Le Règne animal
Thomas Cailley
"Le film de Thomas CAILLEY bouscule le cinéma français": c'est le moins que l'on puisse dire! Car même en connaissant vaguement le synopsis, jamais je n'aurais pensé qu'un jour, un cinéaste français allait réaliser en prises de vues réelle un film aussi proche de ce que j'ai pu voir et ressentir devant les plus grands films d'animation japonais pour lesquels la métamorphose, particulièrement celle de l'adolescence n'a aucun secret. Alors, bien sûr que l'on pense à Hayao MIYAZAKI qui dans toute son oeuvre a analysé la relation entre l'homme et la nature. On pense tout particulièrement à "Princesse Mononoke" (1997) parce que l'histoire se déroule dans une grande forêt peuplée d'esprits en lutte contre une micro-société humaine et que par-delà tout manichéisme, la question que pose "Le Règne animal" est fondamentalement la même: comment cohabiter? Mais il y a un film qui ressemble encore plus à "Le Règne animal", c'est "Les Enfants Loups : Ame & Yuki" (2012) de Mamoru HOSODA. Le film raconte l'histoire d'amour clandestine entre une jeune femme et un homme-loup qui disparaît rapidement et la nécessité pour elle par la suite de partir à la campagne, près de la forêt afin d'élever leurs enfants, tous deux hybrides et qui en grandissant doivent choisir entre la condition d'homme et celle de loup. Dans "Le Règne animal", c'est le père, François (Romain DURIS) qui est humain et sa femme, Lana qui s'est transformée, comme d'autres humains, en créature hybride que la société, dépassée, ne sait gérer que par la violence et la camisole chimique. Le film montre de manière frappante ce que le géographe François Terrasson appelait "L'Apartheid de la nature" c'est à dire la séparation totale entre la société humaine et la forêt avec une frontière hérissée de barrières entre deux mondes étanches qui ne communiquent pas. Le seul qui y parvient est Emile (Paul KIRCHER), le fils de François et de Lana parce que c'est un adolescent en pleine transformation et que celle-ci emprunte le chemin de l'hybridation. C'est lui que l'on suit et qui nous permet de basculer dans l'autre monde, peuplé de créatures fantastiques plus vraies que nature et plus humaines que les humains. Il y a Fix (Tom MERCIER), l'homme-oiseau qui fait penser à une gueule cassée et a bien du mal à prendre son envol. Il y a aussi la petite créature qui le suit partout et qui à l'approche de la menace humaine adopte le camouflage du caméléon. Il y a enfin la mère, Lana que Emile ne peut retrouver qu'en liberté. Les effets spéciaux, eux-mêmes hybrides sont une réussite ainsi que la conception des créatures (élaborées avec l'aide de l'auteur de BD, Frederik Peeters qui est un disciple de Moebius lui-même grand fan de Miyazaki). Le fait d'avoir tourné en décors naturels est également un élément clé de la réussite du film. Jamais la forêt des Landes (pourtant à l'origine une plantation d'arbres 100% d'origine humaine!) n'a paru aussi mystérieuse, ni aussi "naturelle". Et la scène de chasse à "l'homme-animal" en nocturne dans les champs de maïs avec des hommes à échasses est particulièrement puissante. Les quelques scories du film (Adele EXARCHOPOULOS dans un rôle qui sonne faux et qui est inutile par exemple) n'enlèvent rien à la beauté, la force d'évocation du film et à la richesse des réflexions qu'il suscite.