tous les éléments formels y sont: noir et blanc de rigueur, jeu et mise en scène expressionniste, cartons et musique remplaçant la parole, format court, intrigue "primitive" qui renvoie à de nombreux grands classiques, en premier lieu D.W. GRIFFITH et F.W. MURNAU (on pense à "L Aurore" (1926) sauf que c'est la fermière qui est ici séduite par un homme de la ville). Cependant, ce n'est pas pour autant un pastiche se contentant de recycler les codes du passé. D'abord parce que la bande-son variée et moderne est en complet décalage avec les images désuètes. D'ailleurs on retrouve l'une des signatures du cinéaste finlandais avec un extrait de concert lorsque l'un des personnages chante en français "Le Temps des cerises" pour suggérer le grand bain de sang à venir. Ensuite parce que les clins d'oeil vont bien au-delà de la période du muet. C'est comme si Aki KAURISMÄKI parvenait à harmoniser le début de "Angèle" (1934) et la fin de "Taxi Driver" (1976) avec un passage progressif d'une histoire "de terroir" ancrée dans une ruralité (presque) intemporelle à un univers urbain de film noir à l'américaine en version stylisée. On peut ajouter aussi l'allusion aux mélodrames de Douglas SIRK qui avait commencé sa carrière en Allemagne sous le nom de Sierk, nom qui est apposé sur la plaque d'immatriculation du véhicule du séducteur-proxénète (André WILMS dont c'était déjà la troisième collaboration avec le cinéaste finlandais). Quant à l'épouse naïve du fermier qui se laisse séduire par les mirages de la vi(lle), elle est interprétée par Kati OUTINEN, l'actrice fétiche du réalisateur.

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Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

Publié le par Rosalie210

Juho Kuosmanen (2021)

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

"Compartiment n°6" confirme l'excellente impression que m'avait faite le premier film de Juho Kuosmanen "Olli Mäki": simplicité (dans la trajectoire et l'intrigue mais aussi le naturel désarmant des personnages et jusque dans le choix du thème principal de la BO, le tube eighties "Voyage, voyage" de Desireless qui résume en plus parfaitement l'esprit du film!!), justesse de ton, finesse d'observation, douceur de l'approche, regard bienveillant et tendre sur les personnages, part d'enfance irréductible qui sait aller à l'essentiel. Je déteste le terme commercial de "feel good movie" mais il est vrai que c'est un film qui fait du bien alors que le cadre a priori n'est pas très, voire pas du tout engageant alors si ça peut inciter plus de gens à franchir le pas et à aller voir ce qui peut réchauffer le corps et l'esprit dans le cinéma scandinave, la Russie et les grands espaces arctiques, c'est déjà ça. Et preuve que le grand cinéma peut être reconnu sous les apparences les plus humbles, "Compartiment n°6" a obtenu le Grand Prix à Cannes. Un prix mérité.

Le générique de "Compartiment n°6" annonce la couleur avec un air entraînant de Roxy Music au titre annonciateur "Love is the drug". Ensuite la première image doit absolument être raccordée à la dernière comme preuve du chemin parcouru. L'une et l'autre donnent son sens au film et montrent combien celui-ci a été pensé.

Dans la première image, on voit Laura, une jeune finlandaise à l'air mélancolique sortir des toilettes d'un appartement moscovite où se déroule une fête mondaine dans laquelle elle se sent visiblement mal à l'aise. Elle paraît aussi déconnectée que Olli Mäki pouvait l'être au milieu du cirque médiatico-sportif organisé autour d'un statut de champion dans lequel il ne se reconnaissait pas. Laura est en effet présentée par son hôtesse russe (et secrètement maîtresse) Irina exactement de la même façon: non pour ce qu'elle est mais pour ce qui peut la faire briller en société: ses études en archéologie et son voyage planifié pour aller voir les pétroglyphes (symboles gravés dans la pierre) de Mourmansk. Voyage qu'elle devait faire avec Irina mais (est-ce surprenant?), celle-ci se défile et la laisse partir seule. Tout au long de son périple éprouvant, Laura ne cessera de tenter de se raccrocher à Irina par téléphone (le film se déroulant en 1996, il n'y a pas de portable mais seulement la possibilité d'utiliser les cabines lors des escales) et se heurtera soit à son indifférence, soit à son silence. Eloquent. 

Dans la dernière image, on voit la même jeune femme (mais est-ce bien la même?) arborer un éclatant sourire jusqu'aux oreilles alors que l'écran est envahi par le soleil, en relation directe avec la déclaration d'amour qu'elle vient de recevoir. Et bien qu'on puisse penser que cela illustre le cliché selon lequel "les voyages forment la jeunesse", le film est beaucoup plus subtil que ça (contrairement à nombre de critiques qui, simplifiant tout à la truelle, ont accusé le film d'enfiler les clichés). En effet la partie ferroviaire de son voyage apparaît surtout comme une épreuve à traverser au point qu'elle est tentée de revenir en arrière. Et on la comprend. Il y a la vétusté du train et du réseau (manque d'eau dans les toilettes, propreté douteuse de la literie, grincements, cahots, lenteur, escales interminables) reflet fidèle de l'état du système ferroviaire russe dans les années 90, l'amabilité très relative de la cheffe de train (bien qu'avec le temps on découvre aussi ses qualités) mais surtout la promiscuité avec les autres voyageurs. Certes, Laura ne voyage pas dans l'entassement des corps de la 3° classe que l'on aperçoit à deux ou trois reprises. Mais dans sa cabine de 2° classe, elle découvre qu'elle va devoir faire tout le voyage avec un certain Lohja et qu'elle ne peut échapper à cette cohabitation (malgré plusieurs tentatives). Et sa première réaction est la peur. Déjà, l'apparence du mec n'est pas rassurante avec son crâne rasé et son visage dur. Mais en plus le jeune ouvrier russe se comporte en butor, étalant sa nourriture, enfilant des litres de vodka, harcelant la jeune femme qu'il prend pour une prostituée (sans doute parce que c'est le seul cadre référentiel qu'il connaît pour les jeunes femmes seules qui prennent le train dans son pays) sans parler de son expression corporelle brusque et de son vocabulaire limité (et ne parlons même pas de sa tête ahurie quand Laura lui parle pour la première fois du but de son voyage!).

Seule la finesse du regard de Juho Kuosmanen permet (surtout quand on est une femme et qu'on ressent par tous les pores le malaise de Laura, son sentiment d'oppression, sa peur de l'agression) de comprendre que la grossièreté se joue en fait dans les deux sens. Quand Laura se retrouve au wagon-restaurant avec Lohja et qu'elle s'empresse de faire de la place à une famille bourgeoise qui vient s'installer à leurs côtés, quand elle quitte le compartiment pour aller téléphoner et emporte toutes ses affaires avec elle de peur qu'il ne la vole, quand elle accueille un finlandais sans titre de transport dans leur compartiment juste parce qu'il présente bien et qu'elle se sent en confiance parce que c'est un compatriote, ce sont autant d'humiliations -des humiliations de classe (bourgeois intello contre ouvrier mais aussi finlandais civilisé contre russe barbare)- que l'on voit Lohja encaisser (et on voit combien cela lui fait mal, c'est ce qui dessine peu à peu la sensibilité du jeune homme sous ses dehors peu engageants). Pourtant la devise de Laura (qui a une caméra et donc adopte parfois le point de vue du réalisateur) est de "croire ce qu'elle voit". Et elle finit par voir aussi que Lohja n'est pas ce qu'il paraît au premier abord. Il s'avère serviable, soucieux d'elle, débrouillard et en même temps maladroit comme un gosse mal grandi, enfermé en lui-même voire même un peu autiste (la scène où il lance des boules de neige dans le vide avant de se casser la figure, son mal-être et sa fuite face aux sentiments et au contact physique lorsqu'il est en état de sobriété). Et lorsque le train arrive à destination, c'est la libération: on passe du confinement claustrophobique du compartiment (le film a réellement été tourné dans un train d'époque, dans des conditions éprouvantes) aux grands espaces vierges, loin de toute civilisation. Et ironie de l'histoire, c'est uniquement grâce à la débrouillardise de Lohja que Laura parvient jusqu'au site archéologique qu'elle souhaitait visiter, tout au bout du monde, dans un endroit inaccessible. Là où hors de tout jugement social, Lohja et Laura, ces deux "loups solitaires" aux prénoms quasi identiques peuvent retrouver un temps leur innocence perdue et communier avec leur véritable nature qui s'avère être identique comme s'il étaient jumeaux. Les acteurs, Seidi Haarla et Youri Borissov tous deux atypiques sont remarquables et ce dernier est fascinant dans la façon dont il peut transformer son visage, celui-ci pouvant ressembler à un homme vieilli avant l'âge ou à un enfant perdu selon les situations dans lesquelles il se trouve. C'est d'ailleurs le visage d'un enfant endormi que Laura dessine lorsqu'elle le représente.

De même que la fin reste ouverte (se reverront-ils, ne se reverront-ils pas?), la nature de la relation entre Laura et Lohja reste volontairement indécise, entre amitié fraternelle et amour. Leur voyage n'est pas sans rappeler "Elle et Lui" de Leo McCarey avec notamment une scène centrale d'escale assez semblable dans laquelle Lohja emmène Laura voir une parente à lui, escale décisive dans l'évolution du regard qu'elle porte sur lui. Un autre film qui a été rapproché de façon pertinente de "Compartiment n°6" est "Lady Chatterley" de Pascale Ferran dans le sens où le rapprochement de deux personnes de condition sociale opposée (une aristocrate raffinée et un garde-chasse fruste) aboutit au final à la même émancipation joyeuse, une joie pure en forme de retour à l'enfance dans la nature, même si celle-ci est forcément éphémère.

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

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Olli Mäki (Hymyilevä Mies)

Publié le par Rosalie210

Juho Kuosmanen (2016)

Olli Mäki (Hymyilevä Mies)

Ca donne quoi, un film de boxe non américano-centré? Et bien un film où la place de la boxe est décentrée justement. C'est le joli pas de côté qu'effectue pour son premier film le réalisateur finlandais Juho KUOSMANEN. C'est en effet avec beaucoup de tendresse pour son personnage (inspiré du véritable Olli Mäki, premier finlandais à avoir boxé en championnat du monde en 1962) et une bonne dose de distance salutaire vis à vis du sport-business et des valeurs qu'il véhicule qu'il nous raconte cette "anti success story". Ou plus exactement qu'il superpose deux récits. Celui véhiculé par les médias, les autorités et l'entraîneur qui instrumentalisent Olli Mäki, que ce soit pour l'argent qu'il peut rapporter, pour vivre une gloire par procuration ou pour des objectifs nationalistes au travers du sport-spectacle. Et celui de Olli Mäki dont la personnalité va complètement à l'encontre de tout ce cirque et des enjeux qui l'accompagnent. Olli Mäki aime boxer et a les qualités athlétiques et techniques requises pour le haut niveau mais il lui manque l'adhésion au sport-business*. C'est au contraire un homme simple, rêveur, contemplatif et amoureux dont le désir véritable est qu'on le laisse vivre en paix. Sa résistance passive à toutes les pressions et sollicitations dont il fait l'objet s'accompagne pour reprendre le slogan d'ATTAC de la vision d'un autre monde possible: le sien, amoureux et poétique (car toutes les scènes où il se régénère seul dans la nature sont extrêmement belles). Lorsque sa voiture tombe en panne au début du film, sa réaction est éloquente. Au lieu de la faire réparer, il prend une bicyclette pour se déplacer avec la fille qu'il aime juchée dessus. Soit la trajectoire inverse de Gianni dans "Nous nous sommes tant aimés" (1974) qui largue bicyclette et fiancée pauvre pour se vendre à la bourgeoisie. Bref "Olli Mäki" sous ses allures de film modeste tient un discours politique très engagé qui fait tout son intérêt.

* Fabien Ollier, auteur de plusieurs livres sur l'aliénation sportive contemporaine et directeur de la publication militante "Quel Sport?" qui critique la domination idéologique du capitalisme sur l'institution sportive définit ainsi le sport-système: "système institutionnalisé de pratiques compétitives à dominante physique réglementées universellement, qui a pour finalité l’émergence du champion, du record, de l’exploit grâce à la mesure normalisée, à la comparaison permanente et à la confrontation mondialisée d’individus typifiés (femmes entre elles, hommes entre eux, non-valides entre eux, vieux entre eux, etc.), hiérarchisés (premier, deuxième, troisième, etc.) et conditionnés (« valeurs », « lois », méthodes, techniques). Ce système unifié qui n’est en rien réductible à la somme des pratiques sportives qu’il diffuse, repose sur une bureaucratie (des permanents, des technocrates, des gestionnaires, des managers, des « experts », etc.), des capitaux importants (fonds d’investissement, partenariats commerciaux, sponsors, caisses noires, etc.) et des techniques de propagande (spectacles, publicité, exhibitions, mythes, bavardages, ­commérages, etc.). Soit exactement ce que rejette Olli Mäki dont on ressent le malaise dès qu'il s'agit de faire des photos publicitaires ou le décalage avec le discours attendu dès qu'il participe à une conférence de presse et ce malgré les efforts de son entraîneur pour qu'il rentre dans la norme.

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L'autre côté de l'espoir (Toivon tuolla puolen)

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2016)

L'autre côté de l'espoir (Toivon tuolla puolen)

J'aime bien le cinéma de Aki KAURISMÄKI dont les codes particuliers peuvent constituer un frein à l'adhésion du spectateur mais qui si on y entre a beaucoup à offrir. "L'autre côté de l'espoir" son dernier film en date est le deuxième volet d'une trilogie sur les migrants après "Le Havre" (2011) (on ne sait pas si il y en aura un troisième, Aki KAURISMÄKI ayant exprimé son souhait d'arrêter de faire des films). Fable humaniste comme l'était aussi "Le Havre" (2011), "L'autre côté de l'espoir" raconte la rencontre entre un migrant syrien débouté du droit d'asile et un finlandais quinquagénaire qui a décidé de refaire sa vie en tentant sa chance dans la restauration après avoir gagné au poker. Aki KAURISMÄKI conjugue avec bonheur réalisme social et politique (misère, violences racistes, témoignage frontal des horreurs de la guerre et de l'absurdité de la machine administrative) et décalage poétique créant un effet de distanciation salutaire (aspect rétro des décors dépouillés dont l'ameublement semble sorti de chez Emmaüs, minimalisme de personnages marqués physiquement mais peu bavards et peu expressifs, couleurs froides, mise en scène épurée, interludes musicaux rock et humour burlesque omniprésent désamorçant tout pathos)*. Le résultat est un film d'apparence froide mais généreux en réalité, mettant en avant la bienveillance et la solidarité des individus face à l'absurdité d'un système arbitraire dont Aki KAURISMÄKI se paye la tête (il affirme que la situation syrienne ne justifie pas la délivrance d'un titre de séjour alors que la scène suivante montre évidemment le contraire) et dont de simples citoyens finlandais déjouent les mécanismes à la manière des résistants de la seconde guerre mondiale mais sans avoir l'air d'y toucher (fabrication de faux papiers, aide à l'évasion, emploi au noir etc.) Quant aux tentatives de mutations mondialistes du restaurant vieillot racheté par le finlandais quinquagénaire, elles constituent les passages les plus drôles du film.

On distingue au moins deux grandes influences dans le cinéma de Aki KAURISMÄKI. L'une, américaine, vis à vis des grandes figures du burlesque muet (Charles CHAPLIN, figure du vagabond tutélaire de tous ses films et Buster KEATON pour le caractère impassible des personnages) et l'autre française, vis à vis du courant réaliste poétique à qui Aki KAURISMÄKI a rendu un hommage appuyé dans "Le Havre" (2011) (avec un personnage féminin appelé Arletty!) mais aussi vis à vis des polars minimalistes de Jean-Pierre MELVILLE et des films non moins dépouillés de Robert BRESSON.

 

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Le Havre

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2011)

Le Havre

Le regard décalé et distancié du réalisateur finlandais Kaurismäki peut déconcerter car il est anti-réaliste au possible. Jeu blanc/inexpressif des acteurs à la Bresson, décors minimalistes datés, atmosphère (atmosphère!) tout droit sortie d'un film de Marcel Carné (qui avait tourné "Quai des brumes" au Havre et à qui Kaurismäki rend un hommage appuyé au travers du personnage d'Arletty), objets et costumes rétros (toujours en hommage à un certain cinéma français: Becker, Melville...), personnages de fable se réduisant à quelques traits archétypaux (le délateur, le clandestin, le policier, l'artiste-bohème), humour pince-sans-rire, il y a de quoi se sentir dépaysé dans son univers.

Il serait dommage cependant d'être arrêté par ces conventions. La réalisation de Kaurismäki est avant tout pudique et respectueuse de l'humain. Par exemple s'il a refusé le réalisme lors de la scène où l'on découvre les migrants dans le conteneur c'est pour leur redonner une dignité. Ce simple choix de mise en scène est en soi un engagement (contre le voyeurisme et le misérabilisme). Il en est de même avec l'esthétique dépouillée et datée. Elle permet de mettre la relation humaine au centre tout en ayant valeur d'engagement contre le matérialisme (ce n'est pas pour rien que le personnage principal s'appelle Marcel Marx.) Enfin le "masque" des acteurs ainsi que la brièveté de leurs dialogues poursuit le même objectif de concision, de dépouillement, de réduction à l'essentiel. Il ne faut pas en déduire pour autant que le film est dépouillé de chaleur humaine. C'est même tout le contraire: il magnifie le lien, la chaîne de solidarité, le partage. Et l'art. Le bienveillant commissaire s'appelle Monet en hommage au peintre impressionniste qui a souvent installé son chevalet au Havre. Et une authentique star locale "Little Bob" fait un concert de rock qui attire la foule pour réunir les fonds nécessaires au départ du jeune clandestin pour l'Angleterre.

Le magazine Première a très bien résumé "Le Havre": "Symbole de ce cinéma qui n’obéit à aucun canon, Marcel Marx (André Wilms, génial) est, pour paraphraser un slogan de Mai 68, 'marxiste tendance Groucho' : à côté de la plaque sur bien des points mais raccord sur l’essentiel".

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