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Articles avec #biographie tag

Valse avec Bachir (Vals im Bashir)

Publié le par Rosalie210

Ari Folman (2008)

Valse avec Bachir (Vals im Bashir)

C'est un voyage en eaux troubles. Celles du trou de mémoire d'un vétéran israëlien de la guerre du Liban qui part à la reconquête de ses souvenirs. Les camarades de son ancien régiment qu'il interroge ne se contentent pas de lui raconter cliniquement ce qu'ils ont vécu. Lui racontent-ils d'ailleurs vraiment ce qu'ils ont vécu? "La mémoire est dynamique, vivante, il manque des détails, il y a des trous remplis de choses qui ne sont jamais arrivées". Ce qu'ils font remonter à la surface, ce sont des sensations, des impressions (ici une odeur de patchouli, là un tube des années 80...), des rêves aussi. Et peu à peu dans la tête de l'ex-soldat Ari, une image émerge du brouillard, une seule, toujours la même celle de lui-même et ses camarades sortant nus de la mer sous les tirs de fusées éclairantes. Une image ambiguë tant la scène est irréelle. Peu à peu, Ari réussit à retrouver le souvenir traumatique qui se cache derrière cette image. Les eaux troubles, ce sont aussi celles des pulsions humaines d'ordinaire les mieux enfouies et qui dans un contexte de guerre, éclatent au grand jour. La scène irréelle d'un soldat qui danse sous les balles en tirant en rafales devant un portrait de Bachir Gemayel, le président chrétien de la République libanaise qui vient d'être assassiné l'exprime parfaitement. En effet c'est la soif de venger cet assassinat (et la fascination érotique que suscite Gemayel chez ses partisans) qui pousse les milices chrétiennes phalangistes à faire une orgie de sang dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982. Le tout avec la complicité de l'armée israélienne qui tire des fusées éclairantes pour permettre aux phalangistes de continuer leur sale besogne pendant la nuit. Ce massacre des innocents est le point d'orgue d'une rage de destruction qui touche toutes les formes de vie (la scène "prémonitoire" du massacre des chiens puis des pur sangs arabes de l'hippodrome de Beyrouth).

Valse avec Bachir qui est largement autobiographique est donc à la fois un film historique, un film sur la mémoire, un film-enquête et un film-thérapie. Comme L'image manquante de Rithy Panh, la reconstitution du passé retravaillé par la mémoire passe par l'animation qui fait la part belle à l'imaginaire (et lui donne paradoxalement sa vérité). Seule la séquence de fin recourt aux archives documentaires qui témoignent mais ne retranscrivent pas l'expérience subjective de l'individu.

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Miss Hokusai (Sarusuberi MISS HOKUSAI)

Publié le par Rosalie210

Keiichi Hara (2015)

Miss Hokusai (Sarusuberi MISS HOKUSAI)

C'est beau, très beau même. Historiquement et culturellement c'est passionnant de découvrir le talent et le caractère hors du commun d'une femme artiste resté longtemps dans l'ombre de son illustre père avec lequel elle a travaillé en étroite collaboration pendant plus de 25 ans. L'histoire de la contribution des femmes au monde des arts et de la sciences reste encore largement à écrire. Chaque fois que l'une d'entre elle fait l'objet d'un coup de projecteur, on redécouvre les ravages du patriarcat sur l'écriture de l'histoire et sur les droits/crédits d'auteur. Mais lentement les choses évoluent: Camille Claudel réapparaît derrière Rodin, Emilie du Châtelet derrière Voltaire, Berthe Morisot derrière ses homologues impressionnistes masculins... Et O-Ei derrière Tetsuzo. O-Ei qui entretenait un relation d'égal à égal avec son père, l'appelait familièrement par son prénom (so shocking au Japon!), le critiquait, le bousculait, qui dessinait des œuvres à sa place, qui fumait la pipe, buvait de l'alcool, ne faisait pas la cuisine et préférait voir leur atelier devenir un dépotoir plutôt que de faire le ménage. O-Ei qui était très franche et n'avait pas froid aux yeux surnommait l'un des peintres apprentis d'un confrère d'Hokusai "Zen l'Empoté." N'ayant aucune des "qualités" de la bonne épouse, il n'est guère étonnant que son mariage se soit soldé par un échec. O-Ei apparaît à l'image de ses épais sourcils (si peu dans la norme) comme un cheval sauvage absolument indomptable. Cependant le portrait se nuance lorsque l'on voit O-Ei face à la sexualité et à la sororité qui ici fonctionne comme une substitution de maternité. Contrairement à son milieu d'hommes artistes vivant en symbiose avec les geishas, O-Ei est assez prude et a bien du mal à se décoincer, même pour la bonne cause (peindre des scènes érotiques crédibles). D'autre part son amour pour sa petite sœur de 6 ans O-Nao, aveugle et fragile, donne lieu aux passages les plus délicats et émouvants du film. O-Nao qui a l'inverse provoque chez son père une grande culpabilité car il est persuadé que son énergie créatrice a vampirisé sa fille.

Cependant, aussi intéressant et beau esthétiquement parlant soit-il, il manque quelque chose à ce film pour parvenir à totalement me séduire. L'histoire est quand même assez décousue. Décomposée en petites scénettes, elle manque d'enjeux forts. Et le réalisateur manque de sensibilité dans son approche des personnages. Le spectateur est placé trop loin d'eux ce qui rend ce long-métrage assez sec.

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Loving

Publié le par Rosalie210

Jeff Nichols (2016)

Loving

Loving commence comme une chronique quasi-documentaire du quotidien d'une petite communauté vivant dans l'Etat de Virginie en 1958. On travaille, on fait des courses de vitesse, on va boire et danser, on fait des projets. Bref, rien que de très banal s'il n'y avait pas des éléments perturbateurs. A commencer par les paysages campagnards de Virginie nimbés dans leur magnifique lumière et le son des grillons. Ces paysages représentent les racines. Ils sont filmés avec insistance comme témoins de ce qui se joue dans le film. D'accueillants, ils peuvent se transformer en un clin d'œil en sourde menace tout comme dans "Take Shelter", l'un des précédents films de Jeff Nichols. Une source menace qui créé une tension palpable durant tout le film et invalide l'interprétation de ceux qui n'y voient qu'une histoire à l'eau de rose.

Ce qui se joue dans ces paysages est révélé dès la première phrase du film "Je suis enceinte". D'où le deuxième élément perturbateur, la présence de Richard, un blanc, au milieu des noirs. Richard est le père du bébé à naître et feint d'ignorer le troisième élément perturbateur: les regards désapprobateurs posés sur lui et sur Mildred, sa compagne noire. Mildred, plus lucide que Richard sur ce qui les attend réagit avec anxiété lorsqu'il lui annonce qu'il a acheté un terrain et va leur construire une maison. Tant qu'ils vivaient ensemble en concubinage, couverts par leurs familles, leur couple était plus ou moins toléré. A partir du moment où Richard épouse Mildred dans un Etat voisin avant de revenir en Virginie, il franchit une ligne rouge invisible. Celle de la loi sur la pureté du sang promulguée en 1924 qui interdit les mariages interraciaux en Virginie. Le couple est donc persécuté pour ce qu'il représente de menace aux yeux des ségrégationnistes blancs qui brandissent en guise de justification l'interprétation erronée d'un passage de la Genèse et des doctrines raciales inspirées du règne animal.

Richard et Mildred vivent un véritable chemin de croix. Ils sont arrêtés en pleine nuit, emprisonnés, condamnés à une peine de prison auquel il ne peuvent se soustraire qu'en étant bannis de l'Etat. Les familles et amis adressent des reproches à Richard comme s'il était fautif, l'un d'entre eux lui demandant pourquoi il ne divorce pas. Mais toutes ces pressions se heurtent au mur du bien nommé Loving. Richard, bâti comme un roc taiseux impénétrable qui sait au plus profond de lui-même que la loi est injuste et qu'il ne fait rien de mal encaisse et souffre en silence. Mais à aucun moment il ne fait porter le poids des épreuves sur sa femme qu'au contraire il protège avec amour (d'où le surnom affectueux qu'il lui donne, brindille). Mildred, timide mais moins fataliste ne supporte pas l'exil. Elle choisit de retourner clandestinement en Virginie avec Richard et de se battre. Un combat judiciaire qui remontera jusqu'à la Cour suprême laquelle fera invalider les lois interdisant les mariages mixtes et le métissage à l'échelle de l'Union en 1967 dans le contexte de la lutte pour les droits civiques. La force de l'arrêt résidant autant dans son contenu que dans la symbolique des patronymes: Loving versus Virginia, la plus grande des forces humaines portant l'estocade à une Virginie virginale fantasmatique obsédée par la peur inepte de la "souillure" raciale.

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Un sac de billes

Publié le par Rosalie210

Christian Duguay (2017)

Un sac de billes

Un sac de billes est la deuxième adaptation cinématographique du roman autobiographique de Joseph Joffo, quarante deux ans après la première. A l'heure où les derniers survivants et témoins de la Shoah disparaissent et où les temps sont plus que jamais troublés, cette piqûre de rappel s'imposait. Le film dépeint à travers le périple et le regard d'un enfant toutes les facettes de la France durant la période de la seconde guerre mondiale: la zone occupée où l'étau se resserre inexorablement autour des juifs, la ligne de démarcation à franchir pour passer en zone libre au péril de sa vie, le relatif refuge qu'elle offre encore au printemps 42, le havre de paix que constitue Nice occupé par les italiens jusqu'en 43 et sa chute dramatique entre les mains des nazis, la montée en puissance des réseaux de Résistance et face à eux la radicalisation des pétainistes avec les exactions de la milice, la Libération enfin et ses règlements de compte sanglants. On mesure la force de caractère des frères Joffo face à la Gestapo qui s'acharne pendant des semaines à les faire craquer pour qu'ils avouent leurs origines. On peut également constater qu'ils ont eu beaucoup de chance, rencontrant à des moments décisifs les bonnes personnes. L'interprétation est remarquable, Patrick Bruel dans le rôle du père en tête. Mais aussi (et c'est plus surprenant), Christian Clavier et Kev Adams dans des rôles dramatiques. Mention spéciale également au travail sur la photographie avec des paysages et des lumières superbes qui offrent des respirations bienvenues. Le principal bémol outre la mise en scène trop sage concerne l'absence d'un véritable travail sur l'évolution physique et psychologique des enfants qui ne semblent grandir et mûrir que sur le papier.

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Spotlight

Publié le par Rosalie210

Tom McCarthy (2015)

Spotlight

Un film dont la sobriété et la pudeur parfois critiquées peuvent être aisément retournées comme étant des qualités:

- Aucun excès de gras: l'intrigue se concentre sur l'essentiel, l'enquête aux ramifications complexes ayant permis de mettre à jour un scandale de pédophilie touchant l'Eglise de la région de Boston. La mise en scène tout comme l'interprétation sont au diapason. Le portrait des journalistes d'investigation se fait "en creux". On perçoit bien leurs différences d'approche, de style, d'origine entre le bourgeois catholique mondain (Walter Robinson joué par Michael Keaton) qui fait jouer ses réseaux du collège au terrain de golf, le jeune bull-terrier adepte du rentre-dedans (Mike Rezendes joué par Mark Ruffalo), la psy qui privilégie le porte-à porte et l'écoute empathique (Sacha Pfeifer jouée par Rachel McAdams) et enfin le rat de bibliothèque taiseux qui épluche et recoupe les registres et les dossiers (Matt Caroll joué par Brian d'Arcy James, acteur moins médiatique que les autres car n'ayant pas eu la chance d'incarner Batman ou Hulk à l'écran). Cependant tout ce qui ne relève pas de l'enquête (et notamment leurs vies privées) est laissé hors-champ.

- L'inscription dans un genre balisé par des films antérieurs à succès, celui du film-dossier ou film-enquête au déroulement haletant pour mieux dissimuler son véritable sujet qui est la mise à jour des rouages d'un système perverti dans une communauté repliée sur elle-même où l'omerta règne. " Il faut un village pour élever un enfant. Il faut un village pour abuser de lui." Le village, c'est Boston, la "plus grande petite ville" des USA et la plus catholique où tout le monde se connaît, où tout le monde sait mais où personne ne dit rien. L' Eglise catholique agit exactement comme la mafia. Elle fait taire les victimes en achetant leurs parents par l'entremise d'avocats véreux. Elle s'infiltre dans les coulisses des institutions et des pouvoirs locaux pour en prendre le contrôle ou faire pression sur eux à la manière d'un lobby. Par la corruption ou par la menace, elle musèle la justice, la police, les médias et les familles. Et quand elle n'y parvient pas, elle isole les brebis galeuses pour mieux les affaiblir comme l'avocat spécialisé dans les affaires de pédophilie, Mitchell Garabedian (joué par Stanley Tucci). D'où l'importance du travail d'équipe mis en avant par le film qui réussit à retrouver, faire parler et fédérer les nombreux protagonistes de cette histoire (victimes, avocats, policiers, prêtres etc.)

-Le film souligne aussi le rôle essentiel joué par les "étrangers" dans le dévoilement de l'affaire. Mitchell Garabedian précise qu'il est arménien et rappelle que l'enquête journalistique à été déclenchée par le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe, Marty Baron (Liev Schreiber) qui est juif et originaire de Miami. Tom Mc Carthy le réalisateur avait déjà mis en avant dans un précédent film engagé (The Visitor sur la rencontre entre un professeur du Connecticut et un couple de clandestins) l'importance de l'ouverture à l'étranger pour être revivifié soi-même.

- Enfin le film a une valeur documentaire certaine. Pas seulement parce qu'il s'inspire de faits réels. Mais parce que au fil de l'enquête, il met en lumière l'ampleur des dégâts de ces crimes sur ceux qui en furent victimes: suicides en chaîne et pour les survivants, plongée dans la drogue et l'alcool pour s'anesthésier, ne plus ressentir l'horreur de ces actes criminels et du silence complice qui s'ensuivit. Si bien qu'en plus de s'interroger sur la notion de responsabilité collective, le film est une incitation à parler et à témoigner.

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Les enfants de la chance

Publié le par Rosalie210

Malik Chibane (2016)

Les enfants de la chance

L'intérêt de ce film ne réside ni dans sa mise en scène, très classique, parfois même un peu lourde (les chansons des enfants qui tombent comme un cheveu sur la soupe hormis lors du repas, quelle coïncidence!) ni dans ses personnages pour la plupart archétypaux. L'histoire a un air de déjà vu tant elle est souvent traitée au cinéma (M. Batignolle, Le voyage de Fanny, La Rafle, Au Revoir les enfants etc.) mais elle est tirée de l'histoire vraie d'un survivant de la Shoah, Maurice Grosman (le créateur de l'entreprise de prêt-à-porter CELIO), et a donc valeur de témoignage à l'heure où justement les derniers protagonistes de ces événements disparaissent les uns après les autres. On entend d'ailleurs la voix de Maurice Grosman âgé aujourd'hui de 86 ans à la fin du film. Ce sont ses souvenirs qui forment la trame du film et lui donne au final sa personnalité. Pour survivre, il fallait avoir beaucoup de chance et le destin de Maurice est marqué par la chance. Il se casse la jambe au moment où a lieu la rafle du Vel d'hiv ce qui lui permet d'y échapper puis il est pris en charge par un docteur qui s'avère être un Juste et qui réussit à le garder pendant des années dans son hôpital, prétextant une tuberculose osseuse. Le dortoir de l'hôpital est un refuge même s'il n'est pas totalement à l'abri des exactions des allemands et de la police de Vichy. Le film casse les réflexes manichéens avec le personnage du collaborateur qui n'est autre que le frère du docteur et que celui-ci place sous sa protection quand le vent aura tourné. Ou encore avec les américains qui donnent à l'hôpital un médicament frelaté mortel alors que les allemands ont fait don d'un remède qui sauve deux enfants. Le film vaut enfin par toutes sortes de petits détails qui rappellent le contexte de la guerre, du venin antisémite distillé par Radio Paris aux repas de choux et de carottes liés aux privations.

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L'image manquante

Publié le par Rosalie210

Rithy Panh (2013)

L'image manquante

« Tous les cinéastes font des films pour combler une ou des images manquantes. » Mais pour Rithy Panh, la nécessité de se remémorer le passé se heurte à l'absence d'images, détruites par le régime Khmer rouge qui les a remplacées par des films de propagande. Aussi le film se divise en deux lignes de récit distincts et antinomiques. D’un côté le récit d’une histoire collective, celle du Cambodge dirigé par les Khmers rouges de 1975 à 1979 et des 1 million 800 cambodgiens tués par le régime. De l’autre l’histoire d’une des victimes de ce régime, celle du réalisateur lui-même. Pour la première fois dans sa filmographie, Rithy Panh livre son expérience personnelle. Mais dans chacun de ses films, il a cherché à raconter des histoires singulières pour lutter contre l’abstraction des statistiques. Seule l’émotion intime peut efficacement s’opposer à une barbarie totalitaire qui nie l’individu. La langue du « je » face à la langue révolutionnaire du « nous ».

Le titre du film fonctionne comme un leurre. Il n’y a pas une mais plusieurs images manquantes. Et elles ne sont pas seulement manquantes, parfois elles sont absentes, parfois elles sont mensongères (les images de propagande du régime par exemple). C’est pourquoi, le cinéaste construit son film comme un patchwork dont les coutures sont apparentes. Il refuse d’harmoniser les images par exemple et laisse la rupture se faire entre le film numérique et la pellicule, entre la couleur et le N/B comme il refuse de vernir ses figurines pour qu’elles retournent ensuite à la poussière. Son film est conçu comme une installation éphémère, comme un objet plus ou moins fini, comme un assemblage de fragments disparates, de matériaux hétéroclites : archives, voix-off, maquettes, figurines etc. Ce procédé permet à la fois de relier le récit intime au récit historique tout en s’interrogeant sur les rapports entre la fiction et le documentaire. En effet pour que le spectateur reste actif, il refuse l’immersion. Le but est de montrer que les images de propagande sont en quelque sorte plus fictionnelles que les images reconstruites par Rithy Panh. Les images de propagande mentent sur la réalité. Pol Pot s’est inventé un personnage, s’est construit un monde façonné par son idéologie et a utilisé le peuple pour en faire une image. A l’inverse les images reconstruites de Rithy Panh nous documentent sur son enfance et sur le monde d’avant le régime. Un monde de couleurs, d’odeurs, de diversité, de langage imagé qui va être aboli par le régime tout comme la religion, l’instruction ou la vie de famille. Certaines de ces images s’apparentent également au processus psychanalytique : le ressac de la mer (« J’ai 50 ans, je fais retour sur mon enfance. »), les corps flous « à mettre au point » etc.

Cependant, Panh ne reconstitue pas tout. La déportation de Phnom Penh qui est une image manquante tout comme l’enfance du réalisateur est remplacée par une installation avec des figurines non animées. Le refus de l’animation s’explique par le fait que la vie a été arrêtée par les Khmers. De plus ceux-ci ont détruit la plupart des images qui existaient avant eux. Celles des films de fiction comme celles des photos de famille. Panh veut que l’on ressente cette vie arrêtée et cette absence d’images du bonheur, des enfants heureux, bien nourris etc. Enfin se pose la question de l’absence des images d’exécution. Les Khmers ont filmé ces scènes mais Panh dit « ne pas les avoir retrouvées » (ce qui n’est pas forcément vrai) et même s’il les avaient retrouvées, ne les auraient pas montrées. En cela il est proche de Claude Lanzmann qui est encore plus radical. En 1994 dans un entretien, Lanzmann dit que s’il avait trouvé des images de mise à mort dans les chambres à gaz, non seulement il ne les auraient pas incluses dans son film mais il les auraient détruites (ce qui donnera lieu quatre ans plus tard à un débat avec Godard pour qui rien n’est infilmable).

Les Khmers ont détruit la culture cambodgienne dans tous ses aspects, y compris les rituels funéraires. Les figurines, comme celles que l’on plaçait dans les sarcophages égyptiens ont aussi pour fonction d’accompagner les morts dans leur dernière demeure, de donner un enterrement digne à tous ceux qui n’en ont pas eu. D’autant que les images conservent le souvenir, telles un embaumement.

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Lincoln

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2012)

Lincoln

En dépit de son titre, le film de Spielberg est moins un biopic sur Lincoln qu’un film sur l’histoire du vote du 13eme amendement qui entraîna l’abolition de l’esclavage aux USA. Ce choix reflète la question très actuelle de l’intégration des minorités. Ainsi le scénariste du film n’est autre que Tony Kuschner, l’auteur marxiste, gay et juif d’Angels in America. N’oublions pas également que Spielberg s’était déjà intéressé à l’esclavage dans un précédent film, Amistad.
Lincoln remarquablement interprété par Daniel Day Lewis nous est dépeint comme un Républicain modéré friant de récits, boutades et métaphores qui navigue entre realpolitik, grands principes et sens de l’histoire. Son objectif est de parvenir à faire voter l’amendement avant la fin de la guerre qui en réintégrant les Etats du sud rendrait ce vote impossible. Sa fermeté inébranlable vis-à-vis de cet objectif s’explique avant tout par le fait qu’il est persuadé que c’est l’intérêt profond du pays (pour son rayonnement dans le monde, son économie, sa cohésion et sa cohérence, y compris vis-à-vis de ses valeurs fondatrices). De plus seul ce vote peut donner un sens à la mort des soldats de l’union (la guerre de Secession a été la plus meurtrière qu’ait connue les USA loin devant les deux guerres mondiales). Pour cela, il n’hésite pas à s’arranger avec la vérité en retardant les négociations de paix avec le Sud. De même la tambouille politicienne à base de corruption pour arracher des votes cruciaux constitue une part essentielle du film. Le Républicain radical Stevens joué par Tommy Lee Jones finit par suivre la même voie pragmatique que celle de Lincoln en mettant en sourdine les véritables motifs de son combat abolitionniste (l’égalité raciale liée à sa situation personnelle) au profit d’un discours plus consensuel (l’égalité devant la loi). Ce qui n’empêche pas le vote à la chambre des représentants d’être un grand moment épique car l’adoption de l’amendement dépend d’un certain nombre d’indécis qui jusqu’au bout font planer le suspens.

Spielberg a donc réalisé un film à la fois didactique et prenant qui fait réfléchir à ce qu’est un homme d’Etat placé dans une situation exceptionnelle tout en nous faisant comprendre certains des rouages de la vie politique américaine. En revanche les passages sur la vie privée du président sont plus convenus. L’épouse névrosée nous apparaît surtout opaque et le fils qui cherche à sortir de l’ombre de son père en se couvrant de gloire patriotique fait furieusement penser à la Guerre des mondes…

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L'Enfant sauvage

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1970)

L'Enfant sauvage

Inspiré d'une histoire vraie, le film de Truffaut n'en est pas moins très personnel. Le fait qu'il soit dédié à Jean-Pierre Léaud et en noir et blanc le situe dans la lignée des 400 coups. Sauf que Truffaut se met en scène lui-même dans le rôle de l'éducateur d'un enfant différent au lieu de seulement s'identifier à cet enfant et de rester hors-champ comme il le faisait jusque là. Comme Antoine Doinel (et comme Truffaut lui-même) Victor est un enfant non désiré. Encombrant au point d'avoir été abandonné dans la forêt après avoir été laissé pour mort. Il a été privé d'éducation, de socialisation et d'affection pendant de nombreuses années. Les 10 premières minutes du film montrent le "résultat" de ce traitement: un enfant réduit à l'état animal (tour à tour singe, chat, oiseau, renard, serpent...) qui grogne et marche à 4 pattes mais dont certains comportements évoquent également l'humain autiste (les balancements). Volontairement, Truffaut montre que la rencontre de Victor et du monde humain s'effectue d'abord dans le chaos, la violence et le rejet. La bande-son n'offre pas de sons articulés au contraire elle est saturée par les aboiements des chiens lancés à ses trousses alors que le langage utilisé par les chasseurs (le patois) est incompréhensible pour le spectateur. Plus tard, Victor échoue dans un institut de sourds et muets où ces enfants déshérités s'acharnent sur lui car ils ont trouvé encore plus misérable qu'eux. Quant aux adultes, ils l'exhibent comme un phénomène de foire. Seul un paysan empathique montre de la compassion pour l'enfant qui en retour se laisse approcher et humaniser (la scène symbolique où il lui lave la figure). Ce paysan préfigure à un degré primitif le docteur Itard.

L'apparition du docteur Itard marque l'irruption de la culture et du langage articulé dans ce monde inintelligible. Il révèle également le regard empathique et le désir de communication (voire de réparation) que Truffaut porte en lui vis à vis de l'altérité blessée. Seul contre tous, il affirme que l'enfant n'est pas idiot et peut être éduqué. Le reste du film montre les étapes de cette difficile et incertaine éducation, présentée comme un accouchement (elle dure 9 mois!) qui si elle n'atteint pas son objectif premier (permettre à l'enfant de parler) réussit quand même à l'humaniser. Un lien affectif se créé entre l'enfant et ses parents de substitution (le docteur Itard et sa gouvernante), il reçoit un prénom, fait toutes sortes d'acquisitions (marche debout, repas à la cuillère, notions d'hygiène, port de vêtements et de chaussures, inventions, manifestations émotionnelles comme les sourires et les pleurs, marques de tendresse, acquisition du sens de la justice etc.) et c'est de lui-même qu'il revient à la fin après une fugue (le film se termine par son regard à lui, un regard de "sujet" au lieu d'être toujours "objet.") Cette fin, plus optimiste que dans la réalité s'explique notamment par le fait que Truffaut a été sauvé d'un sinistre destin par son accès à la culture permis par le critique André Bazin (dont le rôle auprès de lui a été déterminant).

Il n'en reste pas moins que le docteur Itard s'interroge sans cesse sur le bien fondé de ce qu'il fait. Quant à Victor, s'il évolue considérablement, il n'acquiert pas le langage et reste donc en quelque sorte coincé quelque part entre les deux mondes, celui de la nature dont il a la nostalgie mais qu'il ne peut plus réintégrer comme le lui prouve sa fugue à la fin du film et le monde de la civilisation dans lequel il fera toujours figure de corps étranger. La fenêtre de la maison d'Itard devant laquelle se tient Victor incarne cette position ambivalente (dedans/dehors, nature/culture).

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Les palmes de M. Schutz

Publié le par Rosalie210

Claude Pinoteau (1997)

Les palmes de M. Schutz

Film de Claude Pinoteau (le réalisateur de la Boum!), Les palmes de M. Schutz est un titre assez trompeur. Le fameux M. Schutz (joué par Philippe Noiret) est en effet une sorte de M. Loyal au service des véritables héros de l'histoire que sont Pierre et Marie Curie (joués par Charles Berling et Isabelle Huppert). L'histoire de la découverte des propriétés de l'uranium puis du radium est assez romancée mais elle a le mérite d'être pédagogique, permettant de comprendre le principe de la démarche expérimentale. Quant au film lui-même, il ressemble à du théâtre filmé (et pour cause, il s'agit de l'adaptation d'une pièce de théâtre) et est donc assez figé et académique dans sa mise en scène. Mais le scénario plutôt subtil et l'interprétation, remarquable relèvent l'ensemble.

Chaque personnage a en effet une approche différente de la science. Pierre Curie est un puriste et un idéaliste. Il envisage son travail comme un sacerdoce, refusant la richesse, les honneurs, le mariage, la vie de famille. Même après sa rencontre avec Marie Curie qui est son gémeau, il a bien du mal à s'accommoder des contraintes terrestres. Son collaborateur Gustave Bémont est tout son contraire. Son approche est pragmatique, il s'intéresse avant tout aux applications industrielles de la science et n'oublie jamais de faire breveter son travail. D'autre part comme il l'explique à Pierre Curie il est d'origine modeste et ressent le besoin de gagner de l'argent. Enfin c'est un charmeur qui drague les femmes (son attitude vis à vis de Marie pousse d'ailleurs Pierre Curie à sortir du bois pour ne pas se faire doubler). Marie aussi flamboyante que Pierre est réservé ressemble néanmoins à son mari dans sa passion jusqu'au-boutiste à laquelle elle sacrifie tout: sa santé, sa vie de famille, ses finances. Elle est également marquée par ses origines polonaises et le désir d'aider ses compatriotes à s'émanciper de la tutelle russe. Enfin son statut de femme de sciences à une époque où la femme est infériorisée fait d'elle un être à part. Schutz, le directeur de l'école où travaillent les 3 scientifiques est comme le titre l'indique obsédé par la reconnaissance de ses pairs, la gloire et les honneurs. Ce qui ne l'empêche pas de prendre des risques pour protéger ceux en qui il a reconnu des génies.

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