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Articles avec #cinema d'asie tag

Salé sucré (Yin shi nan nu)

Publié le par Rosalie210

Ang Lee (1994)

Salé sucré (Yin shi nan nu)

"Salé sucré" est une chronique familiale à la sauce délicate, subtile et riche en goût pour filer la métaphore culinaire. Il m'a fallu d'ailleurs deux visionnages pour en saisir toutes les nuances ce qui n'est guère étonnant avec un cinéaste de l'étoffe de Ang LEE qui n'est jamais meilleur selon moi que dans ce registre comme l'a confirmé par la suite son inoubliable "Raison et sentiments" (1995).

Deux thèmes majeurs traversent de part en part le film: celui du flux et celui de la place. Alors que des images de circulation de piétons, d'usagers de transports en commun et de voitures reviennent à intervalles réguliers, symbolisant le mouvement de la vie, la famille de M. Chu (Sihung LUNG) se caractérise au contraire par la fixité et la rétention. Fixité des rituels, tel celui du repas dominical auquel ses trois filles adultes n'osent se soustraire sans pour autant parvenir à "goûter" les plats raffinés que leur chef cuisinier de père leur a pourtant concocté avec soin. Pas plus que lui d'ailleurs qui dit avoir perdu le sens du goût. On est d'autant plus désarçonné par cette soupe à la grimace que toute l'introduction nous faisait saliver avec la promesse d'un festin. C'est qu'il manque la dimension fondamentale de la convivialité dans ces repas qui loin de réunir le père et ses filles les enferment dans des rôles qui les étouffent à petit feu, faute d'une circulation adéquate de la parole. Et cela concerne aussi leur entourage. Lorsque Madame Liang (Ah LEI GUA) qui a des vues sur M. Chu en parle à sa fille, Jin-Rong (Sylvia CHANG), quadragénaire en instance de divorce, elle s'exprime d'une manière éloquente: "M. Chu, qu'est ce que tu en penses? Je le trouve très charmant moi, il cuisine très bien, il ne parle pas beaucoup, mais on communique quand même." Quand on connaît la fin du film, on ne peut que sourire devant la naïveté de son propos. A l'image du quatuor formé par Madame Liang, Jin-Rong, sa fille écolière Shan-Shan et M. Chu, les relations sentimentales (et sexuelles) de ses trois filles sont marquées par les quiproquos, les malentendus et les secrets. L'aînée, Jia-Jen (Yang KUEI-MEI), professeure de chimie qui à la suite d'une soi-disant déception sentimentale a renoncé à l'amour pour embrasser la foi chrétienne reçoit jour après jour dans son lycée des lettres d'amour enflammées mais anonymes juste au moment où elle sympathise avec le capitaine de volley. La seconde, Jia-Chien (Jacqueline WU), directrice adjointe d'une compagnie aérienne n'arrive pas à rompre clairement avec son ex tout en flirtant avec un collègue de travail qu'elle soupçonne d'être à l'origine du célibat de sa grande soeur. Enfin la plus jeune, Jia-Ning (Yu-Wen WANG) qui est étudiante jette son dévolu sur un garçon qu'elle croit libre puisque sa copine jure qu'il ne l'intéresse plus. On remarque également qu'à force de monopoliser la sphère culinaire, le père empêche ses filles d'y accéder ce qui menace la transmission de sa culture. Jia-Chien a hérité de son talent mais ne se sent pas le droit de l'exprimer, son métier de femme d'affaires étant une inversion des rôles subie plus que choisie et Jia-Ning a un boulot d'appoint dans un fast-food ce qui rend très concrète la menace d'acculturation (plusieurs personnages ont des liens avec les USA comme Ang LEE lui-même dont une part de la filmographie s'est acculturée).

Bien évidemment les images de flux présentes dans le film dont l'une est associée à la petite Shan-Shan vont finir par faire sauter les digues et entraîner la famille dans son courant, redéfinissant les places en fonction des vrais désirs de chacun. La scène finale est de ce point de vue particulièrement symbolique.

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Garçon d'honneur (The Wedding banquet)

Publié le par Rosalie210

Ang Lee (1993)

Garçon d'honneur (The Wedding banquet)

Le deuxième film de Ang LEE a également été celui de sa consécration internationale puisqu'il obtient d'Ours d'or à Berlin. C'est une comédie souvent désopilante mais porteuse d'un message grave sur la difficulté d'être soi quand on est tiraillé entre deux appartenances incompatibles entre elles (un sujet que connaît bien le réalisateur puisqu'il est dans la même situation que son héros). On rit beaucoup devant les contorsions de Wei-Tong qui tente de préserver sa vie personnelle (individualiste, new-yorkaise, moderne, homosexuelle) tout en faisant plaisir à ses parents taïwanais traditionnalistes qui veulent une belle-fille et un héritier. Comme il est incapable de leur avouer la vérité, il imagine avec son amant, Simon un stratagème censé contenter tout le monde: contracter un mariage blanc avec Wei-Wei, sa locataire chinoise en situation irrégulière pour lui permettre d'obtenir une carte verte et en même temps se délivrer de la pression familiale. Mais ce qu'il n'avait pas prévu c'est que ses parents allaient débarquer à New-York bien décidés à s'installer chez lui pour organiser son mariage en grande pompe avec toute la communauté taiwanaise de New-York qui s'assure que celui-ci a été bien consommé. Wei-Tong qui tout au long de ces péripéties a révélé sa faiblesse de caractère face au poids des traditions de son pays d'origine et également face à Wei-Wei qui en pince pour lui se retrouve donc pris au piège de son mensonge au point de mettre en péril son véritable couple avec Simon relégué au rang de garçon d'honneur qui en vient à se demander ce qu'il fait dans cette galère. A force de vouloir marier la carpe et le lapin, Wei-Tong pourrait bien tout perdre d'autant que son père a le coeur fragile ce qui sert de prétexte pour repousser toute velléité de clarifier la situation. Mais ce père redouté s'avère bien plus fine mouche qu'il n'y paraît et on retrouve avec plaisir la subtilité d'approche de l'humain, par delà les différences culturelles du réalisateur de "Raison et sentiments" (1995).

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Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (LOONG BOONMEE RALEUK CHAAT)

Publié le par Rosalie210

Apichatpong WEERASETHAKUL (2010)

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (LOONG BOONMEE RALEUK CHAAT)

"Oncle Bonmee" fait partie des palmes d'or cannoises controversées. En 2010, le festival ne couronnait pas comme aujourd'hui des films outranciers ou bien comme dans les années 2000 des films politiques ou sociaux. Il choisissait une oeuvre radicale, ésotérique, contemplative, expérimentale et au final, hermétique. Aucun des thèmes traités par le film n'est inaccessible en soi et le fait d'être imprégné de culture asiatique ne l'est pas non plus, sinon comment expliquer l'immense succès chez nous des mangas et anime japonais, peuplés de croyances animistes, d'esprits, de fantômes et de créatures hybrides? Le fantôme au cinéma n'est d'ailleurs pas une spécialité asiatique, y compris sous sa forme poétique, romantique et mélancolique, de "L'aventure de Madame Muir" à "Sixième sens" en passant par de nombreux films de Tim Burton qui était justement cette année-là président du jury. Mais la ressemblance s'arrête là. "Oncle Bonmee" est fait de séquences juxtaposées montrant un homme qui au moment de mourir se connecte à son passé (proche et lointain puisque comme le titre l'indique, il peut remonter à ses vies antérieures) et aux esprits de ses proches défunts qui prennent une forme humaine ou semi-animale, le tout de façon très naturelle. Les barrières entre espèces, entre vie et mort ou encore entre passé, présent et futur s'effacent afin de l'aider à effectuer son passage de vie à trépas. Le problème est que cette expérience, très esthétique au demeurant confine à l'abstraction. Elle manque cruellement d'incarnation charnelle. Si le réalisateur avait créé un vrai lien entre l'oncle Bonmee et le spectateur, celui-ci aurait pu le suivre partout où il allait alors qu'il est laissé à bonne distance, regardant de façon extérieure, détachée ses différentes pérégrinations quand il n'est pas tout simplement largué devant ces changements incessants de paramètres qui ne semblent avoir ni queue ni tête sans le liant du corps, du coeur et des tripes (là où se situent également les émotions...) Il y a selon moi un problème fondamental dans ce film qui se prétend spirituel mais qui au lieu de créer de la mémoire collective et d'élever l'âme (ce qui est quand même le sens de l'art) divise et rabaisse les spectateurs qui se retrouvent dans la peau d'un snob ou d'un crétin.

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Le Salon de musique (Jalsaghar)

Publié le par Rosalie210

Satyajit Ray (1958)

Le Salon de musique (Jalsaghar)

"Le salon de musique", l'un des films les plus connus en France de Satyajit RAY est une oeuvre à la fois crépusculaire et enivrante qui raconte les derniers feux d'un monde sur le point de disparaître: celui d'une aristocratie bengalie raffinée et cultivée mais vivant dans sa tour d'ivoire hors d'une réalité qu'elle méprise et qu'elle refuse de voir changer. Pourtant celle-ci vient frapper à sa porte, que ce soit sous la forme de crues et de tempêtes dévastatrices qui inondent les terres, ruinent les récoltes et n'emportent avec elles les espoirs d'avenir ou bien dans son versant social avec l'ascension fulgurante d'une bourgeoisie de parvenus individualistes marchant sans complexe sur ses plates-bandes. Le salon de musique devient le théâtre de tous ces enjeux. Un lieu sacralisé, hors du temps, dans lequel le maharajah épris de musique et de danse continue de donner des fêtes somptueuses dans lesquelles il humilie son grossier rival, y sacrifiant sa famille et sa fortune dans une fuite en avant mortifère qui ne peut avoir qu'une issue tragique. Satyajit RAY nous offre un portrait nuancé de cet homme épris de beauté et garant d'un ordre paternaliste protecteur mais aveuglé par l'orgueil qui contemple passivement sa propre déchéance en se raccrochant à des chimères telles que la croyance en la noblesse de son sang, lequel s'avère pourtant ressembler à celui de tout le monde. Le film est ponctué de séquences de musique classique indienne ainsi que d'une scène finale de danse allant sur un rythme crescendo évoquant le bouquet final d'un feu d'artifices juste avant le néant.

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Arrietty, le petit monde des chapardeurs (Kari-gurashi no Arietti)

Publié le par Rosalie210

Hiromasa Yonebayashi (2010)

Arrietty, le petit monde des chapardeurs (Kari-gurashi no Arietti)

Très belle découverte que ce film d'animation du studio Ghibli réalisé en 2010 par Hiromasa YONEBAYASHI. Certes, l'influence de Hayao MIYAZAKI (qui a écrit le scénario d'après les livres de la britannique Mary Norton consacrés "au petit monde des borrowers") se fait sentir. On pense surtout à "Mon voisin Totoro" (1988) pour le caractère intimiste, l'enfant malade et la représentation (splendide) de la nature dans et hors de la vieille maison (les chapardeurs font penser aux noiraudes) ainsi qu'à "Kiki la petite sorcière" (1989) au travers d'une adolescente venue d'un autre monde en quête d'émancipation. On peut aussi citer "Princesse Mononoké" (1997) pour la belle relation qui se tisse entre deux personnages (une liliputienne assimilée au monde sauvage et un jeune humain malade du coeur) qui cependant restent condamnés à demeurer de part et d'autre d'une barrière infranchissable. Mais le film a aussi sa petite musique bien à lui, bien plus modeste que les grands opus de Miyazaki certes mais avec sa sensibilité propre. On a par exemple le temps d'apprécier la finesse de la caractérisation des personnages. Ainsi on découvre que l'attitude intransigeante du père d'Arrietty vis à vis des humains (ne pas être vu, sinon fuir immédiatement) n'est pas un réflexe de repli mais de survie et que l'attitude d'un Sho amical ne change rien au danger que les humains font courir à leur espèce en voie de disparition. Ainsi la maison de poupée construite à leur intention peut faire penser à une cage dorée, c'est pourquoi elle reste inoccupée. Quant à Haru, la gouvernante qui cherche à capturer les chapardeurs, elle est assez emblématique des gens qui veulent éradiquer ce qui leur échappe. Ce sens de la nuance ce retrouve dans l'esthétique: l'ode à la nature adopte des couleurs chatoyantes et une picturalité impressionniste qui n'est pas sans rappeler les tableaux de Claude Monet. L'écologie s'y manifeste autant par le plaidoyer envers la cohabitation respectueuse de différentes espèces que par le mode de vie des chapardeurs qui recyclent les objets perdus et se contentent de peu. S'y ajoute un travail minutieux sur le rapport d'échelle et la perception que des êtres miniatures peuvent avoir d'un monde gigantesque. Un rapport qui fait penser à "Alice au pays des merveilles", oeuvre fétiche d'un certain... Hayao MIYAZAKI.

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Tokyo!

Publié le par Rosalie210

Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon-ho (2007)

Tokyo!

D'ordinaire, je n'aime pas les films à sketchs, collectifs ou individuels. La fragmentation en plusieurs moyens métrages est frustrante, à peine entré dans une histoire qu'il faut déjà passer à autre chose sans que rien ne puisse être approfondi. Mais dans ce cas précis, la réunion de trois grandes pointures du cinéma d'auteur autour de la capitale japonaise fait des étincelles. D'ailleurs les trois segments sont de qualité à peu près équivalente (ce qui est un exploit) et entretiennent entre eux des relations plus étroites qu'il n'y paraît autour de l'exclusion et de la folie, en dépit du style très différent de leurs réalisateurs respectifs.

- Le premier volet "Interior design" signé de Michel GONDRY dépeint le mal-être d'une jeune fille qui ne parvient pas à trouver sa place à Tokyo. Un surprenant virage fantastique lui fait subir une cruelle métamorphose qui résout son problème existentiel et donne son sens au titre. Peut-être le moins (relativement) abouti des trois parce qu'il faut attendre la fin pour qu'il déploie tout son potentiel.

- Le second, signé Leos CARAX, prototype de l'une des séquences les plus célèbres de "Holy Motors" (2012) est intitulé "M. Merde". Une immonde créature surgie des égouts (de l'inconscient) jouée par Denis LAVANT sème le chaos dans la ville la plus policée du monde en multipliant les gestes puis une fois arrêtée, les propos iconoclastes. Le résultat est décoiffant et plus subversif que dans "Holy Motors" qui recherche davantage au travers du même personnage un résultat esthétique ("la belle et la bête") plutôt que politique. On reconnaît en M. Merde un avatar des créatures bestiales fantastiques nocturnes qui hantent le cinéma de Carax (le gorille de Dieu, Nosferatu...)

- Enfin le troisième segment, réalisé par BONG Joon-ho et intitulé "Tokyo shaking" établit un parallèle entre les tremblements de terre et les ébranlements du coeur de son protagoniste principal qui est tellement allergique au changement et au contact humain qu'il est devenu hikikomori c'est à dire reclus volontaire. Ce repli sur soi semblable à l'autisme (le refus du social et même simplement du contact visuel avec autrui, la compulsion de répétition routinière, d'accumulation d'objets, empilés ou alignés avec un perfectionnisme maniaque) est montré au final comme un fléau collectif: lorsque le héros se décide à sortir, il se retrouve dans une ville dont les espaces publics ont été désertés par leurs habitants. Quant à la jeune fille dont il est amoureux, on ne sait pas si elle est de nature humaine ou mécanique. Le résultat est étrangement hypnotique et poétique.

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Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

Publié le par Rosalie210

Kiyoshi Kurosawa (2020)

Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

"Les Amants sacrifiés" qui a obtenu le Lion d'argent à Venise avait tout pour séduire sur le papier: son réalisateur, Kiyoshi Kurosawa (auteur du très beau "Tokyo Sonata"), son scénariste, Ryusuke Hamaguchi (son ex-élève devenu lui aussi réalisateur à succès avec "Drive my car"), son argument (la dénonciation des crimes commis par le Japon en Mandchourie dans les années trente et pendant la seconde guerre mondiale sur fond de thriller d'espionnage et de romance). Mais après un début prometteur témoignant de la folie xénophobe, militariste et nationaliste qu'a connu le Japon avant et pendant la guerre, la grande histoire est reléguée en toile de fond (sauf à deux ou trois reprises avec quelques scènes-chocs servant de piqûre de rappel) au profit de celle de ses protagonistes principaux, un riche entrepreneur et son épouse vivant à l'occidentale dont les agissements ne vont cesser d'aller vers une opacité croissante jusqu'à perdre le spectateur en chemin. La mise en scène de Kiyoshi Kurosawa très précise souligne bien les enjeux (un simple regard suffit à signifier au spectateur que le mari de retour de Mandchourie à des choses à cacher à sa femme). Mais la mayonnaise ne prend pas. Le film est certes de bonne facture mais incohérent, désincarné, impersonnel. Les personnages sont mal écrits et mal interprétés par des acteurs peu charismatiques et qui ne semblent pas d'ailleurs savoir dans quelle direction aller. Le pire de tous est Satoko (Yu Aoi, hyper niaise) qui passe sans transition de l'ingénuité bébête à l'amoralité la plus complète, la jalousie et la folie comme si elle était bipolaire pendant que son mari (Issey Takahashi) reste d'une impassibilité indéchiffrable. La manière dont leur entourage est traité n'est pas plus convaincante: l'infirmière que Satoko soupçonne d'être la maîtresse de son mari est (soi-disant) retrouvée assassinée mais ça n'émeut personne (et surtout pas le spectateur qui l'a vue trois secondes), elle dénonce son neveu qui est affreusement torturé sans que là encore ça n'émeuve qui que ce soit, son mari l'abandonne (et peut-être la trahit ou la sauve, on ne sait puisque le spectateur n'a pas accès à ce qu'il pense et ressent), elle ne comprend pas comment son ami d'enfance a pu devenir policier (entendez par là tortionnaire), lui "si gentil" (on appréciera la subtilité des dialogues), etc. L'impression que ce film m'a donné, c'est que Kiyoshi Kurosawa était resté étranger au scénario écrit par Hamaguchi dont il ne comprenait pas plus que le spectateur ou les acteurs les tenants et les aboutissants. Il a donc fait comme eux, il a fait semblant de piger alors que je pense il n'y a tout simplement rien à comprendre. C'est creux mais ça plaît aux snobinards qui peuvent ainsi renchérir sur les méandres tortueux d'un scénario retors (comparé à un jeu d'échecs, rien que ça!) auquel le simple quidam n'aurait pas accès (il est trop bête pour ça). Tout le contraire du thriller hitchcockien auquel ce film fait un évident appel du pied sans pourtant lui arriver à la cheville (et ne parlons même pas du titre VF hors-sujet et racoleur qui fait référence à Kenji Mizoguchi, cité également en passant dans le film, histoire d'en rajouter dans les références).

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Les Fleurs de Shanghai (Shang haï hua)

Publié le par Rosalie210

Hou Hsiao-hsien (1998)

Les Fleurs de Shanghai (Shang haï hua)

Le film dont s'est inspiré Bertrand BONELLO pour "L Apollonide, souvenirs de la maison close" (2010) présente les mêmes qualités mais aussi les mêmes défauts que sa version française. Côté qualités, "Les Fleurs de Shanghai" est une merveille d'esthétisme. Huis-clos situé dans un bordel de Shanghai à la fin du XIX° siècle, il se déroule dans seulement trois décors où ont été filmé une suite de plans-séquence composés comme des tableaux ce qui permet au spectateur d'en admirer chaque détail. Le passage d'une séquence à l'autre se fait par un fondu au noir ce qui donne l'impression que l'on éteint et rallume une lanterne. Les couleurs et lumières sont travaillées à l'extrême avec des dominantes rouges, vertes et jaunes et le tout baigne dans la fumée d'opium. Dans ce qui peut s'apparenter à un théâtre, on observe le jeu de dupes qui s'instaure entre les habitués (des hommes hauts placés, plus ou moins jeunes qui viennent là pour se distraire de leur vie toute tracée parmi lesquels se détache M. Wang joué par Tony LEUNG Chiu Wai) et les courtisanes aux noms de fleurs, de métaux ou de pierres précieuses, des filles orphelines ou abandonnées achetées au berceau et formées par des mères maquerelles qui attendent d'elles un retour sur investissement. Tous jouent le jeu de la séduction, se montrent jaloux de leurs rivals/rivales, promettent ou espèrent le mariage alors que tout cela ne s'avère être qu'un simulacre dissimulant un monde où règne la seule loi du rang et de l'argent. La seule fille qui semble parfaitement lucide est Emeraude qui utilise ses gains pour racheter sa liberté à sa patronne et fonder sa propre maison de passe. Un tel film n'est pas sans résonance avec ceux de Kenji MIZOGUCHI, notamment "La Rue de la honte" (1956). Mais là où Mizoguchi réalisait un film coup de poing pour dénoncer la condition de ces femmes, HOU Hsiao-Hsien se contente d'un bel exercice de style abstrait et répétitif dans lequel on ne ressent aucune espèce d'implication personnelle. D'ailleurs le paradoxe est que non seulement il n'y a aucun commerce charnel visible à l'écran mais que les personnages semblent privés de libido. On les voit tout au long du film causer, jouer au mah-jong, dîner, fumer de l'opium, se regarder en chiens de faïence et c'est à peu près tout. Autrement dit un court-métrage de 15 minutes aurait suffi plutôt que ce bien long exercice d'auto-contemplation. Autant j'aime les films autobiographiques de HOU Hsiao-Hsien, autant je n'arrive décidément pas à adhérer à ses films en costume, même si celui-ci est plus lisible et intéressant que "The Assassin" (2015). L'art pour l'art, très peu pour moi!

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Tokyo Sonata (Tôkyô Sonata)

Publié le par Rosalie210

Kiyoshi Kurosawa (2008)

Tokyo Sonata (Tôkyô Sonata)

Ma première incursion dans le cinéma de Kiyoshi KUROSAWA grâce à France.tv qui propose en ce moment en replay un échantillon de films asiatiques s'est avérée concluante: j'ai beaucoup aimé "Tokyo Sonata". Si je m'étais pas renseignée sur ce réalisateur, j'aurais pu croire en voyant ce film qu'il avait un peu le même profil que Hirokazu KORE-EDA c'est à dire qu'il se positionnait comme un héritier de Yasujiro OZU. Or il a commencé dans le genre du cinéma fantastique et d'horreur de série B avant de bifurquer vers des longs-métrages plus susceptibles de toucher le grand public. "Tokyo Sonata" est la parfaite illustration de ce tournant. Il s'agit en effet d'un film réaliste qui dissèque la profonde crise économique, sociale et culturelle que traverse depuis trente ans le Japon au travers de la décomposition puis de la recomposition d'une famille japonaise typique dont chaque membre traverse une profonde remise en cause de son identité et de sa place dans le monde au point d'être menacé de disparition. C'est le père de famille qui se retrouve brutalement effacé de son entreprise, la mère qui à la suite d'un événement rocambolesque part avec un cambrioleur au bord de la mer et est tentée de s'y dissoudre, le fils aîné tout le temps absent qui décide de s'engager dans l'armée américaine en Irak et le plus jeune qui joue du piano sur un clavier muet ramassé dans une décharge et détourne l'argent de la cantine pour prendre des cours clandestinement. Car tout n'est que secrets et mensonges au sein de cette famille où l'on se croise mais où personne ne se parle. Le père cache sa situation en faisant semblant de continuer à travailler tout en tuant le temps en compagnie d'un ex-cadre plus jeune mais également au chômage*. La mère soumise se tait et fait semblant de n'avoir rien vu alors qu'il n'en est évidemment rien. Les fils subissent la tyrannie du père qui s'oppose à leurs désirs juste pour affirmer son autorité (d'une manière aussi arbitraire que dans "Shine" puisqu'il s'agit dans les deux cas de compenser un traumatisme d'anéantissement) (1996) sans pour autant qu'il ne parvienne à garder son contrôle sur eux. Et ce constat familial est aussi sociétal. Kiyoshi KUROSAWA filme la crise économique du Japon, la fin de l'emploi à vie, le déclassement (le père se retrouve agent d'entretien dans un centre commercial et la mise en scène insiste sur l'humiliation que cela représente un peu de la même façon que dans "Le Dernier des hommes" (1924)) de F.W. MURNAU), le chômage, la misère des SDF et des soupes populaires et en montre les conséquences sur le patriarcat et les institutions (école, police) qui abusent de leur pouvoir parce que celui-ci ne repose plus que sur du vent. Car de façon discrète mais précise, Kiyoshi KUROSAWA fait intervenir un élément quasi animiste dans le film: des rideaux qui se soulèvent au gré du vent. Ils ouvrent et ferment le film et sont annonciateurs d'ouverture et de changement. Ainsi après avoir touché le fond, la famille finit par se reconstituer autour d'un espoir porté par les notes d'un air de Clair de Lune de Debussy magnifiquement joué au piano. Ainsi tout réaliste qu'il est, le film fait incontestablement ressentir la présence d'une dimension invisible issue de la culture japonaise et de la filmographie passée de Kiyoshi KUROSAWA.

* La scène de repas chez l'ami du père (qui cache lui aussi sa situation à sa famille) entièrement organisée autour de faux-semblants est particulièrement finement observée avec des regards dans le vide et des silences éloquents.

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Drive My Car

Publié le par Rosalie210

Ryusuke Hamaguchi (2021)

Drive My Car

A plusieurs reprises, Ryusuke Hamaguchi filme dans "Drive My Car" en plan aérien les autoroutes avec leurs embranchements complexes, de préférence la nuit. Le film est construit un peu comme cela tant dans son scénario que dans sa mise en scène: comme une autoroute remplie de bifurcations que l'on prend sans même sans rendre compte tant le récit se déploie de façon fluide et logique, à l'image de la conduite pleine de délicatesse de Misaki. Par ailleurs, "Drive My Car" m'a renvoyé à plusieurs autres films. Le début et son atmosphère entre chien et loup m'a fait penser à la plus belle scène de "Burning" de Lee Chang Dong et pour cause: les deux oeuvres puisent à la même source, celle des nouvelles de Haruki Murakami. C'est aussi leur limite d'ailleurs car ces récits distillent une certaine perversion "chic" un peu poseuse (dans les deux cas, il est question de relation à trois mais jamais frontale). 

Drive My Car

Par la suite, j'ai beaucoup pensé à mon film préféré de Pedro Almodovar "Parle avec elle" quand Oto, l'épouse du metteur en scène Yusuke Kafuku lui dit qu'elle souhaite prendre le temps de lui parler, non pas "après la corrida" mais le soir quand il rentrera... un après qui ne viendra jamais, illustrant dans les deux cas l'impossible communication ayant dressé un mur entre deux personnes qui pourtant sont attachées l'une à l'autre, la peur de faire face à l'autre et ensuite les regrets lorsqu'il est trop tard. Ironie de l'histoire, Yusuke Kakufu dont l'introduction (qui dure tout de même quarante minutes!) souligne l'incapacité à communiquer dans l'intimité, aime monter des pièces de théâtre d'auteurs étrangers où il fait appel à des acteurs s'exprimant dans des langages différents (japonais, mandarin, coréen et même langue des signes), traduits sur un écran au fond de la salle. Après "En attendant Godot" de Samuel Beckett (où il joue également), il est invité à mettre en scène "Oncle Vania" de Anton Tchékhov à Hiroshima, lieu lourdement symbolique s'il en est comme le sont les pièces qui reflètent ses états d'âme mais aussi ses préoccupations et même ses fantasmes (le recrutement du jeune amant de sa femme en lieu et place du rôle qu'il devait interpréter lui-même, celui de Vania). Un enregistrement des dialogues de la pièce par Oto qu'il écoute en boucle dans sa voiture (avec des silences lors des passages où Vania s'exprime) souligne bien le paradoxe d'un lien qui se perpétue par delà la mort via le truchement de l'art(ifice) puisque le vrai dialogue n'a pu avoir lieu. De façon plus générale, la relation entre Yusuke et Oto, fondée sur le non-dit a quelque chose de mortifère et de vampirique (outre le fait que le seul enfant qu'a produit leur union est un enfant mort, Oto se voit dans un rêve comme une lamproie -le poisson-vampire par excellence- et elle trouve l'inspiration des scénarios qu'elle écrit pour la télévision en faisant l'amour avec Yusuke, autrement dit en avalant sa substance).

Drive My Car

Ce n'est donc pas sur les planches ou sur cassette et encore moins dans le passé que Yusuke trouvera la résilience dont il a besoin pour continuer à vivre mais bien dans la réalité présente. En effet "Drive My Car" déjoue (mais en partie seulement*) son caractère élitiste (qui a facilité, ne nous voilons pas la face, les critiques dithyrambiques que le film a reçu lors de la projection à Cannes en mode "ah je ris de me voir si belle en ce miroir") grâce à la relation avec sa conductrice, Misaki, issue d'un milieu social opposé au sien, fruste et quasi-mutique (et que ça fait du bien dans un film où on s'écoute quand même beaucoup parler!), mais qui a 23 ans, soit exactement l'âge qu'aurait eu la fille de Yusuke et Oto si celle-ci avait vécu. Le rapprochement entre ces deux pôles opposés est particulièrement souligné dans la mise en scène (de celle des escaliers qui marque le fossé entre eux à celle, prévisible, dans laquelle l'évocation de leurs souffrances respectives les amène à se prendre dans les bras). Et ce qui se tisse entre ces deux personnages m'a cette fois-ci renvoyé à "Gran Torino" de Clint Eastwood et à cette relation filiale d'adoption entre un vétéran américain de la guerre de Corée et un jeune coréen qui passe par la transmission d'une voiture, non une Gran Torino mais une Saab 900 rouge qui symbolise Yusuke (d'où sa difficulté à accepter le lâcher-prise c'est à dire de se laisser conduire). C'est avec Misaki, et avec elle seulement que Yusuke va entreprendre un voyage sur un coup de tête au bout duquel il va tomber le masque pendant qu'elle va pouvoir enfin au contraire reconstruire son visage sur lequel perce même enfin un embryon de sourire.

* Le personnage du jeune amant de Oto, Takatsuki sonne par exemple faux. En effet il est dépeint comme un impulsif qui séduit et cogne à tour de bras mais se fend d'une interminable auto-analyse dans la voiture de Yusuke typique de ce cinéma très cérébral. C'est pourquoi autant je suis d'accord avec le prix qu'il a reçu à Cannes (qui aurait pu être également celui de la mise en scène), autant la Palme d'or aurait été surdimensionnée pour un film qui, aussi virtuose, élégant et profond soit-il s'adresse avant tout à l'élite intellectuelle et bourgeoise européenne dont il adopte la plupart des codes.

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