"Les émotifs anonymes" joue sur l'hypertimidité de son duo de personnages pour créer des situations comiques à même de faire rire. Et ça marche plutôt bien. Isabelle CARRE et Benoit POELVOORDE sont à la fois touchants et désopilants. La scène dans laquelle ils se retrouvent pour la première fois en tête à tête au restaurant est particulièrement tordante, au sens propre d'ailleurs puisque Jean-René doit s'interrompre toutes les dix secondes pour aller aux toilettes changer de chemise jusqu'à l'absurde. Evanouissement, mains moites, sueurs, tremblements, rougissements, toutes ces manifestations corporelles indésirables sont du carburant comique, au même titre que la non-maîtrise de son environnement dans le cinéma burlesque (tomber, se cogner, glisser, casser, s'emmêler...) qui est au coeur de la scène de la chambre d'hôtel. Dans "Les émotifs anonymes", on sourit également devant le contraste entre les mantras assertifs que prononcent Jean-René et Angélique ("j'ai confiance en moi", "je suis un volcan") et leur incapacité à s'affirmer (pour l'une) et à sortir de sa carapace (pour l'autre) avec pour conséquence la solitude et l'échec. Si on ajoute que la passion pour le chocolat les réunit, on obtient tout de même pas mal de traits autistiques chez ces personnages allant de la phobie sociale à l'intérêt restreint dans lequel ils sont experts. Si j'ai trouvé qu'il y avait des facilités scénaristiques et que les personnages secondaires étaient insignifiants, j'ai bien aimé l'univers acidulé très "Charlie et la chocolaterie" dans lequel ils évoluent. Parce que cela fait écho à leur difficulté à sortir de leur coquille pour affronter le vrai monde, comme Willy Wonka. Vivre sous cloche dans un Disneyland de pacotille est un bon moyen de conjurer ses angoisses. Et Angélique de rappeler une évidence trop souvent oubliée: le chocolat se mesure avant d'être une sucrerie à son degré d'amertume.
Il y a des schémas récurrents dans l'emploi des acteurs. Comment ne pas penser à un "remix" entre "Je vous trouve tres beau" (2005) et "La Famille Belier" (2013) en regardant "Marie-Line et son juge"? Et ce en dépit du fait qu'il s'agit de l'adaptation d'un roman de Muriel Magellan, "Changer le sens des rivières" (un beau titre). En effet le thème du rapprochement des contraires et du choc des cultures m'a fait penser au film de Isabelle MERGAULT alors que celui de l'émancipation d'une jeune fille soutenant sa famille handicapée m'a paru proche du film de Eric LARTIGAU. L'histoire, assez invraisemblable ne tient que grâce à l'alchimie entre Michel BLANC et Louane EMERA. Ceux-ci parviennent à nous faire oublier les clichés autour des classes sociales qu'ils sont censés incarner ainsi que ceux liés à leur "complémentarité" (la jeunesse et la joie de vivre de Marie-Line en échange de la culture et des ambitions de son juge-employeur occasionnel-mentor-père de substitution). Il est difficile dans un film de cinéma d'évoquer la rencontre de deux êtres que tout oppose sans être schématique. Cependant on peut trouver la barque de Marie-Line particulièrement chargée entre son père invalide, sa mère suicidée, sa soeur délinquante (dont le surgissement dans le film est très maladroit d'ailleurs), ses goûts vulgaires, son inculture. En bref il ne manque que les spaghettis au dîner (ah non, ça c'est Abdellatif KECHICHE dans "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2" - (2013) lui aussi bourré de clichés mais que les critiques ont encensé contrairement au film de Jean-Pierre AMERIS). Si la trajectoire de Marie-Line est particulièrement appuyée, celle du juge n'est pas non plus particulièrement subtile et comme c'est un être solitaire, le réalisateur évacue la description de son milieu. Quand on pense ce que Claude SAUTET avait pu faire d'un tel argument dans "Quelques jours avec moi" (1988) on ne peut que regretter l'aspect convenu du film de Jean-Pierre AMERIS.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.