Film-somme, "Le Garçon et le Héron" sort dix ans après "Le vent se leve" (2013) qui était annoncé alors comme le dernier film de Hayao MIYAZAKI. Nul aujourd'hui n'oserait pronostiquer la fin de sa carrière car il est peu probable que le maître de l'animation japonaise aujourd'hui octogénaire s'arrête tant qu'il sera en capacité de réaliser des films. "Le Garçon et le Héron" commence comme un récit de guerre réaliste et traumatique quelque part entre "Le vent se leve" (2013) et "Le Tombeau des lucioles" (1988) avant de bifurquer vers un monde parallèle qui synthétise ceux de ses précédents films, de "Le Chateau dans le ciel" (1986) à "Ponyo sur la falaise" (2008) en passant bien sûr par "Le Voyage de Chihiro" (2001) dont il approfondit les thèmes. Un monde parallèle plus que jamais influencé par le roman de Lewis Caroll "Alice au pays des merveilles" et que beaucoup voient comme une métaphore des studios Ghibli eux-mêmes avec à leur tête un vieil homme incapable de passer la main sans faire s'écrouler le domaine. A cette succession patriarcale impossible répond la quête initiatique du jeune Mahito dans les couloirs de l'espace-temps pour faire le deuil de sa mère disparue et retrouver le goût de vivre. Ses aventures constituent un hommage au film-matrice de Miyazaki, "Le Roi et l'Oiseau" (1979) et ne sont pas sans rappeler également l'oeuvre symboliste de Maurice Maeterlinck, "L'Oiseau bleu". Déjà parce que le monde parallèle à multiples dimensions est marin et peuplé d'oiseaux, principalement des pélicans et des perruches géantes, le tout dominé par le guide de Mahito, un héron cendré au plumage blanc et bleu dissimulant dans son gosier un bizarre petit homme disgracieux. Ensuite parce que Mahito est amené à rencontrer les formes primitives des enfants à naître, les warawara qui rappellent les noiraudes et les kodamas. A l'autre bout de la chronologie, il rencontre l'une des vieilles servantes travaillant au service de sa nouvelle famille, redevenue une jeune femme intrépide au pied marin. Les grands-mères plus que jamais jouent le rôle de figures tutélaires protectrices. Enfin il est amené à rencontrer sa propre mère adolescente sous la forme d'une fille du feu ainsi que sa belle-mère laquelle s'avère n'être autre que la petite soeur de sa mère. Celle-ci est sur le point d'accoucher mais une menace plane sur elle et l'enfant à naître que Miyazaki fait ressortir de plusieurs façons, teintant son long-métrage de sentiments contrastés, entre espoir et désespoir.
Mais raconter le film n'en épuise ni le sens (multiple), ni la beauté. Celle-ci est toujours au sommet. Le style artisanal (de la 2D à l'ancienne qui rend ses films intemporels et quelques touches de 3D judicieusement placées pour faire ressortir tel ou tel élément) et perfectionniste de Hayao MIYAZAKI se reconnaît à sa précision, à sa fluidité, à ses mille et un détails enchanteurs et nous offre en prime un prisme extrêmement coloré ou bien par contraste des images de cauchemar comme l'incendie où tout est rouge et noir où les sons sont assourdis et où les traits deviennent informes.
"Beach Flags" est un court-métrage d'animation de la réalisatrice iranienne Sarah SAIDAN qui s'est installée en France en 2009. "Beach Flags" qui évoque la condition difficile des femmes athlètes en Iran a remporté de nombreux prix et s'avère d'une brûlante actualité. Le film est un récit initiatique dans lequel le sport associé à la compétition et à l'individualisme se transforme en moyen d'émancipation grâce à la solidarité entre les jeunes athlètes. La façon dont les jeunes filles retournent contre la société patriarcale leurs propres moyens d'oppression concerne également le hijab qui devient un procédé de camouflage permettant de mystifier la famille qui veut empêcher leur fille de concourir. Sur la forme, le film fait penser à "Persepolis" (2007) même s'il s'agit d'un court-métrage en couleurs. Le trait est en effet proche de celui de Marjane SATRAPI, autre réalisatrice iranienne ayant utilisé l'animation pour évoquer sa jeunesse rebelle en Iran.
Le "Beach flag" est une course sur la plage qui est la seule épreuve sportive à laquelle les nageuses-sauveteuses iraniennes peuvent participer car elles peuvent concourir habillées et voilées. Toutes les épreuves en maillot de bain leur sont, quant à elles, interdites. Un maigre espace de liberté dans un océan d'oppression que l'on ressent à travers les cauchemars de l'héroïne, Vida.
"Interdit aux chiens et aux italiens" porte un titre en forme de piqûre de rappel: l'ostracisme n'a pas seulement concerné dans le passé la communauté juive et la France qui s'est construite depuis le XIX° siècle sur l'immigration a aussi une longue tradition de xénophobie dirigée contre les derniers arrivés (italiens à la fin du XIX° surnommés les "macaronis", espagnols républicains à la veille de la seconde guerre mondiale surnommés les "espingouins", maghrébins dès la période des trente Glorieuses et plus généralement africains aujourd'hui). L'animation se prête particulièrement bien aux films de mémoire, c'est à dire le souvenir d'événements historiques par le biais d'un vécu intimiste et subjectif et les exemples sont légion mais le film de Alain Ughetto s'en distingue de façon assez géniale au moins à deux titres:
- D'une part en redonnant vie à ses grands-parents, il peut ainsi interagir avec eux et tout particulièrement avec sa grand-mère qu'il a connu quand il était enfant et qui lui a transmis des bribes de mémoire familiale qu'il peut compléter avec son avatar animé. Et pas seulement par la parole mais aussi par le geste. Dans plusieurs scènes, il n'hésite pas à faire entrer sa main ou son pied dans le champ en prise de vues réelles pour toucher la figurine animée en pâte à modeler de sa grand-mère ou pour enfiler une chaussette que celle-ci a reprisé, rappelant l'une des caractéristiques majeures de l'art qui est d'abolir les espaces infranchissables tracés par le temps. L'hétérogénéité est la marque de fabrique de son film qui mêle donc prises de vue réelles, animation en stop motion, jouets (le gag de la vache désarticulée et du tour de France), vieilles photographies.
- D'autre part en célébrant la noblesse du travail manuel et de l'artisanat. Son art de l'animation en volume qu'il pratique depuis l'enfance, pourtant incompris de son père est un moyen de s'ancrer dans un héritage alors qu'il ne cesse de déménager et de s'inscrire dans une filiation remontant à son grand-père Luigi qu'il n'a pas connu mais qui était un travailleur acharné ayant oeuvré sur plusieurs gros chantiers d'infrastructures indispensables à la France et à l'Europe en voie de modernisation. Et la reconstitution en miniature de l'univers piémontais de ses grands-parents fait appel à des matériaux de récupération récoltés sur les lieux même de leur existence (dont il ne reste que des ruines) qui constituaient alors leur quotidien: de la terre, de la paille, du charbon (pour les montagnes), des brocolis (pour les arbres), des courgettes rondes (pour les maisons) ou encore des châtaignes (pour les figurines).
- Enfin, l'histoire familiale de Alain Ughetto a été façonnée par la grande Histoire. Economique et sociale comme je l'ai déjà mentionné car la pauvreté est la principale raison de l'exode massif des italiens dans des pays plus prospères qu'ils ont contribué à bâtir (la France et la Suisse pour les Ughetto à défaut des USA en raison du naufrage de leurs maigres biens). Mais aussi politique: les Ughetto ont payé un tribut à chaque nouvelle guerre et ont également fui le fascisme présenté comme la principale force d'oppression sur les paysans avec les religieux.
Neuvième film de Michel OCELOT, "Le Pharaon, le sauvage et la princesse" forme une sorte de tétralogie avec "Princes et Princesses" (1998), "Les Contes de la nuit" (2011) et "Ivan Tsarevitch et la princesse changeante" (2016). La différence provient du choix de varier les styles d'un conte à l'autre. "Le Pharaon" qui comme son titre l'indique se déroule entre l'Egypte antique et le Soudan utilise la 2D et colle au graphisme de cette époque (personnages de profil mais torse de face), "Le beau sauvage" qui se déroule en Auvergne au Moyen-Age revient aux ombres chinoises ce qui dans la lignée de "Les Contes de la nuit" (2011) magnifie d'autant plus les couleurs, quant à "la princesse des roses et le prince des beignets", il s'agit d'une "turquerie" XVIII° sècle en 3D qui fait beaucoup penser à "Azur et Asmar" (2006). Quant au fond, il est assez balisé. Le premier récit, le plus historiquement documenté est un conte initiatique où pour arracher sa belle des mains d'une mère qui ne veut pas lâcher le pouvoir, un jeune soudanais conseillé par les Dieux part à la conquête du trône d'Egypte. Le second combine "Blanche-Neige" et "Robin des Bois". Le troisième est une histoire d'amour et d'exil dont la conclusion se perd dans les sables. Si l'ensemble est une splendeur graphique, force est de constater que Michel OCELOT semble à court d'idées neuves comme le dirait Anton Ego dans "Ratatouille" (2007). L'impasse est d'ailleurs figurée par le décor qui relie les trois histoires par lequel on peut deviner que le vieux cinéma abandonné dans lequel s'élaborait les contes a été détruit et remplacé par un chantier d'immeubles en construction. Un clin d'oeil à Jacques TATI?
Jusqu'en 2018, les studios Pixar proposaient à chaque sortie de leur dernier long-métrage un court-métrage en première partie. Mais les années Covid et la politique du groupe Disney consistant à sortir les nouveautés Pixar directement sur leur plateforme de streaming à partir de 2020 semblait avoir tué cette tradition. La décision de revenir à la salle de cinéma avec "Buzz l'éclair" (2022) puis "Elementaire" (2023) a entraîné également un changement vis à vis des autres contenus produits par le studio à la lampe. Ainsi à l'origine, "Le rendez-vous galant de Carl" faisait partie d'une série dérivée de "Là-haut" (2008), "Bienvenue chez Doug" (2021) qu'il devait clôturer et devait sortir sur Disney + pour la Saint-Valentin ce qui explique son sujet.
Que dire de ce court-métrage présenté avant "Elementaire" (2023)? Qu'il suscite la sympathie, forcément puisqu'on y retrouve Carl et Doug qui l'aide à se préparer à un rendez-vous galant qu'il a pris sans s'en rendre compte. Le sujet de fond qui traverse toute l'oeuvre de Pixar et qui est le deuil est abordé mais pas creusé au profit du potentiel comique un peu facile généré par les conseils en drague "canine" de Doug et les efforts de Carl pour paraître plus jeune (parfum, teinture). Quant on sait ce que représente Ellie pour Carl dans "Là-haut" (2008), on a du mal à croire qu'il se décide sur un simple malentendu à tenter de tourner la page. On ne retrouve pas le caractère renfrogné du personnage d'origine. Et en plus le film qui se résume presque entièrement à un tête à tête dans une pièce s'arrête avant que l'on ne voit le résultat de ses efforts. Oubliable.
Pixar m'a beaucoup manqué. Depuis "Soul" qui m'avait déçue, je n'y étais pas retourné et pourtant j'ai Disney +. Mais les studios Pixar racontent des histoires trop fondamentales pour être cantonnés à un robinet consumériste qui détruit l'expérience culturelle collective. Ce retour en salles avec un film original est donc une excellente nouvelle même si elle est déjà ternie par l'insuccès du film aux USA. Au moins aura-t-il fait la clôture du festival de Cannes qui a manifesté une remarquable constance dans son refus d'adouber le cinéma sur plateforme.
On a beaucoup décrit "Elémentaire" comme un croisement entre "Zootopie" pour l'esthétique de la ville (inspirée de New-York) et "Vice-Versa" pour le principe consistant à donner corps à l'intangible. C'est exact. L'influence des studios Ghibli pourtant cités à travers le nom d'un personnage n'a en revanche pas été analysée et c'est bien dommage. En effet Flam et ses parents doivent beaucoup esthétiquement à Calcifer, le "principe actif" qui fait tenir debout le "Château ambulant" alors que les métamorphoses de Flack ne sont pas sans rappeler celles de "Ponyo sur la falaise". Si ces deux personnages peuvent se rencontrer c'est justement parce que leur enveloppe corporelle est plastique. A condition de ne pas être soumis à des conditions extrêmes, l'eau et le feu ne s'annulent pas mais se complètent selon le principe du ying et du yang. Le film doit donc beaucoup (comme nombre de films Pixar) à la culture asiatique et Peter Sohn le réalisateur qui est d'origine coréenne a justement injecté beaucoup de son histoire personnelle dans le film. Les flamboyants y jouent le rôle des réfugiés climatiques quelque peu ghettoïsés dans une ville qui est davantage faite pour les trois autres éléments (l'air avec ses personnages-nuages et la terre avec ses plantes en pot vivantes auraient mérités un traitement plus approfondi: un deuxième volet ne serait pas de trop d'autant que Peter Sohn a réalisé en 2009 un court-métrage, "Passages nuageux" qui préfigure les personnages maîtres de l'air de "Elémentaire"). Flam représente l'enfant d'immigré tiraillée entre sa loyauté vis à vis des rêves de ses parents et ses aspirations propres. Flack est lui issu d'une famille aisée et ouverte d'esprit ce qui explique qu'innover ne lui fait pas peur. On remarque également que l'équipe s'est amusée à inverser les stéréotypes de genre. Flam est impulsive et intrépide alors que Flack est doux, empathique et déploie des torrents de larmes façon cartoon chaque fois que l'occasion se présente.
Même si l'histoire d'amour peut surprendre dans un univers qui s'est surtout surpassé dans son analyse du deuil, ce thème n'est pas complètement absent de "Elémentaire". Car pour s'intégrer, il faut muer comme le montrait avec tant de brio "Vice Versa" donc abandonner quelque chose de soi. Dans nombre de leurs films ("Monstres et Cie", "Cars"), les studios Pixar ont évoqué les quartiers d'immigrés, essentiellement d'origine italienne tenant des commerces. Le père de Flam qui a dû rompre avec son père pour émigrer possède une échoppe qu'il souhaite léguer à sa fille. Mais en rencontrant la famille de Flack, Flam se découvre un talent d'artiste verrière. Quant on disait que le film avait une portée personnelle...
En regardant "Les secrets de mon père", dernier film en date de Véra BELMONT, j'ai pensé (toutes proportions gardées) à "Maus" en raison du fait que l'oeuvre dont le film est l'adaptation est le roman graphique autobiographique de Michel Kichka qui comme Art Spiegelman est un fils de rescapé de la Shoah. Mais alors que "Maus" témoigne de la transmission de la mémoire de la Shoah entre les parents survivants et leur fils, "Les secrets de mon père" raconte celle d'enfants qui grandissent avec un père qui refuse de leur parler de son passé. Un silence assourdissant étant donné les séquelles que ce passé a laissé (l'absence des grands-parents, le tatouage sur le bras que les enfants croient être un numéro de téléphone) mais aussi les dégâts qu'il continue à faire ("ce passé qui ne passe pas") en isolant les générations les unes des autres et en traumatisant la descendance jusqu'à l'irréparable quand le père se lance dans un travail de mémoire auprès des médias et du grand public mais interdit à ses enfants d'y accéder. Le choix de l'animation (très classique sur la forme en dépit de quelques envolées oniriques, dommage étant donné que l'histoire se déroule en Belgique, un des fiefs de la BD) s'explique par le support d'origine mais aussi par le fait d'être centré sur l'expérience des enfants (alors que le roman graphique de Michel Kichka s'adressait à l'origine aux adultes). On peut regretter d'ailleurs que les soeurs de Michel soient si peu développées alors que l'aînée subit aussi les effets néfastes du secret à géométrie variable qui empoisonne toute la famille. Mais Michel Kichka centre logiquement le récit sur lui-même et son jeune frère Charly qui lui colle aux basques, évoquant les moments heureux de leur enfance mais surtout la blessure de l'incommunicabilité de plus en plus grande avec les années. Même si en héritant de son talent de dessinateur, Michel Kichka a pu au final se frayer un chemin jusqu'à son père, celui-ci s'est avéré des plus douloureux et constitue le principal intérêt du film.
Dans la mémoire collective, "Charlotte" peut renvoyer à Charlotte Corday, la militante révolutionnaire pro-Girondins qui a assassiné Marat ou bien éventuellement à Charlotte Delbo, résistante rescapée du camp d'Auschwitz et de Ravensbrück. En aucun cas à Charlotte Salomon qui n'est connue que des seuls milieux artistiques spécialisés. Comme Alice GUY, elle a été effacée de l'histoire alors qu'elle a été une pionnière en son domaine: le roman graphique ou plus exactement l'autobiographie graphique dont une descendante directe pourrait être Marjane SATRAPI. Entre 1941 et 1943, pressentant qu'il lui restait peu de temps à vivre, elle a peint et réuni plus de 700 gouaches narrant sa vie sous le titre "Vie? Ou théâtre?" avant de les confier à un ami peu de temps avant d'être déportée à Auschwitz où elle est gazée à son arrivée à l'âge de 26 ans. Mais le pressentiment de Charlotte Salomon quant à la proximité de sa mort n'était pas tant lié à la Shoah qu'à une lourde problématique familiale. Son geste créateur fut sans doute une réaction à la révélation par son grand-père en 1940 suite au suicide de son épouse (la grand-mère de Charlotte) du fait que ses deux filles (la mère et la tante de Charlotte portant le même prénom) s'étaient également suicidées ainsi que d'autres femmes de la lignée maternelle. Hantée par la crainte de sombrer également dans la folie suicidaire, Charlotte pensa que s'adonner à son art pourrait la maintenir à flot. D'autres éléments semblent montrer un climat malsain voire incestueux autour de Charlotte. D'abord sa relation toxique avec son grand-père, un odieux tyran ne supportant pas qu'elle regarde d'autres hommes, la réduisant au rôle de boniche (à son service personnel) et la maltraitant jusqu'à la pousser à utiliser du poison (une scène à suspense puisque on ne sait pas durant plusieurs minutes à qui elle va l'administrer). Ensuite sa propension à former des triangles amoureux avec des hommes ayant une liaison (plus ou moins secrète) avec une de ses bienfaitrices-mère de substitution: d'abord sa belle-mère cantatrice, Paula puis sa mécène, l'américaine Ottilie Moore. Tout cela semble avoir joué un rôle bien plus important que le nazisme, dont elle a évidemment beaucoup souffert mais auquel elle aurait pu échapper de par ses origines aisées et un réseau important lui ayant offert sa protection et la possibilité d'émigrer. Mais son refus de quitter Nice (où elle avait rejoint ses grands-parents depuis Berlin au début de la guerre) pour les USA ainsi que le fait d'aller se déclarer aux autorités après que les nazis aient pris le contrôle de l'Italie en 1943* laisse penser qu'elle aurait agi de façon suicidaire comme le fait le personnage joué par Ludivine SAGNIER dans "Un secret" (2007) lorsqu'elle montre ses papiers tamponnés avec la mention juif.
Une personnalité et une oeuvre (conservée au musée juif d'Amsterdam) passionnantes donc mais l'adaptation, très fonctionnelle, ne se hisse pas à la hauteur de son sujet. Le fait que des voix célèbres doublent les personnages n'apporte pas de plus-value (du moins en VF), l'animation est conventionnelle (sauf quand on se plonge dans les oeuvres de la jeune artiste mais il aurait fallu le faire en permanence!), la mise en scène est sans relief. Cela s'explique sans doute par le fait qu'il s'agit d'une production internationale (avec pour producteurs exécutifs Xavier DOLAN, Keira KNIGHTLEY et Marion COTILLARD, les deux dernières doublant Charlotte dans la version en VO et en VF) dans laquelle les réalisateurs et scénaristes (qui d'ailleurs ont été pour la majorité changés entre le projet initial et sa réalisation) ne semblent être que des exécutants. C'est dommage.
* Jusqu'en 1943, Nice est un refuge sûr pour les juifs car la région est occupée par l'Italie de Mussolini. Mais sa chute précipite l'occupation de la péninsule par les allemands qui déportent alors les juifs qui s'y trouvent, incluant ceux du comté de Nice (comme Simone Veil, déportée en 1944).
Très belle découverte que ce film d'animation du studio Ghibli réalisé en 2010 par Hiromasa YONEBAYASHI. Certes, l'influence de Hayao MIYAZAKI (qui a écrit le scénario d'après les livres de la britannique Mary Norton consacrés "au petit monde des borrowers") se fait sentir. On pense surtout à "Mon voisin Totoro" (1988) pour le caractère intimiste, l'enfant malade et la représentation (splendide) de la nature dans et hors de la vieille maison (les chapardeurs font penser aux noiraudes) ainsi qu'à "Kiki la petite sorcière" (1989) au travers d'une adolescente venue d'un autre monde en quête d'émancipation. On peut aussi citer "Princesse Mononoké" (1997) pour la belle relation qui se tisse entre deux personnages (une liliputienne assimilée au monde sauvage et un jeune humain malade du coeur) qui cependant restent condamnés à demeurer de part et d'autre d'une barrière infranchissable. Mais le film a aussi sa petite musique bien à lui, bien plus modeste que les grands opus de Miyazaki certes mais avec sa sensibilité propre. On a par exemple le temps d'apprécier la finesse de la caractérisation des personnages. Ainsi on découvre que l'attitude intransigeante du père d'Arrietty vis à vis des humains (ne pas être vu, sinon fuir immédiatement) n'est pas un réflexe de repli mais de survie et que l'attitude d'un Sho amical ne change rien au danger que les humains font courir à leur espèce en voie de disparition. Ainsi la maison de poupée construite à leur intention peut faire penser à une cage dorée, c'est pourquoi elle reste inoccupée. Quant à Haru, la gouvernante qui cherche à capturer les chapardeurs, elle est assez emblématique des gens qui veulent éradiquer ce qui leur échappe. Ce sens de la nuance ce retrouve dans l'esthétique: l'ode à la nature adopte des couleurs chatoyantes et une picturalité impressionniste qui n'est pas sans rappeler les tableaux de Claude Monet. L'écologie s'y manifeste autant par le plaidoyer envers la cohabitation respectueuse de différentes espèces que par le mode de vie des chapardeurs qui recyclent les objets perdus et se contentent de peu. S'y ajoute un travail minutieux sur le rapport d'échelle et la perception que des êtres miniatures peuvent avoir d'un monde gigantesque. Un rapport qui fait penser à "Alice au pays des merveilles", oeuvre fétiche d'un certain... Hayao MIYAZAKI.
"Flee" (et heureusement) n'est pas un énième film d'animation sur l'oppression du régime des Talibans en Afghanistan. Ces derniers n'occupent qu'une place périphérique dans le récit, même s'ils sont à l'origine de l'exil d'Amin et d'une partie de sa famille. En matière de violation des droits de l'homme et de traitements inhumains et dégradants, presque tout le monde est renvoyé dos à dos: le régime communiste de Kaboul à l'origine de l'arrestation et de la disparition du père d'Amin ainsi que de l'exil de son grand frère (pour échapper à l'enrôlement dans la guerre qui l'opposait aux moudjahidines soutenus par les USA); la police russe post-soviétique totalement corrompue qui harcèle Amin et sa famille à cause de sa situation irrégulière dans le pays; les passeurs qui les font traverser dans des conditions qui mettent leur vie en danger; les occidentaux qui regardent ces migrants comme des attractions touristiques, les enferment en centre de rétention et les traitent comme des parias; les procédures de demande d'asile qui obligent à trafiquer les faits etc.
Toutes ces péripéties proviennent du récit d'Amin, brillant universitaire d'origine afghane réfugié au Danemark que le réalisateur a rencontré lorsqu'il est arrivé dans son village alors âgé de 16 ans et avec lequel il est devenu ami. 20 ans plus tard, Jonas Poher Rasmussen a l'idée de le faire parler et de transformer ce témoignage en film d'animation, ponctué d'images d'archives live fournissant des repères historiques. L'animation elle-même est de deux sortes: réaliste dans les moments calmes, elle se transforme en esquisse lorsqu'on touche à la mémoire traumatique d'Amin, c'est à dire aux épisodes de fuite et d'arrestation (en cela, j'ai pensé à un autre récit de réfugiés de guerre transposé en animation "Josep") (2020) et aussi bien sûr à "Valse avec Bachir" (2007) pour la confession d'un traumatisme qui remonte peu à peu à la surface). Peu à peu, Amin est amené à se défaire de la version officielle de sa vie, telle qu'il l'a donnée à son arrivée au Danemark en tant que réfugié mineur isolé et telle qu'il nous la donne au début du film. En effet, même une fois à l'abri, on découvre que celui-ci est resté prisonnier de son passé qu'il a tenu secret et que celui-ci l'empêche de se projeter dans l'avenir. Hormis dans le domaine de sa carrière, Amin a tellement peur d'être trahi (comme il l'a été à plusieurs reprises) qu'il est devenu paranoïaque et répugne à s'engager. Ce réflexe de dissimulation recouvre une autre dimension de la personnalité d'Amin, son homosexualité, taboue en Afghanistan, qui colore son ressenti mais qu'il ne peut ouvertement exprimer qu'à son arrivée au Danemark. Enfin, le film est une réflexion sur le poids des liens familiaux: l'entraide s'avère être un facteur décisif dans la réussite de l'entreprise mais la séparation également. Quant à l'intégration, on voit bien comment elle est entravée par ces mêmes liens qui font passer la famille (et sa survie) avant tout autre engagement sans parler du sentiment de dette que Amin ressent envers ceux qui se sont sacrifiés pour lui.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.