Sans être un chef-d'oeuvre, il s'agit de l'une des meilleures comédies réalisées par Chaplin pour la Keystone et comme elle fait deux bobines, on peut la rapprocher de Charlot Mitron pour la narration, la mise en scène et le montage (un duo comique, plusieurs lieux, plusieurs histoires qui s'entrecroisent etc.) L'histoire est astucieuse (un quiproquo conjugal basé sur un échange involontaire de manteaux entre Chaplin et Swain) et a aussi une valeur biographique/documentaire. En effet pour la première fois, Chaplin aborde la question de la paternité dans son œuvre. Et dire qu'elle lui pose problème est un doux euphémisme. Il se montre négligent, indifférent voire cruel envers son fils qu'il transporte comme un paquet, laisse jouer avec un révolver ou près des flammes du poêle sans parler de l'eau bouillante qu'il renverse près de lui. Le foyer conjugal n'en est pas un, il ne cesse de se brûler dès qu'il veut se poser. Bref il dépeint sous couvert de grosse rigolade un enfer familial où il apparaît en mauvais père déconnecté de son enfant. Cette hostilité vis à vis des enfants reviendra comme une plaie lancinante dans ses films pour la Mutual et la First National jusqu'à ce qu'il se décide enfin à l'exorciser. Ce sera dans l'un de ses plus beaux films, The Kid.
Le manque d'originalité de ce court-métrage comparé aux quatre précédents s'explique très facilement. A partir de l'idée d'une rivalité entre Charlie et Chester, Chaplin développa un scénario qui devint celui de Dough and Dynamite (Charlot mitron) sa comédie la plus célèbre réalisée pour la Keystone. Par conséquent il ne resta que des miettes pour Those Love Pangs (Charlot rival d'amour) qui est une sorte de redite de The Star Boarder/Charlot aime la patronne (le flirt avec la logeuse), Twenty minutes of love/Charlot et le chronomètre (rivalités Charlie/Chester dans un parc) et A film Johnnie/Charlot fait du cinéma (le final au Nickelodeon). Le seul intérêt de Those Love Pangs se trouve dans les petits détails de l'interprétation gracieuse et poétique de Chaplin. Ainsi on le voit utiliser sa canne comme une extension de lui-même, jongler avec une cigarette au bout de sa chaussure ou se servir de ses pieds pour flirter au cinéma avec une expression d'extase enfantine.
L'un des plus gros succès de Chaplin à la Keystone qui rapporta 50 fois la mise initiale. Il s'agit d'une comédie de deux bobines donc riche en gags. Beaucoup de slapstick (lancer de pain, de pâte, de farine, gifles, coups de pieds etc.) mais aussi des gags assez cocasses (Chaplin fabriquant des beignets en enroulant la pâte autour de ses poignets) et un fort arrière-plan de critique sociale. Le film fait allusion à la grève du syndicat des boulangers à Los Angeles qui réclamait de meilleures conditions de travail. Cependant on ne peut plus considérer ce film aujourd'hui comme l'une des meilleures comédies muettes d'Hollywood jamais créée même si elle pose un jalon essentiel dans l'ascension de Chaplin vers la gloire.
En combinant les expérimentations des trois courts-métrages précédents et en ajoutant de nouvelles, Chaplin obtient un film qui marque un grand tournant dans sa carrière avec un saut qualitatif majeur. La progression en terme de narration est spectaculaire, la scène de cambriolage, très intense est particulièrement bien mise en scène. Chaplin introduit pour la première fois du sentiment dans une comédie ayant pris conscience durant les répétitions de sa capacité à faire pleurer autant qu'à faire rire (il parle dans son autobiographie d'une vieille actrice Dorothy Davenport en larmes devant l'une de ses pantomimes). A cela s'ajoute une critique sociale. Charlot qui est tout en bas de l'échelle n'a pas le droit de prendre l'ascenseur et est pris d'emblée pour le coupable du vol alors qu'il a mis hors de nuire le vrai coupable, un employé modèle qui a son bureau juste à côté de celui du patron. Enfin Chaplin expérimente la comédie à sensations de type vertige des hauteurs préfigurant ainsi Harold Lloyd.
The Rounders qui signifie "les ivrognes" ou "les débauchés" est l'une des meilleures comédies tournées à la Keystone par Chaplin. Elle servira de modèle à plusieurs œuvres futures. Si Roscoe Arbuckle et Chaplin avaient déjà tourné ensemble dans six courts-métrages, The Rounders est sans nul doute leur meilleure collaboration. Les deux comiques sont irrésistibles dans leurs numéros d'ivrognes poursuivis par des épouses acariâtres. On ne sait d'ailleurs qui plaindre le plus: les maris harcelés par leurs mégères ou les femmes flanquées de chiffes molles sauf quand il s'agit de leur piquer des sous pour aller à la taverne du coin. Roscoe Arbuckle rendit plus tard un hommage aussi ému que lucide à Chaplin: " J'ai toujours regretté de ne pas avoir été son partenaire dans un film plus long que ces bandes d'une bobine tournées si rapidement. C'est un artiste complet, de génie sans aucun doute, l'unique de notre époque et le seul dont on parlera encore dans un siècle."
Dès que Chaplin accède à la réalisation, son influence sur les productions de la Keystone se fait sentir. Hormis la séquence finale, le comique de ce court-métrage ne repose pas sur le slapstick mais sur les maladresses, les quiproquos et un bon sens du rythme (au montage notamment). Il aurait pu d'ailleurs s'intituler "tel est pris qui croyait prendre". Un jeune homme qui veut flirter en paix refile son oncle en fauteuil roulant à Charlot contre la promesse d'un salaire. Charlot finit par se servir du paralytique pour soutirer de l'argent à un mendiant qui est lui aussi en fauteuil roulant. Après s'être payé quelques verres, il chipe la copine du neveu. Quant à l'oncle, il manque par deux fois tomber à la mer.
Le tournage s'est déroulé en Californie sur la plage de Venice et à Ocean Park. C'est le premier film où l'on voit le Vagabond lire la National Police Gazette, un tabloïd notoire qui réapparaîtra dans des films ultérieurs.
Bien que le slapstick soit présent dans cette comédie (coups de pieds, lancer de briques, fin au fond d'un puits...), celle-ci offre une intrigue plus élaborée où se côtoient la mise en abyme et le travestissement. Chaplin interprète en effet... Chaplin devant les studios Keystone puis dans la loge où on le voit se maquiller et devenir le Vagabond en compagnie de Roscoe Fatty Arbuckle qui se prépare également pour sa scène. Un peu trop distrait par les jolies filles, Charlot rate son entrée puis gâche deux fois de suite le tournage. Il est renvoyé mais il a plus d'un tour dans son sac. Voilà qu'il revient travesti en ravissante jeune femme pour se faire réengager. Il en profite pour prendre sa revanche en se lançant dans un petit jeu de séduction avec le réalisateur (celui-là même qui l'avait renvoyé!)
The Masquerader est la deuxième des trois comédies où Chaplin apparaît travesti après Madame Charlot (A Busy Day) en mai 1914 et avant Mam'zelle Charlot (A Woman) pour la Essanay en 1915. Dans Madame Charlot, le travestissement était grossier et la femme interprétée par Chaplin était une mégère qui n'avait rien de séduisant. Dans the Masquerader comme dans Mam'zelle Charlot en revanche, le travestissement est tellement bluffant qu'il suscite le trouble tant Chaplin sait se muer en créature douce, féminine et séduisante.
Film dramatique passable, mauvais film comique tant les situations pathétiques prêtent peu à rire. Chaplin a voulu parodier la ballade The Face Upon the Floor de Hugh Antoine d'Arcy qui évoque un peintre autrefois prospère que sa bien-aimée Madeleine (Cecile Arnold) quitte pour un autre homme. Conséquence, il sombre dans le désespoir (et l'alcool). Mais Chaplin qui utilise un récit en flash-back n'a pas poussé la parodie assez loin. Le décalage entre ce qu'il raconte aux piliers de bars (qu'il était un grand artiste, que sa femme l'adorait etc.) et ce que l'on voit apparaître sur l'écran ne fonctionne pas bien. Les situations censées être comiques tombent alors à plat. Dommage car l'idée de départ était intéressante. Et on peut souligner l'audace de Chaplin qui expérimente de nouvelles façons d'essayer de faire rire à l'opposé des recettes stéréotypées de la Keystone.
Un tout petit film à tous les sens du terme: sa durée (6 minutes) et ses ressorts comiques (un best-of des gags les plus éculés de la Keystone: coups de pied, gifles, lancer de briques, intervention des Keystone cops.) Chaplin ne s'est pas cassé la tête car Recreation (un titre en VO plus évocateur que celui de la VF) a été conçu pour accompagner un film éducatif, The Yosémite. Au moins la chute dans le lac finale offre une variante intéressante à celles que l'on a déjà pu voir: cette fois il n'y a pas de jaloux et tout le monde y passe, hommes et femmes.
A noter que la pellicule du film est partiellement dégradée. Les 2/3 des images du film sont de très mauvaise qualité.
The Property Man est la première comédie de deux bobines de Chaplin en tant que réalisateur, scénariste et acteur principal. Elle s'inspire d'un sketch de l'époque où Chaplin travaillait pour l'impresario de music-hall britannique Fred Karno. Le sketch s'intitulait Mumming Birds et mettait en scène des numéros burlesques particulièrement mauvais. Et ce sujet reste au centre de The Property Man. On y voit en effet se succéder de soi-disant vedettes à l'ego surdimensionné et aux numéros plus exécrables les uns que les autres. Chaplin se paye leur tête en apparaissant à plusieurs reprises sur le devant de la scène, provoquant des catastrophes et le rire des spectateurs. Un running gag qu'il reprendra pour Le Cirque.
Le film a suscité de nombreuses critiques à toutes les époques à cause de sa méchanceté gratuite. C'est pourtant un des piliers du burlesque Keystone fondé sur le slapstick. Mais visiblement les coups de pied de Charlot sur le visage d'un vieil homme plié en deux sous le poids d'une malle sont restés sur l'estomac de quelques uns. Pourtant cette violence semble ici limitée à un effet cartoon (ou spectacle de catch!) avec des acteurs clownesques parfaitement entraînés à ce genre de numéro.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.