La peur du monstre nocturne caché dans le placard ou sous le lit est une terreur enfantine universelle dont se nourrit Monstropolis pour s'alimenter en énergie. Mais dans le monde coloré de Pixar, ce sont moins les enfants qui ont peur des monstres que les monstres qui ont peur des enfants! Un renversement de situation particulièrement amusant. Mais le film, absolument génial, est bien plus que ça. Il parle avec beaucoup de tendresse de l'apprivoisement mutuel d'une petite fille surnommée "Bouh" et de Sully, "Terreur d'élite" à la fourrure soyeuse (un régal pour les yeux et un prodige technique de la firme) qu'elle appelle "Minou". Leur lien quasi-filial bouleverse l'ordre établi. Sully s'affranchit du rôle que la société veut lui faire jouer alors que son inséparable comparse, Bob, le petit cyclope vert malin mais chétif trouve sa place en découvrant que l'énergie comique est 10 fois plus puissante que celle de la peur.
"Monstres et Cie" est sans doute le film le plus chaplinesque des studios Pixar. On pense au "Kid" évidemment d'autant que "Bouh" est un personnage de pantomime qui ne s'exprime que par onomatopées. Mais le film est également proche des "Temps modernes". L'usine à cris qui emploie Sully et Bob menace de broyer Bouh dans ses engrenages et tous trois se retrouvent pris à la fin dans un roller coaster qui n'est autre qu'un rail de chaîne de montage!
Et puis il y a le symbole omniprésent de la porte qui est profondément ambivalent. Elle représente l'interface entre le monde des chambres d'enfant et celui de l'usine des monstres, la peur de l'inconnu mais aussi la nécessité de protéger son intimité face aux intrusions indésirables. La scène des toilettes est d'autant plus significative que Bouh est une petite fille. Celles-ci ont plus de difficultés que les garçons à se protéger pour se soulager dans l'espace public ce qui explique qu'elles sont beaucoup plus sujettes qu'eux aux infections urinaires.
Le film (qui n'est que le quatrième long-métrage de la firme) est bourré de clins d'œil aux œuvres passées mais aussi à venir. Dans la chambre de Bouh, on distingue le ballon de "Luxo Jr.", Jessie de "Toy Story 2" mais aussi Nemo, le poisson-clown qui succèdera à Bob et Sulli. Lorsqu'ils passent à travers les portes, on reconnaît le Mont Fuji et la tour Eiffel, allusion à l'amour que l'équipe Pixar porte au Japon et à la France, les deux autres géants de l'animation mondiale. On pense également à l'univers de "Ratatouille".
Un Pixar cinq étoiles, le deuxième réalisé par Brad Bird après les "Indestructibles". "Ratatouille" est une fable très riche qui en dépit de ses décors de carte postale rétro parle de notre monde contemporain avec une grande acuité. Le tout avec un savoir-faire comique digne des meilleurs films burlesques et une belle inventivité visuelle.
"Ratatouille" est une critique de la mondialisation libérale et son nivellement culturel par le bas, de la compétition à outrance et des rapports de pouvoir, du snobisme, du consumérisme, de l'ignorance, de l'exclusion, des préjugés c'est à dire de tout ce qui s'oppose à la créativité. Laquelle est incarnée par Rémy, un rat d'égout (donc l'équivalent d'un Intouchable) doté d'un odorat très développé, d'un goût raffiné et d'un désir de création artistique dans le domaine culinaire. Un don encouragé par un grand chef, Auguste Gusteau qui a écrit un livre destiné à rendre la grande cuisine accessible à tous. Mais cet acte de générosité a été largement incompris et a entraîné sa déchéance. Il arrivera d'ailleurs exactement la même chose à Anton "Ego" lorsqu'il renoncera à sa plume assassine en publiant enfin une critique de contrition, à la fois humble et positive sur le talent de Rémy.
Mais il n'y a pas que la société humaine qui refuse d'être éclairée. La communauté de rats dans laquelle vit Rémy est tout aussi obscurantiste. Le frère obèse et bêta de Rémy, Emile n'a aucune éducation alimentaire et mange n'importe quoi (on voit bien à quoi cela fait allusion), il est effrayé par les ambitions de Rémy et son savoir. Quant au père, persuadé de l'irréductible hostilité des humains à l'égard des rats, il méprise ou exploite le don de son fils dans un but purement utilitariste.
Rémy est donc aussi incompris d'un côté que de l'autre ce qui fait de lui un personnage torturé entre son besoin d'accomplissement dans les hautes sphères et sa loyauté vis à vis de sa famille de parias . C'est à juste titre qu'on l'a comparé à Cyrano obligé de trouver une couverture pour dissimuler son apparence et pouvoir exprimer son art. Et ainsi s'opposer au sous-chef Skinner, véritable Iznogoud dont le complexe d'infériorité nourrit la cupidité et la soif de pouvoir. Ce dernier a vendu l'image de Gusteau aux chaînes agroalimentaires industrialisées et règne en tyran sur la cuisine (un monde très machiste comme le rappelle Colette, le seul personnage féminin du film).
Le talent de l'équipe du film est aussi d'avoir réussi à nous faire entrer dans la peau de Rémy. La caméra adopte souvent son point de vue ce qui permet de jouer sur les échelles et les espaces (celui très feutré de la salle de restauration par opposition à celui très encombré et hystérique de la cuisine sans parler des égouts, de la réserve et des toits). Cela donne des scènes mouvementées pleines de gags irrésistibles mais également émouvantes devant la fragilité et la précarité du héros.
"Ratatouille" est exactement à l'image de son titre: une recette simple en apparence (de nombreux critiques ont qualifié l'intrigue du film de "classique") mais qui en réalité repose sur un équilibre subtil.
"La Chèvre" est le deuxième film de Francis Veber (après "Le Jouet" en 1976 avec Lino Ventura qui devait d'ailleurs initialement interpréter le rôle de Campana avant de poser des conditions qui rendirent caduque sa participation au film.) C'est aussi l'un de ses plus gros succès avec "Le Dîner de cons" (Villeret devait d'ailleurs jouer à l'origine le rôle de Perrin mais Lino Ventura s'y était opposé, pfff...). C'est enfin le premier volet de sa trilogie avec le duo Depardieu/Richard (les deux autres étant "Les Compères" et "Les Fugitifs"). Et enfin c'est le film qui révéla le potentiel comique de Depardieu, lequel était jusque là cantonné aux rôles dramatiques.
Veber montre dans ce film à l'efficacité imparable qu'il connaît les secrets (je préfère parler de secrets que de recettes) de la comédie fondée sur une savante mécanique et sur l'art du décalage. La mécanique comique de "La Chèvre" fonctionne avec une efficacité redoutable. Le duo Perrin/Campana est comparable à celui de l'auguste et du clown blanc, la drôlerie des maladresses du premier étant décuplée par les expressions incrédules ou furieuses du second grâce au jeu du champ et du contrechamp. D'autre part, cette opposition de caractères est aussi une opposition d'univers. D'un côté le monde logique et rationnel de Campana qui ne croit qu'aux faits. De l'autre le fonctionnement irrationnel et fantaisiste de Perrin, sorte de Pierrot lunaire un peu rêveur. Cette opposition est celle de deux facettes de l'humain. La première survalorisée car si elle rassure et contrôle, elle limite aussi comme le montre l'échec initial de l'enquête sur la disparition de la petite Bens. La seconde nettement plus refoulée car elle demande lâcher-prise, abandon et humilité face à ce qui nous échappe. Pourtant c'est l'alliance des deux hommes (et donc de ces deux facettes) qui permettra de faire aboutir l'enquête histoire de rappeler au passage que l'homme marche sur deux jambes.
L'ouverture d"Intouchables" mériterait d'être enseignée dans les écoles de cinéma. Elle témoigne de l'art subtil du glissement de tons à l'intérieur d'une même scène dont sont capables Toledano et Nakache. On passe en effet en quelques minutes du drame au thriller puis à la franche comédie exactement comme on passe du piano de Ludovico Einaudi au funk de Earth, Wind & Fire.
Drame tout d'abord car les premières images du film reviendront à la fin, remises dans leur contexte. Et c'est bien à un moment de drame que l'on assiste. Philippe (François Cluzet) n'est pas encore remis de l'enfer qu'il a vécu après le départ de Driss, son visage est encore marqué par le poids d'une souffrance insondable. Au point qu'un peu plus tard en plein milieu d'une scène de comédie où Driss s'amuse à lui faire des moustaches de plus en plus improbables, il lui demande d'en finir. Un bref instant de désespoir entre deux accès de légèreté qui en dit long sur le calvaire vécu par le personnage. Quant à Driss, un délinquant déraciné qui a bien du mal à trouver sa place dans la société, il émerge d'une longue nuit cernée de problèmes et on est frappé par les scènes où il est filmé dans sa cité, d'un réalisme quasi documentaire.
Thriller ensuite car la course-poursuite entre Driss/Philippe et la police est une assez bonne métaphore d'une relation qui se construit en dehors de toutes les normes et de tous les cadres. La magie du film, c'est l'évidence, la fluidité des échanges entre deux hommes que tout oppose à priori mais qui en réalité sont embarqués sur le même bateau et se découvrent humainement extrêmement proches. On peut d'ailleurs souligner le talent des réalisateurs à faire jouer ensemble deux acteurs venus d'univers aussi différents que François Cluzet (que je n'aime pas d'habitude, trop froid, trop cassant, mais là il est comme éclairé de l'intérieur) et Omar Sy (dont le sourire est irrésistible).
Comédie enfin car tels deux sales gosses, Driss et Philippe jouent un bon tour à la police qui après les avoir pourchassés deviennent leur escorte quasi présidentielle. En résumé après avoir été Intouchables (au sens d'indésirables) ils deviennent intouchables (inatteignables, invincibles) et ce par la simple magie de leur alchimie et de leur humour.
"Le dîner de cons" est une comédie à l'efficacité imparable. En effet elle repose sur le principe originel de "l'arroseur arrosé" puisque tel est pris qui croyait prendre. Quant à sa mécanique réglée au millimètre, elle rappelle la fameuse phrase de Bergson "le rire est du mécanique plaqué sur du vivant." Comme en plus l'arroseur, Brochant (Thierry Lhermitte) est un parfait salaud qui méprise, trahit et manipule les autres (son soi-disant meilleur ami, ses complices, sa femme, sa maîtresse sans parler des "cons" qu'il recrute pour le plaisir sadique de se payer leur tête), on est enchanté de voir les ennuis s'accumuler au dessus de sa tête. Et ce d'autant plus que c'est le dindon de la farce qui déclenche sans le vouloir toutes les catastrophes qui s'abattent sur Brochant du tour de rein au contrôle fiscal, séquence absolument jubilatoire où celui-ci se révèle encore plus pathétique que nous le pensions.
A ce travail d'orfèvre sur la forme s'ajoute la critique sociologique acérée du réalisateur, servi par la composition géniale de Jacques Villeret. Celui-ci joue à la perfection son personnage candide débarquant dans un monde nanti et cynique dont il ignore tous les codes et qui pour compenser est envahi par le besoin irrépressible d'aider, déclenchant une sorte de "revanche sociale" inconsciente. Revanche sociale, oui car l'attitude de Brochant et de ses pairs (de grands bourgeois snobinards et fraudeurs) s'apparente à du mépris de classe vis à vis "des petits gris", employés modestes dont les hobbies cheap font l'objet de toutes les moqueries. Et Veber s'appuie sur des témoignages pas du tout comiques (ceux du "Tout Paris" où des dîners de cons étaient réellement organisés) pour tourner en dérision la bêtise humaine, celle du cœur encore plus que celle du cerveau.
Aucun film de Cassavetes n'est particulièrement aimable au premier abord. Husbands ne déroge pas à la règle et la pousse même dans ses derniers retranchements. L'errance pathétique de trois hommes en goguette dont le comportement oscille entre le chahut puéril et la goujaterie a de quoi rebuter. Sauf que le voir ainsi, c'est passer à côté de ce qui fait le prix de ce film: son exceptionnelle substance humaine comme tous les films de ce réalisateur dont le style se rapproche du néoréalisme et de la nouvelle vague.
Tout est affaire de mise en abyme. Au premier degré, oui Husbands est un film "moche" avec une succession de scènes de délires éthyliques étirées au maximum suivies de sas de décompensation dépressifs dans les toilettes, le métro ou de tristes chambres d'hôtels. Mais à l'arrière-plan, Cassavetes nous crie son besoin de cinéma viscéral, un cinéma du coeur et des tripes. C'est comme cela qu'il faut prendre la scène largement improvisée du concours de chant bien arrosée où apparemment sans raison un des trois larrons Harry (Ben Gazzara) se met à crier sur l'une des chanteuses "Faux! Faux! Sans passion! Mets-y de l'âme! Ça doit sortir du coeur!" La différence entre le cinéma et la vie se réduit d'autant plus que l'actrice (non prévenue) apparaît aussi déstabilisée que son personnage. Tout le film travaille ainsi les acteurs au corps au plus près de leurs émotions jusqu'à en sortir la vérité des êtres. La bouleversante mise à nu des âmes fait que l'on passe outre les caractères peu reluisants de ces hommes en pleine crise existentielle.
Ils étaient quatre au départ, quatre quadragénaires immatures que leur amitié empêchait de sombrer. Mais quand Stuart meurt, un gouffre s'ouvre aux pieds de Harry, Gus (Cassavetes) et Archie (Peter Falk) confrontés au vide de leur existence, à la perspective de la vieillesse et de la mort. Husbands est non seulement le premier film en couleur de Cassavetes et le premier film où il se met en scène mais c'est aussi le film fondateur de sa collaboration avec Peter Falk et Ben Gazzara. Ces deux derniers avaient déjà une solide expérience au cinéma et à la TV (dont un célèbre inspecteur qu'on ne présente plus). Mais l'aventure cassavetienne était d'une autre nature. Une relation entre 3 fils d'immigrés (italiens pour Gazzara, grecs pour Cassavetes, juifs d'Europe centrale pour Falk) d'une puissance hors du commun, gémellaire à la ville comme à la scène (dans le film les trois hommes arborent des costumes identiques), trois hommes que l'on sent liés à la vie à la mort. Le film analyse différentes facettes de cette relation, l'amitié, la fraternité, la complicité et même l'amour avec sa composante homosexuelle (une belle critique précise qu'ils "chahutent comme des garnements et s'étreignent comme des amants"). L'acteur qui incarne le quatrième poteau Stuart (que l'on ne voie qu'en photo) ne fait qu'enfoncer le clou du brouillage des frontières des identités, de la vie et du cinéma. Il s'agit de David Rowlands, le frère de Gena, épouse de Cassavetes. Enfin pour comprendre le sens profond de la démarche de ce cinéaste il suffit de traquer le passage où apparaît une femme âgée (ici c'est Delores Delmar en rombière de casino) prête à tout pour obtenir quelques miettes d'amour d'hommes plus jeunes et ne pas sombrer.
Toy Story 3 élève encore le niveau d'un cran par rapport au film précédent qui était déjà un chef-d'oeuvre. Tout en ménageant quelques moments hilarants (Buzz en latin lover et Ken en fashion victim sont deux moments cultes à ne rater sous aucun prétexte), le 3° film entre dans une dimension crépusculaire aux confins du tragique qui préfigure le magnifique Vice Versa réalisé 5 ans plus tard. Ces deux films évoquent la difficulté inhérente au fait de grandir, une mue qui ne peut se faire qu'au prix de la perte et du deuil ("grandir, c'est mourir un peu"). La force de Toy story 3 résidant dans le fait de pouvoir nous identifier aux jouets mais aussi dans un final qui prend littéralement à la gorge, à Andy au seuil de sa vie d'adulte. Quel chemin parcouru depuis le premier opus où les humains n'étaient que de vagues silhouettes en arrière-plan!
A la fin de Toy Story 2, Woody avait fait un choix, celui de rester un jouet vivant auprès d'Andy, acceptant de ce fait d'être tôt ou tard cassé, oublié, abandonné. 10 ans ont passé et les angoisses des jouets semblent devenues une triste réalité "On est finis, has been, on nous abandonne." Entassés pêle-mêle dans un coffre et plongés dans le noir depuis des années, les jouets attendent que leur sort soit scellé par l'entrée d'Andy à l'université. Sa mère lui a en effet ordonné de vider sa chambre et de trier ses affaires, lui donnant des boîtes en carton pour le grenier et des sacs poubelle pour les objets à jeter. Prenant les devants, les soldats de plastique décident de prendre la poudre d'escampette "Andy a grandi. Mission accomplie. Face aux sacs poubelles, on n'a aucune chance. On lève le camp." Pour les autres, rescapés de tris antérieurs (dont notamment Siffli, le télécran et la bergère ont fait les frais), deux choix s'offrent à eux ce qui les rend exactement semblables aux humains. Ou comme Woody rester fidèle à Andy en gardant l'espoir qu'il conserve ses jouets pour les transmettre à ses propres enfants. Ce qui implique une foi en sa capacité à ne pas oublier ses émotions d'enfance et donc à accorder une valeur plus grande à ses jouets que celle d'objet périssable. Ou cyniquement, espérer "se vendre" au plus offrant "allons voir ce que l'on vaut sur internet" lance ainsi Bayonne le cochon-tirelire qui en connaît un rayon sur les lois du capitalisme et de l'objet de consommation jetable. Le choix est d'autant moins facile à faire qu'Andy ne semble plus tenir à ses jouets sauf à Woody qu'il décide de prendre avec lui à l'université. Le moral au plus bas à cause d'un quiproquo qui a failli les faire terminer dans la benne à ordures, les compagnons de Woody décident de tenter l'aventure de la crèche "Sunnyside" où ils espèrent trouver un foyer pérenne. Au lieu de quoi ils se retrouvent dans un "lieu de ruine et de désespoir régi par un ours maléfique parfumé à la fraise" qui sous l'apparence d'une peluche rose bonbon se révèle être un monstre. Ce personnage tyrannique et mafieux, entourée d'une garde rapprochée soumise par la corruption ou par la force, condamnant à mort les nouveaux jouets (perçus comme des rivaux potentiels) en les donnant en pâture aux touts petits s'avère être d'une noirceur absolue. Aucune rédemption ne lui est accordée ce qui fait de lui un personnage résolument tragique. Il illustre les pires choix que l'on peut faire à partir d'une même histoire traumatique (lui aussi a été abandonné et oublié). Même en regardant la mort en face, Woody et ses amis se donnent la main. Et c'est encore Woody qui souffle à Andy le bon choix à faire. Celui-ci se résout difficilement à se séparer de lui pour le transmettre en même temps que ses amis à un autre enfant, digne de cet héritage. Tellement digne même qu'il possède un Totoro chez lui (bel hommage à Miyazaki en passant). Et pour marquer ce rite de passage, Andy joue une dernière fois avec ses jouets avant de les quitter définitivement.
Toy Story 3 comporte quelques scènes vraiment grandioses: l'ouverture épique dans les grands espaces du Far West magnifie les personnages dans des proportions jamais vues jusque là; la crèche transformée en forteresse-prison est le théâtre d'une scène d'évasion spectaculaire (avec clins d'oeils à Mission Impossible, à la Grande Evasion etc.). Enfin l'incinérateur de la déchetterie prend la dimension d'un gouffre apocalyptique menaçant pour de bon d'anéantir définitivement les personnages.
Le deuxième volet de la saga Toy Story surpasse le premier opus à tous les niveaux. L'animation en images de synthèse a fait des progrès considérables en quelques années permettant à des humains comme Al le collectionneur cupide d'occuper une place importante dans l'histoire. L'univers s'élargit dès la superbe scène d'ouverture intergalactique qui fait de Buzz un virtuel ranger de l'espace avec plein de petits clins d'œil jubilatoires à Star Wars et 2001 l'odyssée de l'espace. Clins d'oeils prolongés avec la scène ou Buzz et sa Némésis Zurg rejouent le "je suis ton père" "Aaaaaaah!" Plusieurs scènes d'action haletantes mettent les jouets en relation avec des espaces démesurés pour eux (tour de 23 étages, immenses rayonnages de la ferme aux jouets, route à traverser, aéroport). Mais ce sont surtout les caractères des personnages et les thèmes du film qui gagnent en profondeur. Woody est confronté à un véritable dilemme existentiel qui dépasse de loin son statut de jouet pour toucher à l'universalité de la condition humaine. D'une part il découvre ses origines et son glorieux passé. Il est l'un des multiples produits dérivés d'une série TV de la fin des années 50, "Woody's Roundup" dont il était la vedette. Il s'agit d'un hommage nostalgique à l'émission pour enfants américaine "Howdy Doody" qui connut un grand succès entre 1947 et 1960 avant d'être éclipsée par la conquête spatiale. D'autre part il doit choisir son avenir entre deux voies possibles. Un destin d'objet de collection de musée vitrifié pour l'éternité ou un destin de sujet qui se sent vivant car l'enfant qui joue avec lui le voit ainsi "la vie ne vaut d'être vécue que si l'on est aimé". Mais choisir d'être vivant et aimé implique aussi l'acceptation du vieillissement ("si vous jouez avec, il ne durera pas"; "Les jouets ne sont pas éternels"), de la perte, de l'abandon et de l'oubli sous un lit, sur une étagère, dans un vide-grenier... ("on n'oublie pas des enfants comme Emily ou Andy, ce sont eux qui nous oublient"; "Crois-tu qu'Andy t'emmènera avec lui à l'université ou en lune de miel?") et enfin la mort (Woody rêve qu'il est jeté à la poubelle et englouti, Jessie qui a été mise dans un carton et donnée à une œuvre de charité a peur de retourner dans le noir etc.) C'est ce questionnement qui donne tout son relief psychologique au personnage du "méchant", le chercheur d'or, Papy Pépite qui vit depuis son premier jour dans une boîte que personne n'a jamais ouvert. Jaloux et aigri de n'avoir jamais été acheté (choisi et aimé par un enfant), il déteste "les jouets frimeurs" et de ce fait est prêt à tout pour forcer Woody à entrer au musée avec lui. En guise de punition, il devra apprendre "la vraie vie d'un jouet" entendez, devenir mortel.
La sortie du premier Toy Story en 1995 a fait date dans l'histoire du cinéma d'animation au même titre que la sortie de Blanche-Neige en 1937. Pour trois raisons:
- Premier long-métrage d'animation entièrement en images de synthèse. - Premier long-métrage des studios Pixar. - Premier film d'une série culte (trois films à ce jour, un quatrième en préparation).
Bien sûr ce rôle de précurseur explique que certains aspects du film aient aujourd'hui vieilli (l'animation des humains et du chien Scud). Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est que ce film pose aussi bien les bases de l'univers Toy Story que celui des studios Pixar. Dès cet opus, ceux-ci se démarquent des studios Disney (les seconds n'avait pas encore racheté les premiers mais John Lasseter avait travaillé pour Disney comme animateur au début des années 80 et Toy Story a été le fruit de la collaboration des deux studios).
Le postulat de Toy Story repose sur des jouets qui prennent vie dès que les humains leur tournent le dos. Des jouets attachants dotés d'une véritable complexité humaine. En dépit de leur apparence colorée, ils se comportent comme les employés consciencieux d'une entreprise soucieuse d'accomplir sa mission: se mettre au service de leur petit propriétaire, Andy. Leur plus grande peur est d'être oubliés, remplacés, jetés au rebut. Une angoisse d'anéantissement qui traverse toute la série Toy story. Dans le premier, le pic d'angoisse a lieu lors des anniversaires et des noël d'Andy. Chaque jouet est à l'affût de celui qui pourrait le détrôner et tout particulièrement Woody le cow-boy, jouet préféré d'Andy et qui de ce fait est celui qui a le plus à perdre. L'arrivée de Buzz l'éclair provoque la jalousie de Woody qui rêve de se débarrasser de l'intrus. Non sans l'avoir auparavant remis à sa place car Buzz est persuadé d'être un véritable ranger de l'espace et non un simple jouet. Ce qui donne lieu à un dialogue parmi les plus brillants du film " Tu viens d'où? Singapour? Hong-Kong?", "De Gamma 4", "Moi de Playschool", "Moi de Mattel ou plutôt de la petite société qu'ils ont absorbé." Mais son conflit avec Buzz va l'entraîner "du côté obscur" incarné par Sid, un gamin sadique qui fait exploser ses jouets ou les transforme en mutants hybrides.
Derrière l'univers enfantin, on voit poindre toute une série de thèmes traités de façon adulte: peur de l'abandon et de ne plus être aimé, maltraitance, préjugés, perte des illusions et de l'innocence etc. Le tout est emballé dans des décors et scènes plus réussis les uns que les autres: l'inquiétante maison de Sid et sa moquette sortie de Shining, la pizzéria "Pizza planet" et ses petits extra-terrestres fatalistes attendant d'être choisis par le grappin magique, la course-poursuite finale qui fait penser à Indiana Jones (tout comme le globe terrestre qui roule sur Buzz), le raid militaire des soldats en plastique... Quant à Woody et Buzz, ils instaurent le "buddy movie" au sein du cinéma d'animation grâce à leurs caractères complémentaires (cool pour le souple Woody et inflexible et déterminé pour le rigide Buzz) qui regardent dans la même direction: celle de la frontière à repousser. Comme les studios Pixar: vers l'infini et au-delà!
The Rounders qui signifie "les ivrognes" ou "les débauchés" est l'une des meilleures comédies tournées à la Keystone par Chaplin. Elle servira de modèle à plusieurs œuvres futures. Si Roscoe Arbuckle et Chaplin avaient déjà tourné ensemble dans six courts-métrages, The Rounders est sans nul doute leur meilleure collaboration. Les deux comiques sont irrésistibles dans leurs numéros d'ivrognes poursuivis par des épouses acariâtres. On ne sait d'ailleurs qui plaindre le plus: les maris harcelés par leurs mégères ou les femmes flanquées de chiffes molles sauf quand il s'agit de leur piquer des sous pour aller à la taverne du coin. Roscoe Arbuckle rendit plus tard un hommage aussi ému que lucide à Chaplin: " J'ai toujours regretté de ne pas avoir été son partenaire dans un film plus long que ces bandes d'une bobine tournées si rapidement. C'est un artiste complet, de génie sans aucun doute, l'unique de notre époque et le seul dont on parlera encore dans un siècle."
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.