Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #carne (marcel) tag

Les Visiteurs du soir

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1942)

Les Visiteurs du soir

En revoyant "Les visiteurs du soir" j'ai compris pourquoi je n'avais gardé aucun souvenir de ce film alors que celui de "Les Enfants du paradis" (1943) ne m'a jamais quitté. Les deux films ont été tourné dans le même contexte difficile de l'occupation, avec une grande partie des mêmes talents (Marcel CARNÉ, Jacques PRÉVERT, Alexandre TRAUNER, Joseph KOSMA et en ce qui concerne les acteurs ARLETTY et Marcel HERRAND) et tous deux situent leur intrigue dans un passé déconnecté (en apparence) du présent du tournage qui oblige à effectuer de somptueuses reconstitutions d'époque. Pourtant le résultat est totalement différent. "Les Enfants du paradis" (1943) est aussi vivant que "Les visiteurs du soir" est en revanche un film minéral, figé, empesé, lent, théâtral avec des personnages qui ressemblent presque tous à des statues de cire ou à des pions sur un échiquier. C'est particulièrement frappant avec le personnage joué par ARLETTY, Dominique qui n'exprime aucune émotion et agit comme un robot (ou si elle proteste, c'est pour la forme "j'aurais préféré le jeune"). Son pendant masculin, Gilles (Alain CUNY) est censé faire de même mais lui est touché par l'amour et désobéit au diable. On passera sur le cliché sexiste douteux qui colle comme un sparadrap au Moyen-Age (la femme est la créature du diable alors que l'homme est touché par la grâce) au profit de la lecture sans doute pertinente de ce conte fantastique à l'aune des préoccupations de l'époque. Le diable (Jules BERRY, seul acteur guilleret dans un film qui semble être un concours de celui qui fera le plus la gueule) et ses deux ménestrels peuvent très bien symboliser les nazis venus occuper la "forteresse France" et la détruire de l'intérieur alors que l'amour incorruptible de Gilles et de la fille du baron, Anne (Marie DÉA) symbolise la résistance. Ce n'est tout de même pas spécialement subtil. Résultat de toutes ces carences: le film fait aujourd'hui daté et vaut surtout pour ses images, la photographie mettant en valeur la magnificence de décors et de costumes directement inspirés des très riches heures du Duc de Berry.

Voir les commentaires

Jenny

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1936)

Jenny

"Jenny" est le premier long-métrage de Marcel CARNÉ. C'est aussi sa première collaboration avec Jacques PRÉVERT: un duo légendaire du cinéma français était né. Bien que moins connu que les films du tandem qui suivirent, "Jenny" est déjà rempli de qualités:

- Un panel de comédiens remarquables dont certains deviendront récurrents dans le cinéma de Marcel CARNÉ comme Robert LE VIGAN et surtout Jean-Louis BARRAULT dans l'un de ces rôles secondaires savoureux dont le film abonde. On reconnaît aussi dans le rôle principal, celui de Jenny Françoise ROSAY, l'épouse de Jacques FEYDER dont Marcel CARNÉ avait été l'assistant.

- Ub style original: l'intrigue principale est conventionnelle mais rehaussée par une galerie de personnages pittoresques. Par ailleurs ces personnages sont pour la plupart des marginaux et des solitaires dont certains cachent une partie de leur vie ou de leurs activités peu recommandables selon les conventions de l'époque* (ce qui fait penser à Marcel CARNÉ lui-même). Par conséquent le film a une tonalité mélancolique voire amère en dépit de sa fin heureuse. Cette hybridité ("réalisme poétique"; "fantastique social") se retrouve au niveau des lieux, en particulier dans les scènes d'extérieur. Par exemple une scène d'amour est paradoxalement filmée dans un décor d'usines et d'entrepôts autour du canal de l'Ourcq dans un petit matin blafard. L'envie d'évasion n'en est que plus grande, notamment pour Lucien (Albert PRÉJEAN) qui préfigure Raymond dans "Hôtel du Nord" (1938).

- Enfin les dialogues écrits par Jacques PRÉVERT qui font mouche et dont on retrouve des variantes dans des films ultérieurs. Par exemple lorsque Florence (Sylvia BATAILLE) dit à l'Albinos (Robert LE VIGAN) un client fortuné du club affamé de chair fraîche " Vous avez les poches pleines et le coeur vide, on ne peut pas tout avoir" on entend déjà Garance dire au Comte dans "Les Enfants du paradis" (1943) "Vous êtes riche et vous voudriez être aimé comme un pauvre. Et les pauvres on ne peut quand même pas tout leur prendre aux pauvres!"

* Jenny cache à sa fille Danièle (Lisette Lanvin) que son club est en réalité un tripot et une maison de passe. De même, Lucien cache à Danièle que la source de ses revenus n'est autre que Jenny dont il est le gigolo. Et Lucien ignore le lien de filiation entre les deux femmes.

Voir les commentaires

Drôle de drame

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1937)

Drôle de drame

"Drôle de drame", le deuxième long-métrage de Marcel CARNÉ et qui aujourd'hui fait partie des films illustres de sa carrière a pour particularité d'être une désopilante comédie policière perdue au milieu des drames "réalistes poétiques" qui ont fait par la suite sa renommée. Fondée sur des quiproquos de théâtre de boulevard d'une redoutable efficacité, elle est rehaussée par un savoureux humour absurde qui puise ses racines dans le courant surréaliste auquel appartenait Jacques PRÉVERT qui signe le scénario et les dialogues comme ceux de la majorité des chef d'oeuvres de Marcel CARNÉ mais aussi dans l'humour anglais puisqu'il s'agit de l'adaptation du roman britannique "His first offence" de Joseph Storer Clouston. C'est sans doute ce mélange qui a désorienté le public à la sortie du film à qui il a fallu vingt ans pour s'imposer définitivement.

Ce qui rend également savoureux ce "Drôle de drame" est son aspect satirique vis à vis du clergé et de la bourgeoisie dont la duplicité est un des ressorts comiques majeurs de l'histoire. N'oublions pas que la cascade de quiproquos part du fait que Margaret Molyneux (Françoise ROSAY) veut cacher à l'évêque Soper (Louis JOUVET) qui s'est invité chez eux à dîner la brusque démission de leurs domestiques. Pour "tenir son rang", elle prend donc la place de la cuisinière avant de se faire draguer sous le pseudo de "Daisy" par un certain William Kramps (Jean-Louis BARRAULT) tueur de bouchers de son état dans un bouge mal famé avant de se retrouver face à face avec lui en tenue d'Adam (l'actrice n'ayant pas été prévenue, sa réaction choquée est des plus naturelles!). Les laborieuses explications de son mari Irwin (Michel SIMON) pour expliquer son absence ne font qu'accroître les soupçons de l'évêque qui finit par se persuader que ce dernier l'a fait assassiner*. Evêque lui-même pris en flagrant délit de tartufferie lorsque ses prêches contre le sexe et la violence dans la littérature sont démentis par le film qu'il se fait sur les agissements criminels de son cousin et par la brochure de music-hall dédicacée par une girl qui semble le connaître intimement (évidemment cette brochure finit dans des mains compromettantes, sinon ça ne serait pas drôle). Enfin le cousin Molyneux possède lui-même une double identité puisque qu'il écrit des romans policiers sous le nom de plume de Félix Chapel, ceux-là même que l'évêque Soper voue aux gémonies et qui finit par lui coller à la peau.

* La réplique "Bizarre, bizarre" est passé à la postérité mais toute la scène est très drôle entre les airs constipés et soupçonneux de l'évêque et l'embarras de Molyneux qui s'enfonce toujours un peu plus dans ses mensonges. Louis JOUVET et Michel SIMON ne s'appréciaient pas et ont transformé leur échange en combat de coqs (de plus en plus éméchés au fur et à mesure des prises). Parfois l'ambiance en coulisses peut être aussi drôle que la scène elle-même.

Voir les commentaires

Hôtel du Nord

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1938)

Hôtel du Nord

Ah mais quel bonheur de humer de nouveau l'atmosphère de ce Paris disparu des années 30, un Paris d'époque plus vrai que nature, un Paris des petites gens avec leur gouaille et leur accent inimitable, une vraie vie de quartier qui est en train aujourd'hui d'agoniser, le canal Saint-Martin devenant pour le coup comme nombre d'autres lieux d'intérêts du centre de Paris un décor pour touristes plus fake que celui que le génial Alexandre TRAUNER a construit pour les scènes reconstituées en studio du film. Alors certes, le réalisme poétique de Marcel CARNÉ doit se passer de son dialoguiste et scénariste d'exception, Jacques PRÉVERT mais cela est compensé par une galerie de personnages hauts en couleur qui sont chacun comme autant de poèmes faisant claquer les répliques avec leurs intonations, leur phrasé si particulier. La scène d'ouverture chorale de la première communion dans un hôtel en forme d'auberge espagnole (Cédric KLAPISCH se situe en effet totalement dans cette filiation et le petit Manolo rappelle la guerre d'Espagne alors toute proche) est un savoureux et plantureux repas pour gourmets cinéphiles entre un jeune Bernard BLIER (qui avait encore des cheveux) voué à jouer les compagnons soumis et cocufiés auprès d'une Paulette DUBOST jouant un rôle proche de la Lisette de "La Règle du jeu" (1939) un François PÉRIER féminin tout juste sorti de l'adolescence, un ANDREX baratineur et séducteur préfigurant Pierre BRASSEUR sous le regard bienveillant des aubergistes, Jane MARKEN (abonnée au rôle mais aussi sympathique dans ce film qu'elle est fielleuse et minaudière dans "Les Enfants du paradis") (1943) et André BRUNOT. En dépit du raciste local, le flic joué par Marcel MELRAC, l'accueil se fait à bras ouverts, même vis à vis de quelques personnages moins fréquentables qui ne sont pas invités à table mais vivent dans le même hôtel. Il s'agit du drôle de couple formé par Raymonde ( ARLETTY, révélée par le rôle) une prostituée forte en gueule et en punchlines cultes (tout le passage atmosphérique est en tête de gondole mais il y en a d'autres) et par Monsieur Edmond (Louis JOUVET) son proxénète au visage indéchiffrable qui semble se cacher. Et puis il y a l'autre couple, celui de la chambre 16 dont je me suis toujours demandé s'il n'avait pas inspiré le titre de Édith PIAF, "Les Amants d'un jour". Volontairement ectoplasmique, ce couple n'a d'intérêt que dans la mesure où il sert de révélateur aux autres personnages. Revenue d'entre les morts, Renée ( ANNABELLA) est accueillie à bras ouverts dans la fameuse auberge et se retrouve dans la position de celle devant qui les hommes jettent le masque. C'est ainsi qu'elle et Adrien évoquent de façon parfaitement naturelle l'homosexualité de ce dernier (alors qu'on est en 1938!!) puis que Monsieur Edmond se dévoile à elle dans un tête à tête qui m'a rappelé celui de "L Extravagant Mr. Deeds" (1935) quand, assis sur le banc d'un parc au milieu de la nuit, Babe (Jean ARTHUR) ouvre son coeur à Deeds (Gary COOPER). Que dire alors de la magnificence de la prestation de Louis JOUVET qui passe littéralement de l'ombre à la lumière et dont la retenue dans l'expression des sentiments me fait penser à celle de Anthony HOPKINS. Comme le dit son personnage tragique mais digne, au moins il aura vu plus de pays en trois jours que durant tout le reste de son existence. Même une séquence aussi banale en apparence qu'une déclaration d'amour prend une saveur particulière rien qu'en écoutant les acteurs parler d'un débit si rythmé qu'il en devient presque musical. Donc désolé mais à mes yeux "Hôtel du Nord" (1938) est un joyau et non un film de "seconde zone" dans la carrière de Marcel CARNÉ.

Voir les commentaires

Le Quai des brumes

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1938)

Le Quai des brumes

"Le Quai des brumes" est le premier grand film du duo formé par Marcel CARNÉ et Jacques PRÉVERT. Avant la "gueule d'Atmosphère" et le "Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour", c'est le "T'as d'beaux yeux tu sais" qui l'a fait entrer dans l'histoire. Les beaux yeux de la toute jeune et magnétique Michèle MORGAN filmés en gros plan et célébrés par la gouaille du non moins charismatique Jean GABIN font oublier que "Le Quai des brumes" c'est d'abord une histoire d'insoumission. Il faut dire qu'il ne faisait pas bon filmer l'histoire d'un déserteur à la veille de la seconde guerre mondiale. Les studios de la UFA sous la botte nazie refusèrent le film qui devait y être tourné (pour cause de contrat liant Gabin à la firme) et en France, le représentant du ministère de la guerre demanda à ce que le mot qui fâchait ne soit pas prononcé. Donc tout se déroule dans le sous-entendu autour d'un personnage qui dérange loin de l'image du "cinéma de papa" que Marcel CARNÉ a ensuite incarné aux yeux d'une partie de la nouvelle vague et de ses héritiers.*

"Le Quai des brumes" est un parfait représentant de ce réalisme poétique qui fera la renommée du duo Carné/Prévert, créateurs d'une atmosphère unique: des dialogues désenchantés et percutants (dans un autre genre que ceux de Michel AUDIARD dont Gabin a été aussi un fameux interprète!), des images en gros plan ciselés à l'aide d'éclairages aussi beaux que ceux des photos Harcourt, des décors somptueux nimbés de pluie et de brume imaginés par Alexandre TRAUNER et des intrigues sombres placées sous le sceau d'une sinistre fatalité.

* Lorsque les Inrockuptibles ont publié leur classement des 100 plus beaux films du cinéma français, ils ont opéré une sélection dogmatique en ostracisant tous les films de Marcel CARNÉ. Pourtant la nouvelle vague n'était pas composée que de jeunes coqs désireux de s'affirmer en rejetant de façon systématique ce qui existait avant eux. Jacques DEMY qui est porté aux nues par toute cette clique snobinarde a pourtant manifesté son amour pour le cinéma de Carné et de Prévert en reprenant la célèbre phrase d' ARLETTY dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1966), "Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un si grand amour".

Voir les commentaires

Le Jour se lève

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1939)

Le Jour se lève

"Le jour se lève" c'est d'abord ce décor incroyable imaginé par Alexandre Trauner. Un immeuble de 5 étages dont la verticalité et la hauteur menaçante tranchent avec l'environnement encore très villageois d'une ville ouvrière d'avant guerre.

Il en va de même avec les plans extérieurs de l'usine. Le "temple de la révolution industrielle" est une architecture surdimensionnée et son éclairage à contre-jour par le chef-opérateur Curt Courant renforce encore l'impression d'un monstre écrasant ses proies comme dans Métropolis de Lang ou Les Temps modernes de Chaplin réalisé seulement trois ans avant "Le jour se lève".

L'intérieur de l'usine est tout aussi cauchemardesque. Des alignements de scaphandres qui travaillent dans la poussière et dans le bruit. "Je t'l'avais dit, c'est tout ce qui a de sain ici" dit ironiquement François (Jean GABIN) à Françoise (Jacqueline Laurent) qui contemple avec désolation son bouquet de fleurs fané en quelques minutes au contact de l'air vicié. C'est un poète insurgé contre l'aliénation de l'homme à la machine qui parle: Jacques Prévert.

On retrouve d'ailleurs son personnage fétiche du Roi et l'Oiseau: l'aveugle au costume noir et aux lunettes rondes. Dans les deux films, il fait partie de ce monde ouvrier filmé en plongée, écrasé, opprimé, balayé par la police qui désire faire place nette (adieu les espoirs du Front Populaire et bonjour Vichy!)

Mais ce n'est pas un roi qui trône tout en haut de la tour d'ivoire. C'est un ouvrier qui s'est barricadé dans sa chambre après avoir craqué et tué l'homme qui le torturait psychologiquement (Jules Berry, pervers à souhait). Un drame passionnel indissociable de sa révolte contre sa condition d'éternel soumis:"Y'a une place à prendre, une bonne petite place, un bon ptit boulot avec des heures supplémentaires. Alors allez-y qu'est ce que vous attendez. Un bonheur là, tout un ptit bonheur!"

Oui François a changé comme tous ne cessent de le dire, il ne se reconnaît même plus dans la glace au point de la briser en mille morceaux. Certes, sa révolte solitaire est sans issue, condamnée à l'image de sa porte murée par l'armoire normande. Mais qu'on ne vienne pas me dire que le réalisme poétique est incapable de contestation et de courage politique. Ce sont ces critiques là qui sont aveugles.

Voir les commentaires

Les enfants du paradis

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1945)

Les enfants du paradis

Les enfants du Paradis est l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma français. Les critiques qui ne jurent que par la Nouvelle Vague (Télérama et les Inrocks pour ne pas les citer) et dédaignent de le faire figurer dans leurs classements des 100 meilleurs films français feraient bien de réviser leurs manuels d'histoire. A savoir le mea culpa de Truffaut qui après avoir dénigré dans les Cahiers du cinéma en 1956 l'œuvre de Carné-Prévert (en tant que "cinéma de papa" à abattre) a fini 28 ans plus tard par admettre qu'il aurait donné volontiers tous les films qu'il avait réalisé contre Les enfants du Paradis. Car si pour s'affirmer il faut sans doute tuer le père, vient un jour où la lucidité vous rattrape. Et puis parler de "cinéma de papa" avec tout ce que cela sous-entend de confort alors que les Enfants du Paradis a été réalisé en pleine guerre dans des conditions particulièrement difficiles avec une partie de son équipe obligée de travailler dans la clandestinité est un contresens. Le spectacle durant l'occupation et les rapports entre le spectacle et la vie constituent d'ailleurs le sujet du Dernier Métro, l'un des plus grands succès de Truffaut, comme un hommage inavoué au chef-d'oeuvre du "père" du cinéma français.

Le sujet principal des Enfants du Paradis est l'amour. "Que ça concerne le cinéma ou le reste, la seule chose qui m'intéresse, c'est l'amour" disait Jacques Prévert, l'auteur du scénario et de dialogues devenus mythiques ("Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour"). L'amour dans tous ses états et tous ses éclats, l'amour omniprésent et protéiforme.

L'amour du spectacle tout d'abord avec sa multitude de mises en abyme. Ayant lieu dans la première moitié du XIX° siècle, l'intrigue se déroule sur le boulevard du crime dans une atmosphère de kermesse et de carnaval et confronte deux mondes, celui de la pantomime en déclin et celui du théâtre en plein essor avec différents genres à l'affiche (comédie, mélodrame, tragédie). Chacun de ces arts est porté par une figure ayant réellement existé: le mime Deburau (Jean-Louis Barrault) d'un côté et l'acteur Frédéric Lemaître de l'autre (Pierre Brasseur). Mais à travers eux, on reconnaît aussi une autre transition ayant eu lieu un siècle plus tard, celle qui a fait passer le cinéma du muet au parlant et qu'a connu Marcel Carné. L'imbrication entre théâtre et cinéma est telle que le film est divisé en deux époques comme une pièce en deux actes avec à chaque fois un lever de rideau.

A l'imbrication entre théâtre et cinéma répond l'imbrication entre ce qui se joue sur scène et ce qui se joue derrière la scène. La mise en abyme est flagrante lorsque Lacenaire (Marcel Herrand) dit au comte de Montray (Louis Salou)" Je ne suis pas un personnage de vaudeville moi alors que vous, oui. Et je le prouve." Là-dessus il écarte les rideaux du hall, révélant Garance (Arletty) qui est alors la maîtresse du comte dans les bras de Deburau. Différentes sortes d'amour se croisent, se heurtent mais ne parviennent pas à s'accorder, la scène et la vie se répondant en miroir. Le catalyseur de tous ces amours désaccordés est incarné par Garance une femme fascinante aussi libre qu'insaisissable. La première "scène" où elle apparaît définit bien son "rôle" puisqu'en tant qu'attraction de foire, elle tourne sur elle-même plongée dans une baignoire en forme de puits sous les regards masculins mais elle ne les voit pas plongée dans son miroir. Durant tout le film, on la voit se dérober vis à vis des hommes qui la convoitent, qui cherchent à la posséder et qui au final finissent par la perdre. Garance vit dans l'instant présent, obéit à l'impulsion du moment et déteste mentir: " je suis comme je suis, j'aime plaire à qui me plaît, c'est tout. Et quand j'ai envie de dire oui, je ne sais pas dire non." Après les avoir essayés, elle rejette tour à tour "l'amour" de Lacenaire, de Frédéric Lemaître et du comte de Mortray. Tous trois ont pour points communs le goût du paraître (bandit-dandy pour Lacenaire, acteur cabotin sûr de son génie pour Lemaître, aristocrate plein de morgue pour Mortray), l'orgueil, un ego surdimensionné qui les rend incapables d'aimer véritablement et une jalousie dévorante qui les conduisent jusqu'à l'assassinat (sublimé par le théâtre dans le cas de Lemaître, bien réel pour les deux autres). Reste Baptiste Deburau, pierrot lunaire passionnément épris de Garance mais que ses projections idéalisées paralysent. Elles l'empêchent en effet d'affronter les demandes charnelles de la Garance de chair et d'os "c'est dans les livres que l'on aime comme ça, pas dans la vie"; "Il ne faut pas m'en vouloir mais je ne suis pas comme vous rêvez." Garance finira par éprouver les mêmes sentiments pour Baptiste mais seulement de loin et lorsqu'elle le saura marié et père comme si elle n'acceptait cet amour que parce que elle le savait impossible. C'est d'ailleurs ce que lui rétorque avec lucidité Nathalie (Maria Casarès), la femme de Deburau qui souffre depuis toujours que son amour pour Baptiste ne soit pas payé de retour "Vous partez, on vous regrette. Le temps travaille pour vous et vous revenez, tête nouvelle embellie par le souvenir...mais rester et vivre avec un seul être, partager avec lui la petite vie de tous les jours, c'est autre chose." L'amour qu'évoque le film est en réalité surtout l'illusion de l'amour.

Voir les commentaires