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Articles avec #cinema d'asie tag

Parasite (Gisaengchung)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2019)

Parasite (Gisaengchung)

"Parasite" comme "Metropolis" de Fritz Lang ou "Entre le ciel et l'enfer" de Akira Kurosawa se déroule dans une ville verticale symbolisant la hiérarchie sociale. Sur les hauteurs dans de spacieuses maisons design agrémentées d'espaces verts vivent les nantis pendant que dans les profondeurs croupissent les parias dans la promiscuité, l'humidité et la vermine. Les deux sociétés semblent séparées par une barrière étanche. Le père de la famille Park ne cesse d'ailleurs de clamer à propos de sa domesticité qu'il la tolère tant qu'elle ne dépasse pas les limites. Mais ce que la famille Park ignore, c'est qu'elle abrite des parias dans sa propre maison qui se sont infiltrés sans qu'elle s'en aperçoive.

Il est en effet beaucoup question de régurgitation et d'émanations dans "Parasite", bref tout ce qui déborde les limites que voudraient tracer des riches à la mentalité hygiéniste pour se protéger des pauvres vus comme une source d'infection: eau qui déborde des égouts et des toilettes, odeurs d'humidité qui collent à la peau et suscitent des remarques humiliantes de la part des patrons dont le fils a "flairé" la supercherie en remarquant que les employés de maison sentaient tous pareil, portes inquiétantes s'ouvrant sur les ténèbres ou sur un bunker souterrain d'où peut surgir à tout moment un ogre sanguinaire, meubles dissimulant des corps suintants qui ne devraient pas se trouver là etc. Bong Joon-ho fait d'ailleurs cohabiter avec maestria le thriller et l'humour (souvent noir) lié aux fakes (les ruses de la famille de Ki-taek pour se substituer au chauffeur et à la gouvernante de la famille Park sont hilarants) et quiproquos (ou plutôt "incidents" comme le dit la maîtresse de maison) qui émaillent le film avec un sens très précis du cadrage, du timing et de la disposition des corps dans l'espace. Ce dispositif rigoureux qui nous réserve son lot de scènes virtuoses et jouissives n'occulte pas l'essentiel, à savoir la guerre des classes qui se joue dans le film, doublée d'une concurrence féroce des prolos entre eux pour accaparer les emplois de maison. La loi de la jungle du capitalisme mondialisé dans le contexte d'un huis-clos en somme. Les personnages, qu'ils soient de la haute ou des bas-fonds ont tous leurs parts d'ombre et de lumière. Aucun n'est un monstre mais ils sont pris au piège d'un engrenage infernal qui les dépasse et qui aboutit à une explosion de violence. On pense beaucoup à "La Cérémonie" de Claude Chabrol, référence avouée de Bong Joon-ho autant pour les petites humiliations du quotidien que pour la spectaculaire résolution finale.

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Tabou (Gohatto)

Publié le par Rosalie210

Nagisa Oshima (1999)

Tabou (Gohatto)

Dernier film de Nagisa Oshima, « Tabou » se situe dans la continuité de « Furyo » en continuant d’explorer les ravages que le désir homosexuel suscite dans des communautés fermées de guerriers.  Se déroulant au XIX° siècle contrairement à « Furyo » qui se déroulait pendant la seconde guerre mondiale, il met en scène la danse de désir et de mort qui se développe autour de Kano, un jeune samouraï androgyne dont la beauté envoûtante ne laisse personne indifférent. Même ceux qui semblent les plus imperméables sont déstabilisés, tels le commandant Isami Kondo et le capitaine Toshizo Hijikata. Je n’ai pas « ce penchant » disent-ils, comme pour se justifier avant de s’en aller patauger dans la brume ^^. Plusieurs moments humoristiques montrent qu’aucun samouraï n’est à l’abri de ce « penchant », y compris ceux qui revendiquent haut et fort leur hétérosexualité. Kano est d’autant plus mystérieux et fascinant qu’il ne se départit jamais de son masque d’impassibilité que ce soit face à Eros ou à Thanatos. Son visage est une page blanche sur lequel chacun peut projeter ses fantasmes. La continuité avec « Furyo » est également assurée par le retour de Ryuichi Sakamoto à la musique et de Takeshi Kitano dans le rôle du capitaine.

Dans « Tabou » comme dans « Furyo », Oshima montre le caractère profondément subversif du désir qui menace de détruire toute une communauté bâtie sur des règles strictes qui se veulent intangibles et immuables mais ne résistent ni au désir, ni au temps. Kano, le seul samouraï vêtu de blanc (symbole de mort au Japon) est un ange exterminateur annonciateur de la fin du Shogunat. L’histoire se déroule en effet en 1865 soit deux ans seulement avant la révolution Meiji qui abolira le système féodal japonais et sa caste de samouraïs. Cette « chute » est admirablement suggérée par un plan final d’anthologie quand le capitaine tranche d’un seul coup de sabre le tronc d’un cerisier en fleurs, le symbole même de l’impermanence au Japon.

« Tabou » est également un film superbe sur le plan esthétique que ce soit par la musique, le choix des couleurs, les chorégraphies ou la composition des cadres. Le film se déroule à plus de 90% dans le huis-clos très cadré du temple Nishi-Honganji de Kyoto mais la scène de fin très onirique se déroule dans un univers fantomatique nocturne et marécageux qui n’est pas sans rappeler le marigot sensuel et vénéneux des premières séquences de « l’Aurore » de Murnau.

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Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

Publié le par Rosalie210

Naoko Yamada (2018)

Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

C’est un film d’animation magnifique, tout en délicatesse et subtilité. Déjà dans son précédent film "Silent Voice" (2016) Naoko YAMADA faisait preuve d’une grande finesse dans l’évocation des difficultés de communication entre adolescents. Dans « Liz et l’Oiseau bleu », elle s’attache dans le huis-clos d’un lycée à étudier la relation entre deux adolescentes très différentes dont l’amitié fusionnelle -admirablement disséquée dans toute la complexité de ses composantes- est à la croisée des chemins. En effet avec la fin du lycée arrive l’heure des choix de vie et avec eux, la douloureuse mais inévitable séparation. Tous les enjeux du film se cristallisent autour d’un morceau de musique tiré d’une adaptation de « L’Oiseau bleu » de Maurice Maeterlinck que les deux amies -l’une flûtiste et l’autre joueuse de hautbois- doivent interpréter ensemble pour le concours de fin d’année de leur orchestre scolaire. Mais elles ne parviennent pas à le jouer harmonieusement parce que Mizore bride son talent pour ne pas surpasser Nozomi. Mizore est en effet terrifiée à l’idée d’être abandonnée par Nozomi, vivant dans son ombre, n’existant qu’à travers elle et s’attachant à suivre le moindre de ses pas, sans un bruit ou presque car l’asynchronie entre elles est tangible dès la première séquence du film. Mizore est en effet solitaire, extrêmement timide et renfermée alors que Nozomi est extravertie, sociable et volubile. Néanmoins les apparences sont trompeuses et la plus faible des deux n’est pas celle que l’on croit. Seulement, l’affirmation de soi passe par une remise en question du mode relationnel déséquilibré que les deux jeunes filles ont tissé entre elles depuis des années. Les mots étant impuissants à traduire la complexité des êtres, Naoko YAMADA saisit les plus ténus mouvements de l’âme par une attention extrême vis-à-vis du langage du corps, celui des regards, des gestes, des postures, des tics, des sons et des silences au travers de plans souvent décentrés et parcellaires sur des mouvements de pieds, des mains qui touchent nerveusement une mèche de cheveux ou des nuances de lumière dans les yeux. Elle la métaphorise également au travers de la musique mais aussi du conte de « Liz et l’oiseau bleu », un livre illustré à l’aquarelle dont nous voyons des extraits tout au long du film. Celui-ci raconte l’histoire de Liz, une jeune fille solitaire proche de la nature qui s’éprend d’un oiseau bleu métamorphosé en jeune fille (un leitmotiv de l’animation japonaise que l’on retrouve aussi bien dans "Ponyo sur la falaise" (2008) que dans "La Tortue rouge") (2016) dont pourtant elle pressent l’inéluctable envol.

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Après la pluie (Ame agaru)

Publié le par Rosalie210

Takashi Koizumi (1999)

Après la pluie (Ame agaru)

Après la pluie  

"Après la pluie" est un bel hommage à Akira KUROSAWA. C'est en effet son dernier projet cinématographique, celui qu'il ne put hélas mener à terme puisqu'il mourut avant le début du tournage. C'est donc son assistant Takashi KOIZUMI qui a réalisé le film d'après le scénario écrit par le maître. Cela se ressent dans une mise en scène appliquée (bien que son sens de l'épure fasse merveille dans les séquences de duel) et dans une caractérisation des personnages un peu expéditive parfois. Mais il n'en reste pas moins que "Après la pluie" est un beau film qui promeut des valeurs et un état d'esprit aux antipodes de celui qui règne habituellement dans les films de chambara (mais proche d'un autre film de Akira KUROSAWA, "Les Sept samouraïs3 (1954)). Dans le Japon féodal du début du XVIII° siècle, le héros est un rônin philosophe, un "homme qui marche" comme celui de Jiro Taniguchi dans la nature en méditant, un sage simple et modeste qui fait régner la justice et la bienveillance partout où il passe. On le voit notamment offrir un banquet à des gens du peuple coincés dans une auberge par la pluie en s'adonnant à des duels primés (ce qui était considéré comme infamant pour un samouraï) et se mélanger à eux sans façons. Le Daimyo du coin (joué par Shiro Mifune, le fils de l'acteur fétiche de Akira KUROSAWA) est tellement séduit par ce personnage atypique qu'il est prêt à envoyer valser les coutumes pour le garder auprès de lui. Mais ce serait une perte pour les autres alors il est dit que Misawa Ihei (Akira TERAO) gardera sa précieuse liberté.

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Furyo (Senjō no merī kurisumasu)

Publié le par Rosalie210

Nagisa Ôshima (1983)

Furyo (Senjō no merī kurisumasu)


"Furyo" est un film d'une grande puissance émotionnelle et au sous-texte très riche. Ce n'est pas vraiment un film de guerre ou si cela en est un, le réalisateur Nagisa ÔSHIMA le subvertit complètement. Il nous offre donc un film profondément humaniste, antimilitariste et transgressif. Ce dernier aspect est rendu possible par le huis-clos du camp de prisonniers qui exacerbe toutes les émotions et fait peu à peu surgir la vérité. Une vérité à contre-courant des codes et des normes ce qui entraîne de violents conflits intérieurs et des relations torturées entre les protagonistes. Mais le sado-masochisme défouloir de l'homo-érotisme qui sature l'atmosphère n'a rien de sulfureux. Il est montré comme une tragédie humaine. Le film lui-même ressemble à une tragédie antique avec ses héros beaux comme des dieux, deux
Orphée passés maîtres de l'art lyrique (Ryuichi SAKAMOTO dont la BO fait chavirer et David BOWIE) tous deux promis au martyre au faîte de leur jeunesse. Comment oublier leur première rencontre avec le travelling avant qui nous fait entrer dans la fascination du commandant pour l'ange blond, lequel apparaît comme un kamikaze dont l'autodestruction programmée a pour cause une faille intime dont le dévoilement révèle les similitudes de deux cultures qu'a priori tout oppose. Les extrêmes se touchent et c'est bien un britannique d'origine japonaise Kazuo Ishiguro qui a écrit "Les Vestiges du jour", fascinante plongée au cœur de l'esprit traditionnel british, ses rites et coutumes (livre adapté au cinéma par James IVORY). Japonais et anglais sont réunis par l'insularité, l'impérialisme, le code d'honneur qui chez les british est renommé "flegme". Ce sont deux civilisations rigides, coincées, cousues pour reprendre l'expression de Roberto ROSSELLINI et qui ont un ennemi commun: la nature humaine. Les "doubles populaires" de ces héros aristocratiques forment un chœur qui commente et redouble l'action. Il y a le sergent Hara alias Takeshi KITANO vedette comique d'avant le triomphe artistique international mais aussi d'avant la tentative de suicide. Un personnage frustre et burlesque dont la brutalité s'adoucit lorsqu'il apprend à parler...l'anglais grâce à son amitié pour l'ex-diplomate John Lawrence (Tom CONTI), véritable pont culturel dont on se demande ce qu'il doit à l'écrivain D.H Lawrence,, le médecin des âmes plaidant pour une libération de l'être des carcans qui le dénaturent.

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Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)

Publié le par Rosalie210

Hiromasa Yonebayashi (2014)

Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)
Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)


"Souvenirs de Marnie" est sans doute le film des studios Ghibli que je préfère avec "Si tu tends l'oreille" (1995) de Yoshifumi Kondo en dehors de la filmographie des deux monstres sacrés que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA. Le film a été assez sous-estimé lors de sa sortie parce qu'il a été jugé trop plan-plan comparativement aux fulgurances formelles des fondateurs du studios. Pourtant il s'agit d'une œuvre bien moins sage qu'elle ne le laisse paraître et qui se situe dans la continuité du studio (adaptation d'un classique de la littérature jeunesse britannique transposé au Japon, héroïnes et univers féminin). Le film se situe dans un entre-deux très inconfortable propice à l'ambiguïté. Celle-ci affecte l'espace-temps, l'intrigue se déroule entre deux rives et pendant les heures bleues, celles qui se situent entre chien et loup. Elle met en contact plusieurs niveaux de réalité, celle de l'instant présent et celle de la mémoire qui fait ressurgir les fantômes du passé dans le présent. Pendant une grande partie du film, une ambiguïté supplémentaire nous donne à croire que cette mémoire n'existe pas et qu'il ne s'agit que d'un simple rêve. Il faut attendre la découverte de vestiges du passé (le journal, le tableau) pour que cette piste se referme. Le film met en vedette deux adolescentes du même âge qui fonctionnent en miroir. L'adolescence est un âge marqué par l'instabilité, l'impermanence, y compris des sentiments. La relation entre les deux jeunes filles est donc particulièrement trouble d'autant que l'une, Anna est un garçon manqué et l'autre à l'inverse, une poupée blonde aux yeux bleus portant des anglaises et des robes à fanfreluches. Sans que nous nous en rendions compte d'emblée (puisque nous croyons au départ que les deux filles existent sur un même plan spatio-temporel) Anna réécrit en fait la vie de Marnie en se projetant en rivale de l'amoureux de cette dernière, Kazuhiko. Dans la scène du silo, lieu phallique par excellence qui s'oppose à la maison des marais plus féminine, elle se substitue même complètement à lui dans un dispositif qui fait en peu penser à celui de "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Une comparaison qui se renforce lorsqu'on découvre le lien filial qui unit Marnie et Anna, la grand-mère/la petite-fille et l'amoureux/l'amoureuse finissant par avoir le même visage.

Ce travail de brouillage des repères produit un effet paradoxal: il nous montre une histoire qui se répète et en même temps, il est porteur d'espoir. Marnie, Emily (le chaînon générationnel manquant) et Anna se transmettent les mêmes maux: abandon familial, manque d'amour, perte d'estime de soi, isolement, maladie/mort prématurée. Le retour de Marnie dans la vie d'Anna a un effet réparateur. Au Japon, monde "flottant", il n'y a pas de franche rupture entre le monde des morts et celui des vivants et les deux peuvent donc communiquer et mutuellement s'influencer. On peut imaginer Marnie enfin en paix et Anna allant de l'avant, même si la fin du film est un peu trop précipitée à mon goût.

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Nuages d'été (Iwashigumo)

Publié le par Rosalie210

Mikio Naruse (1958)

Nuages d'été (Iwashigumo)


"Nuages d'été", premier film de Mikio NARUSE en couleurs et cinémascope est également moins dramatique que ses précédentes œuvres, sans doute grâce à l'influence de Shinobu HASHIMOTO, l’un des plus grands scénaristes du cinéma japonais qui a souvent collaboré avec Akira KUROSAWA sur ses plus grands films tels que "Rashômon (1950)", "Les Sept samouraïs (1954)" ou "Les Salauds dorment en paix" (1960). "Nuages d'été" est également moins intimiste. Il s'agit en effet de la chronique d'une famille traversée par les profonds bouleversements économiques et sociaux du second miracle japonais à la fin des années cinquante. Comme en Europe avec les 30 Glorieuses, ce changement de civilisation va de pair avec l'émancipation de la jeunesse vis à vis du patriarcat et l'exode rural, accéléré par la réforme agraire initiée par les américains. Le patriarcat est incarné dans le film par le propriétaire terrien Wasuké (Ganjiro Nakamura) qui a trois fils de trois lits différents. On apprend que lui-même a dû se soumettre à la loi paternelle qui a répudié ses deux premières femmes parce qu'elles menaçaient d'une manière ou d'une autre la prospérité de la propriété familiale. Wasuké a intégré cette domination et veut également diriger l'avenir de ses fils. Il souhaite trouver une épouse à Hatsu l'aîné mais lorsque celle-ci est trouvée, il les fait attendre parce qu'il veut organiser un grand mariage pour une question de prestige social alors qu'il n'en a pas les moyens. Il souhaite conserver Shin le second à ses côtés alors que celui-ci qui a fait des études et est devenu banquier veut aller vivre à Tokyo. Il veut faire épouser au troisième Jun sa propre cousine Hamako afin de récupérer sa terre en dot alors que Jun veut devenir garagiste. Wasuké a en effet étendu sa domination aux parents d'Hamako (sa sœur et son beau-frère dur d'oreille) à qui il a ordonné de ne pas lui faire faire d'études (contrairement à son souhait à elle).

Mais que peut ce conservatisme forcené lorsqu'il est à contre-courant du temps? Pour une fois, son écoulement n'est pas synonyme d'érosion mais de changement. Les enfants vont s'appuyer pour réaliser leurs désirs sur Yaé (Chikage AWASHIMA), la sœur de Wasuké, paysanne elle aussi. Veuve de guerre, soumise à une belle-mère qui la méprise et l'exploite, elle comprend les bouleversements du monde mieux que les autres. Non seulement elle aide ses neveux à s'émanciper de la tutelle paternelle mais c'est grâce à elle que Wasuké renoue le contact avec sa première épouse (ce qui est une manière symbolique de désobéir à son propre père). Mais Yaé finit par être rattrapée par le fatalisme propre à Mikio NARUSE. Dès qu'elle apprend que son amant Okawa (Isao KIMURA) est muté à Tokyo, elle baisse les bras alors qu'elle avait commencé à apprendre à conduire et que celui-ci lui avait promis de lui montrer un endroit plus vaste pour qu'elle soit plus forte et plus heureuse... 

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Nuages flottants (Ukigumo)

Publié le par Rosalie210

Mikio Naruse (1955)

Nuages flottants (Ukigumo)

"Nuages flottants" est encore plus aride et pessimiste si possible que "Le Repas (1951)", du moins dans ses deux premiers tiers. C'est l'histoire d'un amour chaotique et asymétrique au long cours entre une jeune japonaise et un homme marié dans le Japon en guerre puis de l'après-guerre. A l'aide d'une superbe photographie et d'une narration dont la linéarité est entrecoupée de flashbacks, Mikio NARUSE raconte l'éclosion d'une passion dans une "parenthèse enchantée", celle qui voit se rencontrer les deux protagonistes en Indochine alors occupée par le Japon. Mais le retour à la dure réalité ne concerne pas que la survie dans les taudis du Tokyo d'après-guerre, il dissipe également drastiquement l'illusion amoureuse. Comme dans "Le Repas" (1951), le grand amour apparaît comme une chimère que le temps use jusqu'à la corde. A sa place, on voit naître dans la plus pure tradition du mélodrame une relation fondée sur une dépendance toxique. Yukiko (Hideko TAKAMINE) est une femme qui "aime trop" face à Tomioka (Masayuki MORI) qui lui "n'aime pas assez" pour reprendre la terminologie de la psychotérapeuthe Robin Norwood qui s'est penchée sur le problème des addictions amoureuses. Yukiko a commencé sa vie sexuelle par un viol incestueux qu'elle n'a jamais ouvertement dénoncé même si elle passe sa vie à faire "payer" son beau-frère en lui volant des biens puis de l'argent. Ayant intégré cette soumission à la loi masculine, elle accepte de subir les avanies de son amant dont la lâcheté et l'égoïsme se combine avec la muflerie. Séducteur et manipulateur, celui-ci rafle toutes les jolies filles qui passent à sa portée sans jamais se sentir responsable des conséquences désastreuses de son comportement irresponsable que ce soit le dépérissement de son épouse, la déchéance de Yukiko dans la misère et la prostitution, son avortement (dont on comprend qu'il a des conséquences irréversibles sur sa santé) ou l'assassinat d'Osei (Mariko OKADA) par son mari parce qu'elle était devenue sa maîtresse et avait fui pour le rejoindre. Tomioka ne revient vers Yukiko que lorsqu'il a besoin d'elle (pour lui demander de l'argent par exemple). Yukiko endure tout (ce qui entraîne quelques répétitions et longueurs) au point d'aller jusqu'au bout du sacrifice, c'est à dire suivre Tomioka dans ses déplacements jusqu'à la mort. Si la dernière demi-heure paraît plus apaisée, Tomioka acceptant qu'elle vive à ses côtés et prenant enfin soin d'elle, lui manifestant de l'attention et de la tendresse, il n'en reste pas moins qu'elle meurt seule. On peut même s'interroger sur la réalité de ce que l'on a vu car les hommes qui "n'aiment pas assez" sont des handicapés du sentiment incapables de changer. On peut donc penser qu'elle a fantasmé la sollicitude dont il fait soudain preuve à son égard. A moins que, comme dans "Breaking the waves" (1996) de Lars von TRIER son sacrifice masochiste ne fasse des miracles.

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Le Repas (Meshi)

Publié le par Rosalie210

Mikio Naruse (1951)

Le Repas (Meshi)


"Mes rêves de jeune mariée où sont-ils. Je vis les mêmes matins et les mêmes soirs, 365 jours par an. Entre cuisine et salon, ma vie de femme se consumera-t-elle en silence et sans espoir ?" "Le Repas" aurait tout aussi bien pu s'appeler "Avec le temps", celui des désillusions et de l'usure d'un couple qu'une visite impromptue va faire basculer dans une crise ouverte. Le mari, Hatsunosuke Okamoto (Ken Uehara), un homme apathique qui semble se complaire dans une petite vie sans histoires ne voit rien venir, ou plutôt ne veut rien voir. Il est dans le déni, sourd et aveugle aux signes de plus en plus évidents de lassitude, d'exaspération, d'amertume que lui envoie son épouse Michiyo (interprétée par la formidable Setsuko HARA actrice fétiche de Yasujiro OZU). Avec cette chronique pleine de finesse et de sensibilité d'un amour qui se délite dans le Japon d'après-guerre, Mikio NARUSE, pourtant moins connu que ses confrères japonais de la même génération atteint une dimension universelle (d'où mon allusion à la chanson de Léo Ferré à laquelle on peut tout à fait comparer le film). En effet il est précisé dès le début que contrairement aux usages du Japon, Michiyo et Hatsunosuke ont fait un mariage d'amour contre l'avis de leur famille. Il s'agit donc d'une union romantique telle qu'on en rêvait autrefois en occident (et dont beaucoup continuent de rêver en secret). Cinq ans plus tard, au moment où commence le film, la réalité qui s'impose sous nos yeux est celle d'un couple qui ne parvient pas à communiquer avec un mari indifférent qui se fait servir par sa femme qu'il confond avec la bonne à tout faire. Celle-ci, frustrée par le manque d'attention et d'affection de son mari et amère de s'être enfermée dans la routine aliénante de la femme au foyer s'enfonce peu à peu sans bruit dans la dépression. L'arrivée dans leur foyer de Satoko (Yukiko SHIMAZAKI), une nièce délurée qui semble réveiller quelque peu la libido en berne de Hatsunosuke met le feu aux poudres. Michiyo décide de quitter son mari pour retourner à Tokyo chez sa mère afin de faire le point.

La suite du film est tout aussi juste. En effet, une fois chez sa mère, Michiyo voit s'ouvrir devant elle des perspectives nouvelles. Celle d'un travail voire même d'un nouvel amour. Son cousin lui manifeste en effet un vif intérêt et il est le seul à remarquer sa tristesse même s'il le lui exprime d'une manière qui la vexe. Hélas, le manque de caractère d'Hatsunosuke semble avoir déteint sur son épouse. Michiyo semble terrifiée à l'idée de prendre une décision qui pourrait changer sa vie. Pour elle comme pour beaucoup d'autres, il vaut mieux rester dans une vie insatisfaisante mais rassurante que se lancer dans l'inconnu avec tous les risques que cela comporte. De plus, Michiyo subit la pression sociale de la famille et de l'entourage pour qui sa vraie place est avec son mari. Alors elle finit par se résigner à retourner auprès de lui, alors que rien n'a changé entre eux comme le montre le moment où elle essaye de lui parler avant de se rendre compte qu'il s'est endormi.

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Rashômon

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1950)

Rashômon

Il y a eu un avant et un après "Rashômon" dans l'histoire du cinéma mondial. Lorsque les américains ont occupé l'archipel nippon après la seconde guerre mondiale, ils ont poussé ces derniers à exporter leur cinéma dans le monde entier et notamment en Europe. C'est ainsi que les sélectionneurs du festival de Venise ont choisi "Rashômon" de Akira KUROSAWA parmi les films du catalogue des studios Daiei qui a été le premier à se lancer dans l'aventure. "Rashômon" a non seulement remporté le Lion d'or et ouvert les portes de l'occident au cinéma japonais mais Akira KUROSAWA est devenu le plus célèbre réalisateur asiatique et une source d'influence majeure tant pour ses compatriotes que pour les réalisateurs occidentaux: Sergio LEONE, George LUCAS, Francis Ford COPPOLA, Quentin TARANTINO, Martin SCORSESE ou encore Steven SPIELBERG.

"Rashômon" a constitué un choc aussi bien technique, esthétique que narratif, les trois dimensions étant indissociables. Le film a ouvert des perspectives nouvelles dans la manière de raconter une histoire en abandonnant la linéarité au profit du "questionnaire à choix multiple". Akira KUROSAWA a transposé une énigme de polar (mais qui a tué le mari?) genre qu'il maîtrise à la perfection dans le Japon médiéval ce qui d'ordinaire ne lui aurait pas permis de franchir les fourches caudines de la censure américaine. Celle-ci était en effet impitoyable avec le chambara (film de sabre) et le jidai-geki (films médiévaux en costume), néanmoins elle s'était assouplie au début des années 1950 (le Japon était devenu un allié dans la guerre de Corée) et de plus le film ne faisait en aucune manière l'apologie de la guerre. Il dépeint avec génie les zones d'ombre de l'âme humaine dans l'anomie d'un monde ravagé par la guerre où chacun "a ses raisons" de ne pas dire toute la vérité pour reprendre l'expression de Jean RENOIR. Chaque acteur et chaque témoin livre sa version des faits ce qui entraîne autant de retours en arrière. Il y a d'ailleurs deux niveaux de flashbacks, ceux qui montrent les témoignages lors du procès et ceux qui revisitent le drame lui-même. Le présent du film est incarné par trois hommes, deux témoins et un passant qui commentent les différents récits et jouent un peu le rôle du chœur. La musique (japonisée) du Boléro de Ravel et la photographie impressionniste soulignent le caractère à la fois cyclique et changeant du récit ainsi que la complexité des êtres. Peu à peu, en recoupant les versions, on s'aperçoit que chacun ment pour se donner le beau rôle et dissimuler une part de lui-même dont il a honte et qu'il ne veut pas montrer à la société. Le bûcheron (Takashi SHIMURA) tait son acte cupide, le bandit Tajomaru (Toshirô MIFUNE) cache ses moments de faiblesse, le mari (Masayuki MORI) dissimule sa couardise et sa femme (Machiko KYÔ) sa perfidie. Néanmoins s'il n'y a pas de vérité absolue et que des vérités relatives, il n'en est pas de même des actes. Face aux ravages de la guerre (toile de fond du film), le film se termine sur un moment de grâce lié à un geste désintéressé, l'un de ces gestes qui permet de ne pas désespérer totalement de l'humanité.

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