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Articles avec #chaplin (charles) tag

Le Cirque (The Circus)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1928)

Le Cirque (The Circus)

Chaplin s'investissait totalement dans son art. A peine avait-il terminé un film qu'il s'attaquait au suivant. Mais le tournage du Cirque fut une telle accumulation de scandales et d'épreuves (dignes du Lost in la Mancha de Gilliam mais avec un happy-end puisque le film fut terminé et rencontra le succès) que Chaplin le remisa aux oubliettes jusqu'à la fin des années 60 date à laquelle il accepta d'enregistrer la musique du film, allant jusqu'à interpréter lui-même à près de 80 ans la chanson titre "Swing high little girl". L'histoire compliquée du Cirque explique sans doute qu'il reste moins connu que ses autres chefs-d'oeuvre.

On rit beaucoup dans Le Cirque. Pourtant il décrit un monde qui ne fait pas rire. Un théâtre de pantins, dominé par le cercle vicieux de la brutalité, de l'exploitation, de la dictature des faux-semblants (le labyrinthe de miroirs). Arrive l'élément perturbateur. Il s'agit du Vagabond, un SDF sans le sou, affamé, mais riche en humanité. Involontairement, il réanime un spectacle moribond mais il ne peut faire rire sur commande. Et pour cause, le rire naît du mouvement même de la vie qui ne peut être contrôlé et encore moins enfermé. On peut faire d'ailleurs un parallèle évident avec un autre film de Chaplin. Dans Les Feux de la Rampe, Calvero, un clown vieux et fatigué ne parvenait plus à faire rire personne, sauf le temps d'une ultime prestation lorsqu'il était revigoré par l'amour que lui portait Terry, une jeune danseuse. Merna (Merna Kennedy), la danseuse du Cirque inspire les mêmes sentiments au Vagabond mais il découvre qu'elle lui préfère Rex, le bellâtre de service (Harry Crocker) et son abattement se ressent dans ses prestations. Hormis lorsqu'il remplace Rex dans son numéro de funambule, un morceau de bravoure spectaculaire réalisé sans filet (mais avec des singes ^^). Son effacement final au profit du jeune couple ressemble comme deux gouttes d'eau à l'intrigue du court-métrage "The Tramp" ("Le Vagabond") réalisé en 1915 pour la Essanay. L'histoire se déroulait dans une ferme et non dans un cirque mais le Vagabond n'y trouvait pas sa place et devait repartir seul sur les chemins.

Condamné à être libre.  

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Un roi à New-York (A King in New-York)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1957)

Un roi à New-York (A King in New-York)

Je suis presque plus attachée aux Chaplin tardifs qu'aux chefs-d'oeuvre muets de sa carrière. Un roi à New-York, son avant-dernier film est sous-estimé dans sa filmographie et c'est bien dommage. Certes, il est imparfait. Les conditions de sa réalisation en exil n'ont pas permis à ce perfectionniste d'en contrôler toutes les finitions. Cela se sent au niveau du scénario et son trop-plein de satire bavarde au détriment de la poésie et de la grâce de ses précédents films, au niveau des éclairages, bâclés, et des scènes d'extérieur tournées à Londres alors que le film est censé se dérouler à New-York.

Mais voilà, on s'en fiche. Là n'est pas l'essentiel. L'essentiel, le cinéaste Roberto Rossellini le résume parfaitement. Un roi à New-York est "le film d'un homme libre". Et "Un film libre et fruste sera toujours préférable à un film élégamment enchaîné." (Kenneth Tynan) Et oui!

On retrouve dans ce film le Chaplin profondément révolté contre l'injustice, l'intolérance et la tyrannie. Comme celles-ci se déchaînent sur un enfant (l'innocence victime d'une société malade), on l'a comparé au Kid. Personnellement il me fait davantage penser au Dictateur car en dépit des dénégations de Chaplin, il s'agit d'un film engagé, politique qui ose se dresser contre les travers de son pays d'adoption (jusqu'en 1952) avec pour cœur de cible les dégâts du Maccarthysme. La séquence burlesque où Chaplin asperge le comité des activités antiaméricaines avec une lance à incendie façon arroseur arrosé est particulièrement jouissive. Les USA interdirent d'ailleurs le film durant une bonne quinzaine d'années, preuve qu'il dérangeait.

Chaplin était un esprit particulièrement clairvoyant. Si les éléments de satire sont trop nombreux dans le film, certains font tellement mouche qu'ils sont passés à la postérité et ont été repris dans des films plus récents. Un homme filmé à son insu, manipulé par une femme qui interrompt leur conversation toutes les 3 secondes pour débiter d'ineptes publicités? C'est peu ou prou le scénario de "The Truman Show" de Peter Weir. Un individu transplanté d'un ancien monde dans un monde nouveau dont il ne maîtrise pas les codes, en perpétuel transit dans une chambre d'hôtel, contraint à cause de ses déboires financiers de tourner un ridicule spot publicitaire pour une mauvaise marque de whisky? On reconnaît bien entendu la trame de "Lost in translation" de Sofia Coppola. Ajoutons une hilarante séquence autour de la chirurgie esthétique et du jeunisme et on mesure à quel point Chaplin était en avance sur son temps.

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Les Lumières de la ville (City Lights)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1931)

Les Lumières de la ville (City Lights)

Un des plus beaux films de Chaplin dont le sujet principal pourrait être celui de la dualité humaine.

Depuis ses premiers courts-métrages à la Keystone, Chaplin a joué tantôt le rôle d'un Vagabond et tantôt celui d'un dandy ou celui d'un Vagabond qui voulait se faire passer pour un dandy. C'est sur cette imposture que repose l'intrigue des Lumières de la ville. Pour les beaux yeux aveugles de celle qu'il aime (Virginia Cherrill), un Vagabond (Charles CHAPLIN) se fait passer pour un prince charmant. Car le prince charmant que l'on vend à la jeune fille a toujours un beau cheval blanc (entendez par là une belle voiture) et des millions à foison. Alors le Vagabond devient ce que la jeune fille rêve qu'il soit parce que c'est aussi une partie de lui (ce que son costume et ses manières souligne d'ailleurs: " il faisait de son mieux pour avoir l'air d'un gentleman".)

A l'inverse il y a du Vagabond dans le personnage du dandy tel qu'il est interprété par Chaplin. Ce vagabondage s'exprime par l'ivresse qui fait sortir le personnage de ses rails et lui fait emprunter d'autres chemins. C'est exactement ce qui arrive au personnage schizophrène du millionnaire (Harry Myers) dans Les Lumières de la ville. Lorsqu'il est ivre, il reconnaît dans le Vagabond son frère, son jumeau. Lorsqu'il ne l'est pas, il ne se souvient même pas de son existence.

Enfin la jeune fille elle-même est duale selon qu'elle est aveugle ou non. Lorsqu'elle est aveugle, elle est aussi dans l'aveuglement puisqu'elle ne voit pas du tout la même histoire que nous. Mais sa vulnérabilité, sa naïveté et sa précarité nous touchent. Elle ressemble à un ange auréolé d'innocence. Lorsqu'elle recouvre la vue, la santé et la prospérité, elle reste aveuglée par son rêve chimérique et n'étant plus protégée par son aura d'innocence, son comportement nous apparaît odieux. Ce qui rehausse encore la beauté de la scène finale, l'une des plus belles de toute l'histoire du cinéma. L'une des plus énigmatiques aussi. Car la dualité est présente jusqu'au bout. Ce qui bouleverse tant la jeune fille peut être la déception, la dissipation de ses illusions. Mais cela peut être aussi la révélation d'une autre vision par delà les apparences, "On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."

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La Ruée vers l'or (The Gold Rush)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1925)

La Ruée vers l'or (The Gold Rush)

Drôle, poétique, mélancolique et engagé sans que jamais l'un de ces aspects ne prenne le pas sur l'autre ou n'alourdisse l'ensemble. La ruée vers l'or, troisième long-métrage du cinéaste (après le Kid et l'Opinion publique) est une manifestation éclatante de cet art d'équilibriste dont Chaplin avait le secret. L'image de la maison balancier en est la parfaite illustration. Comme tout le monde, j'aime les gags cultes de la dégustation de chaussures et de la danse des petits pains qui allient drôlerie et poésie. Un talent de mime et d'imagination dans le détournement de la fonction usuelle des objets qui atteint ici la perfection. Les clous fixés sur la semelle deviennent des os de poulet, les lacets des spaghettis, les petits pains et les fourchettes plantées dedans des pieds et jambes de danseur manipulés avec grâce par un Charlot marionnettiste. La scène du mirage où sous l'effet de la faim Charlot devient un poulet géant aux yeux de son compagnon d'infortune et celle de la bagarre pour la possession de la maison jettent une lumière crue sur la rudesse de la vie des chercheurs d'or où règne la loi de la jungle. Mais la scène que je préfère est celle du réveillon mélancolique et solitaire de Charlot. Moqué pour sa pauvreté, sa supposé faiblesse et sa candeur, il regarde les festivités (le rêve américain dont il est exclu) derrière la fenêtre et son visage exprime une douleur indéfinissable. Cette scène préfigure aussi bien l'avenir du cinéaste que la tonalité de ses œuvres ultérieures beaucoup plus désabusées et/ou critiques.

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Charlot boxeur (The Champion)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1915)

Charlot boxeur (The Champion)

Troisième film de Chaplin pour la Essanay, Charlot boxeur est un film précurseur merveilleusement chorégraphié dans lequel son personnage du Vagabond s'affine. Le début fait penser à Une vie de chien. On y voit Charlot en traîne-misère partageant son maigre sandwich avec son bouledogue puis prêt à servir de punching-ball pour gagner un peu d'argent. Heureusement Charlot va renverser la situation à l'aide de ses talents d'acrobate et de jongleur d'objets astucieusement détournés de leur usage habituel. Un fer à cheval porte-bonheur glissé dans l'un de ses gants de boxe s'avèrera aussi fort utile. Quant au combat final, plein de péripéties amusantes qui le transforme tantôt en spectacle de catch, tantôt en piste de danse, tantôt en numéro de cirque il constitue un brouillon de celui de son futur long-métrage Les lumières de la ville.

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Les feux de la rampe (Limelight)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1952)

Les feux de la rampe (Limelight)

C'est un des plus beaux films de Chaplin parce que l'un des plus intimes. Et la capacité à traduire son intimité lorsqu'elle se marie avec le talent créé une étoffe dont sont faite les plus belles œuvres d'art.

On a souligné à juste titre la part autobiographique et nostalgique du film. Reconstitution du milieu du music-hall londonien où Chaplin a fait ses premiers pas, choix de l'année 1914 où il débarque aux USA pour ses premiers films, convocation de ses parents disparus à travers ses deux personnages principaux, résurrection de l'âge d'or du muet le temps d'un numéro d'anthologie avec Buster Keaton etc.

Mais le film va en réalité beaucoup, beaucoup plus loin, jusqu'aux tréfonds de l'âme de son auteur dont il met à nu les contradictions. Aucune grimace burlesque, aucun maquillage dans les scènes clés ne dissimule son visage et ses yeux où se reflètent une palette d'émotions extrêmement riche. Si bien que le film n'est pas tout à fait ce qu'il prétend être. Oui, Chaplin fait en quelque sorte un bilan désabusé de sa vie. On peut lire entre les lignes les affres du vieillissement qui le diminue, le désamour du public après M. Verdoux qui le ronge, sa mise à l'index par des USA plongés en pleine paranoïa anticommuniste qui le rend amer. Oui il fait ressurgir sur les murs un Charlot spectral à travers son Calvero au bout du rouleau, condamné à l'oubli, au néant (la canne et le chapeau melon accrochés sur le portemanteau, les affiches de Calvero où le mot "Tramp" c'est à dire "Vagabond", surnom de Charlot en VO peut être lu etc.)

Mais en même temps, il met en scène une mort des plus théâtrales après un numéro en forme d'apothéose (" Moi je veux mourir sur scène, devant les projecteurs") Et quelle est la raison de ce soudain regain de vitalité qui lui permet de s'accomplir au moment de partir pour de bon? Un échange décisif dans les coulisses avec Terry, la jeune danseuse souffrant d'hystérie que Calvero a recueilli au début du film après qu'elle ait tenté de se suicider. C'est l'amoureux de Terry, dépité d'être éconduit qui pose la bonne question "qu'est ce qu'il y a entre vous?" On pourrait répondre "Rien". Car l'amour entre Terry et Calvero est si fusionnel, absolu qu'ils peuvent se fondre l'un dans l'autre. C'est d'ailleurs ce qu'illustrent les scènes imprégnées de mysticisme où chacun prie pour le succès de l'autre. De même lorsque l'un s'effondre, l'autre se redresse dans un échange de flux énergétique assez saisissant. Si la transmutation ne s'est pas accomplie plus tôt c'est que Calvero passe l'essentiel du film à la refuser et à la fuir. Jusqu'au moment où dans les coulisses, il finit par l'accepter. Ce qui se passe entre elle et lui est alors moins un passage de témoin vers la jeune génération (ça sonne tellement toc d'ailleurs) qu'un accès direct à l'immortalité ("rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme").

Il est impossible qu'Almodovar n'ait pas pensé à ce film lorsqu'il a réalisé Parle avec elle en 2002. Est-ce vraiment un hasard s'il place dans la bouche de la fille de Chaplin (qui interprète comme par hasard une danseuse) ces mots magnifiques sur la transmutation "De la mort surgit la vie, du masculin, le féminin, de la terre surgit l'éther"?

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Charlot à la plage (By the sea)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1915)

Charlot à la plage (By the sea)

C'est du pur slapstick ce qui constitue une régression par rapport au précédent film de Chaplin (The Tramp- Charlot Vagabond) mais au moins c'est sans temps mort. Le septième film de Chaplin pour la Essanay a été tourné sur la plage de Malibu alors beaucoup moins fréquentée que de nos jours. Et si la pantomime gesticulante des personnages qui se bagarrent et se réconcilient à tour de bras fait craindre la lassitude celle-ci est évitée grâce à des gags bien trouvés (la glace tarte à la crème, les fils attachant les chapeaux qui s'emmêlent, le banc qui se renverse, le crochet de la canne qui permet à Charlot de se rapprocher d'Edna etc.), une mise en scène bien rythmée et un jeu toujours aussi étourdissant de Chaplin utilisant son corps et celui de son adversaire de façon virtuose.

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Monsieur Verdoux

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1947)

Monsieur Verdoux

Après l'Opinion publique, c'est la deuxième fois que Chaplin renonce à mettre son Vagabond en scène dans un long-métrage au profit d'un personnage qu'il avait déjà expérimenté dans ses courts-métrages mais qui ne bénéficiait pas de la même popularité que Charlot: celui du dandy. La scène où Verdoux croit boire du poison avant de prendre du lait comme antidote est en effet copiée sur un de ses premiers films de 1914 à la Keystone, Charlot marquis (Cruel, cruel love en VO). Le public a d'ailleurs sanctionné Monsieur Verdoux comme il avait sanctionné l'Opinion publique comme s'il ne concevait pas Chaplin autrement qu'en Charlot.

Pourtant c'est une magnifique gageure que réussit Chaplin 7 ans après le Dictateur: faire un film humaniste sur un criminel en série. Son Verdoux (inspiré par Henri-Désiré Landru) est si bien campé, si bien interprété qu'il transforme son procès en celui des USA, arsenal des démocraties s'enrichissant pendant la guerre en vendant ses armes de destruction massive: “Un meurtre fait un bandit, des millions, un héros. Le nombre sanctifie.” En pleine paranoïa anti-communiste liée au début de la guerre froide les USA feront payer cher à Chaplin cet esprit critique mâtiné d'humour noir et de cynisme. Un cynisme qui met en pièce la morale bien-pensante et les institutions mais qui s'arrête cependant à la porte des plus faibles. Verdoux n'est pas l'ennemi des femmes mais une sorte de justicier sauvage qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Il assassine les rombières pleines aux as à tour de bras mais il essaye de protéger son épouse handicapée et son petit garçon. Il vient également en aide à une jeune femme tout juste sortie de prison et qui se livre à la prostitution pour survivre (un aspect censuré par la pudibonderie américaine). Verdoux (qui a commencé sa carrière de criminel après avoir perdu son emploi) et elle se comprennent et s'estiment. Mais Verdoux a tout d'un être maudit qui rejette les mains tendues et court vers son fatal destin. Mais pas en ligne droite. Son chemin est parsemé de haltes et d'imprévus où à chaque fois il se réinvente une identité pour mieux gruger sa nouvelle proie. Ce qui donne lieu, même dans le crime à des scènes d'une irrésistible drôlerie comme celle où il tente en vain divers stratagèmes pour assassiner l'une de ses épouses sur un bateau ou celle où il tente de se cacher d'elle alors qu'il doit en épouser une autre. C'est donc à juste titre que l'on a qualifié M. Verdoux de "tragicomédie".

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L'opinion publique (A Woman of Paris)

Publié le par rosalie210

Charles Chaplin (1923)

L'opinion publique (A Woman of Paris)

Film en trompe l'œil. Sous les apparences du mélodrame, une tragédie couve (ou drame d'une femme "marquée par le destin"). Mais la tragédie est surtout liée à l'absence de perspective, de ligne de fuite. A la campagne les pères tyranniques et tout-puissants (dont l'ombre expressionniste souligne l'aspect monstrueux) écrasent leurs enfants de leur puritanisme qui n'ont d'autre choix que de fuir. La ville est le royaume d'une autre basse-cour, mondaine, cynique et jouisseuse où les truffes au champagne sont "déterrées par des porcs et constituent un mets délicat pour les porcs et les gentlemen" (la porte d'entrée de l'une des soirées est surmontée d'une pancarte "Sagouin"). Chaplin renvoie ainsi dos à dos puritanisme et débauche comme les deux facettes de la même médaille.

Face à cet horizon bouché, le couple impossible formé par Marie Saint-Clair (Edna Purviance) et Jean Millet (Carl Miller) ne semble pas avoir beaucoup de marge de manœuvre. Néanmoins Chaplin laisse entrevoir avec beaucoup de finesse qu'ils sont également victimes d'eux-mêmes. La tragédie dissimule une clairvoyante étude de mœurs et de caractères. Marie semble être une jeune fille simple et sans malice mais elle finit par rejeter la pauvreté et la domination masculine pour vivre dans le luxe et se jouer des hommes tout en restant à leur merci. Le riche amant qui l'entretient Pierre Revel (Adolphe Menjou dont la retenue fait merveille) n'est pas dupe de ce qu'elle est et s'amuse beaucoup de la voir s'empêtrer dans ses contradictions (la scène où elle jette le collier avant de courir pour aller le récupérer montre que celui-ci est bien une nouvelle chaîne autour du cou). La fin elle aussi en trompe l'œil est un retour à la case départ à la campagne sous la houlette d'un nouveau "père". La morale américaine est sauve. Marie expie ses péchés en faisant de bonnes oeuvres. Amen. Dans une fin alternative amorale conçue pour l'Europe plus libérale en matière de moeurs (en VO le film s'intitule A Woman in Paris perçue comme une ville de plaisirs) elle restait dans la capitale française et se remettait avec Pierre. Dans les deux cas, pas d'issue. Jean qu'il soit rural ou urbain ne paraît jamais en mesure de s'affirmer face à ses parents. Sous la tutelle de son père castrateur à la campagne, de sa mère possessive en ville il se révèle faible, lâche, résigné et préfère fuir dans la mort que de se battre pour atteindre l'âge adulte.

Chaplin réalise un film mature, sobre (dans le jeu des acteurs, le choix du hors-champ), concis (l'art de l'ellipse), subtil et en avance sur son temps. Il n'est guère étonnant que le public ait été dérouté par autant de radicalité même s'il avait annoncé qu'il ne jouerait pas dans son film et que celui-ci serait un drame sérieux.

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Le Dictateur (The Great Dictator)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1940)

Le Dictateur (The Great Dictator)

"La parole est d'argent, le silence est d'or". C'était par peur de se dévaluer, de se diluer dans la médiocrité que Chaplin a résisté au parlant plus de dix ans après sa généralisation dans la production cinématographique. C'est pourquoi son premier film parlant est une si formidable réflexion sur la parole en politique en même temps qu'un acte engagé d'un incroyable courage. On ne mesure peut-être pas aujourd'hui en effet le courage qu'il a fallu à Chaplin pour réaliser ce film, quasiment seul contre tous. En 1939-40 les USA avaient alors un positionnement isolationniste vis à vis de l'Europe et donc une attitude de neutralité vis à vis de l'Allemagne nazie. Cette neutralité voulue par la majorité de l'opinion publique était aussi un moyen pour de nombreuses entreprises (y compris à Hollywood) de faire de bonnes affaires avec les nazis. C'est pourquoi Chaplin subit toutes sortes de pressions et de menaces pour qu'il renonce à son projet d'alerter les USA et le reste du monde sur le danger du nazisme. Seule son indépendance artistique et financière acquise depuis 1919 lui permit d'aller jusqu'au bout.

Dans le Dictateur, Chaplin ouvre donc la bouche pour la première fois mais c'est pour prendre ses responsabilités. Face à un leader charismatique ayant mis le peuple allemand à sa botte et aveuglé le reste du monde, Chaplin joue à fond son rôle de miroir réfléchissant. Tout le monde a souligné la ressemblance entre Hitler et le réalisateur-acteur de l'année de naissance jusqu'à la fameuse petite moustache. Mais on a pas assez souligné la responsabilité du deuxième en tant que guide du peuple. Depuis l'affaire Dreyfus à la fin du XIX°, les intellectuels et les artistes ont un rôle à jouer dans la sphère publique, celui de mettre leur intelligence, leur talent et leur culture au service du plus grand nombre. C'est exactement ce que fait Chaplin dans le Dictateur. Tout en soulignant la ressemblance entre le barbier juif et Hynkel (traduction: tous les hommes sont de la même espèce et le racisme est une absurdité), il oppose deux manières de s'exprimer, deux manières de prendre la parole. Hynkel se caractérise par un sabir proche de l'éructation et de l'aboiement et dont la traduction fait ressortir l'absolue vacuité. Hynkel parle pour ne rien dire. L'homme en lui a capitulé et laissé la place à une bête assoiffée de haine et de désir de vengeance, capable de susciter les réactions pavloviennes de la foule hypnotisée et de ses collaborateurs aux noms évocateurs (Herring-Hareng pour Göring et Garbitsch-Ordure pour Goebbels). Par contraste le petit barbier juif amnésique a très peu de dialogues. La plupart du temps il se tait ou s'exprime très discrètement. Sauf à la fin lorsqu'il doit prendre la place de Hynkel (= ses responsabilités) et parler au peuple pour lui redonner de l'espoir. Son discours de six minutes d'un vibrant humanisme, les yeux dans les yeux de son public (et surtout par delà l'écran avec les spectateurs de chaque nouvelle génération qui découvrent le film) est si fort qu'il reste d'actualité près de 80 ans plus tard à l'heure du retour en force des nationalismes et de l'échec visible des progrès techniques à rapprocher les hommes.

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