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Articles avec #akerman (chantal) tag

Chantal Akerman, Always on the road

Publié le par Rosalie210

Katherine Schmelzer, Pieter Verbiest (2024)

Chantal Akerman, Always on the road

Reconnaissance tardive. C'est en 2022 avec la consécration de "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) comme le meilleur film de tous les temps que j'ai entendu parler pour la première fois de Chantal AKERMAN. C'est d'ailleurs également par cet événement que s'ouvre le documentaire qui analyse une petite partie de son oeuvre (son premier film, "Saute ma ville" (1968), sa comédie musicale "Golden Eighties" (1986), son documentaire, "D'Est" (1993), son travail d'artiste plasticienne et Jeanne Dielman bien sûr) au miroir de sa vie. Faisant intervenir des amis et collaborateurs (notamment l'acteur qui joue Sylvain, le fils de Jeanne Dielman, la productrice Marylin WATELET etc.) au milieu des extraits et des images d'archives, le film brasse les thèmes du féminisme, du judaïsme, du rapport à la mère et à la mémoire mais n'évoque pas du tout l'homosexualité féminine. En revanche il y a un documentaire dans le documentaire: celui de la ville de Bruxelles qui à la suite de la reconnaissance de "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) a inauguré en 2023 une fresque murale et une allée au coeur du Quai du commerce ainsi qu'une plaque posée devant l'immeuble où a été tourné "Jeanne Dielman". La cinémathèque de la ville a par ailleurs exhumé ses premiers courts-métrages qui restaient inédits à ce jour. Une reconnaissance qui s'inscrit dans une redécouverte des réalisatrices (comme Alice GUY en France) et dans un mouvement de féminisation des espaces publics. Tout cela trop tardivement pour que la cinéaste puisse en profiter, elle qui a mis fin à ses jours en 2015 à l'âge de 65 ans après avoir travaillé toute sa vie (comme nombre de ses consoeurs) en marge du système et en quête permanente de financements.

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Les Rendez-vous d'Anna

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1978)

Les Rendez-vous d'Anna

L'errance n'est pas du tout incompatible avec l'enfermement comme j'ai essayé récemment de le démontrer lors d'un colloque à propos du cinéma de Wim WENDERS. Et cela est également valable pour Chantal AKERMAN. D'ailleurs, j'ai lu récemment un commentaire qui rapprochait "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) de "Perfect Days" (2022) et sa solitude faite de trajectoire en boucle et de moments routiniers. Et bien ce rapprochement, on peut également le faire entre "Paris, Texas" (1984) ou la trilogie de l'errance et "Les Rendez-vous d'Anna" (1978). Le road/rail movie ponctué de rencontres ne sert en effet qu'à renvoyer le/la protagoniste à sa solitude intrinsèque. Le trajet d'Anna (que l'on devine être le double de la réalisatrice) de Essen à Paris via Cologne et Bruxelles s'effectue dans une atmosphère grise et morne. Les espaces traversés sont froids, impersonnels, désolés. Le contact avec les autres est fondamentalement déceptif. Lorsque Anna se retrouve prise dans la foule, elle a le plus grand mal à s'en extraire comme si celle-ci était un élément hostile qui l'oppressait. Mais les tête à tête ne sont pas plus chaleureux. Aux deux extrémités de son voyage, Anna tente de passer la nuit avec un homme dans une chambre d'hôtel. Un blond, rencontre d'un soir qui tente de la convaincre d'entrer dans sa vie (Helmut GRIEM) mais qu'elle repousse et un brun, amant parisien (Jean-Pierre CASSEL) qui pris de fièvre se refuse à elle. Même quand Anna retrouve sa propre mère ou la mère d'un ancien compagnon, c'est sur un quai de gare ou dans une chambre d'hôtel comme si elles n'avaient nulle part ailleurs où aller. Ce refus d'intimité fait écho à l'opacité d'Anna (Aurore CLEMENT) qui semble traverser le film comme absente à elle-même. Cependant au fil des discours qui se tissent entre Anna et ses divers interlocuteurs, on comprend peu à peu que ce bouclier sert à se protéger des injonctions au mariage et à la maternité qui étaient bien plus puissantes en 1978 qu'aujourd'hui, de même qu'être une femme cinéaste c'était être un OVNI. Mais surtout, au détour d'une confession faite à sa mère, on comprend que Anna a éprouvé un bouleversement à la suite d'une rencontre avec une femme qu'elle cherche sans succès à joindre depuis le début du film, le téléphone et le répondeur devenant des machines à spleen. En résumé "Les rendez-vous d'Anna" dresse le portrait d'une femme qui ne parvient pas à trouver sa place dans un monde conformiste qui les assigne encore largement à des rôles d'épouse et de mère au foyer. Est-ce un hasard si l'une des autres rares femmes cinéastes de cette époque, Agnes VARDA a également dépeint quelques années plus tard une errance féminine remplie d'insatisfaction à travers "Sans toit ni loi" (1985)?

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Je, tu, il, elle

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1974)

Je, tu, il, elle

"Je tu il elle" est le premier film de Chantal AKERMAN réalisé juste avant "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975). Je le précise parce que les liens entre les deux films sautent aux yeux: les longs plans fixes, la solitude et l'enfermement dans un appartement, la routine des gestes filmés en temps réel, la centralité marginale à l'époque d'une femme dont on entend les pensées, dont on voit se matérialiser les désirs de façon radicale. Une radicalité qui se marie avec une mise en scène travaillée. "Je tu il elle" se décompose en trois parties bien distinctes. Dans la première ("je tu"), on voit une jeune femme (Chantal AKERMAN elle-même alors âgée de 24 ans) essayer d'écrire une lettre après une rupture amoureuse dans une pièce qu'elle dépouille de ses meubles avant de se mettre à nu. Une façon imagée de "faire le vide". L'aspect expérimental (que l'on retrouvera sur "Jeanne Dielman") passe notamment par un décalage entre l'image et la narration: soit elle annonce que que nous allons voir, soit c'est l'inverse ce qui m'a fait penser au court-métrage de Jean EUSTACHE, "Les Photos d'Alix" (1980) dans lequel image et commentaires finissaient par se désynchroniser. Elle travaille le temps de la même façon que dans "Jeanne Dielman" avec beaucoup de répétitions obsessionnelles qui fait ressentir que cette claustration dure plusieurs semaines. Dans la deuxième partie ("il") qui est une transition, Julie a renoncé à écrire au profit de l'action directe. Elle s'échappe de la cellule et le film se transforme alors en road-movie sous influence américaine avec l'apparition d'un Marlon BRANDO français: Niels ARESTRUP alors âgé de 25 ans! Il joue en effet le rôle d'un camionneur qui prend Julie en stop. Mais la relation s'avère être elle aussi pleine de vide quand elle n'est pas à sens unique: masturbation et confidences crues aussi gênantes que désespérantes à la fois sur la vie de couple et de famille. Enfin dans la troisième partie (elle"), Julie retrouve l'amie à qui elle essayait d'écrire au début du film et les deux femmes se livrent à une longue étreinte rageuse et intense de quinze minutes filmée comme une chorégraphie ou une installation. Cette scène d'homosexualité féminine avait valu au film une interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie et fait figure de manifeste pionnier, près de 40 ans avant "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2 -" (2013). Au final, "Je tu il elle" ressemble à la confession en images d'une jeune fille (Chantal AKERMAN) qui se heurte davantage à l'autre qu'elle n'entre en contact avec lui.

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Golden Eighties

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1986)

Golden Eighties

Très chouette, cette comédie musicale bariolée, énergique et colorée de Chantal Akerman, panaché de pop culture des années 80 et de nouvelle vague des années 60 qui annonce "Vénus Beauté institut" (qui s'en est inspiré de façon évidente). Côté années 80, les couleurs, les looks, les styles musicaux m'ont fait penser à la couverture de l'album de Lio "Pop Model" sorti la même année et que j'avais reçu pour mon anniversaire. Lio justement joue dans le film mais paradoxalement, ne chante pas. Côté nouvelle vague, deux références sautent aux yeux. Les comédies musicales aux couleurs pimpantes de Jacques Demy mettant en scène des commerçants derrière les vitres de leurs magasins sauf que années 80 oblige, ceux-ci travaillent désormais dans une galerie commerciale de studio qui fait penser à un décor de sitcom (surtout lors des scènes du bar tenu par Myriam Boyer). Je me demande même si le générique n'est pas une citation de celui de "Les parapluies de Cherbourg" avec une chorégraphie de jambes traversant le sol de la galerie en diagonale. Sans parler de l'un des personnages dont le coeur balance entre la jeune fille en fleurs un peu sage (Lio à contre-emploi comme une Audrey Tautou avant la lettre) et l'incendiaire femme fatale du salon de coiffure (Fanny Cottençon). Et "Baisers volés" de François Truffaut avec Delphine Seyrig dans le rôle d'une vendeuse de vêtements et de chaussures qui fait furieusement penser à Fabienne Tabard. Mais une Fabienne Tabard avec vingt ans de plus, mélancolique, fatiguée et marquée (son personnage est une ancienne déportée) mais prête à s'enflammer de nouveau pour un ancien amour auquel elle a renoncé pour un mariage "raisonnable" avec M. Schwartz (Charles Denner dont c'était le dernier film apparaît lui aussi bien fatigué). Elle apporte un peu de profondeur à un film qui sinon apparaît comme une bulle de légèreté avec ses marivaudages incessants commentés par un choeur de shampouineuses cancanières sur un air irrésistible (on oubliera en revanche leurs équivalents masculins, totalement ridicules). Belles idées de mise en scène utilisant les bacs à shampoings et les cabines d'essayage et une fin qui symboliquement s'échappe de son décor factice pour entrer dans le monde réel lorsque l'une de ces vies semble enfin sortir du carcan imposé pour s'accorder avec son désir.  

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La Captive

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (2000)

La Captive

"La Captive" est la libre adaptation contemporaine du roman de Marcel Proust, "La Prisonnière", cinquième tome de "A la recherche du temps perdu". Chantal AKERMAN a voulu capturer l'essence du roman afin d'en tirer une résonance universelle sur sa croyance en l'altérité irréductible de l'autre. En effet, "La Captive" qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "Le Captif" est l'histoire d'un couple dont l'un tente par tous les moyens de posséder l'autre qui ne cesse de se dérober à ses efforts. Si Ariane (Sylvie TESTUD) accepte en apparence de se soumettre à Simon (Stanislas MERHAR) en se pliant à ses quatre volontés, elle lui refuse tout accès à son intimité. Quoiqu'il fasse, il se heurte à un bloc d'opacité, celle-ci éludant ses questions incessantes et fuyant son regard, y compris dans des relations sexuelles qui se déroulent quand elle semble endormie et qu'elle lui tourne le dos. Si elle semble sous son emprise tant il cherche à contrôler le moindre de ses mouvements, c'est bien lui qui se retrouve prisonnier de son obsession. Il n'a pas de vie en dehors d'elle, alors tout laisse à penser qu'elle lui cache une partie de sa vie et qu'elle lui ment. Chantal AKERMAN créé des liens avec des films célèbres portant sur le même thème, comme "Vertigo" (1958) et "Eyes wide shut" (1999). On y retrouve l'aspect onirique, hors du temps, l'odyssée intérieure d'un homme inquiet qui traque une illusion ou se confronte à ses fantasmes et au trou noir de son intériorité, le vertige de la découverte que ce que l'on croyait familier est irréductiblement étranger. S'y ajoute dans "La Captive" le caractère étouffant de l'enfermement dans l'appartement qui est moins le problème d'Ariane que celui de Simon. Seul le corps d'Ariane est cloîtré, son esprit lui vagabonde quand il le souhaite comme le démontre la scène de chant au balcon. Simon lui n'existe pas en dehors de son obsession pour Ariane tout en étant incapable de vivre sa passion. Les contacts charnels entre les deux amants sont systématiquement entravés par des vêtements, une vitre, des prétextes empêchent Simon d'accompagner son aimée à l'extérieur sans doute parce que la femme réelle ne l'intéresse pas et que découvrir sa vérité au final, non plus. Ce qu'il recherche, c'est une fusion impossible autrement que par leurs ombres. Rester dans l'appartement ou la suivre de loin, ou envoyer une jolie jeune femme au prénom équivoque (Andrée) l'espionner (Olivia BONAMY) c'est entretenir la machine à fantasmes, celle que véhicule le cinéma, le film s'ouvrant sur un film dans lequel apparaît Ariane et que regarde Simon. Le jeune homme ne se connaît pas et a bien trop peur de regarder en lui ses propres abysses comme le montre la scène d'errance nocturne au bois de Boulogne qui fait directement allusion à l'homosexualité, non plus supposée d'Ariane mais la sienne propre.

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Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Publié le par Rosalie210

Chantal Akerman (1975)

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080, Bruxelles

Trois heures de film pour raconter trois jours de la vie de Jeanne Dielman (Delphine SEYRIG), la quarantaine, veuve, mère au foyer d'un garçon de 16 ans: trois jours dans la prison physique et mentale de la ménagère de moins de 50 ans, trois jours rythmés par une multitude de gestes répétitifs dédiés aux tâches domestiques, cette fameuse charge mentale qui pèse encore majoritairement sur les épaules des femmes. Le film de Chantal AKERMAN apparaît comme le précurseur de tout un courant d'oeuvres contemporaines dédiées à l'aliénation domestique. Dans une succession de plans fixes parfois étirés jusqu'à l'épuisement, on suit le lent et inéluctable déraillement de la vie de Jeanne. La première journée est sans qu'on le sache de prime abord la dernière d'une longue série de "journées type". On y voit Jeanne accomplir mécaniquement son "devoir" lequel commence (dans le film) par le "devoir conjugal" qui se confond avec la prostitution puisque Jeanne qui est veuve dépend pour vivre des clients réguliers qu'elle reçoit en fin d'après-midi à raison d'un par jour quand son fils est à l'école. Cette tâche est mise sur le même plan que la préparation du dîner, Jeanne faisant cuire ses pommes de terre pendant la demi-heure où elle reçoit. Et il en va de même du reste de la journée, de la soirée, du lendemain matin et du début d'après-midi: une succession ininterrompue (sauf par les quelques heures de sommeil coupées au montage) de tâches domestiques répétitives sous le regard d'une mise en scène qui l'est tout autant. Le caractère carcéral, étouffant, oppressant de cette vie enfermée dans une routine ne se mesure pas seulement au fait que Jeanne passe 22h sur 24 entre les quatre murs de son deux-pièces mais il se manifeste aussi par sa solitude, sa méticulosité, sa psychorigidité, son mutisme. La seule personne qui lui pose des questions personnelles est son fils au moment du coucher mais le positionnement de Jeanne tout au fond de l'image quand son fils est au premier plan suffit à souligner combien elle cherche à esquiver le contact. La deuxième journée confirme son refus de l'intimité et le vide de sa vie: elle refuse l'invitation d'une femme rencontrée en ville à prendre le thé et ne trouve rien à écrire à sa soeur. Parallèlement on observe un début de perte de contrôle dans le fait qu'elle laisse cuire trop longtemps les pommes de terre ce qui la désoriente et décale le planning de toute la soirée. La dernière journée commencée une heure trop tôt confirme à de petits détails que Jeanne déraille: elle fait tomber des objets, oublie de rincer sa vaisselle, ne parvient pas à boire son café au lait, ne trouve pas son journal quotidien dans la boîte aux lettres, sa place habituelle à la brasserie où elle aime passer un moment en début d'après-midi est occupée, les commerces où elle fait les courses sont encore fermés, le bébé qu'elle garde sur l'horaire de midi ne supporte pas d'être approché par elle etc. Toutes ces petites choses insignifiantes en apparence s'accumulent jusqu'à l'explosion silencieuse qui conclue le film.

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