Voilà un film qui m'a fait l'effet d'un véritable pétard mouillé. Tout d'abord parce que son scénario est non seulement hyper convenu mais en plus traité au premier degré. Ensuite parce que le rôle de sidekick de Pikachu est tout aussi bâclé. Il ne suffit pas de lui mettre une casquette de Sherlock Holmes et la voix de Deadpool (Ryan REYNOLDS) pour que par miracle, celui-ci adopte leur personnalité. De même une image subliminale de film noir à la TV ne suffit pas pour recréer "Qui veut la peau de Roger Rabbit" ? (1988) qui lui bénéficiait d'une véritable vision de réalisateur en plus d'être une prouesse technique ce que "Pokémon détective Pikachu" n'est pas. Les interactions entre le monde virtuel et le monde réel n'ont pas en effet été plus travaillées que le reste du film. "Pokémon detective Pikachu" est donc au final juste un pur produit commercial formaté pour caresser dans le sens du poil les fans de l'univers Pokémon et plus généralement les adeptes de la pop culture.
"Azur et Asmar", le premier film de Michel OCELOT réalisé à l'aide de la technologie numérique (mais en conservant tout de même un caractère artisanal) frappe d'abord par sa splendeur visuelle. Les décors sont des œuvres d'art inspirés de divers courants picturaux (de la peinture flamande à la miniature persane) qui par leurs couleurs et leur profusion de détails enchantent. Mais par-delà le seul aspect visuel, le film est une fête des sens: on y touche des textures (du tissu, de la céramique), on y goûte de somptueux plats orientaux (le couscous bien sûr mais aussi les pâtisseries comme les cornes de gazelle) et on y respire les odeurs enivrantes du marché aux épices (cannelle, cumin, fenouil, curcuma, noix de muscade etc.) Bref tout nous invite à s'immerger dans la richesse d'une culture islamique largement méconnue. Seule la musique apparaît quelque peu en retrait (intra comme extra diégétique).
Comme son titre l'indique, "Azur et Asmar" traite du dialogue interculturel ou plus exactement de la fraternité dans la diversité. Michel OCELOT expédie rapidement la partie du film qui se déroule dans l'Occident médiéval pour nous plonger au cœur d'un pays du Maghreb à la fois proche et lointain (on reconnaît entre autre l'architecture mauresque andalouse et le souk de Fès). Proche car à l'éducation normative endurée par Azur avec ses précepteurs dans son château répond l'éducation non moins normative de la princesse Chamsous Sabah dans son palais digne des 1001 nuits. De même, Michel OCELOT renvoie en miroir les préjugés culturels. La superstition entourant les yeux bleus renvoie aux réactions de rejet concernant les cheveux crépus et la peau basanée. Lointain car volontairement, une partie des dialogues est en arabe et n'a pas été traduite. Cela n'empêche pas de suivre l'intrigue mais cela crée la sensation d'être étranger, plus encore qu'Azur qui connait les rudiments de la langue pour l'avoir apprise auprès de sa nourrice. Le film plaide ainsi comme le souligne sa fin pour la richesse du métissage et de l'interculturalité. Si Michel OCELOT n'est pas naïf au point de croire que les groupes et les Etats puissent dépasser leurs clivages et leurs antagonismes, au moins espère-t-il en les individus qui peuvent s'en affranchir. Il n'est guère étonnant que le film ait frappé au cœur les jeunes écoliers libanais, eux qui grandissent dans un pays où la dualité culturelle est le plus souvent prise en otage par des intérêts géopolitiques qui les dépassent.
"Souvenirs de Marnie" est sans doute le film des studios Ghibli que je préfère avec "Si tu tends l'oreille" (1995) de Yoshifumi Kondo en dehors de la filmographie des deux monstres sacrés que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA. Le film a été assez sous-estimé lors de sa sortie parce qu'il a été jugé trop plan-plan comparativement aux fulgurances formelles des fondateurs du studios. Pourtant il s'agit d'une œuvre bien moins sage qu'elle ne le laisse paraître et qui se situe dans la continuité du studio (adaptation d'un classique de la littérature jeunesse britannique transposé au Japon, héroïnes et univers féminin). Le film se situe dans un entre-deux très inconfortable propice à l'ambiguïté. Celle-ci affecte l'espace-temps, l'intrigue se déroule entre deux rives et pendant les heures bleues, celles qui se situent entre chien et loup. Elle met en contact plusieurs niveaux de réalité, celle de l'instant présent et celle de la mémoire qui fait ressurgir les fantômes du passé dans le présent. Pendant une grande partie du film, une ambiguïté supplémentaire nous donne à croire que cette mémoire n'existe pas et qu'il ne s'agit que d'un simple rêve. Il faut attendre la découverte de vestiges du passé (le journal, le tableau) pour que cette piste se referme. Le film met en vedette deux adolescentes du même âge qui fonctionnent en miroir. L'adolescence est un âge marqué par l'instabilité, l'impermanence, y compris des sentiments. La relation entre les deux jeunes filles est donc particulièrement trouble d'autant que l'une, Anna est un garçon manqué et l'autre à l'inverse, une poupée blonde aux yeux bleus portant des anglaises et des robes à fanfreluches. Sans que nous nous en rendions compte d'emblée (puisque nous croyons au départ que les deux filles existent sur un même plan spatio-temporel) Anna réécrit en fait la vie de Marnie en se projetant en rivale de l'amoureux de cette dernière, Kazuhiko. Dans la scène du silo, lieu phallique par excellence qui s'oppose à la maison des marais plus féminine, elle se substitue même complètement à lui dans un dispositif qui fait en peu penser à celui de "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Une comparaison qui se renforce lorsqu'on découvre le lien filial qui unit Marnie et Anna, la grand-mère/la petite-fille et l'amoureux/l'amoureuse finissant par avoir le même visage.
Ce travail de brouillage des repères produit un effet paradoxal: il nous montre une histoire qui se répète et en même temps, il est porteur d'espoir. Marnie, Emily (le chaînon générationnel manquant) et Anna se transmettent les mêmes maux: abandon familial, manque d'amour, perte d'estime de soi, isolement, maladie/mort prématurée. Le retour de Marnie dans la vie d'Anna a un effet réparateur. Au Japon, monde "flottant", il n'y a pas de franche rupture entre le monde des morts et celui des vivants et les deux peuvent donc communiquer et mutuellement s'influencer. On peut imaginer Marnie enfin en paix et Anna allant de l'avant, même si la fin du film est un peu trop précipitée à mon goût.
Pour ce troisième opus de la saga Kirikou, les fans du petit héros de Michel OCELOT évolueront en terrain connu. "Kirikou et les hommes et les femmes" est un copié-collé de la structure de "Kirikou et les bêtes sauvages (2005). D'abord parce qu'il se situe lui aussi dans la temporalité de "Kirikou et la sorcière" (1998) avant la transformation de Karaba et ensuite parce qu'il s'agit encore d'un film à épisodes, les aventures de Kirikou étant toujours racontées par son grand-père. Autrement il s'agit là encore d'un film assez anecdotique plutôt destiné au très jeune public.
Du moins en surface car ces histoires sont moins lisses qu'elles n'en ont l'air. A travers ce film, Michel OCELOT répond aux pays qui ont censuré la trilogie à cause de la nudité des personnages. Ceux du Moyen-Orient mais également les pays anglo-saxons comme les USA ou le Royaume-Uni. Face à cette dictature du puritanisme religieux -qui quoique moins ostensiblement prégnante en France a toujours une emprise sur les mentalités bien plus forte que ce que l'on peut croire- Michel OCELOT dépeint un monde qui n'a pas connu la Genèse, un monde où la nudité est restée innocente tout comme ses corollaires, l'érotisme et la sensualité c'est à dire non associée au mal, au péché. Un monde proche de la nature où il est possible de vivre intensément les sensations dans son corps, aucun obstacle ne le coupant du reste de l'univers. Dans la première histoire, celle de la "Femme forte", une tempête balaye le village et les enfants qui vivent entièrement nus en profitent pour aller danser sous la pluie, les mères les contemplant avec envie. Il existe une scène similaire dans "Lady Chatterley" (2006) le film de Pascale FERRAN adapté de l'œuvre de D.H. Lawrence qui était justement une déclaration de guerre au puritanisme britannique. Histoire d'une libération et d'une reconnexion à la nature, on y voit les deux amants jouer nus sous la pluie c'est à dire retourner à l'état d'enfance, cette innocence primitive qui leur a été volée. Dans une autre histoire "Kirikou et le monstre bleu" qui narre la rencontre entre les enfants du village et un jeune touareg, derrière le choc des civilisations, c'est la question du relativisme culturel qui est abordée. Comme les héros sont noir africains et que l'on s'identifie à eux, Michel OCELOT peut déconstruire nos propres normes. Pour les enfants du village de Kirikou, la pâleur de la peau de Anigouran et ses vêtements sont associés à la maladie et ils ont peur de le toucher. Ils ne raisonnent que par rapport à leurs normes culturelles: nudité et couleur de peau foncée. A travers eux, Michel OCELOT nous tend un miroir: Seule l'ouverture d'esprit et des expériences hors de la communauté permettent de dépasser les préjugés comme le montrent Kirikou et sa mère.
Autant "Kirikou et la sorcière" (1998) fait partie de ces grands films d'animation qui grâce à leurs différents niveaux de lecture peuvent parler à un très large public, autant "Kirikou et les bêtes sauvages" est davantage destiné aux très jeunes enfants. Il se compose en effet de petites histoires qui n'ont pas trouvé leur place dans le long-métrage d'origine. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une suite mais d'une bifurcation du premier récit. "Kirikou et les bêtes sauvages" commence en effet sur une scène vue dans "Kirikou et la sorcière" (1998): celle où l'eau jaillit de nouveau de la source et manque noyer Kirikou. Puis il enchaîne quatre récits d'une vingtaine de minutes chacun reliés par un griot (le grand-père de Kirikou) et des rencontres avec les éléments de la nature africaine (animaux, plantes, paysages) où Kirikou devient successivement jardinier, potier, marchand, voyageur et médecin:
- Premier récit: le combat de Kirikou contre une hyène noire ayant ravagé le potager du village.
- Deuxième récit: un mystérieux buffle dont Kirikou est le seul à se méfier compromet la vente de la production artisanale du village indispensable pour échapper à la famine.
- Troisième récit: la tentative d'enlèvement de Kirikou par Karaba et son étrange voyage dans la savane sur la tête d'une girafe.
- Quatrième récit: la tentative de Kirikou, déguisé en fétiche de s'emparer des fleurs jaunes qui poussent près de la case de Karaba, seul antidote aux fleurs qui ont empoisonné les femmes du village.
En dépit de leur caractère anecdotique, ces petites histoires faciles à suivre ont plusieurs intérêts notables: elles sont bien racontées et toujours aussi magnifiquement illustrées (l'esthétique de Kirikou est une merveille). Elles offrent des éclairages bienvenus sur une culture que nous connaissons beaucoup plus mal que celle des américains, l'Afrique n'étant pas c'est le moins que l'on puisse puisse dire au coeur de la mondialisation culturelle. Il y a donc un aspect documentaire important dans ce film comme dans le précédent que ce soit dans le domaine des techniques agricoles (entretien et irrigation du potager), artisanales (la fabrication et la cuisson des poteries), celui des rites ou celui de l'alimentation (la bière nouvelle). Enfin cela fait toujours du bien de suivre un personnage libre-penseur qui ne suit pas le troupeau, n'a pas ses peurs et ses préjugés, fait preuve de curiosité et d'initiative. Un beau miroir tendu aux spectateurs, quel que soit leur âge.
Chez Pixar, le court-métrage a toujours été un maillon crucial, tant pour expérimenter de nouvelles techniques que pour révéler de nouveaux talents. "Smash and Grab" est le deuxième court-métrage Sparkshorts. Sparkshorts est un nouveau programme des studios Pixar qui permet à ses employés qu'ils soient réalisateurs, animateurs ou techniciens de réaliser leur propre court-métrage, diffusé ensuite directement sur Youtube. L'objectif des studios est de promouvoir de nouveaux artistes et de nouveaux contenus pour maintenir au sommet la créativité de la firme sans passer par la sortie en salles (hormis durant une semaine au El Capitan Theatre à Los Angeles qui appartient à Disney) et sans forcément viser le public habituel de Pixar: “Ces films ne ressemblent à rien de ce que nous ayons jamais fait chez Pixar. Ils permettent de libérer le potentiel d’artistes individuellement et leur approche inventive du cinéma à une plus petite échelle que notre échelle habituelle.”
"Smash and Grab" est un court-métrage (rétro)futuriste qui fait beaucoup penser à "Wall-•E (2008)" par le fait que les personnages principaux sont deux robots sans paroles et que leur fonction est celle d’ouvriers spécialisés non dans le stockage des déchets mais dans l’alimentation en énergie d’une chaudière de locomotive. Le film raconte l’histoire de leur émancipation qui passe par la rupture du cordon ombilical qui les relie au train et l’acquisition d’une source d’énergie autonome. En étant deux, ils parviennent à déjouer les sentinelles même s’ils y laissent une partie de leur intégrité et à rejoindre le monde du dessus, celui des élites. On pense forcément à "Metropolis"(1926) et ce d’autant plus que certains éléments du design des machines sont d'inspiration art déco. Mais l’influence de la BD de science-fiction est également importante, notamment celle du manga cyperpunk « Gunnm » avec sa cité suspendue et sa décharge.
Le succès de "Kirikou et la sorcière" (1998) a permis à Michel OCELOT de sortir au cinéma ""Princes et Princesses" à partir d'une série qu'il avait réalisé pour la télévision en 1989, Ciné Si. Michel OCELOT a donné une suite à "Princes et Princesses" en 2011 avec les "Les Contes de la nuit" (2011) qui repose sur des principes semblables hormis sur le plan technique (artisanale dans "Princes et Princesses", numérique dans "Les Contes de la nuit") (2011):
- Enchaînement de six contes d'une durée de dix minutes chacun. La série Ciné Si en comptait huit, Michel OCELOT en a donc supprimé deux, "Icare" et "On ne saurait penser à tout". Il a fait de même pour "Les Contes de la nuit" (2011) qui étaient au départ au nombre de dix, diffusés en 2010 sur Canal + Family sous le titre "Dragons et Princesses".
- Chaque conte est précédé d'une courte séquence qui se situe dans un cinéma abandonné. On y voit les trois personnages interprétant les héros des contes, un garçon, une fille et un vieux technicien faire également en amont dans les coulisses un travail de scénariste, costumier et décorateur à se documentant sur les époques évoquées dans les contes. Cette dimension réflexive permet de voir le processus créatif à l'œuvre et de réfléchir également à la notion d'adaptation. Une histoire n'est jamais fixée une fois pour toutes, elle est construite ou reconstruite selon les protagonistes qui lui donnent vie.
- Utilisation de l'animation de silhouettes en papiers découpés filmés en ombres chinoises sur des fonds colorés qui confère à l'ensemble une esthétique visuelle de toute beauté. Les dessins en papier découpé que ce soit pour les silhouettes ou les décors sont tellement minutieux et détaillés qu'ils font penser à de la dentelle se détachant sur de superbes horizons bleu, vert, or, rose. Bref, un raffinement qui est aussi un enchantement pour les yeux.
- Enfin dans les thèmes abordés, on reconnaît bien l'auteur de "Kirikou et la sorcière" (1998), "Azur et Asmar" (2006) ou encore "Dilili à Paris" (2018). Son intérêt pour les civilisations étrangères et de façon plus générale, l'Autre nous fait voyager en Egypte antique ("Le garçon des figues") au Japon du XVIII° siècle ("Le manteau de la vieille dame"), dans des contrées imaginaires relevant du merveilleux ("Princes et Princesses") mais aussi de la science-fiction ("La Reine cruelle et le montreur de Fabulo"). Et si "La Princesse des diamants" nous offre une variante du schéma éculé de la belle prisonnière qui attend le prince charmant qui viendra la délivrer, Michel OCELOT délivre un message féministe dans "La Sorcière" et dans "Le manteau de la vieille dame". "La Sorcière" ressemble beaucoup à "Kirikou et la sorcière" (1998). On y retrouve la haine des villageois pour une femme puissante mais solitaire qu'ils veulent agresser voire détruire parce qu'elle leur fait peur. Le héros comme Kirikou se pose des questions et finit par comprendre que la clé pour entrer dans son château est celle de son consentement. La sorcière n'est en effet une sorcière que dans la culture du viol. Quant au "Manteau de la vieille dame", lui aussi repose sur la notion d'agression et de consentement ainsi que sur l'éveil et l'élévation, la vieille dame d'apparence vulnérable se transformant en maître à penser du voleur tout en lui donnant une bonne leçon!
Chez Pixar, le court-métrage a toujours été un maillon crucial, tant pour expérimenter de nouvelles techniques que pour révéler de nouveaux talents. "Purl" est le premier court-métrage Sparkshorts. Sparkshorts est un nouveau programme des studios Pixar qui permet à ses employés qu'ils soient réalisateurs, animateurs ou techniciens de réaliser leur propre court-métrage, diffusé ensuite directement sur Youtube. L'objectif des studios est de promouvoir de nouveaux artistes et de nouveaux contenus pour maintenir au sommet la créativité de la firme sans passer par la sortie en salles (hormis durant une semaine au El Capitan Theatre à Los Angeles qui appartient à Disney) et sans forcément viser le public habituel de Pixar: “Ces films ne ressemblent à rien de ce que nous ayons jamais fait chez Pixar. Ils permettent de libérer le potentiel d’artistes individuellement et leur approche inventive du cinéma à une plus petite échelle que notre échelle habituelle.”
C'est exactement ce que propose "Purl", un court-métrage féministe d'une actualité brûlante qui s'adresse aux adultes et qui montre les difficultés pour une femme de s'intégrer dans un milieu professionnel conçu par et pour les hommes. Le terme "boys club" popularisé par l'affaire du LOL trouve ici tout son sens tant le logiciel de l'entreprise est formaté pour un entre-soi masculin blanc-bourgeois compétitif et macho qui ne laisse aucune place à la diversité. Purl se retrouve donc exclue du cercle des blagues à la machine à café, des réunions de staff, de l'ascenseur, des soirées au restaurant entre collègues. La réalisatrice évoque à travers le film son propre vécu dans le milieu du cinéma d'animation lui aussi touché par le sexisme contrairement aux propos tenus lors de la dernière cérémonie des César par les acteurs Alice Belaïdi et Lucien Jean-Baptiste: “L’animation peut être un cinéma exemplaire. C’est un cinéma sans différence de salaire entre les acteurs et les actrices, un cinéma où ils peuvent être noir, blanc, jaune, vert, rouge et ça ne pose aucun problème. Un cinéma où aucun producteur n’a eu de geste déplacé à l’encontre de ses personnages, un cinéma où Minnie n’a jamais eu à créer un hashtag”. "Purl" avec son open-space rempli de clones en costards-cravates offre un démenti cinglant à cette affirmation. Car pour s'intégrer, la petite boule de laine rose n'a d'autre choix dans un premier temps que de s'adapter en adoptant les codes vestimentaires, langagiers et gestuels de la virilité et en se faisant une tête au carré: c'est l'effet "Zelig" (1983). Seule la mixité symbolisée par des boules de laine de toutes les couleurs peut sortir Purl de son aliénation en lui redonnant la fierté d'être une femme, condition sine qua non pour espérer changer le monde.
Chez Pixar, le court-métrage a toujours été un maillon crucial, tant pour expérimenter de nouvelles techniques que pour révéler de nouveaux talents. "Kitbull" est le troisième court-métrage Sparkshorts après "Purl" et "Smash and Grab". Sparkshorts est un nouveau programme des studios Pixar qui permet à ses employés qu'ils soient réalisateurs, animateurs ou techniciens de réaliser leur propre court-métrage, diffusé ensuite directement sur Youtube. L'objectif des studios est de promouvoir de nouveaux artistes et de nouveaux contenus pour maintenir au sommet la créativité de la firme sans passer par la sortie en salles (hormis durant une semaine au El Capitan Theatre à Los Angeles qui appartient à Disney) et sans forcément viser le public habituel de Pixar: “Ces films ne ressemblent à rien de ce que nous ayons jamais fait chez Pixar. Ils permettent de libérer le potentiel d’artistes individuellement et leur approche inventive du cinéma à une plus petite échelle que notre échelle habituelle.”
La première chose qui saute aux yeux dans ce film, c'est le choix inhabituel d'une animation traditionnelle en 2D. Un aspect rétro accentué par une animation saccadée et un rendu visuel combinant des traits au fusain et des teintes pastels. Le tout sied bien à l'histoire d'êtres abîmés par la vie. Si l'amitié entre deux animaux que tout sépare est une trame très disneyienne, le traitement lui ne l'est pas que ce soit au niveau de l'environnement street art, de l'absence de dialogues ou de la dureté des thèmes abordés: la maltraitance animale et la résilience. Si les conditions de vie du chaton de gouttière sont précaires, le traitement infligé au pitbull par son maître pour l'endurcir prouve si besoin était que la férocité de cet animal n'est pas naturelle, pas plus que celle de l'homme d'ailleurs. Seul l'aide apportée par le chaton permet au pitbull de ne pas sombrer dans le désespoir et la violence et c'est d'ailleurs par le chaton que les êtres humains bienveillants qu'ils rencontrent surmontent leur attitude première de rejet vis à vis du pitbull.
Steven SPIELBERG et Hergé étaient prédestinés à se rencontrer même s'ils ne purent le faire en chair et en os. Ils avaient pris rendez-vous mais Georges Rémi mourut quelques jours avant. Les critiques firent en effet remarquer à Steven SPIELBERG au début des années 80 que son Indiana Jones avait le même ADN que le héros à houppette de la bd franco-belge dont il n'avait jusqu'ici pourtant jamais entendu parler. C'est le miracle de l'art de faire dialoguer des talents qui géographiquement et culturellement paraissent aux antipodes mais dont les univers se correspondent. Moebius découvrit ainsi à peu près à la même période (celle du décloisonnement permis par l'accélération de la mondialisation) un alter ego en la personne de Hayao MIYAZAKI.
Il fallut cependant 30 ans à Steven SPIELBERG pour concrétiser son adaptation de la superstar de Hergé, le temps que la technologie évolue suffisamment pour donner corps à une vision convaincante là où ni le dessin animé en 2D ("Tintin et le lac aux requins") (1972), ni le film en prise de vue réelles ("Tintin et le mystère de la Toison d'or" (1961), "Tintin et les Oranges bleues") (1964) n'avaient su s'imposer comme des alternatives crédibles à la ligne claire. Le début brillantissime du film (générique et introduction) déjoue en quelques minutes ce problème: l'univers rétro de Hergé est respecté mais il est transfiguré par la technologie dernier cri de la performance capture qui combine animation en 3D et prise de vue réelles. Les cases figées de la BD d'origine, fidèlement reproduites dans le générique se transforment comme par magie en une course-poursuite ultra-dynamique spielbergienne à la "Arrête-moi si tu peux" (2003) . Ce dernier devient le second père de Tintin avec un passage de relai de toute beauté lors de la première séquence où Hergé portraiture son Tintin en 2D avant que nous découvrions celui de Spielberg en 3D (interprété par Jamie BELL, l'acteur-danseur génial de "Billy Elliot") (2000). La question si cruciale de la représentation du personnage est ainsi résolue de la manière la plus intelligente qui soit d'autant que les multiples miroirs de la brocante dans lesquels il se reflète (miroirs qui reproduisent l'effet "cases de bd") rappellent que celui-ci n'est qu'une image. Il n'y a en effet pas plus transparent que Tintin, celui-ci étant dénué d'histoire, d'émotions, de libido et de psychologie. Il est en effet au départ un simple support facilitant la projection du spectateur dans un tourbillon d'aventures aux quatre coins du monde à une époque où celui-ci ne voyageait pas (le premier album date de 1929). En pro du cinéma d'action et d'aventure, Spielberg nous offre du grand spectacle avec quelques scènes ébouriffantes de virtuosité dont une vision dantesque de voilier surgissant du désert et une course-poursuite d'anthologie à travers une ville marocaine contenue dans un seul plan-séquence de 6 minutes. Mais à partir du "Crabe aux pinces d'or" repris partiellement dans le film (qui mélange trois albums, celui déjà cité, "Le Secret de la Licorne" et sa suite "Le Trésor de Rackham le Rouge"), Tintin devient également le pivot d'une famille en recomposition qui se sédentarise dans le château de Moulinsart. Et c'est également de cette transformation dont Steven SPIELBERG en grand cinéaste de la famille rend compte. La rencontre avec le capitaine Haddock en est l'élément central, celui-ci étant l'exact contrepoint de Tintin: bouillonnant d'émotions, rempli de faiblesses très humaines, rude et tendre à la fois et doté d'une histoire dont la remémoration lui permet de partir en quête de ses racines et de la restauration de sa dignité bafouée. D'autres personnages gravitent dans leur orbite, les inénarrables Dupondt, le majordome Nestor et Bianca Castafiore, absente des albums adaptés mais rajoutée dans le film. Il ne manque au tableau que le professeur Tournesol à moins que la suite prévue en 2021 (au plus tôt!) ne comble cette lacune.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.