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Articles avec #cinema d'asie tag

L'Invaincu (Aparajito)

Publié le par Rosalie210

Satyajit Ray (1956)

L'Invaincu (Aparajito)

"L'Invaincu" est la suite de "La Complainte du sentier" (1955). Elle n'était pas prévue à l'origine mais le succès du premier film conduisit Satyajit RAY à réaliser une trilogie se faisant le miroir des transformations de la société indienne. Dans cet opus de transition, on voit en effet la famille d'Apu continuer à se déliter sous le poids du passé, de l'ignorance et du déracinement. Leur déménagement dans la ville sainte de Bénarès, baignée par les eaux du Gange ne leur apporte pas les bienfaits attendus. La symbolique de l'eau sacrée qui s'avère être un poison mortel est de ce point de vue lourde de sens et souligne l'obscurantisme religieux. Et le retour à la campagne s'avère être un recul dans l'ambiance du premier film avec le poids de la famille et des traditions qu'il faut perpétuer.

Mais Apu ne veut plus de ce destin qui, il le pressent, va le conduire à sa perte comme pour sa soeur et son père. Il ne veut plus rester en dehors de l'histoire en marche, symbolisée par la train. L'école et les opportunités qu'elle offre sera sa planche de salut, lui permettant de s'échapper à Calcutta pour y faire des études et s'inventer une autre vie, tracer son propre chemin plutôt que de suivre le sentier du premier film. Mais ce faisant, il laisse sa mère en arrière qui accablée par ses malheurs successifs n'a plus que lui au monde et dépérit en constatant qu'il lui échappe. C'est ce choix douloureux et le déchirement qui en résulte qui constitue le coeur battant du film. En montant à la ville, en se séparant de sa famille et en refusant de reprendre le métier de son père, Apu s'occidentalise, au grand dam du public indien de l'époque que ce comportement individualiste (qui est aussi un réflexe de survie) a pu choquer. Ajoutons que s'il est moins stupéfiant de beauté que "La Complainte du sentier" (1955), "L'invaincu" n'est pas avare de fulgurances poétiques que ce soit la fascination que la vie grouillante au bord du Gange filmée dans un style néoréaliste peut exercer sur le spectateur, l'envol de corbeaux au moment de la mort du père où ces plans terribles sur le visage douloureux de la mère qui contemple l'aube de la vie de son fils et les lucioles de son crépuscule à elle. L'interprétation de Karuna Banerjee est si possible encore plus poignante que dans le premier film.

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La Complainte du sentier (Pather Panchali)

Publié le par Rosalie210

Satyajit Ray (1955)

La Complainte du sentier (Pather Panchali)

Lorsqu'en 2013 je suis allée voir (et revoir tant elle était riche) l'exposition "Musique et cinéma" à la cité de la Musique, il y avait deux extraits de films indiens musicaux mais aux antipodes l'un de l'autre: "Devdas" (2002) représentait la magnificence et la démesure du film de studio bollywoodien avec un extrait mêlant danse et chanson alors que "La complainte du sentier" bercé par le sitar deRavi SHANKAR au contraire se distinguait par son caractère naturaliste. L'influence du néoréalisme italien est en effet palpable dans le film qui est tourné en décors réels, avec des acteurs amateurs et peu de moyens ainsi que celle de Jean RENOIR que Satyajit RAY rencontra au moment où il tournait "Le Fleuve" (1951) à Calcutta et qui lui donna la confiance nécessaire pour tourner son premier long-métrage en dehors des canons en vigueur dans son pays. Les personnages de "La complainte du sentier" sont pris comme ceux de "Une partie de campagne" (1946) entre le marteau (de la nature lorsqu'elle se déchaîne) et l'enclume (de la société).

Néanmoins ces influences revendiquées qui sont aussi des repères pour le cinéphile occidental (ce n'est pas un hasard si Satyajit RAY a été primé à Cannes pour le film) n'empêchent pas le film d'avoir son identité propre, irréductible. "La complainte du sentier" est un film magnifique qui capture l'essentiel de la vie, avec ses joies et ses peines d'une famille très pauvre vivant dans un petit village du Bengale perdu dans la forêt au début du XX° siècle. En dépit de quelques signes de modernité venus de la ville (fils électriques et train), les personnages vivent hors du temps, selon des coutumes séculaires. Mais l'incapacité manifeste du père à subvenir aux besoins de sa famille et notamment à entretenir la maison de ses ancêtres ainsi que l'absence de solidarité des voisins pourtant mieux nantis finit par ébranler cette famille dans ses fondements et la pousser à l'exil, donc au changement (d'où le fait logique que "La complainte du sentier" soit devenu le premier volet d'une trilogie). Les deux enfants, Durga et Apu qui se retrouvent coincés entre un père qui fuit ses responsabilités et une mère au contraire accablée par les soucis matériels tentent de s'en sortir comme ils le peuvent. Alors qu'en tant que garçon, Apu est le mieux loti (il va par exemple à l'école), c'est sa soeur qui s'avère la plus énergique et débrouillarde* bien que pourtant son destin ne cesse de s'assombrir. Apu saura s'en souvenir le moment venu.

* C'est la seule à s'inquiéter par exemple de la vieille tante Indir qui bien que n'ayant que la peau sur les os est considérée comme un boulet par la mère qui ne cesse de la chasser de la maison.

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The Householder

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1963)

The Householder

"The Householder" ("Le chef de famille") est le premier film du fameux trio composé du réalisateur James IVORY (qui n'avait alors réalisé que des documentaires), du producteur Ismail MERCHANT et de la scénariste Ruth PRAWER JHABVALA qui a adapté son propre roman. Contrairement aux films ultérieurs du trio situés en Inde, plus multiculturels et multiethniques (et plus pessimistes aussi quant à leur issue en raison des séquelles douloureuses de la colonisation) "The Householder" est centré sur la culture indienne et n'a presque que des protagonistes indiens. Il faut dire que l'influence de Satyajit RAY qui a soutenu la production du le film se fait sentir. D'une certaine manière, il est une figure tutélaire pour le trio. Autre lien important avec l'Inde, la rencontre avec la dynastie Kapoor, Shashi KAPOOR étant présent dans la plupart des films tournés en Inde par Ivory et ses deux proches collaborateurs. Comme plus tard dans leurs films anglais, la fidélité à des acteurs-fétiches est une marque du cinéma d'Ivory. De même l'indianité de "The Householder" n'empêche pas d'y reconnaître la thématique favorite du cinéaste: parvenir à être soi-même dans un monde régi par des conventions aliénantes. Il raconte en effet comment un mariage arrangé se transforme peu à peu en mariage d'amour en dépit des défaillances du "chef de famille" qui ne se sent pas taillé pour le rôle car trop timide pour s'imposer face à un employeur et un bailleur cupides et une mère envahissante.

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Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)

Publié le par Rosalie210

Im Kwon-Taek (2002)

Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)

Avec un titre pareil, on pouvait s'attendre à un film épicurien célébrant la joie de vivre et de créer. Or c'est l'inverse, au point que je me demande s'il ne s'agit pas d'une antiphrase. La création telle qu'elle est montrée dans le film s'effectue dans la souffrance, l'ascétisme, la solitude et l'errance. Dans la révolte aussi. Comme la biographie du peintre de la fin du XIX° siècle dont IM Kwon-taek, le plus vénérable des cinéastes coréens* retrace l'existence est lacunaire, il la remplit avec ses propres projections et parmi celles-ci, c'est le refus d'entrer dans les cases et le désir de liberté qui prédomine. Ohwon (le nom artistique de Janh Seung-up) est en effet montré comme un peintre hors-norme, par son talent, son exigence artistique mais aussi par ses origines sociales roturières et son caractère fondamentalement rebelle. Tout au long du film qui adopte une narration linéaire mais fragmentée car faites de petites "touches de vie", on le voit résister ou subvertir toutes les tentatives visant à l'enfermer (dans la peinture officielle de cour par exemple) ou à le faire plier devant les autorités. Il préfère y laisser la santé voire la peau. Cette intranquillité se retrouve dans sa peinture dont il semble n'être jamais satisfait. On le voit beaucoup détruire ses ébauches voire des oeuvres que d'autres estiment achevées ou bien en créer à l'intention de petites gens voire de mendiants qui pourront en tirer un bon prix et ainsi, sortir de leur misère.

Ohwon apparaît donc comme un homme tourmenté secret, parfois sujet à des crises de rage. Son rapport au carburant dont il a besoin pour créer (l'alcool et les femmes de petite vertu, prostituées interchangeables dans la plupart des cas) est somme toute assez triste, limite masochiste. Il semble cassé, vieilli avant l'âge dès le départ. Jamais on ne le voit sourire ou sembler profiter des plaisirs de la vie. Si le film de IM Kwon-taek est ultra-esthétique, il est également assez aride, d'autant qu'il s'inscrit dans un contexte historique nébuleux pour un occidental. Il est également un peu trop théorique et appliqué pour traduire vraiment la folie intérieure de l'artiste. On retrouve la contradiction entre la promesse dionysiaque du titre et son contenu neurasthénique. Lorsque CHOI Min-sik avec son perpétuel air de chien battu clame qu'il ne peut pas peindre sans bander, ça sonne complètement faux!

* Au sens de plus ancien. "Ivre de femmes et de peinture" est en effet son 98° film et celui qui lui a valu la reconnaissance en occident avec le prix de la mise en scène à Cannes.

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The Assassin (Nie Yinniang)

Publié le par Rosalie210

Hou Hsiao-hsien (2015)

The Assassin (Nie Yinniang)

Visuellement, c’est magnifique. On voit que les plans ont été travaillés à l’extrême, que la disposition des personnages dans le cadre est très réfléchie, tout comme le sont les effets atmosphériques, les jeux de lumières ou l’harmonie des couleurs. La bande-son, également est splendide (en particulier le chant de la fin qui ressemble à un hymne celtique). Bien que se rattachant au genre du wu xia pian (les arts martiaux chinois), les scènes d'action sont rares, elliptiques à l'image du reste du film qui est avant tout contemplatif. Ce n'est pas là qu'est le problème à mes yeux. Le véritable problème est que sur le fond c’est un film complètement hermétique avec des personnages réduits à des silhouettes hiératiques dont le cinéma asiatique est friand (les « hommes portemanteaux ») et une intrigue décousue et illisible. C'est sans doute voulu puisqu'une bonne moitié des plans sont "filtrés", "tamisés" par des rideaux de tissus ou d'arbres comme s'il fallait chercher à entretenir quelque mystère ésotérique mais dans un cadre historique qui nécessite un minimum de repères, cela ne fonctionne pas et j'ai trouvé ce positionnement agaçant. J’ai à peine compris qui était qui sans parler de sous-intrigues qui rendent l’ensemble encore plus confus. Sans la lecture du synopsis, je n'aurais même pas saisi les liens entre les personnages c'est dire s'ils n'ont rien d'évident. Quant aux enjeux, j'ai vaguement saisi que l'héroïne, justicière, doit choisir entre son devoir et ses sentiments (variante, la vie ou la mort). Pas très original. Bref c’est abscons, abstrait, froid comme la mort, ennuyeux comme la pluie et finalement assez creux comme si tout ce décorum pompeux se prétendant philosophique voire géopolitique ne dissimulait en réalité que de la vacuité. Dommage.

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Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Tong nien wang shi)

Publié le par Rosalie210

Hou Hsiao-hsien (1985)

Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Tong nien wang shi)

Avec un titre occidental qui fait penser au roman de Erich Maria Remarque "Le temps de vivre et le temps de mourir" adapté par Douglas SIRK sous le titre "Le temps d'aimer et le temps de mourir", le film de HOU Hsiao-Hsien intrigue. Il intrigue aussi par ce qu'il nous montre: Taïwan comme lieu d'un déracinement symbolisé par la maison de style japonais* dans laquelle vit la famille de Ah-hsiao, réfugiée sur l'île depuis 1948. L'ambivalence de l'exil y est bien montrée. Dans les premières années, les parents refusent véritablement de s'installer et la grand-mère, de plus en plus rongée par la maladie d'Alzheimer ne pense qu'à rentrer au pays, ne parvenant pas à se configurer Taïwan comme une île. Parallèlement, les échos des ravages du Grand Bond en avant leur font regretter de ne pas avoir pris davantage de membres de leur famille avec eux alors qu'ils sont déjà très nombreux et très pauvres. Et la mise en scène, faisant écho à un besoin d'ancrage ne cesse de revenir sur les mêmes lieux, les mêmes plans déclinés cependant en une infinité de variations selon qu'il fait jour ou nuit, soleil ou pluvieux, ou encore selon l'époque racontée.

Adoptant le style d'une chronique de souvenirs d'enfance (le titre du film en VO est "l'histoire de mon enfance") sans véritables enjeux dramatiques (du moins apparents), le film de HOU Hsiao-Hsien fait partie d'une série largement autobiographique. Il se divise en deux parties, chacune se concluant sur la mort d'un membre de la famille: d'abord le père quand Ah-hsiao a une dizaine d'années, puis celle de la mère quand il est adolescent suivie de sa grand-mère. Ce qui frappe le spectateur, c'est la volonté manifeste de distanciation vis à vis de ce que le cinéaste raconte et qui lui est pourtant très proche. Il y a dans cette démarche un travail de deuil manifeste, vu l'instance à nous montrer les corps privés de vie de ceux qui furent ses géniteurs et qui constituent autant de moments traumatiques retravaillés par la mémoire (le regard lourd de reproches d'un employé des pompes funèbres devant le corps laissé trop longtemps à l'abandon de la grand-mère, le cri déchirant de la mère lors de la veillée funèbre du père etc.). Il y a aussi la volonté d'éclairer cette enfance avec un regard adulte. L'espace extrêmement compartimenté de la maison mais aussi le découpage fait ressortir à quel point chaque personnage est isolé des autres, à quel point la circulation (des paroles, de l'affection) est entravée, à quel point chacun est finalement très seul. La froideur et la lenteur qui se dégage d'un film elliptique et contemplatif peuvent d'ailleurs rebuter. L'ouverture et l'épilogue du film se répondent: l'indifférence de Ah-hsiao aux appels de sa grand-mère qui le cherche fait écho au fait que sa famille ne s'apercevra de sa mort que lorsque le travail de décomposition aura commencé à faire son oeuvre. L'asthme du père s'avère être en fait la tuberculose qui comme pour la mère et la grand-mère, imprime sa marque sur les surfaces de la maison. La soeur aînée a dû sacrifier ses études et la cadette est morte de négligence au profit d'un fils adoptif appelé (ironiquement?) King. Bref alors que dans la première partie, Ah-Hsiao semble être un enfant tout ce qu'il y a de plus espiègle, adepte des antisèches et des 400 coups, il se mue en petit chef de bande sauvage et taciturne, la privation de repères s'accentuant au fil des décès**.

* Comme nombre d'îles (je pense par exemple à la Sicile), Taïwan a subi plusieurs occupations étrangères et en a gardé les stigmates culturels.

** De ce point de vue, le film offre un démenti cinglant à tous ceux qui pensent que la solution à la crise que nous vivons actuellement est l'immunisation collective (sous-entendu le sacrifice des aînés inutiles au profit des jeunes productifs). Le résultat ne serait qu'un immense traumatisme qui priverait les êtres humains à la fois de passé et d'avenir. 

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Mademoiselle (Ah-ga-ssi)

Publié le par Rosalie210

Park Chan-Wook (2016)

Mademoiselle (Ah-ga-ssi)


PARK Chan-wook devrait méditer la phrase de Mme de Merteuil dans "Les Liaisons dangereuses" selon laquelle l'amour et la vanité sont incompatibles. "Mademoiselle" veut en effet jouer sur les deux tableaux ce qui le rend au final étrangement bancal. D'un côté une mise en scène calculée au millimètre près, un scénario manipulateur avec retournements de situation et une complaisance prononcée pour la violence insoutenable et les scènes de sexe lesbien (qui même si elles sont filmées avec plus de sensualité et ont plus de sens que chez Abdellatif KECHICHE proviennent du même fond bassement commercial). De l'autre, les élans spontanés des deux actrices, toutes deux formidables, particulièrement KIM Tae-ri dans le rôle de la fougueuse servante Sook-hee. Toutes les scènes où elle rue dans les brancards sont justes formidables avec en point d'orgue la destruction de la bibliothèque perverse du tyran tortionnaire Kouzuki (CHO Jin-woong) et sa fuite dans les champs avec la "princesse" Hideko libérée de son esclavage sexuel doré (KIM Min-hee). Mais à l'image du tyran Kouzuki, cet élan est presque aussitôt coupé par des scènes sanglantes et sordides totalement gratuites même si quelques touches d'humour bien senties viennent alléger l'ensemble. Visiblement le créateur veut garder le contrôle de sa créature jusqu'au bout et castre ainsi son récit. C'est dommage car le beau récit d'émancipation féminine qu'aurait pu être "Mademoiselle" dont on a à juste titre souligné les nombreuses qualités formelles (la photographie notamment sans parler des décors et des costumes grandioses) est parasité par toute cette perversité, les contradictions des deux femmes tiraillées entre leur calcul initial et la passion qui les anime devenant celles du film lui-même. Je terminerai cette critique avec deux citations issues d'autres avis que je rejoins complètement: "je préfère les cinéastes intègres aux cinéastes escrocs" et "féministe et racoleur mais surtout racoleur". Hélas.

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Fleurs d'Equinoxe (Higanbana)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1958)

Fleurs d'Equinoxe (Higanbana)

La fleur d'équinoxe (higanbana en VO) est une fleur japonaise d'un rouge profond qui pousse près des cimetières, éclôt au moment de l'équinoxe et dont le bulbe est toxique. Pour toutes ces raisons, elle sert à fleurir les tombeaux, comme les chrysanthèmes sous nos contrées et est devenue le symbole de la séparation définitive. Soit exactement la thématique que Yazujiro Ozu a développé de film en film et qui fait que chacun d'eux n'est "ni tout à fait pareil, ni tout à fait un autre". Le moment-clé de "Fleur d'équinoxe" est celui de la sortie à Hakone de la famille Hirayama au complet. Parce que c'est la dernière, celle qui précède le départ de l'enfant après lequel ce ne sera plus jamais pareil. Le cinéma de Ozu est pleinement conscient du temps qui passe et des déchirures qu'il entraîne avec son lot de deuils à faire et de mélancolie associée. Exactement comme la fresque que tissent aux USA les studios Pixar et qui porte sur le deuil de l'enfance associé à la nécessité de grandir, la mémoire et l'oubli. Pour des raisons intimes, c'est la séparation entre les parents et leurs enfants au moment où ceux-ci partent se marier qui est au coeur du cinéma si délicat de Ozu.

"Fleurs d'équinoxe" qui ouvre la dernière partie de sa filmographie, celles des films en couleur, aborde également la fracture générationnelle entre les parents modelés par la tradition et des enfants ayant goûté à la modernité, notamment les filles qui travaillent et s'habillent à l'occidentale. Comme toujours, ce sont les femmes les plus adaptables alors que les hommes apparaissent monolithiques et dépassés. Le pater familias, Wataru Hirayama pourtant le premier à porter des toasts aux jeunes qui se marient par amour n'arrive pas à accepter que sa propre fille Setsuko arrange son mariage toute seule, c'est à dire en se passant de son avis. Lorsqu'il est touché personnellement, ses beaux discours s'évaporent devant la réalité de son orgueil de mâle dominant qui ne supporte pas que sa fille lui échappe. Sa femme, Kiyoko ne rate d'ailleurs pas l'occasion de souligner qu'il nage en pleine contradiction, celle-ci étant tout aussi humaine que celle de son impuissance à arrêter le temps. La manière dont Wataru se comporte avec son épouse, filmée par petites touches montre à quel point il ne lui porte aucune considération (ce qui est une façon de "tacler" la tradition des mariages arrangés). Pas plus qu'il n'en porte à sa fille d'ailleurs qu'il n'écoute pas. Mais celle-ci trouve des alliées en la personne de sa mère qui peut par procuration réaliser le mariage d'amour qu'elle n'a pas pu faire, sa petite soeur et ses amies qui ne veulent pas plus qu'elle entendre parler de mariages arrangés. Elles prennent au piège Wataru qui de son côté est bien obligé d'enquêter sur cette jeune génération à laquelle décidément il ne comprend rien. Et il découvre que les temps ont bien changé. L'un de ses jeunes collègues ne montre rien devant lui mais part s'éclater quand il a le dos tourné dans un bar de Ginza (quartier de Tokyo) "Le Luna" tenu par des femmes "libérées" dont la fille d'un ami de Wataru qui n'ayant pas obtenu de son père la permission de se marier avec l'homme qu'elle aime, s'est enfuie avec lui. Les séquences du bar sont d'ailleurs parfois très drôles à cause de la différence de comportement du jeune en présence ou en l'absence de Wataru ("quand le chat n'est pas là les souris dansent"). Celui-ci bon gré mal gré comprend que le seul choix qui lui reste est soit de prendre le train de la vie en marche, soit de rester à quai.

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Secret Sunshine (Miryang)

Publié le par Rosalie210

Lee Chang-Dong (2007)

Secret Sunshine (Miryang)

"Secret Sunshine" est la signification du nom coréen de la ville de Miryang dans laquelle vient s'installer au début du film l'héroïne, Sin-ae et son fils de neuf ans, Joon pour tenter de refaire leur vie après un deuil familial. J'ai d'ailleurs bien aimé le début prometteur de ce film (après tout le titre n'est pas porteur d'espoir?), disons la première demi-heure. J'ai bien aimé aussi la fin quand Sin-ae sort de sa posture de martyre pour exprimer enfin sa rage contre tout ce (et tout ceux) qui l'accablent pendant mais aussi bien en amont de l'histoire du film. Entre les deux cependant, il faut supporter un interminable calvaire doloriste, masochiste et nihiliste ponctué de crises d'hystérie assez insupportables. Le début déjà sentait la culpabilité à plein nez ("Pour me faire pardonner d'être veuve, je vais élever mon fils dans la ville natale de son père même si c'est un sacrifice") mais ce n'est rien à côté de la suite. Une soirée entre filles un peu arrosée où l'héroïne s'éclate? Pif, on lui enlève son fils. Elle veut acheter un terrain? Paf, on lui prend tout son argent. Comme dans le tout aussi horripilant "Peppermint Candy", Lee Chang-Dong donne à son personnage principal la posture du flagellant sur qui s'abattent tous les malheurs du monde mais qui en rajoute des couches et des couches par son attitude extrêmement négative. Certes, Sin-ae n'est ni une tueuse, ni une tortionnaire mais elle n'attire guère la sympathie. D'abord parce qu'elle est extrêmement versatile, passant pour tenter de se reconstruire  sans transition du piano à la religion pour la vilipender quand celle-ci ne répond pas à ses attentes. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la manière dont la foi chrétienne est montrée dans le film (un objet de consommation comme un autre qu'on prend et que l'on jette? Un moyen facile de s'acheter une bonne conscience? En tout cas ce n'est pas glorieux). Quant aux relations humaines, on ne peut pas dire que ce soit le point fort de Sin-ae, y compris envers le spectateur qui a bien du mal à s'intéresser à cette femme tellement occupée à s'abîmer dans sa douleur qu'elle ne regarde pas ce qui se trouve autour d'elle, notamment le garagiste serviable qui tente de l'accompagner maladroitement mais sincèrement. Kim Jong-Chan (Song Kang-ho, star coréenne des films de Bong Joon-ho) n'essuie tout au long du film en effet que mépris et rebuffades, non seulement de la part de Sin-ae mais aussi de son odieuse famille (bien que lorsque la belle-mère lui dit lors des funérailles qu'elle "pue la mort", elle n'a pas totalement tort). Bien que son obstination à suivre une femme qui le snobe ou se sert de lui relève là aussi du masochisme le plus total, la gentillesse de Jong-Chan tranche avec l'hypocrisie, la mesquinerie ou la haine des gens qui entourent Sin-ae et s'avère être peut-être le seul "soleil secret" de l'histoire.

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Dans un jardin qu'on dirait éternel (Nichinichi Kore Kôjitsu)

Publié le par Rosalie210

Tatsushi Omori (2018)

Dans un jardin qu'on dirait éternel (Nichinichi Kore Kôjitsu)

"Dans un jardin qu'on dirait éternel" qui se déroule sur plus d'une trentaine d'années cite trois fois "La Strada" (1954) de Federico FELLINI, l'héroïne ayant à chaque fois une vision différente du film en fonction de son âge et de son expérience. Cette comparaison est intéressante parce que "La Strada" épouse une temporalité linéaire, celle du road movie alors que "Dans un jardin qu'on dirait éternel" évoque le temps cyclique, celui des rituels toujours recommencés dans lequel se trouve le secret du bonheur. Pourtant "La Strada" et "Dans un jardin qu'on dirait éternel" racontent deux itinéraires plus spirituels que temporels au bout desquels les personnages finissent par être "touchés par la grâce" et sortir de leur condition humaine pour accéder à une dimension supérieure. Si "Dans un jardin qu'on dirait éternel" est loin d'atteindre la puissance du film de Federico FELLINI, il s'avère être d'une superbe délicatesse, une ode à la joie de goûter l'instant présent où tous les sens sont convoqués (le goût du thé et des pâtisseries, leur présentation raffinée qui est un régal pour les yeux, l'ouïe qui s'affûte au fur et à mesure que la maîtrise du rituel de la cérémonie du thé grandit ou encore la précision millimétrée de chaque geste) procédant à un élargissement des perceptions que nous avons du monde. "Dans un jardin qu'on dirait éternel" est une expérience cinématographique de méditation en pleine conscience. Dommage que l'arrière-plan narratif soit un peu faible, les héroïnes étant esquissées trop schématiquement ou trop allusivement pour susciter un véritable intérêt. La critique sous-jacente du patriarcat japonais est donc assez convenue et décevante. En revanche elles bénéficient d'une enseignante de premier ordre, le professeur Tadeka étant joué par la magnifique Kirin KIKI dont ce fût le dernier rôle avant son décès en 2018. Pour les cinéphiles français amoureux du Japon dont je fais partie, Kirin Kiki est indissociable de Hirokazu KORE-EDA, notamment de sa palme d'or "Une Affaire de famille" (2018) et de Naomi KAWASE dans "Les Délices de Tokyo" (2015) où elle interprète l'inoubliable Tokue, une philosophe culinaire assez proche de son rôle dans le film de Tatsushi OMORI.

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