Dévoilé en compétition au 43° festival d'Annecy, "L'extraordinaire voyage de Marona" a fait l'ouverture de la programmation "jeune public" de la Cinémathèque en attendant sa sortie nationale prévue le 8 janvier 2020. Anca DAMIAN avait déjà réalisé des films d'animation mais plutôt pour adultes ("Le Voyage de Monsieur Crulic" qui avait été primé à Annecy (2011) et "La montagne magique") (2015). "L'extraordinaire voyage de Marona" se distingue par sa splendeur visuelle, fruit du travail de trois artistes: la norvégienne Gina Thortensen, l'italienne Sarah Mazetti et l'auteur de BD belge Brecht Evans. Le cosmopolitisme de l'œuvre est présent aussi dans la production, partagée entre trois pays (France, Roumanie et Belgique). Anca DAMIAN est roumaine et le compositeur Pablo PICO est français. Tous ces talents se conjuguent pour donner un film luxuriant très sensoriel et expressif, chaque maître de la petite chienne distillant son propre univers (tout en apesanteur, changements d'échelles, verticalité et arabesques pour l'acrobate rouge et or, cubiste et horizontal pour l'ouvrier en bâtiment, fauve pour l'intérieur de la maison de Solange).
Sur le plan du scénario, c'est en revanche nettement moins convaincant. Celui-ci est lourd, assénant ses idées humanistes plutôt qu'en les suggérant ("Je suis la preuve vivante que l’amour est aveugle et se fiche des races"; "chez les chiens, le bonheur, c’est l’inverse de celui des hommes : nous voulons que les choses restent exactement comme elles sont tandis que les hommes veulent toujours autre chose. Ils appellent cela rêver, moi j’appelle ça ne pas savoir être heureux") et tirant le film vers le pathos. Il insiste beaucoup plus sur les maltraitances et abandons successifs de Marona que sur les moments de joie passé auprès de ses maîtres (surtout dans la troisième histoire) et peut-être parce qu'il s'agit d'un chien dont le sens de l'existence est conditionné au fait d'être au service d'un humain, il n'imagine pas d'autre voie que celle de la quête d'amour/dépendance affective qui est vouée au malheur.
"Le conte de la princesse Kaguya" est le dernier film de Isao TAKAHATA qui a terminé sa carrière en apothéose avec ce qui est l'un de ses plus beaux films. Tiré du folklore japonais (plus exactement d'un conte du dixième siècle transmis oralement), l'histoire de la princesse née dans un bambou venue de la lune (comme notre Cyrano) a été adaptée sous de multiples formes (dont un ballet "Kaguyahime" représenté il y a une dizaine d'années à l'Opéra Bastille). Celle de Isao TAKAHATA se distingue d'abord par sa forme, éblouissante. Le film est une succession d'estampes animées plus ou moins détaillées. Si l'aquarelle domine le paysage, certaines scènes parmi les plus marquantes relèvent de l'art de l'esquisse. Tout cela au service d'un récit fort dont le caractère fantastique et onirique se combine avec une grande volonté de réalisme (visible notamment dans l'animation de Kaguya bébé). Bien que se déroulant dans le Japon médiéval, les thèmes abordés sont d'actualité que ce soit le statut de la femme et sa soif de liberté face au patriarcat ou l'opposition entre nature édenique, réceptacle d'une vie authentique faite de joies simples et culture urbaine rigide et castratrice. La scène de fuite éperdue de Kaguya hors de la ville et de la réalité rappelle sur un mode fantasmatique celle du premier épisode de "Heidi" (1974) (série sur laquelle Isao TAKAHATA et Hayao MIYAZAKI ont travaillé) où celle-ci se dépouillait de ses couches de vêtements superposés en arrivant dans les Alpes. On retrouve en effet dans ce film la touche Isao TAKAHATA, mélancolique et fataliste. Comme dans "Le Tombeau des lucioles" (1988) auquel on pense beaucoup, le sort de la princesse est scellé dès l'origine et ses explosions de bonheur au contact de la nature (et de l'homme qu'elle aime, un simple charbonnier qu'elle a côtoyé enfant avant d'être séparée de lui pour mener une vie de princesse qui ne lui apporte pas le bonheur) ont d'autant plus d'intensité que l'on connaît à l'avance son destin tragique.
Excellent premier film d'un réalisateur (Hiroyasu Ishida) et d'un studio (Colorido) à suivre, "Le mystère des pingouins" confirme la très bonne santé du cinéma d'animation japonais. Je ne serais pas étonnée si ce film faisait l'objet d'un remake américain tant il m'a fait penser à "Inception" (2009) de Christopher NOLAN (lui-même largement inspiré par le film d'animation "Paprika" (2006) de Satoshi KON). Le réel et le fantastique s'y imbriquent de telle façon que l'on a du mal parfois à distinguer les différents niveaux de réalité (comme souvent dans le cinéma d'animation japonais). Le résultat est splendidement surréaliste avec des images à la Magritte (la sphère qui lévite dans la prairie, la pluie de pingouins sur la ville, l'inversion du haut et du bas etc.)
L'histoire recèle également son lot d'originalité et de mystère. La trame est hyper classique (les premiers émois de l'adolescence sur fond apocalyptique, le trio héros-héroïne-faire-valoir face au trio du méchant et de ses deux suiveurs) mais le traitement lui ne l'est pas. Car le héros n'a rien de stéréotypé. C'est un petit garçon de 10 ans, Aoyama, passionné par les sciences et qui veut devenir adulte le plus vite possible. Il a déjà programmé sa vie, note toutes ses observations dans un carnet, fait des expériences, travaille sans arrêt, est très imbu de lui-même. Bref, il serait imbuvable s'il n'y avait pas une très grosse part d'irrationnel dans son comportement lié à son attirance quelque peu sulfureuse pour son assistante dentaire, jeune mais adulte et surtout dotée d'une poitrine généreuse qui l'obsède (comme le montre cette scène si symbolique où il mange ce qu'il appelle lui-même un "gâteau-nichon"!). Ce thème de l'éveil du désir (incontrôlable par essence) perturbe ses plans et tout le film est basé sur la confrontation entre science et magie, rationnel et fantastique. Car la jeune femme est un alien, à tous les sens du terme et elle invite le héros -tout comme nous- à explorer de nouvelles voies (la métaphore dentaire peut être mise en parallèle avec celle de la sphère trou noir, les dents étant une porte d'entrée pour les corps étrangers).
Ce film est un bijou de beauté et d'intelligence qui se situe dans la lignée de Paul Grimault, Jacques Prévert et Michel Ocelot. Il nous rappelle au passage que la France est le troisième pays du monde pour le cinéma d'animation après les USA et le Japon et que le trop méconnu Jean-François Laguionie est un maître en la matière.
Comme son titre l'indique, le film est tout d'abord une réflexion sur la création au travers de l'art du cadre ou plutôt du cadre dans le cadre. L'écran de cinéma est redoublé par le cadre du tableau dans lequel se situe une partie de l'histoire. Mais ce tableau est animé et même si l'image de synthèse est en 2D, il y a des effets de relief et de profondeur de champ qui transforment la peinture en image de cinéma. Cette réflexion sur l'interaction entre les deux arts se prolonge lorsque les personnages échappés du tableau se rendent dans l'atelier du peintre qui n'est autre que le réalisateur du film, Jean-François Laguionie. Ils se retrouvent alors face à une scène de Genèse qui prend la forme de trois tableaux. Pas n'importe lesquels. Un autoportrait du peintre/réalisateur âgé, un grand nu féminin répondant au nom de Garance dans le style de Matisse et entre eux un Arlequin Picasso période bleue. Un homme, une femme, un enfant. Un peintre, sa muse et son œuvre. Mais avec l'envers du décor: les toiles semblent abandonnées, les personnages ne peuvent s'en échapper et les photos et dessins déchirés dans l'atelier suggère une rupture et/ou une panne d'inspiration.
Mais "Le Tableau" a une autre signification tout aussi riche. A la fin du film, l'un des personnages, Lola l'exploratrice ^^, la pionnière qui a osé s'aventurer hors de son tableau puis passer de tableau en tableau et y entraîner les autres finit par rencontrer son créateur en chair et en os (ou plutôt
sa représentation, Jean-François Laguionie jouant son propre rôle déguisé en peintre). Le film associe alors animation et prises de vues réelles. Celui-ci lui dit qu'il n'y a pas de barrières et qu'elle peut aller jusqu'à la mer (l'origine ^^). En effet il n'y a pas de barrières dans le film entre les arts, la réalité et la fiction, la créature et son créateur mais aussi entre les créatures elles-mêmes. Sinon celles que s'inventent les êtres bornés dans les sociétés hiérarchisées. "Le Tableau" dépeint une société à la "Metropolis" (1926) où la hiérarchie sociale s'établit selon le degré d'achèvement des personnages. Les maîtres sont les Toupins (les tous-peints), les parias les pafinis (pas entièrement colorés) et les esclaves sont les reufs (les esquisses). Génialement, le film montre l'envers du décor avec des possibilités d'émancipation, de découverte et d'inventivité des deux dernières catégories capables de se terminer eux-mêmes très supérieures aux premiers qui ont été prédéfinis jusqu'au moindre détail.
Après "Le Voyage de Chihiro", voici la deuxième adaptation d'un roman de l'auteur pour la jeunesse Sachiko Kashiwaba (qu'il faudrait un jour songer à éditer en France!). Keiichi Hara s'adresse à un public nettement plus jeune que celui de ses précédentes réalisations (le terrible "Colorful" (2010) et le passionnant "Miss Hokusai") (2015) L'histoire est archétypale (le film est en partie une commande), de ce point de vue, on est sur un territoire bien balisé (le conte de fées, le roman initiatique). Cependant la richesse visuelle du film est remarquable avec une grande variété de mondes traversés (l'auteur définit son film comme un "road-movie dans un monde merveilleux") et une très belle utilisation de la couleur. Avec un peu plus d'audace, Keichii Hara aurait pu mieux tirer parti de ses personnages car il avait un carré d'as en main avec deux duos qui rappellent un peu ceux des comédies de Shakespeare du type "Beaucoup de bruit pour rien". Au premier plan, celui des héros on ne peut plus lisses et classiques (le prince et Akané, la déesse du vent vert), au second, celui des "comiques" qui pimentent le scénario avec l'alchimiste Hippocrate dont l'attitude guindée et "prétentieuse" est dézinguée par la tante d'Akané, Chii, personnage d'antiquaire haut en couleurs, avatar de la sorcière bonimenteuse, indélicate et "langue de vipère". Mais ces pistes, tout comme les personnages ne sont pas assez creusés pour permettre au long-métrage de se démarquer. Il en va de même du message écologique: le monde parallèle est censé l'être davantage que le nôtre parce qu'il en est resté à l'ère du charbon mais le charbon est l'énergie fossile qui pollue le plus, même si les mondes dépeints sont essentiellement ruraux.
Complémentaire du film "Rebelle", "La Légende de Mor'du" réussit l'exploit de tirer encore vers le bas un long-métrage que je considère comme l'un des moins intéressants (et personnels surtout) du studio à la lampe. Personne n'est dupe, la réalisation du court-métrage est bâclée et semble relever davantage du recyclage de story board que d'un film d'animation. Quant à l'histoire, elle enfonce le clou du message rétrograde de "Rebelle": quatre frères dont un méchant qui, mécontent de ne pas hériter de la totalité du royaume bascule dans la haine fratricide et y entraîne le royaume avec lui. On peut résumer ainsi la moralité destinée à l'édification des jeunes: "Employer la force n'entraîne que des malheurs, voyez ce qui arrive quand on choisit de poursuivre un but égoïste plutôt que de réparer les liens familiaux. Suivez plutôt l'exemple de Mérida". Bref on nage en pleine leçon moralisatrice Disney bien infantilisante à une époque où-celui ci exerçait une telle emprise sur le studio Pixar qu'il avait racheté qu'il menaçait jusqu'à son identité et sa créativité pour en tirer un maximum de bénéfices à court-terme (ce qui passait notamment par le "consensus mou"). Heureusement des pépites comme "Vice-Versa" ou "Coco" réalisées récemment ont démontré que les studios Pixar n'avaient pas dit leur dernier mot et heureusement car il s'agit d'un vivier créatif parmi les plus stimulants de ces trente dernières années.
L'idée de "Party Central" devait à l'origine être incluse dans le film "Monstres Academy" mais finalement elle devint un court-métrage à part entière projeté juste avant "Operation Muppets" de Disney (un détail éloquent qui souligne à quel point dans la première moitié des années 2010 les studios Pixar étaient menacés dans leur identité par l'influence de la firme Disney, une influence se faisant ressentir à plusieurs niveaux: scénarios convenus de "Rebelle" ou "Le Voyage d'Arlo", multiplication des suites et des produits dérivés jusqu'à l'overdose comme pour "Cars" etc.). Réalisé par Kelsey Mann, l'un des scénaristes de "Monstres Academy" il combine l'univers estudiantin du film avec le franchissement des portails de "Monstres et Cie" pour un résultat inventif de bout en bout, très amusant et parfaitement rythmé (et que je trouve meilleur que "Monstres Academy" lui-même!). Les Oozmaa Kappa organisent une fête d'intégration pour Bob et Sulli mais personne ne vient. Ces derniers montent alors un plan pour "transférer" ni vu ni connu les étudiants partis faire la fête dans un endroit branché jusque dans leur salon à l'aide de deux portails et de divers stratagèmes pour les attirer. L'espace entre les deux portails donnant sur une chambre parentale, les réactions de ces derniers aux incursions de plus en plus bruyantes des monstres constituent un élément comique majeur du film. Ils finissent par être replongés en enfance quand les monstres étaient sous leur lit.
Quatrième épisode de la quatrième saison des "Cars Toon" sous-titrée "Les Contes de Radiator Springs", ce court-métrage de six minutes nous offre une course tout-terrain entre Flash McQueen et quatre voitures Baja hors-la-loi dans un univers de western spaghetti. Il s'agit de défendre l'honneur du fondateur de la ville, Stanley dont les voitures Baja se sont moquées. La touche humoristique est assurée par Martin qui avec ses directives peu claires les envoie dans un itinéraire bis qui n'est pas de tout repos et offre quelques moments assez drôles grâce au montage alterné (qui montre le décalage entre le vrai parcours de la course et le parcours parallèle suivi par les coureurs). Ainsi sans le vouloir, Martin donne une bonne leçon à l'hubris des voitures Baja (qui sert également de piqure de rappel à Flash McQueen qui au début de "Cars 1" partageait leur mentalité arrogante). C'est donc un court-métrage certes léger mais divertissant et moins bête que "Cars 2".
"Rex, le roi de la fête" est le troisième court-métrage de la série "Toy Story Toons" après "Vacances à Hawaï" et "Mini Buzz". Il apporte un éclairage original et sympathique sur un sujet jusqu'ici non traité par la série: les jouets de bain qui n'existent qu'un quart d'heure par jour, lorsque leur propriétaire les utilise pour égayer le moment qu'elle passe dans la baignoire. Mais sans eau, ils ne peuvent plus se mouvoir et rongent leur frein. Du moins jusqu'à ce que Bonnie ait l'idée d'emmener Rex dans le bain avec eux. Celui-ci est esseulé car les autres jouets l'accusent de se comporter en rabat-joie. Il a donc l'idée de mettre ses nouveaux copains dans sa poche en leur faisant plaisir, quitte à se montrer trop complaisant avec eux et à ne plus contrôler la situation. L'idée très drôle du court-métrage est de transformer le bain en rave-party (inspirée des fêtes d'Ibiza) avec musique techno (composée par Brian Transeau) et lumière noire. On y croit grâce à la maîtrise technique du studio et les moyens employés pour y parvenir sont très astucieux (bain moussant, jouets lumineux, passoire, robot musical etc.) Rex joue les DJ et est rapidement dépassé par le processus qu'il a enclenché, la baignoire se déréglant au fur et à mesure que le niveau d'eau et de mousse monte en puissance à l'image de l'intensité de la fête.
"Lava" relève davantage dans son style de Disney que de Pixar. D'abord parce qu'il s'agit d'un court-métrage musical (alors que la plupart des Pixar sont dépourvus de paroles et donc a fortiori de chansons), ensuite parce que l'histoire, très convenue tourne autour de cette brûlante question: un jour ma princesse viendra-t-elle? En attendant ce jour radieux, le volcan s'érode jusqu'à disparaître au fond de l'océan juste au moment où sa dulcinée jaillit hors des flots. La même chanson (bien niaise et martelée pendant 7 minutes non stop) suffit à réunir "Uku" et "Lele", le jeu de mots pas très fin est à l'image du court-métrage lui-même. Heureusement l'aspect visuel du film assez paradisiaque rattrape un peu son intrigue convenue et sa chanson répétitive qui casse des oreilles. Mais ce n'était pas vraiment le court-métrage qui convenait le mieux pour introduire 'Vice-Versa" qui lui était profondément novateur tant dans son intrigue que sur le plan formel.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.