Je n'avais pas revu ce film depuis environ un quart de siècle dans le cadre d'un cycle Jim JARMUSCH mais si je ne me souvenais plus de l'intrigue, je me rappelais en revanche très bien de l'ambiance. Celle d'un film qui commençait de façon aussi neurasthénique que ses deux prédécesseurs, "Permanent Vacation" (1980) et "Stranger than Paradise" (1984) avant d'être revitalisé d'un coup de baguette magique par la joie de vivre et la chaleur humaine dégagée par le personnage de Roberto BENIGNI. Mais en fait le film a un côté bouffon dès le début avec une première partie construite en montage parallèle nous narrant les mésaventures tragi-comiques de Jack (John LURIE) et Zack (Tom WAITS) alias "Bonnet blanc et Blanc bonnet". Leurs prénoms sont quasi identiques (Roberto d'ailleurs les confond) et leurs trajectoires sont parfaitement parallèles ce que souligne aussi bien la mise en scène que la narration. Tous deux sont des types minables du genre avachi qui ont l'air de passer leur temps à se défoncer ou à broyer du noir à longueur de journée sous l'œil consterné ou goguenard d'une femme alanguie ou furibarde qu'ils n'ont pas l'air de vraiment voir. Il n'est guère étonnant que ces types un peu à côté de leurs pompes se fassent grotesquement piéger (ça ne m'avait pas fait rire la première fois mais le comique de situation m'est apparu assez savoureux la seconde) et se retrouvent dans la même cellule de prison d'abord à s'ignorer superbement puis à force de promiscuité forcée, à se bouffer le nez.
Et c'est donc au moment où ils vont s'entretuer qu'apparaît le troisième larron Roberto qui est enfermé avec eux. D'un dynamisme et d'une jovialité à toutes épreuves malgré un anglais approximatif il va d'abord alléger l'épreuve du confinement ^^ au point de réussir à tirer une esquisse de sourire (à mon avis il n'a pas eu besoin de se forcer) à John LURIE qui est plutôt du genre à tirer la tronche. Puis par ses connaissances littéraires et cinématographiques il va ouvrir une fenêtre dans le mur de la cellule et permettre à ses camarades d'infortune de s'évader au sens propre comme au sens figuré. Commence alors une drôle d'odyssée dans le "Deep South" (l'histoire se déroule à la Nouvelle-Orléans) où là encore la générosité de Roberto est décisive pour maintenir la cohésion du groupe. Dans ce film où la beauté de la photographie se combine avec une précision géométrique de la mise en scène, celle où Roberto cuisine un lapin pour eux trois tandis que les deux autres après s'être disputés tentent de partir chacun de leur côté montre que le parallélisme des destins de Jack et de Zack s'est transformé en une figure triangulaire dont Roberto constitue le sommet (là où les lignes de fuite convergent). Cette figure triangulaire culmine dans la scène de l'auberge. Alors que Roberto s'y engouffre avec confiance les deux autres, manifestant leur nature fuyante partent se cacher avant que la faim ne les poussent à rappliquer une fois de plus vers le sommet du triangle, là où se nichent la chaleur et la convivialité. Ils découvrent alors le rapport que Roberto entretient avec le sexe opposé, à l'opposé du leur (évidemment). C'est tout le sens de la scène de danse où Jack et Zack dont la relation aux femmes est fondée sur une impossibilité glaciale regardent depuis l'arrière plan Roberto et Nicoletta, son double féminin (Nicoletta BRASCHI) danser étroitement enlacés et visiblement très amoureux. Il n'est guère étonnant qu'en perdant celui qui les liait, Jack et Zack repartent, cette fois définitivement sur des chemins divergents, reformant le V du triangle, ouvert vers des perspectives inconnues.
"Astrid et Raphaëlle" est une série policière télévisée en cours de diffusion sur France 2. Elle se compose pour le moment d'un épisode pilote de 1h30 (visible sur YouTube) et d'une première saison de 8 épisodes de 52 minutes (visibles au fur et à mesure sur France 2 Replay).
Ce qui m'a amené à m'intéresser à cette série est qu'elle reprend un principe archi-rebattu, celui du duo de flics aux tempéraments opposés et donc complémentaires mais dans une perspective résolument féministe et inclusive. Les deux enquêtrices sont des femmes qui ne sont pas vraiment dans les clous. Raphaëlle (Lola DEWAERE, la fille de Patrick DEWAERE) est une commandante de police séparée de son compagnon qui a perdu la garde de son fils dont elle a du mal à s'occuper à cause de son mode de vie plutôt désorganisé. Impulsive et fâchée avec les règles, elle est adepte de la méthode "bazooka" notamment vis à vis de sa hiérarchie ce qui lui vaut de se mettre dans des situations délicates. A l'inverse, Astrid (Sara MORTENSEN) est une jeune autiste au mode de vie réglé comme du papier à musique. Elle travaille à la documentation criminelle dans la solitude et le silence et se passionne pour les puzzles, quels que soient leur nature. Raphaëlle se rend compte rapidement que les capacités d'Astrid sont précieuses pour mener à bien ses enquêtes et lui offre l'opportunité de sortir de son placard. Elle devient alors sa coéquipière, non sans difficultés.
La représentation de l'autisme dans la série se rapproche beaucoup de celle qu'offrait Benjamin LAVERNHE dans "Le Goût des merveilles" (2014). C'est assez logique dans la mesure où Joseph Schovanec a été l'un des modèles dans les deux cas. Rappelons qu'il y a autant de formes d'autisme que d'autistes et que ce trouble neuro-développemental ne se limite pas aux asperger brillants intellectuellement du type "Rain Man" (1988). S'ils sont sur représentés, c'est qu'ils peuvent parler (donc dans une certaine mesure communiquer) et que leurs capacités sont convoitées par une société qui envisage les individus sous l'angle utilitariste et productiviste avant tout. De plus les troubles autistiques des asperger ne sont pas toujours visibles, surtout chez les femmes qui ont tendance plus que les hommes à dissimuler leur différence au prix d'une grande dépense d'énergie. Celle d'Astrid au contraire est surlignée avec sa démarche et son phrasé mécanique et le fait qu'elle ne regarde pas dans les yeux. La réalité est beaucoup plus subtile.
Néanmoins, la série fait œuvre de pédagogie en diffusant au grand public beaucoup d'informations pertinentes sur les asperger et leur mode de fonctionnement (hypersensorialité, difficulté à reconnaître et exprimer les émotions, intérêts restreints, besoin de solitude et de silence, besoin de cadres clairs et de rituels précis pour se rassurer dans un monde qui paraît chaotique, dépense énergétique surhumaine pour s'adapter au monde des neurotypiques multipliant les risques de burn out etc.) Elle montre aussi comment le monde du travail et la société en général peut mieux les intégrer, par exemple en faisant des efforts de clarification sur les consignes (les asperger commettent des bourdes ou ont des pics d'angoisse en se saisissant pas l'implicite). Les deux derniers épisodes montrent qu'une insertion adaptée permet aux autistes "légers" comme Astrid et William de progresser dans leurs interactions avec les autres et de conquérir leur autonomie. Plus généralement, les enquêtes révèlent des problématiques relevant d'un monde post "Me Too" avec par exemple l'histoire de la vengeance d'une adolescente violée par des hommes riches et puissants (l'épisode pilote) ou celle de l'assassinat d'une jeune chercheuse un peu punk par son collègue aigri et jaloux (le chaînon manquant) ou encore celle d'un homme qui après avoir changé d'identité a un enfant avec une militante écologiste contestataire alors qu'il l'a refusé à sa femme qui travaille au ministère de l'intérieur (l'homme qui n'existait pas).
Gros succès à sa sortie prolongé depuis par l'inusable tube de Bryan Adams ("I do it for you"), "Robin des bois, prince des voleurs" a marqué son époque et reste aujourd'hui très plaisant à revoir. Son premier mérite est d'avoir instillé du réalisme dans la légende de Robin des bois. Kevin Reynolds n'est pas le premier à le faire et il rend d'ailleurs hommage à son prédécesseur Richard Lester en offrant à Sean Connery (alias Robin dans le film de ce dernier "La Rose et la flèche" en 1976) le rôle de Richard Cœur de Lion pour un caméo à la fin du film. Mais le réalisme est contrebalancé par un humour parodique et cartoonesque essentiellement porté par le personnage de l'infâme Shérif de Nottingham interprété par un Alan Rickman grandiose comme toujours (c'est son deuxième rôle culte au cinéma après celui de Hans Grüber dans "Piège de cristal" en 1988). Son charisme est tel que ses apparitions ont été réduites pour qu'il ne vole pas la vedette à Kevin Costner (alors en pleine gloire post "Danse avec les loups" (1990) mais dont les limites en terme de charisme et de jeu sautent aux yeux). Alan Rickman est l'un des deux véritables princes du film. L'autre est Morgan Freeman. En effet après le réalisme et le cartoon parodique, la troisième bonne idée du film est d'avoir réactualisé le buddy movie en associant Robin à Azeem, un Maure (en réalité un noir-africain rencontré dans les geôles turques) lié à lui par une dette de reconnaissance. Le chauvinisme un peu bêta de Robin est ainsi contrebalancé par la sagesse et l'intelligence de Azeem qui impose le respect rien que par sa présence et manifeste tout au long du film un savoir-faire qui témoigne d'une civilisation bien plus avancée que celle de l'Occident, prétendument supérieure. A côté de lui, les anglais ont juste l'air de gros ploucs.
C'est donc l'alliance de toutes ces qualités et l'équilibre qui en résulte qui fait la réussite du film en dépit du fait qu'il a vieilli et que sa réalisation ne soit pas parfaitement maîtrisée (nombreux petits problèmes de raccords entre les plans).
La trilogie Toy Story, c'est l'ADN du studio Pixar, le cœur de son identité. Telle qu'elle était, elle me paraissait parfaite. Je ne voyais pas ce qu'un quatrième volet pouvait apporter de plus. Et pourtant, cette suite en forme d'épilogue conclut intelligemment la saga. Techniquement c'est superbe, l'introduction et le magasin d'antiquités sont de véritables bijoux. Il y a beaucoup de références comme toujours et de nouveaux personnages hilarants ou un peu inquiétants qui cherchent toujours à être adoptés par un enfant, quitte pour cela à élargir un peu plus leur horizon. La plupart des jouets historiques qui ont fait les beaux jours de la saga se sont effacés et sont devenus des jouets "sans histoire". Tous en fait sauf Woody dont la quête d'un nouveau sens à donner à son existence est au cœur de ce dernier volet. Il était le jouet star de Andy et il ne parvient pas à trouver sa place dans la chambre et dans le cœur de sa nouvelle propriétaire, Bonnie. Sans doute parce qu'il incarne un archétype trop masculin. Lorsque Bonnie veut jouer au western, elle épingle l'étoile de shérif sur la poitrine de Jessie. Autre trait de caractère de la petite fille, si on la prive de ses jouets, elle s'en fabrique un avec des matériaux de récupération qui ont bien du mal à accepter leur nouvelle affectation. Les problèmes d'identité de Fourchette sont le reflet de ceux de Woody. Celui-ci n'imagine pas un autre destin possible pour lui que d'appartenir à un enfant. Cette crise existentielle lui permet de retrouver un personnage en apparence très secondaire mais qui est en fait à la source de toute la saga: Bo Peep, la bergère. Dans les deux premiers Toy Story, Bo jouait un rôle décoratif mais également symbolique. Sa présence était un hommage au conte de Christian Andersen "La bergère et le ramoneur" qui est le premier auteur à avoir eu l'idée de donner une anima aux objets. C'est ce qui explique la relation privilégiée qu'ont toujours entretenu Bo l'inspiratrice et Woody, la créature qui en est directement issue. Logique qu'auprès d'elle, Woody trouve un modèle pour se réinventer. Car entretemps Bo a fait sa révolution copernicienne. Ne supportant plus le magasin d'antiquités, elle s'est détachée de son support, a pris son destin en main et est devenue autonome: une vraie camionneuse à la Charlize Théron (qui l'aurait cru!) Les jouets Pixar luttent contre la muséification (comme le montrait l'intrigue du deuxième volet). Et on n'oublie jamais que le fait de grandir s'accompagne de la perte car le bonheur pur n'existe pas.
Le moment que je préfère dans "Big Trouble", le dernier film réalisé par John Cassavetes c'est le générique de fin. Au lieu de se dérouler sur un écran noir, il défile sur le film qui continue sans nous dans une joyeuse pagaille. On y voit les acteurs se lâcher, se bagarrer, se congratuler le tout sur "Une petite musique de nuit" de Mozart. Une improvisation qui est l'un des seuls moments où on reconnaît la patte du réalisateur. Pour le reste, il faut bien le dire "Big Trouble" ne lui ressemble guère. Il faut dire qu'il s'agit d'un costume qui n'avait pas été taillé par lui à la base. Mais le réalisateur initial, Andrew Bergman, également auteur du scénario se fit la malle en cours de tournage laissant en plan l'équipe technique et les acteurs et Peter Falk fit alors appel à son ami pour le terminer. Le résultat: une œuvre de commande, sorte de parodie burlesque de "Assurance sur la mort" où tout le monde en fait des tonnes. Pour éviter un procès en plagiat, la Columbia offrit deux scénarios à la Universal, propriétaire du film de Billy Wilder, dont l'un n'était autre que celui de "Retour vers le futur". Une bien mauvaise affaire puisque "Big Trouble" fit un bide (mérité) dans les salles. Alan Arkin en agent d'assurances dépassé par les événements et perpétuellement en quête de fonds pour que ses triplés aillent à Yale est très drôle par moments mais le film est quand même assez poussif dans l'ensemble, brassant beaucoup d'air pour un résultat assez creux.
Voilà un film qui m'a fait l'effet d'un véritable pétard mouillé. Tout d'abord parce que son scénario est non seulement hyper convenu mais en plus traité au premier degré. Ensuite parce que le rôle de sidekick de Pikachu est tout aussi bâclé. Il ne suffit pas de lui mettre une casquette de Sherlock Holmes et la voix de Deadpool (Ryan REYNOLDS) pour que par miracle, celui-ci adopte leur personnalité. De même une image subliminale de film noir à la TV ne suffit pas pour recréer "Qui veut la peau de Roger Rabbit" ? (1988) qui lui bénéficiait d'une véritable vision de réalisateur en plus d'être une prouesse technique ce que "Pokémon détective Pikachu" n'est pas. Les interactions entre le monde virtuel et le monde réel n'ont pas en effet été plus travaillées que le reste du film. "Pokémon detective Pikachu" est donc au final juste un pur produit commercial formaté pour caresser dans le sens du poil les fans de l'univers Pokémon et plus généralement les adeptes de la pop culture.
Comme ses héros en mouvement, Peter FARRELLY ne sait pas rester à la place qui lui a été assignée. Après avoir réalisé pendant quinze ans des comédies délirantes et provocantes avec son frère mettant en scène Jim CARREY ou Ben STILLER, le voilà qui se lance en solo dans le drame humaniste, un cheminement qui peut faire penser en France à celui de Albert DUPONTEL. Mais bien qu'ayant changé de genre, Peter FARRELLY ne renonce pas à son humour très physiologique. Rien de tel qu'une bonne dose de subversion pour déjouer (du moins en grande partie) les pièges du film à grand sujet pétri de bons sentiments. Dans cette nouvelle histoire d'Intouchables tirée d'une histoire vraie, tous les repères sont inversés. le (petit) blanc, Tony Lip est un prolétaire brutal confiné dans son ghetto rital du Bronx et son ignorance crasse. Mais il a envie d'aller voir ailleurs et son appétit est sans borne (il est champion de concours de hot-dog ^^). Et Viggo MORTENSEN, inattendu dans ce rôle, d'enfiler continuellement des tonnes de junk food en y initiant son patron tout en recrachant avec mépris les canapés servis dans les grandes maisons bourgeoises. Le reste est à l'avenant: siège avant transformé en poubelle, flingue à la ceinture, billets de banque bien en évidence dégainés au moindre problème, tendance à confondre sa poche et celle des autres, langue bien pendue et poings prompts à partir. Derrière lui, son employeur, le Docteur Shirley (Mahershala ALI) se définit par ce qu'il n'est pas "pas assez noir, pas assez blanc, pas assez homme". Cette identité par soustraction varie selon les lieux où il passe. A New-York, il est surtout un grand bourgeois raffiné et un pianiste virtuose proche des cercles du pouvoir. Dans le sud profond du début des années 60 où il décide courageusement de se produire, il n'est plus aux yeux des blancs qu'un "nègre" qui se prend de plein fouet la violence de la ségrégation et de la discrimination raciale, ceux-ci ne l'acceptant comme l'un des leurs que dans le cadre étroit de la salle de concert. Pour aggraver son malheur, il ne peut pas davantage se fondre dans la masse de ses "congénères" (comme ne cesse de lui dire Tony Lip dont le racisme essentialisant est partagé par les bourgeois se voulant ouvert d'esprit, persuadés que tous les noirs aiment le poulet frit), car il est trop différent d'eux. Il est donc condamné à rester seul et à se faire rejeter de tous les côtés. Ou presque, la cohabitation avec le remuant Tony Lip dans l'habitacle de la voiture s'avérant au final un havre de douceur et de délicatesse comparée aux grandes maisons de maître et aux commissariats du sud. De quoi décoincer un peu le si guindé et snob Docteur Shirley alors que sous sa direction, Tony Lip se met à articuler et à écrire du Shakespeare à sa femme ("putain, c'est romantique!" ^^). Il y a même une scène où Tony, surprenant son patron dans une situation délicate révèle des trésors de tact alors qu'il aurait pu verser (et Peter FARRELLY avec lui) dans la lourdeur.
Il y a deux films quasi indépendants dans "Bons pour le service" aussi éloignés l'un de l'autre que peuvent l'être les deux lieux de l'action (l'Ecosse et l'Inde). D'une part une intrigue amoureuse contrariée sans intérêt et mal interprétée, de l'autre les facéties burlesques de l'un des duo comiques le plus célèbre de l'histoire du cinéma, celui formé par Stan LAUREL et Oliver HARDY. Heureusement leur présence à l'écran occupe les deux tiers du film (contrairement à ce qui était prévu dans un premier montage) et entre en contradiction avec la bluette qu'ils sont sensés servir. La MGM n'est que le distributeur du film mais on ne peut s'empêcher de penser à ceux que tournent au même moment pour le studio les Marx Brothers où ils doivent systématiquement secourir un couple de jeunes premiers fadasses en détresse. Dans "Bons pour le service", la juxtaposition des deux univers ne manque pas de sel. Ainsi pendant que le jeune premier (pauvre mais valeureux) court après sa belle dont les méchants tuteurs convoitent le fabuleux héritage, Stan LAUREL et Oliver HARDY jouent deux détenus évadés qui ne reçoivent de ce même héritage qu'une cornemuse et une boîte à tabac (l'héritage est ce qui est censé lier les deux histoires, Laurel étant affilié au défunt). Ils réinventent la vie domestique dans une hilarante parodie où ils occupent la même chambre et le même lit, font un repas en détournant les objets de leur fonction habituelle avant de tout détruire. La suite lorsqu'ils sont incorporés à l'armée malgré eux ne fait que confirmer qu'ils subvertissent tout ce qu'ils touchent. Oliver HARDY qui a perdu son pantalon brûlé par Stan LAUREL et se promène en chemise de nuit espère récupérer sa virilité avec l'uniforme mais se retrouve vêtu d'un kilt alors qu'avec Stan LAUREL, le pas de l'oie se transforme en danse avant qu'un essaim d'abeilles ne produise l'effet d'un chien dans un jeu de quilles. La scène du "mirage" vaut également le détour. Au final, on a le sentiment paradoxal que ce sont les deux comiques au physique hors-norme qui ont la grâce (d'autant que Stan LAUREL fait preuve à plusieurs reprises de son extrême agilité) alors que les acteurs plus conformes aux standards de jeunesse, de minceur et de beauté ressemblent à des planches à pain.
Fra Diavolo, c'est d'abord le surnom d'un personnage qui a réellement existé, le brigand napolitain Michele Pezza, chef d'une troupe de bandits qu'il entraîna dans une guérilla contre les armées napoléoniennes avant qu'il ne soit capturé, jugé et pendu en 1806. Il inspira à Daniel-François-Esprit Auber un opéra-comique (que l'on peut définir comme un métissage entre le théâtre parlé et l'opéra chanté, mélange de burlesque et de romanesque), "Fra Diavolo ou l'hôtellerie de Terracine" qui fut représenté pour la première fois en 1830. Pour coller au style léger et élégant de cet opéra-comique, Michele Pezza fut dépouillé de son aspect sanguinaire et devint un galant bandit de grand chemin.
Le film de Hal ROACH et Charles ROGERS est une adaptation cinématographique fidèle à l'esprit de l'opéra-comique d'Auber. Les films musicaux étaient alors à la mode et il s'agissait également pour Hal ROACH et son studio de se servir du film pour imposer définitivement le duo comique formé par Stan LAUREL et Oliver HARDY dans un long-métrage parlant (avec le succès que l'on sait). Pourtant, s'il se regarde sans déplaisir, ce film fonctionne assez mal comme un tout. Il y a en effet deux parties distinctes et qui sont mal raccordées entre elles. La partie "opératique" plus proche par la légèreté de son argument de l'opérette est dirigée par Hal ROACH et s'avère assez inégale. Thelma TODD est irrésistible comme d'habitude et forme un couple amusant avec la moustache de son potentiel cornard de mari joué par James FINLAYSON. Dennis KING dans le rôle de Fra Diavolo s'il est un bon chanteur est en revanche un piètre acteur dont la prestation est assez risible. La partie burlesque du film officiellement dirigée par Charles ROGERS mais en réalité plus vraisemblablement par Stan LAUREL est celle qui met en scène les gags du duo Stanlio et Ollio, officiellement prisonniers-domestiques-rivaux de Fra Diavolo mais en réalité tellement en roue libre qu'ils forment un ensemble à part même s'ils ne dynamitent pas le récit principal pour autant (on est pas chez les Marx Brothers!) La complicité et la complémentarité des deux comparses fonctionne à plein régime avec quelques trouvailles hilarantes (le chiffon rouge, la fuite dans le tonneau, la cuite, les jeux de mains et de doigt de Stan LAUREL).
"Pulp Fiction", le film le plus célèbre de Quentin TARANTINO a fait l'effet d'une bombe à sa sortie, devenant instantanément culte auprès du public tout en gagnant la reconnaissance critique. Ce film inclassable qui entremêle plusieurs genres (principalement le film de gangsters et la comédie burlesque) et plusieurs histoires sans respecter la chronologie fonctionne comme un puzzle à la manière du film de Stanley KUBRICK "L'Ultime razzia" (1956). Il fait également penser à un énorme chaudron à recycler les références d'où pourtant sort un alliage final profondément original. Tarantino n'hésite pas à exploser les barrières spatio-temporelles et à tenter des mélanges inédits entre toutes les formes de culture sans tenir compte d'une quelconque hiérarchie entre elles.
La séquence cultissime du Jack Rabbit Slim's est l'exemple le plus évident d'un empilement de références par strates temporelles: le décorum et la carte du restaurant évoquent les années 50 et ses stars dont Douglas SIRK, le duo Dean MARTIN et Jerry LEWIS, Elvis PRESLEY ou encore Marilyn MONROE dans "Sept ans de réflexion" (1955). Le concours et la chanson de Chuck Berry "You never can tell" se situent dans les années 60 tout comme la coiffure de Mia (Uma THURMAN) et le twist. Il s'agit en effet de références à Anna KARINA et au film "Bande à part (1964)" de Jean-Luc GODARD. John TRAVOLTA (Vincent) incarne les seventies à lui tout seul, comment ne pas penser à un revival de sa prestation dans "La Fièvre du samedi soir" (1977)? Enfin, Quentin TARANTINO fait des clins d'œil à ses propres films, passés et à venir. Le serveur du restaurant est l'un des membres du gang de son premier film "Reservoir Dogs" (1992) alors que le scénario du pilote de la série auquel a participé Mia Wallace dessine les contours du futur gang des vipères assassines de "Kill Bill : Volume 1 (2003) et sa suite.
Une autre scène remarquable fourmille de références mais au lieu d'être superposées, elles sont juxtaposées. Il s'agit du moment où Butch (Bruce WILLIS) décide de secourir Marcellus Wallace (Ving RHAMES). Chaque outil pouvant servir d'arme qu'il trouve dans le magasin de leurs tortionnaires évoque un ou plusieurs films parmi lesquels "Justice sauvage" (1973), "Massacre à la tronçonneuse" (1974) ou "The Toolbox murders" (1978) avant qu'il ne fixe son choix sur le katana, allusion aux films de chanbara. Les deux tortionnaires eux-mêmes évoquent ceux de "Délivrance" (1971), le film de John BOORMAN alors que la rencontre entre Butch au volant de sa voiture et Marcellus traversant la route est une allusion à "Psychose" (1960), l'épisode "The Gold Watch" s'inspirant largement de la première partie du film de Alfred HITCHCOCK (de l'intrigue policière avec l'argent volé pour refaire sa vie au basculement dans le film d'horreur avec le sous-sol de la boutique de prêt sur gages).
En dépit de sa structure complexe, on remarque que "Pulp Fiction" est construit principalement sur des duos: Vincent et Jules, Vincent et Mia, Ringo et Yolanda, Butch et Marcellus Wallace, Butch et Fabienne. Certains sont des couples, d'autres des partenaires. Mais c'est le sceau du secret qui lie Vincent et Mia ainsi que Butch et Marcellus Wallace. Le premier a involontairement plongé le second/la seconde dans une situation cauchemardesque (en lui permettant d'avoir accès à de l'héroïne ou en le livrant à des tortionnaires) et s'est ensuite racheté en le/la secourant. On remarque à ce propos l'importance des thèmes religieux dans un film qui se situe a priori aux antipodes tels que la résurrection (l'épisode de la piqûre d'adrénaline dans le coeur fait penser à un rituel vampirique inversé), la purification (tout l'épisode "The Bonnie situation" avec le nettoyeur Wolf joué par Harvey KEITEL) ou la rédemption de Jules (Samuel L. JACKSON), frappé par la grâce divine après ce qu'il considère comme un miracle, le fait d'être sorti indemne d'un face à face avec un homme armé qui a fait feu sur lui et sur Vincent sans les toucher.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.