Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Publié le par Rosalie210

Teona Strugar MITEVSKA (2018)

Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Inspiré d'une histoire vraie ayant eu lieu en 2014 à Stip en Macédoine du nord mais qui semble sortie tout droit du Moyen-Age, "Dieu existe, son nom est Petrunya" a un titre en forme de réponse iconoclaste aux autorités ecclésiastiques locales qui avaient affirmé que Dieu existait et qu'il était un homme. Au delà de la question de la représentation du divin, le désordre créé par le simple fait qu'une jeune femme s'empare d'un objet religieux (une croix) qu'un rituel religieux orthodoxe réserve aux hommes a quelque chose d'absurde mais aussi de glaçant. On découvre à travers ce film qui ne se déroule pas au Moyen-Orient mais bien en Europe combien l'état de droit est fragile face à des traditions archaïques mais âprement défendues par une jeunesse masculine locale aux allures de hooligans soutenue par des autorités religieuses que les autorités civiles sont soucieuses de ne pas heurter au nom du maintien de l'ordre public. C'est ainsi que Petrunya qui n'a commis aucun délit d'après la loi se retrouve pourtant au commissariat qui devient par la suite un refuge précaire face aux menaces de lynchage. La vraie raison d'être des "traditions" apparaît alors comme un moyen de canalisation des pulsions les plus primitives de ceux qui ont les moyens physiques d'imposer leur loi, celle de la jungle. La croix étant une promesse de bonheur et prospérité pour celui qui s'en empare, Petrunya affirme par son geste irréfléchi son droit à y accéder, elle dont l'existence est marquée par l'exclusion: diplômée d'histoire (intellectuelle donc) mais sans travail, vivant à 32 ans toujours chez ses parents et que son physique non conforme rend "imbaisable" par les mâles décideurs du coin. C'est ce désespoir qui la pousse à transgresser les règles sociales afin d'exister enfin. On peut toutefois regretter un discours trop appuyé avec une Petrunya qui passe de personnage léthargique à personnage subversif sans nuances et une journaliste que je trouve tout à fait inutile. Un huis-clos villageois aurait considérablement renforcé la puissance du film.

Voir les commentaires

Jacquou le Croquant

Publié le par Rosalie210

Stellio Lorenzi (1969)

Jacquou le Croquant

En avril 1961, Stellio LORENZI déclarait dans Les Cahiers du cinéma sa foi dans l'outil télévisuel comme moyen de faire accéder le plus grand nombre à la culture et comme moyen d'expression "peut-être encore plus apte que le cinéma à scruter le comportement humain". Cette vision noble de la télévision qui s'est depuis quasi totalement perdue était d'autant plus remarquable que contrairement au cinéma, il ne fallait en attendre aucune reconnaissance. L'oeuvre profondément humaniste de Stellio LORENZI qui contribua à façonner l'ORTF* était celle d'un humble artisan et d'un homme engagé contre les injustices et l'arbitraire. Son appartenance au parti communiste lui valut d'ailleurs des ennuis avec l'Etat qui menaça de le licencier au début des années 50 dans un contexte de "maccarthysme à la française" puis supprima son émission historique "la caméra explore le temps" au milieu des années 60, inquiète de l'influence croissance de la télévision sur l'opinion publique. Il n'est guère surprenant que sa dernière réalisation ait été consacrée à Emile Zola, fils d'immigré italien comme lui et homme engagé comme lui.

Il était donc logique que Stellio LORENZI rencontre un jour le livre régionaliste de Eugène Le Roy, écrivain de la fin du XIX° siècle lui aussi engagé en tant que républicain, franc-maçon et anticlérical (d'où des ennuis avec les pouvoirs en place avant la III° République) roman qui préfigurait de nouveaux courants historiographiques s'intéressant aux petites gens comme acteurs de l'histoire plutôt qu'aux grands de ce monde. Jacques Féral dit "Jacquou le Croquant" s'appelle ainsi en référence aux jacqueries, ces révoltes paysannes dirigées contre les seigneurs qui scandèrent l'histoire de France du Moyen-Age à la première moitié du XIX° siècle avant que les structures économiques et sociales ne changent profondément sous l'effet de la seconde révolution industrielle durant le Second Empire. "Jacquou le Croquant" qui se déroule durant la Restauration de 1819 à 1830 démontre de façon éclatante ce qu'est un mouvement politique réactionnaire. Les nobles émigrés sous la Révolution retrouvèrent leurs privilèges seigneuriaux ce qui leur permit d'opprimer plus que jamais un petit peuple déjà éreinté par les guerres révolutionnaires et napoléoniennes et "d'épurer" les élites de ceux qui avaient sympathisés avec les mouvements populaires (comme le curé Bonal). Cette situation conjuguée au souvenir des droits acquis à partir de 1789 était intenable et l'on comprend mieux les raisons de la chute de Charles X qui voulait effacer toute trace du passé révolutionnaire (accusation récurrente dans la série qui fait écho au contexte de sa réalisation avec en toile de fond l'hystérie anti-rouge). Par-delà le contexte historique, la description âpre et vériste du quotidien d'une famille de métayers périgourdins qui tente de garder sa dignité sous le joug du tyran local qui les persécute rapproche la situation du paysan dominé par le seigneur de celle de l'esclave, victime du même système de prédation et d'exploitation à base de racket des biens et de culture du viol mené en toute impunité en dépit de la mise en place d'un Etat de droit tant que celui-ci n'est pas suffisamment défendu. Ajoutons qu'il se dégage beaucoup d'authenticité de cette reconstitution du monde paysan d'autrefois et que la distribution est au diapason.
 

Voir les commentaires

Dimanche à Pékin

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1956)

Dimanche à Pékin

Au milieu des années cinquante, Chris MARKER qui avait alors une trentaine d'années partit en Chine dans le cadre d'un voyage collectif organisé par l'Association des amitiés franco-chinoises, liée au parti communiste français dans le cadre des célébrations du VI° anniversaire de la République populaire de Chine. Grâce à une caméra prêtée par le cinéaste Paul PAVIOTqui lui fournit également la pellicule, Chris MARKER put tourner des heures de film mais les contraintes budgétaires l'empêchèrent de filmer le monde du travail, faute d'éclairages appropriés. Pour rendre compte de la République populaire de Chine six ans après l'arrivée au pouvoir de Mao, il choisit alors de se focaliser sur le dimanche, jour d'inactivité. A l'image de son début, le film trace une gigantesque perspective temporelle allant de la Chine impériale jusqu'à la Chine du futur (qui pour nous est déjà du passé puisqu'il évoque l'an 2000) pour rendre compte d'un pays en pleine mutation. La subjectivité du réalisateur, le contexte historique et le fait de se concentrer sur la capitale donne l'impression que la Chine de Mao c'est déjà la Chine de Deng Xiaoping, en voie de modernisation rapide. Cet angle est bien entendu trompeur. D'une part, la Chine est encore de façon écrasante un pays rural et agricole en 1955, de l'autre les catastrophes humanitaires liées aux dérives idéologiques du maoïsme (grand bond en avant et révolution culturelle) n'ont pas encore eu lieu, la Chine imitant alors le modèle soviétique avec lequel elle rompra au début des années 60.

Malgré cet aspect daté et la faiblesse des moyens cinématographiques, le film (le premier de Chris MARKER a être distribué) qui fait déjà preuve de l'inventivité du réalisateur en matière de collage de formes hétéroclites est un régal d'écriture. De "cinécriture" comme le disait son amie Agnès VARDA qui est créditée au générique en tant que "conseillère sinologue"!! Avant d'être cinéaste, Chris MARKER a été écrivain et cette sensibilité littéraire transparaît dans un commentaire poétique tour à tour nostalgique et ironique (les amoureux y "parlent tendrement du dernier plan quinquennal"). Le temps et la mémoire est l'un des thèmes obsessionnels du cinéaste et le début n'est pas sans faire penser à celui de "La Jetée" (1963): "Rien n’est plus beau que Paris sinon le souvenir de Paris. Rien n’est plus beau que Pékin sinon le souvenir de Pékin. Et moi à Paris, je me souviens de Pékin, je compte les trésors. Je rêvais de Pékin depuis trente ans sans le savoir. J’avais dans l’œil une gravure de livre d’enfance sans savoir où c’était exactement. C’était exactement aux portes de Pékin, l’allée qui conduit au tombeau des Ming. Et un beau jour, j’y étais. C’est plutôt rare de pouvoir se promener dans une image d’enfance."

Voir les commentaires

Le Héros sacrilège (Shin Heike Monogatari)

Publié le par Rosalie210

Kenji Mizoguchi (1955)

Le Héros sacrilège (Shin Heike Monogatari)

"Le Héros sacrilège" est une oeuvre particulière dans la filmographie de Kenji MIZOGUCHI. D'abord parce qu'il s'agit de son second (et dernier) film en couleur après "L Impératrice Yang Kwei Fei" (1955). Ensuite parce qu'il s'agit d'un film à grand spectacle avec des scènes d'action que n'aurait pas renié Akira KUROSAWA. La raison est qu'il s'agit d'une adaptation, celle du roman historique de Eiji Yoshikawa, "Shin heike monogatari" qui raconte la montée en puissance des samouraï dans un contexte politique de luttes de pouvoir entre nobles et moines au sein du Japon féodal du XII° siècle. Au sein de ce genre assez étranger à l'univers de Kenji MIZOGUCHI, celui-ci parvient tout de même à en faire une oeuvre personnelle que j'ai trouvé très moderne. En effet l'histoire se focalise sur un jeune homme, le fameux "héros sacrilège" élevé dans un clan de samouraï mais à l'origine incertaine (sa mère étant une courtisane, il ne sait s'il est le fils d'un empereur, d'un moine ou de son père adoptif samouraï) qui se construit en rupture avec l'ordre ancien fondé sur les superstitions et les privilèges de caste. Kiyomori n'accepte pas (à juste titre) l'injustice dont est victime son père adoptif, Tadamori qui n'est pas récompensé pour ses bons et loyaux services en raison de l'opposition de la cour qui craint de perdre ses privilèges. Avec l'aide d'une famille de nobles désargentés "félone" dont il épouse la fille, Kiyomori va donc briser le "plafond de verre" qui empêche sa famille de s'élever et décider en toute liberté qui il est et avec qui il veut être. Si une fois n'est pas coutume, c'est un garçon qui est le héros du film, les femmes occupent une position loin d'être négligeable dans l'histoire que ce soit la mère indigne de Kiyomori, odieuse certes dans ses préjugés de caste et son indifférence à ses enfants mais qui démontre elle aussi son indépendance de caractère en prenant son destin en main ou bien Tokiko, la fille du noble sans le sou qui travaille de ses mains en teignant et en tissant. A ce contenu très riche s'ajoute la beauté formelle du film, sa mise en scène parfaite que ce soit dans les scènes intimistes ou dans celles de groupe avec de nombreux figurants et un usage splendide de la couleur qui exacerbe les sentiments.

Voir les commentaires

Lettre de Sibérie

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1957)

Lettre de Sibérie

"Je vous écris d'un pays lointain". C'est par ces mots extraits du recueil de poèmes de Henri Michaux "Lointain intérieur" que s'ouvre et se referme "Lettre de Sibérie", documentaire de commande réalisé durant la coexistence pacifique entre les deux Grands que Chris MARKER a transformé en oeuvre toute personnelle. On y retrouve donc sa sensibilité littéraire mais aussi son orientation politique, d'autant plus prégnante que le sujet du documentaire se déroule aux confins de l'URSS de Khrouchtchev (exemple: "le diable serait à l'origine des forêts grandes comme les USA; le diable a peut-être aussi créé les USA"). Le documentaire montre les différents aspects de la modernisation du territoire (villes, transports, barrages et câbles électriques, pipelines, camions etc.) dans un océan de traditions. Pour alléger le propos, un aspect "conquête de l'est" copié sur les westerns est mis en avant ainsi qu'un véritable bestiaire décliné sous toutes les formes possibles pour amuser le spectateur: kolkhoze de canards qui vivent groupés, dessin animé sur les mammouths, ours apprivoisé tenu en laisse, fausse pub sur les rennes etc. Les défis propres aux hautes latitudes et au climat continental extrême ne sont pas oubliés: si le permafrost n'avait pas encore commencé sa fonte, les étés à 40° et les incendies sont évoqués sans parler du fait qu'un homme de 2021 ne peut que mettre en relation la "modernité" célébrée dans un documentaire qu'il faut replacer dans le contexte des 30 Glorieuses (notamment l'extraction d'énergies fossiles) et le réchauffement climatique actuel. D'autre part la vision positive que Chris MARKER a du communisme à cette époque explique sans doute que les aspects sombres du régime en Sibérie (à commencer par les goulags) soient complètement occultés. Mais là où le documentaire de Chris MARKER se distingue le plus du tout venant, c'est qu'en plus de son talent d'écriture il contient une géniale réflexion sur sa propre subjectivité. Dans un passage devenu célèbre situé au milieu du film, on voit les mêmes images repasser trois fois avec un commentaire qui les interprète différemment. Ainsi par exemple dans la version numéro 1 (propagandiste) l'autochtone qui passe devant la caméra est qualifié de "pittoresque" alors que dans la version numéro 2 (pamphlétaire) il est qualifié "d'inquiétant". Dans la version numéro 3 (neutre) il est juste affligé de strabisme. Les images sont donc comme les chiffres: on peut leur faire dire n'importe quoi!

Voir les commentaires

Si j'avais quatre dromadaires

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1966)

Si j'avais quatre dromadaires

"Si j'avais quatre dromadaires" est le pendant documentaire de "La Jetée" (1963) dans le domaine de la fiction. Il s'agit en effet d'un voyage à travers une succession de 800 photographies prises par Chris MARKER dans vingt-six pays différents entre 1955 et 1965 commentées par un photographe amateur et deux de ses amis. Le résultat est une belle réflexion sur l'acte de photographier aussi bien que sur ce qui est photographié.

Sur l'acte de photographier, le début du film en offre une belle définition:

" La photo c'est la chasse.
C'est l'instinct de la chasse sans l'envie de tuer.
C'est la chasse des anges...
On traque, on vise, on tire et clac!
Au lieu d'un mort, on fait un éternel."

On retrouve ainsi l'une des obsessions de Chris MARKER: le temps que la photographie fige pour le transformer en mémoire. Le rapport entre l'art et la mort est également évoqué. La vie est mouvement et changement perpétuel alors que la photographie, comme le cinéma l'arrête à un instant T qu'il fige pour l'éternité (si le support parvient à traverser le temps ou bien que son contenu soit récupéré à temps pour être sauvé sur un autre support ce qui là encore met en jeu les notions de mémoire et de transmission).

L'acte de photographier est également subjectif comme l'est toute forme d'art. C'est un regard sur le monde que nous offre Chris MARKER, son regard sur une époque marquée par la guerre froide qui divisait alors le monde en deux systèmes antagonistes. Bien que Chris MARKER penche nettement à gauche (critique mordante du capitalisme à l'aide de punchlines bien senties, fascination pour la Russie et Moscou en particulier, place privilégiée de Cuba, insistance sur les inégalités sociales et la pauvreté), son documentaire souligne ce qui réunit les peuples par delà ce qui les sépare. La succession des photographies abolit non seulement le temps mais aussi l'espace: ainsi la promenade des anglais à Nice est immédiatement suivie par "la promenade des chinois" sur la grande Muraille. Il n'y a plus qu'un seul fuseau horaire et je devrais dire, un seul langage de visages et de sons mêlés qui se répondent: par exemple la musique traditionnelle japonaise se fait entendre sur des images occidentales. Le documentaire (dont le titre se réfère à un poème de Guillaume Apollinaire) est par ailleurs divisé en deux parties inégales: l'une sur la culture ("le château") et l'autre sur la nature humaine ("le jardin").

Voir les commentaires

Attaque! (Attack!)

Publié le par Rosalie210

Robert Aldrich (1956)

Attaque! (Attack!)

Excellent film de Robert ALDRICH, puissant et sans concessions de bout en bout qui n'est pas sans faire penser au beaucoup plus connu "Les Sentiers de la gloire" (1957) sorti l'année suivante. Bien que l'intrigue de "Attaque!" se déroule en 1944 au sein de l'armée américaine dans une ambiance de huis-clos étouffant, même dans les scènes d'extérieur (le scénario est tiré d'une pièce de théâtre, ceci explique cela), on retrouve la dénonciation de ce qui est au coeur du futur film de Stanley KUBRICK: la culture de l'obéissance et de l'irresponsabilité au sein de l'armée, minée par les hiérarchies sociales et la corruption. C'est ainsi qu'un peloton mené par le lieutenant Da Costa (Jack PALANCE) se fait absurdement décimer en raison de l'incompétence et de la lâcheté de leur supérieur, le capitaine Cooney (Eddie ALBERT) dont les agissements sont couverts par le colonel Bartlett (Lee MARVIN). Il apparaît que Cooney occupe le poste parce que c'est un fils à papa qui a des relations dont espère profiter le colonel Bartlett qui ambitionne de faire une carrière politique dans le civil. Mais l'incapacité de Cooney à faire face à la situation évolue vers une démarche suicidaire pour la compagnie toute entière. Plus l'étau de l'ennemi se resserre, plus l'étendue de la névrose de celui-ci se révèle dans toute son horreur alors que le calculateur colonel ne pense qu'à tirer un profit personnel de la situation. Face à ce commandement pourri jusqu'à la moëlle, le film met en avant des hommes rudes mais qui se soucient les uns des autres, serrent les coudes et tentent de rester fidèles à une ligne de conduite honorable. Jack PALANCE est particulièrement impressionnant. Robert ALDRICH n'y va pas avec le dos de la cuillère quand il s'agit de martyriser les corps et de montrer la violence dans toute sa sécheresse et sa brutalité et on reste hanté par la vision frontale de son visage de cire aux yeux révulsés et à la bouche grande ouverte, figé dans sa rage par une mort violente qu'aucune retouche de thanatopracteur ne vient atténuer.

Voir les commentaires

La Strada

Publié le par Rosalie210

Federico Fellini (1954)

La Strada

"La Strada" est mon film préféré de Federico FELLINI. Il s'agit d'un film qui s'abreuve à la source même du cinéma. Celle des arts forains (le cirque) mais aussi du cinéma muet burlesque avec son personnage de femme-enfant saltimbanque innocente au visage lunaire incroyablement expressif (Giulietta MASINA) qui fait tant penser à celui du vagabond de Charles CHAPLIN. Cette matrice spectaculaire s'établit sur un fond social néoréaliste très âpre, courant d'où était issu Federico FELLINI (co-scénariste de Roberto ROSSELLINI notamment sur "Rome, ville ouverte" (1945) ce qui lui vaut d'être confondu avec lui dans une séquence de "Nous nous sommes tant aimés" (1974) de Ettore SCOLA qui retrace l'histoire du cinéma italien dans la seconde moitié du XX° siècle). Enfin, le film comporte une importante dimension religieuse et morale. Le personnage de Gelsomina ressemble à Jésus en ce qu'elle se sacrifie pour que Zampano (Anthony QUINN), la brute épaisse qui fait office de compagnon/maître/bourreau soit sauvé. La fin de "la Strada" a des points communs avec celle de "La Dolce vita / La Douceur de vivre" (1960) qui fait également surgir le spirituel dans la trivialité: le personnage masculin principal, prisonnier d'un enfer qui s'est mis en scène tout au long du film au travers d'un numéro répétitif aliénant (les chaînes) arrive à une sorte de terminus figuré par une plage. Il se retrouve alors face à lui-même dans une épreuve de vérité. Dans "La Strada" il observe le ciel et se laisse toucher par la grâce. Dans "La dolce vita" il contemple un monstre marin et il la refuse, tournant le dos à la jeune fille au visage d'ange qui voulait le sauver. Dans "La Strada", un troisième personnage joue un rôle important, le Fou (Richard BASEHART), un funambule musicien et poète tout aussi pur et enfantin que Gelsomina et tout aussi fragile qu'elle. Leur rencontre prouve à Gelsomina que la grâce divine existe dans le monde mais leur destin est de finir broyé entre les pattes de la brute Zampano pour que celui-ci qui fuit toute forme d'intimité (à commencer par lui-même) puisse commencer à entrevoir la lumière.

Voir les commentaires

La Femme des sables (Suna no onna)

Publié le par Rosalie210

Hiroshi Teshigahara (1964)

La Femme des sables (Suna no onna)

Oeuvre minimaliste extrêmement riche, "La femme des sables" (d'après le roman de Kôbô Abe également auteur du script du film) est une sorte de conte aussi beau que cruel sur la condition humaine. Jouant en permanence sur les changements d'échelle, le film nous fait partager l'expérience d'un maître d'école passionné d'entomologie (Eiji OKADA) parti chasser des spécimens dans le désert et qui se retrouve lui-même "entomologisé" au fond d'un tube qui n'est autre que le trou de sable dans lequel il se retrouve piégé par des villageois cupides et voyeuristes. Tel Sisyphe égaré quelque part chez Beckett, il doit jour après jour écoper le sable qui menace de l'engloutir en même temps que la maison de sa logeuse (Kyoko KISHIDA). Une tache infiniment répétée à la fois absurde et vitale. Le sable, mesure de toute chose est le véritable héros du film. Un héros ambivalent comme l'est la femme qui recueille l'homme et lui fait partager son existence. Elle est en effet implicitement comparée à un foumilion, cet insecte qui creuse des trous dans le sable pour y piéger des fourmis. Dans un premier temps, elle inspire donc de la répulsion à Niki (l'entomologiste) qui tente par tous les moyens de s'échapper. Evidemment, c'est la nature qui a toujours le dernier mot: plus il se débat, plus il s'enfonce, plus le sable se dérobe sous ses pieds. Et ce jusqu'au moment où il accepte son sort et lâche prise: du sable se met alors à jaillir de l'eau. Soit ce que ne cessait de lui dire la femme depuis le début mais il ne la croyait pas. Car l'entonnoir de sable humide est aussi une évidente métaphore du sexe féminin et l'engloutissement est une peur parmi les plus archaïques de l'être humain. Une fois surmontée, cette peur se mue en désir. Le sable aride se liquéfie, devient sensuel, il colle à la peau, se confond avec elle avant de se mettre à couler en traînées de sperme. Le réalisateur, Hiroshi TESHIGAHARA qui a fait des études d'art plastique filme les ondulations du sable, les gouttes de sueur et le grain de la peau comme autant d'oeuvres d'art abstraites, tout en donnant à son film un caractère profondément érotique. Des paysages de fin du monde post-coïtum "ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres", immuables et changeants qui comblent à la fois le corps, le coeur et l'esprit de celui qui les regarde. C'est ce qu'on appelle la plénitude.

Voir les commentaires

Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago)

Publié le par Rosalie210

David Lean (1965)

Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago)

S'il ne fallait retenir qu'un seul film de David LEAN, ce serait celui-là. Il contient en effet la quintessence de son art. On y retrouve à la fois sa sensibilité littéraire avec l'adaptation du célèbre roman de Boris Pasternak, le mélodrame intimiste de "Brève rencontre" (1945) (un homme déchiré entre bonheur conjugal et passion amoureuse) mêlée au souffle romanesque d'une grande fresque épique et historico-politique dont il s'est fait une spécialité depuis "Le Pont de la rivière Kwaï" (1957). On y retrouve également l'un de ses acteurs fétiches depuis les adaptations des romans de Charles DICKENS (Alec GUINNESS) et la célèbre musique de Maurice JARRE qui avec son "Lara's theme" a suffit à elle seule à immortaliser le film. C'est aussi l'un de ceux qui a imposé David LEAN comme un maître de la couleur. La partie "moscovite" du film (tournée en réalité comme presque toutes les scènes du film dans la banlieue de Madrid, les Pyrénées faisant office d'Oural) joue sur un contraste entre le rouge, le noir et le blanc qui a à la fois une dimension politique (tsarisme contre communisme) et individuelle (l'initiation brutale de Lara par Komarovsky se manifeste par les changements de couleur de sa robe). La partie campagnarde se coule dans le cycle des saisons avec des hivers glaciaux suivis de la renaissance du printemps et ses champs couverts de jonquilles. La fleur jaune est associée à ce que représente Lara pour Jivago dès l'époque de la guerre avec le bouquet de tournesols sur fond noir qui perd ses pétales quand Lara s'en va. Il existe d'autres aspects symboliques dans le film. Par exemple les trois hommes de la vie de Lara représentent chacun une facette de l'être humain pris dans la tourmente révolutionnaire. Jivago c'est l'humaniste rêveur et idéaliste qui ne vit que pour la beauté c'est à dire l'amour et l'art et tente de faire du bien à son prochain sans tenir compte des enjeux partisans. Komarovsky, c'est le chancre corrupteur opportuniste et cynique qui parvient à survivre dans toutes les situations et ressurgit régulièrement comme un cauchemar dans la vie de Lara. Pavel Antipov enfin est l'idéologue psycho-rigide qui sacrifie tout (à commencer par l'humanité, la sienne et celle des autres) à sa cause. On peut également souligner l'opposition des deux femmes de Jivago, Tonya la brune et Lara la blonde.

Enfin la réussite du docteur Jivago doit aussi beaucoup à sa distribution. Omar SHARIF l'oriental qui a dû à David LEAN sa notoriété mondiale (pour sa participation à "Lawrence d Arabie") (1962) est absolument parfait dans le rôle de Jivago alors que l'on retrouve avec un immense plaisir les acteurs de la nouvelle vague britannique, Julie CHRISTIE et Tom COURTENAY (qui avaient joué ensemble dans "Billy le menteur" (1963) de John SCHLESINGER). Enfin c'est le premier grand rôle d'une débutante illustre: Geraldine CHAPLIN.

Voir les commentaires