Lorsque Michel BLANC est décédé, c'est l'un de ses films récents qui a été le plus cité par les internautes. Preuve que contrairement à ce qu'avait dit une partie de la critique à sa sortie, "Les petites victoires" n'était pas destiné à être oublié une fois consommé. Sous-entendu, le cinéma populaire serait dénué de qualités cinématographiques. Alors certes "Les petites victoires" est un film sans prétention mais est une réussite dans son genre. D'abord son sujet: la lutte contre la désertification rurale, traitée sur le mode de la comédie, ça fonctionne tellement bien que cela donne les scènes les plus drôles du film. Celle de la boulangerie reconvertie en bistrot clandestin montre que le besoin de lien social est plus fort que le pain! Et celle dans laquelle les villageois se liguent pour faire croire à l'inspecteur du rectorat que la classe unique du village compte assez d'élèves pour ne pas être fermée va dans le même sens. L'increvable Marie-Pierre CASEY en guetteuse avec talkie-walkie, lunettes noires et bob Ricard, il fallait y penser quand même! Car les seconds rôles sont bien mis en valeur et sont portés pa des acteurs de talent, de India HAIR à Lionel ABELANSKI. Ensuite, le tandem-vedette fonctionne particulièrement bien, tant par le talent des acteurs que par l'écriture de leurs personnages en quête d'émancipation. Julia PIATON est très convaincante dans le rôle d'Alice, une jeune femme débordée qui se démultiplie pour sauver son village (elle est à la fois maire, institutrice, assistante sociale, psy, docteur...) au point de s'oublier elle-même. Ce qui n'échappe pas à Emile Menoux (Michel BLANC), ancien ouvrier du genre ours mal léché qui en réalité ne peut plus cacher son illettrisme, son frère avec qui il vivait venant de décéder. Lorsqu'il décide de retourner à l'école pour surmonter son handicap, on découvre que son frère le tenait sous sa coupe en lui cachant les lettres d'amour qu'il recevait. C'est pourquoi Emile comprend que Alice saborde sa vie affective par devoir filial vis à vis d'un père décédé et l'aide à "élargir son périmètre" et vice-versa. Enfin, le côté "éternel enfant" de Michel BLANC ressort particulièrement bien au travers de sa relation pleine de spontanéité avec les enfants de la classe unique du village. Tout semble tellement naturel que l'on oublie que l'un des élèves a plus de 65 ans et que l'on s'amuse beaucoup devant les réactions des uns et des autres.
Deuxième film de Michel BLANC réalisé dix ans après "Marche a l'ombre" (1984), "Grosse fatigue" est le miroir d'un acteur qui a cassé son image après "Tenue de soiree" (1986) qui lui a valu le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes. Exit les avatars de Jean-Claude Dusse? Pas tout à fait. Car dans "Grosse fatigue", le Michel BLANC devenu respectable aux yeux de l'intelligentsia s'invente un sosie de loser obsédé (bref une version sombre de Jean-Claude Dusse) bien décidé à tout faire pour prendre sa place. Comme si cette place, il n'y avait pas droit. Même si "Grosse fatigue" reste une comédie où on rit beaucoup des quiproquos liés à la confusion entre Michel et Patrick, ce dédoublement ouvre de vertigineux questionnements existentiels liés au syndrome de l'imposteur en plus d'être une mise en abyme du cinéma français (qui traversait une mauvaise passe). Celui de Michel BLANC mais aussi celui de Bertrand BLIER qui lui a suggéré l'idée du film (qui s'inspire par ailleurs d'une mésaventure authentique arrivée à Gerard JUGNOT) et imprime sa marque dessus. Quoi de plus normal pour le réalisateur à l'origine de la mue de Michel BLANC, symbolisée par la disparition de sa moustache à la fin de "Tenue de soiree" (1986)? Pas étonnant que la bande du Splendid, convoquée au complet ne parvienne pas à le reconnaître dans "Grosse fatigue" (1994). Et que sa partenaire dans le film soit Carole BOUQUET. Car sur "Grosse fatigue" plane l'ombre de "Trop belle pour toi" (1989). Qu'est-ce que j'ai de moins que Josiane BALASKO finit-elle par dire en substance, comme si le questionnement du film de Bertrand BLIER se prolongeait dans celui de Michel BLANC. Michel et Carole y sont en effet poursuivis par leur image, celle du "casse-couille" et celle de la femme "froide". Une froideur déconstruite par Michel BLANC qu'elle couve avec des accents qui rappellent de manière troublante Therese LIOTARD dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine". (1980) A moins que Michel ne soit Patrick qui préfère les femmes avec un T-shirt Mickey à celles en tailleur Chanel?
Il y a du bon et du moins bon dans "Les Témoins". Le bon: l'atmosphère estivale et joyeuse dans une première partie solaire qui rappelle par certains aspects "Les Roseaux sauvages" (1994) avec l'éclosion dans la nature de la passion amoureuse entre Mehdi (Sami BOUAJILA) et Manu (Johan LIBEREAU). Lorsque les ténèbres succèdent à la lumière, c'est le sublime air de Barberine dans "Les Noces de Figaro" interprété par le personnage de Julie DEPARDIEU qui erre dans la nuit avec sa petite lanterne sous la lune qui produit une émotion à la mesure du drame vécu par son frère Manu. La musique est d'ailleurs particulièrement expressive dans "Les Témoins". Celle du générique, particulièrement nerveuse et signée Vivaldi (le compositeur des quatre saisons, thème majeur du film) donne le ton: celui d'un sentiment d'urgence lié aux enjeux du film, une course contre la montre avec la maladie, une course contre la montre avec l'oubli (d'où le titre, "Les Témoins"). Autre choix ultra-pertinent, "Marcia Baila" des Rita Mitsouko, chanson permettant de dater l'époque retranscrite, 1984-1985 mais aussi histoire d'une vie fauchée en pleine jeunesse par la maladie. Seulement, il y a aussi du moins bon dans "Les Témoins". Le personnage d'Emmanuelle BEART qui se définit elle-même comme une enfant gâtée est insupportable de nombrilisme (on plaint son gosse!) et l'actrice, très peu vêtue semble n'avoir que deux expressions à son répertoire: soit elle fait la gueule, soit elle prend un air vicieux dès qu'on parle de sexe. Ca finit par devenir lassant. Quant au personnage de médecin gay malheureux en amour joué par Michel BLANC, il est plombé par son didactisme. Enfin le personnage de Sandra la prostituée (Constance DOLLE) est à peine effleuré alors qu'il aurait été autrement plus intéressant que celui du club bourgeois auquel décide de se rattacher Manu et donc Andre TECHINE.
"Marche à l'ombre", premier film réalisé par Michel BLANC, c'est "Viens chez moi, j'habite chez une copine" (1980) avec un supplément d'âme. Un titre de RENAUD mais avec un "Téléphone"* à la main prêt à partir pour "New-York avec toi". "Marche à l'ombre" est un film en mouvement, un road movie dans lequel Paris n'est qu'une escale dans l'errance de François et Denis entre Athènes et New-York. Et encore, le Paris du film de Michel BLANC a de très forts accents africains et m'a toujours fait penser au clip de la chanson de Maxime LE FORESTIER, "Né quelque part" qui s'en est peut-être inspiré. Le déracinement est donc un puissant thème de "Marche à l'ombre" tout comme la fraternité qui réunit un temps clandestinement une communauté de migrants sous le même toit. Outre le déracinement et la fraternité, le troisième élément qui distingue "Marche à l'ombre" du film de Patrice LECONTE c'est la recherche de la beauté. Le personnage de François est sans doute l'un des plus beaux rôles (si ce n'est le plus beau) incarné par Gerard LANVIN (qui n'avait pas encore les tics de jeu qui me l'ont rendu par la suite si antipathique). En effet François a beau galérer dans un monde sordide, ce qui ressort de lui n'est qu'élévation vers les cimes du grand amour, indissociable de l'art comme le souligne la rencontre avec Mathilde (Sophie DUEZ) qui est danseuse, juste devant un cinéma. Et François est lui-même un musicien hors-pair (et sans doute trop idéaliste pour s'intégrer dans la société, comme autre loser magnifique, "Inside Llewyn Davis") (2013) qui avec ses companeros africains improvise des concerts si merveilleux qu'ils font oublier le minable squat dans lequel ils se sont réfugiés. C'est d'ailleurs par eux et aussi pour retrouver Mathilde qu'il part à New-York tenter sa chance. L'art, l'amour, la fraternité mais aussi l'amitié indéfectible qui unit François et Denis (Michel BLANC), poissard hypocondriaque ultra-"attachiant" qu'il protège comme un grand frère et qui nous fait rire avec des répliques rentrées dans les annales du cinéma, notamment la scène hallucinogène où il mélange loubards, renards et loup-garou ("les dents qui poussent").
* Jean-Louis AUBERT, ex-leader du groupe lui a rendu hommage le 4 octobre, révélant qu'ils avaient fréquentés le même lycée mais pas dans le même club.
"Viens chez moi, j'habite chez une copine" est un film de transition entre les précédentes réalisations de Patrice LECONTE avec les membres du Splendid et le premier film réalisé par Michel BLANC, "Marche a l'ombre" (1984). Celui-ci en co-signe le scénario et écrit les dialogues en plus d'offrir une variante de son personnage de Jean-Claude Dusse aux côtés d'un beau gosse "malabar" au coeur tendre joué par l'un des deux futurs "Les Specialistes" (1985) (du même Patrice LECONTE), ici Bernard GIRAUDEAU. On peut aussi souligner que le titre et une partie de la bande-son des deux films sont tirés d'une chanson de RENAUD et qu'ils ont le même producteur, Christian FECHNER. Bien qu'inscrite dans le registre de la comédie franchouillarde sans prétention, "Viens chez moi, j'habite chez une copine" s'en distingue néanmoins déjà par sa finesse d'écriture. En effet on peut se demander pourquoi Daniel qui a "tout ce qu'il faut pour être heureux" c'est à dire une vie bien rangée s'encombre d'un casse-pieds tel que Guy qui en très peu de temps va y mettre une pagaille monstre. Et bien peut-être parce que sa vie était trop rangée justement et qu'il s'ennuyait. Au moins avec Guy, on ne s'ennuie pas une seconde, c'est le remède à la routine! Héritier d'une longue lignée de personnages burlesques, le Guy de Michel BLANC est un agent du chaos à qui on pardonne tout à cause de son sourire candide et de sa fragilité intrinsèque. Ainsi Therese LIOTARD qui doit supporter ses frasques agit-elle avec lui avec beaucoup d'indulgence et une certaine dose d'ironie, le considérant comme un grand enfant. Un peu comme le faisait Margaret DUMONT avec les frères Marx. C'est pourquoi en dépit d'une liste de défauts longue comme le bras, ne garde-t-on en mémoire que son côté attachant et bien entendu la cascade de situations comiques qu'il créé par son comportement irresponsable, notamment en invitant de jolies filles (dont une ANEMONE pas piquée des vers en nymphomane) sous le nez d'un Daniel rapidement émoustillé par leurs charmes ou bien par ses combines foireuses et ses multiples maladresses.
Il y a des schémas récurrents dans l'emploi des acteurs. Comment ne pas penser à un "remix" entre "Je vous trouve tres beau" (2005) et "La Famille Belier" (2013) en regardant "Marie-Line et son juge"? Et ce en dépit du fait qu'il s'agit de l'adaptation d'un roman de Muriel Magellan, "Changer le sens des rivières" (un beau titre). En effet le thème du rapprochement des contraires et du choc des cultures m'a fait penser au film de Isabelle MERGAULT alors que celui de l'émancipation d'une jeune fille soutenant sa famille handicapée m'a paru proche du film de Eric LARTIGAU. L'histoire, assez invraisemblable ne tient que grâce à l'alchimie entre Michel BLANC et Louane EMERA. Ceux-ci parviennent à nous faire oublier les clichés autour des classes sociales qu'ils sont censés incarner ainsi que ceux liés à leur "complémentarité" (la jeunesse et la joie de vivre de Marie-Line en échange de la culture et des ambitions de son juge-employeur occasionnel-mentor-père de substitution). Il est difficile dans un film de cinéma d'évoquer la rencontre de deux êtres que tout oppose sans être schématique. Cependant on peut trouver la barque de Marie-Line particulièrement chargée entre son père invalide, sa mère suicidée, sa soeur délinquante (dont le surgissement dans le film est très maladroit d'ailleurs), ses goûts vulgaires, son inculture. En bref il ne manque que les spaghettis au dîner (ah non, ça c'est Abdellatif KECHICHE dans "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2" - (2013) lui aussi bourré de clichés mais que les critiques ont encensé contrairement au film de Jean-Pierre AMERIS). Si la trajectoire de Marie-Line est particulièrement appuyée, celle du juge n'est pas non plus particulièrement subtile et comme c'est un être solitaire, le réalisateur évacue la description de son milieu. Quand on pense ce que Claude SAUTET avait pu faire d'un tel argument dans "Quelques jours avec moi" (1988) on ne peut que regretter l'aspect convenu du film de Jean-Pierre AMERIS.
"Je vous trouve très beau" est une sorte "d'amour est dans le pré" avant la lettre. Enfin presque car dans un premier temps, ni Aymé Pigrenet (Michel BLANC), ni Elena (Medeea MARINESCU) ne cherchent l'amour. Leurs considérations sont bien plus terre à terre: le premier a besoin d'une femme pour faire marcher sa ferme et remplacer la sienne, décédée accidentellement. La seconde qui est roumaine a besoin d'argent pour offrir une meilleure vie à sa famille. La transaction est donc claire (hormis le fait que Elena cache à Aymé l'existence de sa petite fille). A partir de ce postulat, Isabelle MERGAULT dont c'était le premier film raconte la naissance d'une romance entre ces deux personnages si dissemblables. Ce n'est ni crédible ni original mais ça fonctionne: la magie opère à l'écran. Isabelle MERGAULT cueille de fragiles instants de grâce avec sensibilité, comme quand Elena met un tablier à Aymé presque en l'enlaçant ou bien quand Aymé caresse le lapin qu'elle tient dans ses bras et que l'on comprend que c'est elle qu'il aimerait caresser bien qu'il n'ose pas. Et les acteurs sont excellents. Medeea MARINESCU est pétillante et Michel BLANC dans un rôle à contre-emploi exprime toute sa sensibilité. On en oublie la lourdeur du monde rural dépeint dans le film à l'image de la choucroute en conserve ramenée soi-disant d'Allemagne par Aymé avec une troupe d'acteurs que l'on croirait sortie d'un film de Cedric KLAPISCH.
Encore un film culte que je n'avais jamais vu, sinon par extraits. Cette mise en pièce de la France sous l'occupation, je l'ai trouvée un peu inégale. Les coutures du patchwork se voient un peu trop. Alors du côté du meilleur, il y a la composition inénarrable de Gerard JUGNOT dans la peau d'Adolfo (!) Ramirez, un gestapiste français avide de revanche. Je soupçonne d'ailleurs très fortement Jean-Paul ROUVE de s'en être inspiré pour le personnage collaborationniste odieux qu'il interprète dans "Monsieur Batignole" (2001) réalisé par ce même Gerard JUGNOT. De façon plus générale, comme dans les années 80, la France n'assumait pas encore son passé vichyste (c'est l'époque où Mitterrand apportait encore des fleurs à Pétain), le film est très en verve pour épingler les collabos. Il faut voir la façon dont Jean YANNE dans la peau d'un milicien susurre à ses interlocuteurs venus se plaindre des dégâts causés par l'occupation allemande dans leur château "et au fait, dans votre famille, il n'y a pas de juifs?" Sans parler du retour de Ramirez "junior" en parfait petit facho bolivien dans le pastiche de "Les Dossiers de l'écran" à la fin. Nul n'ignore qu'un certain nombre de nazis se sont réfugiés en Amérique latine après la guerre où ils ont fait souche. Et puis bien sûr, il y a la dernière demi-heure et le numéro hilarant de Jacques VILLERET dans la peau du demi-frère d'Hitler interprétant à l'heure allemande le "Je n'ai pas changé" du latin lover Julio IGLESIAS. Mais en fait ce qui m'a posé problème provient de l'hommage assumé qu'est "Papy fait de la Résistance" à Louis de FUNES (qui venait juste de mourir et qui aurait dû jouer le rôle du Papy finalement interprété par son complice, Michel GALABRU). En effet Jean-Marie POIRE veut coller ensemble deux morceaux qui s'ajustent mal: "La Grande vadrouille" (1966) bien sûr mais aussi la série des "Fantomas" (1964). C'est de cette source, celle des romans feuilletons et des films de Louis FEUILLADE (bien avant Andre HUNEBELLE) que provient "Super-Résistant", le personnage joué par Martin LAMOTTE, un justicier masqué qui ressemble à Arsène Lupin mais qui comme Zorro ou Batman a une double identité puisque le jour, il joue le rôle d'un coiffeur efféminé, une couverture insoupçonnable. Mais aussi une caricature assez gênante. Par ailleurs, le personnage de "Super-Résistant" vient percuter une page d'histoire tragique en la déréalisant complètement ce que ne faisait pas "La Grande vadrouille" (1966). La scène de la rafle de résistants qui commençait ainsi très bien avec notamment le personnage joué par Jacques FRANCOIS ou "le plus petit rôle du film" confié à Bernard GIRAUDEAU (complice de Michel BLANC qui comme d'autres membres du Splendid, Josiane BALASKO et Thierry LHERMITTE vient faire son petit cameo) se termine ainsi dans la facilité alors qu'elle aurait pu donner lieu à une brillante parodie comique de "L'Armee des ombres). (1969)
"Des enfants gâtés" est un film méconnu de Bertrand Tavernier qui appartient à sa veine sociale et sociétale. Il prend pour décor la frénésie immobilière dans le Paris des années 70 quand le vieux bâti taudifié était rasé pour être remplacé par de grands immeubles esthétiquement très laids*, à la construction bâclée (dans le film l'appartement où s'est installé Bernard Rougerie le personnage joué par Michel Piccoli n'est pas insonorisé et a un grand trou dans le mur de la cuisine) et aux loyers exhorbitants car non encadrés. La lutte d'une poignée d'habitants réunis en association pour faire respecter leurs droits et prévenir les abus de leur propriétaire est l'un des thèmes majeurs du film. D'ailleurs Bernard Rougerie qui est scénariste et dont la notoriété aide les habitants à faire entendre leur cause est le double de Tavernier à qui il était arrivé une mésaventure semblable (et à qui le réalisateur prête la paternité du scénario de son film suivant "La mort en direct").
A ce problème de logement qui sous une forme ou sous une autre mine la vie en région parisienne depuis l'époque du baron Haussmann s'ajoute par petites touches toute une série d'autres problèmes qui bien que l'époque ait changé n'ont pas disparu pour autant: la crise économique et le chômage dont est victime Anne (Christine Pascal) et d'autres personnages issus de milieux populaires; l'immigration des travailleurs non qualifiés devenue illégale depuis 1974; le handicap à travers le personnage de la femme de Bernard qui s'occupe de petits autistes; la solitude et le suicide; et enfin la question de la libération sexuelle des femmes avec un passage face caméra (sans doute écrit par Christine Pascal qui a collaboré au scénario) où Anne évoque sa découverte de la jouissance. Tout cela fait un peu catalogue/cahier des charges et c'est effectivement une des faiblesses du film car les différents éléments sont le plus souvent artificiellement reliés les uns aux autres. En revanche le casting est tout simplement royal jusqu'au plus petit rôle avec la participation de la bande masculine du Splendid au complet (Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Michel Blanc et Christian Clavier), Martin Lamotte, Isabelle Huppert, Daniel Toscan du Plantier, Michel Aumont sans parler des interprètes de la chanson du générique "Paris jadis" composée par Philippe Sarde (un pur régal de cynisme bobo à écouter sans modération!) qui ne sont autres que Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle! Enfin bien que la relation que Anne entreprend avec Bernard Rougerie ne soit pas exempte de contradictions (il y a mieux quand on prétend être une femme moderne et libérée que de se jeter dans les bras d'un homme marié qui pourrait être son père et est d'un milieu social très supérieur ce que Anne finit par comprendre d'ailleurs) elle est empreinte de beaucoup de sensibilité. Le tempérament de Christine Pascal dont la fragilité est palpable y est pour beaucoup mais Michel Piccoli est également assez surprenant, plus doux qu'à son habitude et plus tendre aussi, ses colères étant désamorcées à peine écloses. Bien sûr on ne peut s'empêcher d'établir un parallèle entre Christine Pascal et Romy Schneider, autre actrice aussi belle qu'écorchée vive ayant joué des scènes intimes avec Piccoli et ayant perdu la vie prématurément à peu près au même âge.
* En cela il a été comparé non sans raison à "Mon Oncle" et à "Playtime" de Jacques Tati mais sans l'aspect poétique et burlesque.
Douze ans après "Les Valseuses" (1974), Bertrand BLIER remettait le couvert avec "Tenue de soirée" pensé à l'origine pour le même trio c'est à dire Gérard DEPARDIEU, Patrick DEWAERE et MIOU-MIOU. Mais Patrick DEWAERE s'étant suicidé entre-temps, il lui a fallu envisager un autre acteur. Dans un premier temps il a pensé dans la continuité de Dewaere à Bernard GIRAUDEAU qui a refusé. Alors il a changé complètement de style en engageant Michel BLANC dont la composition remarquable lui a valu un prix d'interprétation mérité au festival de Cannes.
On reconnaît dans "Tenue de soirée" tout ce qui fait la patte Blier: la verve des dialogues mis dans la bouche de brillants acteurs, la cocasserie drolatique et grinçante de nombreuses situations à caractère satirique, une crudité et une vulgarité qui passent crème parce qu'enrobés de tendresse et de poésie, la transgression et la provocation mis au service d'une réflexion pertinente sur l'époque dans laquelle se situe le film. Car les temps ont bien changé depuis "Les Valseuses" (1974). Aux insolents voyous hippies solaires faisant souffler un vent de liberté sur la France corsetée des seventies succèdent les sordides années 80 sans autre horizon que le fric et le sida. Bob (Gérard DEPARDIEU) et Monique ( MIOU-MIOU) tous deux accros au fric sont capables de vendre père et mère pour avoir la belle vie. Mais n'ayant ni père ni mère, ils passent leur temps à vendre Antoine (Michel BLANC) qui pour son malheur est lui accro aux sentiments. Malgré ce sordide tableau fait de dépendance affective et de descente aux enfers dans la prostitution, ni Bob ni Monique ne sont foncièrement antipathiques. Ils apparaissent surtout paumés et Blier les dépeint avec tendresse. Quant aux situations dans lesquelles se retrouve le trio, elles sont souvent désopilantes se qui fait oublier leur côté scabreux. Par exemple leur confrontation avec les grands bourgeois blasés qu'ils viennent cambrioler (Jean-Pierre MARIELLE et Caroline SILHOL) ne manque pas de sel!
Enfin, comme dans "Les Valseuses" (1974), "Tenue de soirée" (1986) aborde des questions relatives à la sexualité, l'homosexualité occupant une place beaucoup plus importante. Mais là aussi le regard a évolué. A l'utopie soixante-huitarde a succédé un désenchantement certain sur fond de menace du sida (évoqué dans l'une des dernières scènes du film*) Les configurations entreprises par le trio y débouchent systématiquement sur des impasses. Monique ne supporte pas Antoine qui s'accroche à ses basques, le couple Bob-Antoine exploite et exclut Monique, Bob domine et manipule Antoine. Le film lui-même se termine en impasse: Antoine voulait voir la mer il se retrouve à tapiner travesti sur le bitume parisien flanqué de ses deux inséparables complices réduits au même sort.
* L'évolution est la même chez Agnès VARDA. A ses films hippies de la fin des années soixante et des années soixante-dix succèdent ses films sida des années 80 comme "Kung-Fu Master" (1987).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.