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Articles avec #cinema espagnol tag

Blancanieves

Publié le par Rosalie210

Pablo Berger (2012)

Blancanieves

"Blancanieves" c'est une version années 1920 de Blanche-Neige* qui emprunte son vocabulaire au cinéma muet et au "Freaks" (1932) de Tod BROWNING, le tout transposé dans l'Andalousie de la corrida et du flamenco. Comme les mythes, les contes sont plastiques et peuvent donc être accommodés à toutes les sauces. Celle de Pablo BERGER est un bel objet d'art très élégant, très travaillé mais qui manque de sens et d'incarnation. L'ensemble donne une terrible impression de formol, le réalisateur semblant plus obsédé par la forme de son film que par son contenu. Les personnages relèvent de la simple imagerie alors que leurs relations pouvaient donner lieu à une exploration de thématiques subversives qui sont à peine effleurées (l'impuissance du père, la marâtre manipulatrice et castratrice, la relation trouble de Carmen avec les nains, la nécrophilie avec un parallèle qui apparaît notamment à la fin avec "Vertigo") (1958). Reste outre la photographie, un art du découpage cinématographique et des transitions assez bluffant qui donne lieu à de belles idées de mise en scène: le mauvais présage lors de la corrida, la superposition du visage de la mère et de celui de la marâtre ou encore la robe blanche de communion qui devient celle, noire du deuil.

* Avec quelques réminiscences de "Cendrillon" et de "La Belle au bois dormant" dedans.

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Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2019)

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

On parle ces derniers temps davantage de la guerre civile espagnole de 1936-1939. C'est une bonne nouvelle. A titre personnel déjà puisque je suis une descendante de réfugiés "espagnols" (catalans en réalité), terme que j'ai entendu toute mon enfance sans comprendre ce que cela signifiait. Mais c'est aussi une bonne nouvelle pour l'Espagne qui effectue depuis quelques années un gros travail de mémoire pour comprendre et guérir de son passé. C'est enfin une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde de comprendre les mécanismes qui en quelques années ont balayé une démocratie au profit d'une terrifiante dictature militaire qui est d'ailleurs indissociable du nazisme. Chacun sait que la guerre d'Espagne servit de test à Hitler pour la future guerre qu'il entendait mener en Europe. Le film de Alejandro AMENÁBAR n'évoque pas le symbole de Guernica mais il montre le soutien logistique que les nazis apportèrent aux franquistes ainsi que leur rôle dans la désignation du général Franco comme chef de la rébellion et ensuite de l'Espagne. Celui-ci est d'autant plus inquiétant qu'il n'est qu'une ombre insaisissable dans le film, ses généraux s'exprimant à sa place.

Croire que cette histoire est derrière nous, c'est se tromper lourdement. En effet ce qui permet l'installation durable d'une dictature, c'est moins la détermination de ses partisans que les divisions et l'inaction de ceux qui prétendent être ses ennemis. Leur faiblesse, leur lâcheté, leur aveuglement. C'est ce que démontre Alejandro AMENÁBAR par l'exemple, celui du grand écrivain Miguel de Unamuno (Karra ELEJALDE) incapable de regarder en face le vrai visage de la barbarie. Il incarne le naufrage de la pensée de nombre d'intellectuels tellement terrifiés par le communisme (et l'éclatement de l'Espagne) qu'ils étaient incapables de comprendre la vraie nature de la peste brune sous son visage rassurant de retour à "l'ordre" et aux vraies valeurs (monarchie, catholicisme, nationalisme). Pourtant, peu à peu Unamuno va être confronté à la réalité de l'idéologie du régime qui s'annonce. Une idéologie ayant tracé une frontière entre les "bons espagnols" franquistes et les autres, exclus de la communauté nationale avant d'être arbitrairement arrêtés et exécutés sans jugement pour leurs opinions de gauche, leur appartenance à la franc-maçonnerie, à la communauté juive ou au protestantisme. L'extrême-droite française désignera sous Vichy les mêmes groupes comme faisant partie de "l'anti-France". Unamuno voit ainsi disparaître un à un ses anciens élèves et ses meilleurs amis en faisant l'autruche jusqu'à ce qu'il se retrouve seul. Il finit quand même dans un ultime sursaut par s'engager publiquement contre le franquisme ce qui lui vaut d'échapper in-extremis au lynchage. Ses mots "vous vaincrez mais ne convaincrez pas" s'avèrent prophétiques puisqu'ils annoncent une guerre civile qui a continué sous une forme larvée durant tout le règne de Franco. Unamuno s'insurge également contre la culture de mort des fascistes, le général Millan Astray (Eduard FERNÁNDEZ) rétorquant d'ailleurs par un "Viva la muerte" ("Vive la mort") qui était l'un des slogans des fascistes (d'autres versions rapportent des propos similaires à ceux qui étaient souvent proférés par les nazis "quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver").

Aussi même si le film de Alejandro AMENÁBAR reste classique dans sa forme, son interprétation et son scénario valent largement le détour, interrogeant les dérives du passé comme celles d'aujourd'hui avec pertinence.

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Les Autres (The Others)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2001)

Les Autres (The Others)

"Les Autres" suggère dès son affiche la coexistence de deux mondes incompatibles à la manière du tableau surréaliste de Magritte "L'Empire des lumières". Il y en a effet deux sources de lumière dans "Les Autres": celle qui émane des lampes à pétrole qui éclairent l'intérieur d'un manoir sinistre où vivent en reclus et hors du temps Grace (Nicole KIDMAN) et ses enfants au milieu d'une île plongé dans un épais brouillard. Et celle de la lumière du jour qui leur est interdite car les enfants de Grace, frappés par une mystérieuse maladie ne peuvent la supporter. Tels des vampires, ils vivent donc rideaux tirés sans voir personne excepté trois domestiques étranges qui un jour viennent taper à leur porte et semblent bien les (re)connaître. Malgré toutes les précautions de Grace qui semble toujours sur le qui-vive pour protéger ses enfants, la lumière extérieure (celle de la vérité?) finit par s'immiscer dans leur lugubre prison.

"Les Autres" vaut surtout pour ses qualités formelles. A l'image du manoir victorien aux pièces plus épurées les unes que les autres, le cinéaste a puisé son inspiration chez Alfred HITCHCOCK (avoir choisi Nicole KIDMAN pour interpréter un personnage qui s'appelle Grace n'est certainement pas une coïncidence) et Jack CLAYTON. "Les Autres" est en effet une variante de "Les Innocents" (1961) lui-même tiré du livre de Henry James, "Le Tour d'écrou". Le fantastique est suggéré par la mise en scène, la bande-son et l'atmosphère qui est le point le plus remarquable du film comme je l'ai signalé plus haut. Reposant comme "Sixième sens" (1999) sur un complet renversement de perspective final, "Les Autres" fait le choix de l'illusionnisme en mettant les fantômes sous le nez du spectateur mais en les rendant aussi invisibles que "La Lettre" d'Edgar Allan Poe.

Toutefois si le travail formel est brillant, les films qui ont servi de modèles à Alejandro AMENÁBAR lui sont supérieurs car il manque à "Les Autres" un véritable substrat humain. De ce point de vue, on reste en surface et c'est dommage.

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Le charme discret de la bourgeoisie

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1972)

Le charme discret de la bourgeoisie

"Le Charme discret de la bourgeoisie" est fondé sur un acte manqué. Ou plus précisément sur des variations autour d'un même acte manqué. Un acte manqué extrêmement révélateur puisqu'il s'agit pour les six personnages de l'histoire de parvenir à dîner ensemble. Or soit ils se ratent, soit le repas est interrompu, soit les nourritures et boissons sont factices ou manquantes. Que signifie cet enchaînement de contretemps et de mésaventures? Le repas fait référence au besoin animal de l'homme de manger tout en étant enrobé dans une série de codifications qui le transforment en rituel social. Pourtant à chaque fois, celui-ci déraille alors que pourtant jamais les personnages ne perdent la face et je dirais même la façade. Car ils sont si bien dressés à tenir leur rôle social qu'à un moment donné, ils se retrouvent littéralement en situation de représentation théâtrale. Cependant derrière le vernis mécanique des politesses, de la bienséance et des phrases toutes faites pleines... de vacuité autour de la peur du gigot trop cuit ou de la forme la plus appropriée du verre pour le dry-martini, la réitération de l'impossibilité d'accomplir l'acte le plus élémentaire de l'existence qui est de manger (de "croquer la vie" en somme) suscite un malaise croissant. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la bourgeoisie, tellement pourri que ces gens-là pourraient finalement bien n'être que des spectres condamnés à errer sans fin sur une route de campagne. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas la conscience tranquille au vu du nombre de cauchemars qui viennent régulièrement s'insinuer dans la narration. Cauchemars dans lesquels les masques tombent: on se dit ce que l'on pense, on s'entretue ou on est tué par ceux-là même que l'on méprise (et craint) le plus, les "gens du peuple" qui "ne sont pas éduqués" mais qui savent saisir une mitraillette et s'en servir quand il le faut (comme dans le final de "La Cérémonie (1995) de Claude CHABROL auquel on pense, ne serait-ce que par la présence de Stéphane AUDRAN au casting). On est également puni par une Justice qui délivrée de la "realpolitik" (incarnée par Michel PICCOLI en ministre de l'intérieur) peut faire correctement son travail et arrêter un par un cette bande de "gens distingués" qui ne sont en réalité que des fripouilles ayant fait fortune sur le trafic de drogue grâce à leur collusion avec l'ambassadeur d'une fictive république latino-américaine corrompue aussi impitoyable avec les opposants de gauche qu'elle est accueillante vis à vis des anciens nazis. Une scène extrêmement jouissive dans un film satirique et onirique lui-même corrosif et réjouissant en plus de sa liberté de ton et de sa perpétuelle inventivité.

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Les Etreintes brisées (Los abrazos rotos)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2009)

Les Etreintes brisées (Los abrazos rotos)

 "Les Etreintes brisées" est un film sur le cinéma, celui qui a nourri Pedro Almodovar mais aussi celui qu'il a créé. En effet il s'autocite (ou plutôt s'autoparodie) dans la mise en abyme du tournage de "Filles et valises" qui est un remake inavoué de "Femmes au bord de la crise de nerfs" utilisant le même format et dans lequel rien ne manque, ni le lit brûlé, ni le gaspacho aux somnifères, ni le dangereux séducteur, ni Rossy de Palma qui vient faire un cameo comme d'autres actrices emblématiques du cinéaste. Par exemple dans "Les Etreintes brisées", Lola Duenas n'est pas doubleuse comme l'était Carmen Maura dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" mais elle lit sur les lèvres ce que dit Lena (Penelope Cruz) pendant le tournage de "Filles et valises" et le rapporte à Ernesto, son amant jaloux qui la soupçonne de le tromper avec le réalisateur, Mateo Blanco. Ernesto la fait donc filmer à son insu entre les prises par son fils, Ernesto junior. Car "les Etreintes brisées" y va aussi à fond dans la pulsion scopique façon Hitchcock ou De Palma ou Powell ("Le Voyeur" est cité explicitement et Léna porte même des yeux comme motif sur ses boucles d'oreille). Sauf que si Ernesto senior est le macho type qui n'hésite pas à pousser Lena dans les escaliers pour qu'elle n'appartienne pas à un autre, son fils qui reste longtemps sous son emprise est un gay mal dans sa peau qui va peu à peu affirmer le caractère réparateur de sa caméra et s'émanciper de la tutelle de son père (au point de changer de nom pour le pseudo "Ray X"). C'est grâce à son film et à la confession de Judit, l'agent de Mateo Blanco qui a préservé les bobines de "Filles et valises" au nez et à la barbe d'Ernesto que celui-ci va sortir des limbes en tant que réalisateur. En effet son accident d'automobile en le privant de la vue et de sa muse l'avait dépossédé de son identité, ne lui laissant que son pseudo d'écrivain de séries B, Harry Caine. Enfin c'est Mateo qui sort Lena de son statut de prostituée en la transformant en icone, mi Audrey Hepburn, mi Marilyn Monroe (et lorsqu'il a perdu la vue, on découvre qu'il est également très sensible à la voix de Jeanne Moreau). Une icone dont l'amour pour Mateo est immortalisé par le film d'Ernesto junior qui comme Mateo Blanco est un double d'Almodovar (dans un parallèle avec "Voyage en Italie" sur les amants de Pompéi dont l'étreinte éternelle tranche avec l'éloignement du couple formé par Ingrid Bergman et George Sanders.) "Les Etreintes brisées" est donc un mélodrame sirkien redoublé par un méta-film en forme de labyrinthe mental peut-être un peu trop cérébral et sophistiqué mais néanmoins très intéressant à suivre.

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Talons aiguilles (Tacones lejanos)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1991)

Talons aiguilles (Tacones lejanos)

Après "Femmes au bord de la crise de nerfs", "Talons aiguilles", le dixième long-métrage de Pedro Almodovar a marqué un nouveau tournant dans sa carrière en lui ouvrant les portes de la reconnaissance internationale. "Talons aiguilles" est un film de transition entre ses œuvres de jeunesse transgressives et kitsch et les films de la maturité plus sombres et mélancoliques. C'est aussi un film qui fusionne plusieurs genres, notamment le mélo sirkien et le thriller hitchcockien (une image extraite du générique de "Vertigo" est d'ailleurs insérée dans le générique) avec une esthétique de télénovela et une identité LGTB affirmée. Ainsi le "body trouble" de l'histoire est un juge barbu le jour qui devient transformiste la nuit en imitant le personnage interprété par Marisa Paredes (la performance de Miguel Bosé est assez hallucinante). A cela il faut ajouter le thème central des relations compliquées entre Becky (Marisa Paredes) une mère narcissique et distante qui a tout sacrifié à sa carrière (le titre en VO est "Talons lointains") et qui cherche à se racheter et sa fille Rebeca (Victoria Abril) que le manque d'amour et la soif de reconnaissance conduit à s'accaparer et/ou à assassiner les amants de sa mère puis à tomber dans les bras de celui qui se fait passer pour elle. Si l'ensemble n'est pas complètement abouti (on sent que Almodovar se cherche encore à travers les références qu'il cite, notamment Bergman), le film est tout de même suffisamment généreux en scènes fortes, émouvantes, jubilatoires, sensuelles ou érotiques avec quelques séquences musicales d'anthologie ("Piensa en mi" chanté par Luz Casal est devenu un hit) pour demeurer l'un des films importants de son réalisateur.  

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Femmes au bord de la crise de nerfs (MUJERES AL BORDE DE UN ATAQUE DE NERVIOS)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1988)

Femmes au bord de la crise de nerfs (MUJERES AL BORDE DE UN ATAQUE DE NERVIOS)


"Femmes au bord de la crise de nerfs" est le premier succès international de Pedro ALMODÓVAR. C'est un film-charnière dans sa filmographie entre ses premiers films underground et ses films ultérieurs qui lui valurent la reconnaissance critique et publique.

"Femmes au bord de la crise de nerfs" est une comédie burlesque et déjantée assez irrésistible encore aujourd'hui. Même si on s'est habitué au style flamboyant, kitsch et trash de Almodovar, ça marche toujours. Il faut dire que derrière les ficelles (très efficaces) du vaudeville pimenté au gaspacho bourré de somnifères ^^, le film distille une certaine mélancolie teintée de désillusions sur l'amour. Almodovar utilise la mise en abyme du cinéma hollywoodien des années 50 (avec un extrait de "Johnny Guitare" (1954) de Nicholas RAY) pour donner du relief aux mensonges des formules sentimentales stéréotypées qu'affectionnent les machos du genre d'Ivan, l'amant de Pepa (Carmen MAURA) qui la quitte pour une autre femme mais est trop lâche pour le lui avouer. Celle-ci qui est tout d'abord dévastée et hystérique (l'appartement de ses amours avec Ivan en fera d'ailleurs les frais) va effectuer un cheminement (aidée par une copine loufoque, Carmela, Carlos, le fils bègue d'Ivan, joué par Antonio BANDERAS, la "belle endormie" qui lui sert de petite amie jouée par Rossy DE PALMA, une avocate soi-disant féministe, la mère de Carlos jalouse et meurtrière et enfin un chauffeur de taxi déjanté) au bout duquel elle sortira la tête haute, libérée du boulet qu'elle portait au pied et qu'elle peut désormais considérer avec indifférence. Le film se termine ainsi dans l'apaisement.

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Douleur et gloire (Dolor y gloria)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2019)

Douleur et gloire (Dolor y gloria)

 "Douleur et gloire" est un film intimiste et introspectif où Pedro Almodovar poursuit sa réflexion sur les relations qu'entretiennent l'art et la vie à partir d'un personnage que l'on devine être le double de lui-même. Il aurait pu s'appeler également "De la dépression au désir" tant ce dernier s'avère crucial dans le processus créatif comme le souligne la société de production de Pedro Almodovar qui s'appelle El Deseo. Ainsi la panne d'inspiration de Salvador Mallo (Antonio Banderas), un réalisateur vieillissant et angoissé est indissociable de sa dépression. A l'inverse, la remontée progressive du fil de ses souvenirs (le premier flashback, magnifique et lumineux se déroule d'ailleurs au bord d'une rivière et convoque le personnage central de la mère jouée dans ses jeunes années par l'actrice fétiche de Petro Almodovar, Penelope Cruz) ponctuée de retrouvailles, de réminiscences et de réconciliations l'entraîne jusqu'au "premier désir", un nouveau scénario qui s'avère être la chair du film que nous regardons. Et ce n'est pas la seule mise en abyme du film, il y en a beaucoup d'autres. Certaines fournissent des pages entières de scénario, d'autres sont à peine esquissées. Deux m'ont particulièrement touchée. La première est suggérée par un simple mouvement de caméra au tout début du film qui suit le fil d'une cicatrice, celle qui barre de bas en haut le torse d'Antonio Banderas. De cette cicatrice, il n'en sera ensuite plus question, car elle est recouverte par la multitude de maux psychosomatiques égrenés par Salvador Mallo, persuadé d'être atteint d'une maladie grave et addict aux drogues et aux médicaments. A la fiction de l'hypocondrie s'oppose ainsi une réalité bien charnelle: celle du corps scarifié de l'acteur après l'opération du cœur qui a suivi sa crise cardiaque en 2017. La seconde concerne les relations entre Salvador Mallo et Alberto Crespo (Asier Etxeandia), un acteur qu'il a dirigé 30 ans plus tôt mais avec lequel il s'est ensuite brouillé. Il parvient à le retrouver et à se réconcilier avec lui. Alberto qui traverse lui aussi un passage à vide créatif (rempli par la drogue) lui propose de jouer au théâtre l'un de ses scénarios auto-fictionnel, "L'Addiction" évoquant le grand amour perdu de Salvador. La représentation (qui est à la fois théâtrale et cinématographique comme pour souligner leurs deux personnalités) sonne comme une double renaissance. En tant que vecteur d'émotions pour Alberto et en tant que sujet désirant pour Salvador puisque à peine évoqué, son ex, Federico (Leonardo Sbaraglia) se matérialise miraculeusement, d'abord devant son double de fiction, puis devant lui.  Comment ne pas y voir un reflet de la relation entre Pedro Almodovar et Antonio Banderas, lequel joue devant nous ce que nous savons être une histoire très proche de la vie de l'auteur en se confondant le plus possible avec lui ou plutôt en se fondant en lui car même s'il a revêtu ses habits et s'est entouré de ses objets familiers, il s'agit d'un don de soi, un don absolu, qui, lorsqu'il a lieu entre un réalisateur et son acteur/actrice touche au sublime. Et ce après une très longue période de séparation (22 ans) et des retrouvailles compliquées sur le tournage de "La piel que habito" (2011). C'est pourquoi il n'est guère étonnant que ce soit pour ce rôle qu'il ait obtenu la consécration à Cannes, lui qui n'avait jusqu'ici jamais remporté de récompense majeure et qu'il ait déclaré que c'était aussi le prix de Pedro Almodovar.

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The Bookshop

Publié le par Rosalie210

Isabel Coixet (2017)

The Bookshop

Ne pas se fier aux apparences: en dépit de son titre, de son casting, de sa géographie, de son style, il ne s'agit pas d'un film d'origine britannique. Le trouble n'en est que plus grand. Comme l'américain James Ivory, l'espagnole Isabelle Coixet a fait sien l'ADN du film historique british: tempo contemplatif, grande part laissée aux silences, non-dits et sous-entendus, cruauté feutrée, extrême pudeur dans l'expression des sentiments.

L'intrigue du film est très simple à résumer. A la fin des années 50, Florence Green, une veuve passionnée de littérature (Emily MORTIMER) décide de s'installer dans la Old House de la petite ville de Harborough pour y ouvrir une librairie. Mais elle se heurte immédiatement à l'hostilité des notables locaux et en particulier de Violet Gamart (Patricia CLARKSON) qui la considère comme un inacceptable corps étranger qu'elle ne peut contrôler. Elle lui fait donc une guerre d'usure dans laquelle les forces sont déséquilibrées. Violet est une femme de pouvoir, au cœur d'un réseau d'influences alors que Florence est une solitaire dont la puissance est intérieure et non pas sociale ou politique. Pas étonnant qu'en dehors de la petite fille qui l'aide à la boutique son seul allié soit l'ermite misanthrope du village, Edmund Brundish (Bill NIGHY absolument magnifique) qui vit reclus et passe ses journées à lire. Un écorché vif qui par le biais de la lecture trouve en Florence une âme sœur. Mais ces âmes sensibles n'ont pas leur place à Harborough (en ont-elles une quelque part d'ailleurs?). La bourgade fonctionne de façon communautariste et l'emprise des bourgeois sur le reste des habitants y est très forte. La différence y est bannie.

"Là ou l'on brûle des livres, on brûle aussi des hommes" disait Heinrich Heine en 1823. Cette maxime se vérifie dans le film, l'allusion à "Farenheit 451" de Ray Bradbury n'y est certainement pas fortuite, pas plus que celle à "Lolita" de Nabokov. La répression de l'esprit va de pair avec celle du corps. Tous les personnages sont de grands frustrés qui pallient leur souffrance soit en s'échappant hors du monde réel, soit en écrasant les autres. La rencontre d'Edmund et de Florence sur la plage ou le premier fait comprendre à la seconde qu'il va sortir de son silence pour la défendre est d'une grande intensité. Il en va de même du long moment silencieux ou Violet Gamart savoure de le tenir entre ses griffes et d'avoir le pouvoir de le broyer. 

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Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1999)

Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre)

L'art d'Almodovar est celui de la transfusion sanguine. C'est exactement ce que montre le générique de "Tout sur ma mère". C'est l'art d'effacer toutes les dichotomies, toutes les frontières au profit d'un continuum. Un seul et même flux lie masculin et féminin, homosexualité et hétérosexualité, vie et mort, maman et putain, Madrid et Barcelone, sacré et profane, spirituel et charnel, planches et coulisses, théâtre et rue. C'est ce flux qui unit des personnages à priori disparates. Manuela la mater dolorosa (Cecilia Roth), sœur Rosa (Penelope Cruz), le père de leurs fils Estéban-Lola (Toni Canto) et Agrado le travesti (Antonia San Juan) ont en commun un altruisme poussé à l'extrême. Chacun s'élève en sacrifiant (sanctifiant?) quelque chose de lui-même (transformations corporelles, dons d'organe, maladie mortelle...) Par ailleurs, chacun de ces personnages entretient un lien fort avec le monde de l'art et de la fiction ce qui les lie à une actrice, Huma Rojo (Marisa Paredes). Actrice de théâtre mais aussi actrice du drame qui les frappe. Le travail de l'actrice est aussi un don de soi ce qui explique les hommages d'Almodovar à celles qui étaient capables de s'abandonner corps et âme à la caméra comme Romy SCHNEIDER et Gena Rowlands (la séquence dramatique qui lance véritablement l'intrigue est une citation directe d'Opening night.) D'autre part le titre fait référence à celui du film de Mankiewicz "All about Eve", en montre un extrait et rend hommage à Bette Davis qui jouait le rôle principal. "Tout sur ma mère" est en effet le reflet inversé de "All about Eve" car Manuela (assistante un temps d'Huma Rojo puis doublure de Stella dans la pièce de Tennessee Williams) n'est que générosité là où Eve n'était qu'arrivisme. 

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