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Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2020)

Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Le début des années 90 correspond au moment où j'ai commencé à fréquenter les cinémas art et essai. C'est justement à ce moment-là que Anthony Hopkins est devenu célèbre pour son interprétation de Hannibal Lecter dans "Le Silence des Agneaux". Mais je suis bien d'accord avec lui, ce n'est pas sa plus grande interprétation. Sa plus grande interprétation, celle qui en dit le plus sur lui est celle du majordome Stevens dans "Les Vestiges du jour" sorti en 1993. La même année sortait "Les Ombres du coeur" de Richard Attenborough (qui avait déjà fait tourner Anthony Hopkins à la fin des années 70 dans "Magic") et dans lequel son personnage était un prolongement de celui du majordome Stevens. J'ai dû aller voir ce film au moins trois fois au cinéma et c'est aussi à cette époque que j'ai acheté un grand poster de l'affiche anglaise de "Les Vestiges du jour" tout en me plongeant dans le roman de Kazuo Ishiguro. A cette époque, le cinéma représentait pour moi ce qu'il représentait pour Woody Allen dans ses films des années 80: un refuge dans lequel Cecilia venait sécher ses larmes et oublier sa triste vie dans "La rose pourpre du Caire" et Mickey retrouver goût à la vie devant "La Soupe aux Canards" après avoir frôlé le suicide dans "Hannah et ses soeurs". J'avais instinctivement reconnu en Anthony Hopkins des problématiques qui étaient aussi les miennes et qui sont sans cesse évoquées dans le portrait que Arte diffuse jusqu'en janvier 2023: la sensation d'être coupé du monde et des autres, de venir d'une autre planète et d'être incapable de communiquer avec son environnement d'origine ("je ne comprenais rien à ce qu'on disait"), la solitude, les difficultés d'apprentissage et le harcèlement scolaire, le manque de confiance en soi, la nécessité de l'exil face à l'incapacité de s'intégrer ("Je ne supportais plus le théâtre anglais, je ne m'y sentais pas à ma place (...) quand je suis arrivé en Californie c'était comme être sur une autre planète. Les gens semblaient appartenir à une espèce différente (...) Comment peux-tu vivre ici? C'est comme vivre sur la lune. J'ai dit que c'est très bien, je me plaît ici."), un déracinement géographique mais aussi social, Anthony Hopkins étant un transfuge de classe (son père était boulanger, lui a été anobli). Les difficultés sociales et relationnelles d'Anthony Hopkins qui l'ont poursuivi toute sa vie sont bien résumées par Jodie Foster qui raconte qu'elle le fuyait parce qu'il lui faisait peur avant d'apprendre à la fin du tournage de "Le Silence des Agneaux" que lui aussi avait peur d'elle. Dommage que le film qui date de 2020 soit déjà daté. Il ne peut évoquer le rebond actuel de sa carrière à plus de 80 ans (nouvel Oscar pour "The Father", rôle dans le dernier James Gray) et fait l'impasse aussi sur le fait qu'il a été diagnostiqué comme étant atteint de troubles autistiques à plus de 70 ans ce qui rend évident l'ensemble des manifestations de son mal-être en société ("je ne suis pas grégaire du tout, j'ai très peu d'amis, j'aime beaucoup la solitude, je préfère ma propre compagnie") et de sa difficulté à en déchiffrer les codes ("Je suis naïf et facilement dupé, c'est ma principale faiblesse").

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Invasion Los Angeles (They Live)

Publié le par Rosalie210

John Carpenter (1988)

Invasion Los Angeles (They Live)

L'un des premiers numéros de "Blow Up" que j'ai regardé sur Arte en 2014 avait pour thème "les lunettes au cinéma" et citait largement "Invasion Los Angeles", plus précisément la scène assez géniale où John Nada (Roddy PIPER que j'ai longtemps confondu avec l'acteur fétiche de John CARPENTER, Kurt RUSSELL) découvre grâce à elles la véritable nature du monde dans lequel il vit, que l'on peut comparer, en bien plus artisanal (série B oblige) à "Matrix" (1998). Dans ce monde, la grande majorité des hommes sont asservis à leur insu par des extra-terrestres qui ont colonisé la planète en prenant leur apparence, aidés par une élite humaine qui prospère sur le dos des masses laborieuses. Celles-ci sont exploitées et manipulées à coups de messages de propagande subliminaux que la plupart ne veulent pas voir: les lunettes sont alors une métaphore de la prise de conscience comme les pilules de "Matrix". A ceci près que "Matrix" en dépit de ses prétentions intellectuelles initiales a été rapidement récupéré par l'industrie hollywoodienne et est devenu du pur divertissement alors que le film indépendant de Carpenter utilise le cerveau reptilien (au lieu du "Néo"-cortex ^^) pour livrer une satire féroce du libéralisme reaganien qui gangrène les cerveaux à la manière des aliens de "L Invasion des profanateurs de sépultures" (1956). On peut même remonter plus loin dans l'histoire des USA. Le chômage de masse et les bidonvilles ressemblent aux Hooverville de la crise de 1929 (renommés ironiquement "Justiceville" dans le film) et l'arrivée de John Nada à Los Angeles au début du film s'inscrit dans la plus pure tradition du western ("I'm a poor lonesome cowboy"). Cet homme venu de nulle part et n'ayant aucune attache est un énième avatar de "L Homme des vallées perdues" (1953) et de "Pale Rider - Le cavalier solitaire" (1985) en attendant "Drive" (2011), une figure de justicier. Il n'est pas "sans nom" mais c'est tout comme puisque "Nada" son patronyme signifie "rien du tout". Il est donc destiné à disparaître comme il est venu après avoir accompli sa mission (cathartique).

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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Mina Tannenbaum

Publié le par Rosalie210

Martine Dugowson (1993)

Mina Tannenbaum

J'avais beaucoup entendu parler de "Mina Tannenbaum" à sa sortie. Force est de constater qu'aujourd'hui il est un peu oublié, sans doute parce qu'il a mal vieilli. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu en le regardant. Il y a évidemment les deux actrices qui crèvent l'écran, Elsa ZYLBERSTEIN et Romane BOHRINGER auxquelles il faut rajouter une cousine hors-sol commentant leurs faits et gestes qui est devenue également célèbre, Florence THOMASSIN. Mais autour d'elles, force est de constater que c'est un peu le désert: personnages secondaires inconsistants, environnement qui manque de vie, passage du temps abstrait (leurs looks improbables n'aident pas et comme il y a peu de choses autour, on a du mal à se situer) et même au final une certaine difficulté à nous faire ressentir le poids de leurs origines familiales et culturelles dans leurs existences alors que c'est censé être essentiel. Tout cela fait que je me suis assez vite désintéressée de leurs petits problèmes amoureux (tous leurs Jules sont insipides à part celui joué par Jean-Philippe ÉCOFFEY qui avait un vrai potentiel mais hélas sous-exploité) aussi bien que de leurs ambitions professionnelles ou artistiques. En résumé, le talent et le charisme des actrices dissimule un film anémique. Lorsque des séquences entières sont occupées par des citations musicales ou cinématographiques restituées telles quelles, ce n'est en général pas bon signe. L'étendard qu'il a pu constituer pour une partie des jeunes filles de l'époque a dissimulé sa pauvreté intrinsèque.

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Nuremberg, des images pour l'histoire

Publié le par Rosalie210

Jean-Christophe Klotz (2019)

Nuremberg, des images pour l'histoire

On croyait tout savoir sur le procès militaire international de Nuremberg intenté par les alliés vainqueurs de la guerre qui durant près d'un an, de novembre 1945 à octobre 1946 jugea 24 hauts dignitaires nazis de crimes contre la paix, crimes de guerre et, nouveau chef d'accusation, crime contre l'humanité. On sait aussi qu'il s'agit du premier procès dont les audiences ont été filmées (par les américains et par les soviétiques), ouvrant la voie à bien d'autres, d'Eichmann à Barbie et que les images y ont joué un rôle fondamental en tant que preuves des crimes commis, aux côtés des autres types d'archives.

Ce que l'on sait moins en revanche, c'est comment ces preuves audiovisuelles ont été réunies. Le procureur Jackson qui considérait le document d'archive comme central chargea de cette mission deux jeunes soldats, Budd et Stuart Schulberg qui travaillaient sous l'égide de John FORD au sein de l'OSS (Office of Strategic Services). Le film de Jean-Christophe KLOTZ retrace leur enquête de plusieurs mois au coeur de l'Europe dévastée pour retrouver à temps un maximum de documents afin de pouvoir les diffuser lors du procès. Ce qui compliquait leur tâche était d'une part le fait que les défenseurs des accusés avaient réussi à faire invalider nombre d'archives audiovisuelles d'origine américaine, de l'autre, le fait que les nazis et leurs complices encore en liberté s'acharnaient à détruire celles qui étaient d'origine allemande. A plusieurs reprises, les deux frères arrivèrent trop tard pour sauver les bobines qui se consumaient par milliers quand ce n'était pas le bâtiment qui les abritait qui flambait. Heureusement, à la suite d'un concours de circonstances improbable dans lequel on découvre que John FORD était également vénéré par des soviétiques, les deux hommes mettent la main sur un trésor conservé dans la zone allemande occupée par l'URSS à une époque où celle-ci était encore alliée aux occidentaux et effectuent alors avec leur équipe un long travail de montage pour les diffuser au procès.

Le film met en évidence de manière saisissante l'impact que ces images eurent sur les accusés qui jusque là se retranchaient dans le déni. Le procureur Jackson fit d'ailleurs avancer la date de leur diffusion et on sait que le tribunal fut aménagé spécialement pour permettre à l'écran d'y prendre une place de choix. Jean-Christophe KLOTZ montre le changement radical du visage des accusés après avoir été obligés de regarder en face l'étendue de leurs propres crimes. L'un des moments les plus évidents est celui où Rudolf Hess qui feignait l'amnésie fit une déclaration dans laquelle il reconnaissait endosser la responsabilité de ses actes.

A plus long terme, le travail des frères Schulberg a forgé la mémoire collective de ces événements. Même s'ils n'ont pu tourner que 35 heures de rushes sur plus de 10 mois de procès, ils ont pu enregistrer en audio l'intégralité des débats. Stuart Schulberg en a fait un film en 1948, "Nuremberg, it's Lesson for Today" qui ne sortit aux USA qu'en 2010 grâce au travail de restauration de sa fille car avec l'éclatement de la guerre froide, les priorités avaient changé et le film fut enterré.

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L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Publié le par Rosalie210

Vincent Gaullier, Jean-Jacques Lonni (2020)

L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Les apparences sont trompeuses. Qui croirait que derrière les 138 pavillons de la cité-jardin Ungemach à Strasbourg se cache une histoire digne de "Bienvenue à Gattaca" (1997)? Même aujourd'hui, les édiles taisent le sulfureux passé du quartier où seule une plaque posée dans les années 50 rappelle sa vocation d'origine: abriter de " jeunes ménages en bonne santé désireux d’avoir des enfants et de les élever dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité".

Lorsque la cité est créée dans les années 20, il ne s'agissait pas à proprement parler d'eugénisme mais plutôt d'hygiénisme et de natalisme. La France avait en effet perdu une grande partie de sa jeunesse à la guerre, directement ou indirectement et connaissait un déficit de naissances ancien et préoccupant. De plus les masses populaires vivaient souvent dans des conditions (notamment de logement) déplorables héritées du XIX° siècle avec des problèmes de santé publique tels que l'alcoolisme ou la tuberculose. C'est donc pour lutter contre tous ces fléaux qu'un industriel du nom de Léon Ungemach décida avec son associé, Alfred Dachert de construire une cité-jardin dans un quartier populaire de Strasbourg. Cela s'inscrivait dans la tradition des initiatives paternalistes patronales du XIX° dont l'exemple le plus célèbre est le phalanstère Godin. De plus, dans l'entre-deux-guerres, beaucoup de cités-jardins virent le jour, notamment en Ile-de-France pour offrir aux ouvriers des conditions de vie plus saines et plus proches de leurs origines campagnardes (cultiver son jardin plutôt qu'aller boire au bar du coin).

La où les choses se corsent, c'est lorsqu'on analyse les critères d'admission et de maintien dans le logement. Les époux devaient être jeunes, féconds, en bonne santé, s'engager à avoir au moins trois enfants, le mari devait avoir une bonne situation, la femme quant à elle ne devait pas travailler (une question-piège demandait quelle était sa profession). Une fois installés, ils devaient respecter un règlement comportant plus de 300 articles et subissaient des contrôles incessants au cours desquels ils étaient notés selon un système de points. Si les inspecteurs découvraient que les époux ne respectaient pas les critères, ils étaient expulsés de leur logement. Celui-ci n'était par ailleurs loué que jusqu'au 21 ans du dernier enfant, ensuite, il fallait déménager. Les critères de sélection furent appliqués jusqu'aux années 60 et les critères d'expulsion jusqu'aux années 80 alors que la ville gérait la cité-jardin depuis les années 50.

Le documentaire, passionnant et glaçant, comble les non-dits de la ville qui pratique l'omerta sur le sujet. Des témoignages d'anciens habitants, le plus souvent enfants au moment des faits expliquent que même leurs parents n'avaient pas conscience d'être les cobayes d'une pratique d'eugénisme destinée à "améliorer l'espèce humaine", s'accompagnant en d'autres lieux de mesures de stérilisation forcées pour les populations indésirables. Des spécialistes explicitent le contexte, notamment l'importance de la culture protestante dans la politique d'eugénisme, celle-ci visant la perfectibilité de l'être humain alors que le catholicisme condamnait l'intervention de la science dans la reproduction humaine. Surtout, le film évoque comment la tentation de l'eugénisme a été stoppée in extremis au Royaume-Uni devant l'usage monstrueux qu'en a fait l'Allemagne nazie.

En raison du manque d'archives visuelles, le documentaire a recours à une animation décalée qui fait tantôt penser à celle des Monty Python, tantôt à celle de "Pink Floyd The Wall" (1982). Pour faire comprendre que ce que cachent les pavillons si proprets n'est rien d'autre qu'une variante de "1984" et "Le meilleur des mondes", un arrière-plan fait allusion à la cité de "Metropolis" (1927), les toits s'enlèvent pour laisser entrer la main des autorités ("Big Brother is catching you" ^^), les bébés, produits en série, défilent sur une chaîne de montage et les familles se transforment en souris de laboratoire.

Mais loin de cantonner l'expérience eugéniste au passé, le film démontre que celle-ci n'est qu'un avatar du système capitaliste anglo-saxon obsédé par le darwinisme social de la performance et la compétition que le nazisme a poussé jusqu'à la monstruosité la plus extrême. Qui entre aujourd'hui en contradiction avec le souci de protéger la diversité. Et de conclure sur ces mots à méditer "Quand tu fais la cité Ungemach, tu exclues d'emblée de fabriquer des Brigitte Fontaine, tu exclues d'emblée de fabriquer des Annie Ernaux, tu exclues d'emblée de fabriquer tout ce qui dépasse du cadre et pourtant ce qui dépasse du cadre pour moi c'est la vie."

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Mandibules

Publié le par Rosalie210

Quentin Dupieux (2020)

Mandibules

Dans "Mandibules", la trouvaille fantastico-absurde de Quentin DUPIEUX n'est ni un pneu psychopathe, ni un blouson en daim qui ne supporte pas la concurrence mais une mouche géante nommée Dominique trouvée dans un coffre de voiture volée par deux losers SDF particulièrement bas de plafond, Manu (Grégoire LUDIG) et Jean-Gab (David MARSAIS). Le genre à enchaîner les gaffes, à avoir un débit de "mongol", trois mots de vocabulaire et aucune suite dans les idées. De quoi bien s'entendre avec la mouche donc. Pas désarçonnés pour deux sous par cette étrange découverte, ils décident d'apprivoiser la bête pour l'utiliser comme drone à leur service. Là où le film devient carrément jubilatoire c'est lorsqu'à la suite d'une méprise, les deux compères quelque peu attardés se retrouvent avec leur passager clandestin dans une superbe villa avec piscine avec une bande de jeunes bourgeois pas très fute-fute eux non plus. Les quiproquos hilarants s'enchaînent portés par une Adèle EXARCHOPOULOS dans un rôle à contre-emploi. Elle est la seule "fine mouche" du groupe mais comme elle est handicapée dans son élocution suite à un accident, elle passe pour une complète agitée du bocal qui fait la paire avec les deux zigotos.

L'univers décalé de Quentin DUPIEUX fait donc encore une fois mouche ^^, nous délivrant une délicieuse petite comédie dont il a le secret, absurde en apparence mais qui retombe parfaitement sur ses pieds. Manu et Jean-Gab semblent coincés dans une réalité parallèle où le temps n'existe pas (ils vivent dans l'insouciance de l'instant) pas plus que l'ancrage dans un espace (ils vivotent dans la précarité la plus complète, dorment dans leur voiture volée déglinguée ou à la belle étoile, mangent ce qui leur tombe sous la main et ont une hygiène douteuse en contraste total avec les luxueuses villas qu'ils sont amenés à visiter ce qui n'a pas l'air de les affecter). D'une certaine manière, ils vont de pair avec la mouche qui vit dans les décharges et se nourrit de rebuts.

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Vibrato, l'écoute des victimes du Bataclan

Publié le par Rosalie210

Jérémy Leroux (2021)

Vibrato, l'écoute des victimes du Bataclan

"Vibrato" est un documentaire qui s'intéresse au corps sonore chez l'être humain, à son fonctionnement, ses traumatismes et les soins dont il peut faire l'objet. Le corps sonore est à l'origine un objet émettant directement ou non des vibrations comme une corde ou une cloche mais c'est aussi le cas de l'être humain, qu'il émette des sons ou serve de caisse de résonance.

Le film de Jérémy LEROUX aborde donc les attentats du Bataclan sous cet angle. Des rescapés témoignent en voix-off de leur perception auditive des événements, des conséquences sur leur vie et de leur reconstruction pendant qu'un ballet de danseurs contemporains filmés tantôt en plan large et tantôt en gros plan tentent de représenter avec leur corps le traumatisme subi. Ces séquences sont entrecoupées d'interventions de spécialistes qui font tantôt de la pédagogie (comment fonctionne un être humain face à un stress intense), tantôt de la thérapeutique (les traumatismes de l'ouïe et comment les soigner, le rôle guérisseur du son sur le corps et l'âme à travers les âges et les cultures etc.) Le résultat aurait pu (dû?) être passionnant mais hélas, ce n'est pas le cas. D'une part parce que le format choisi est bien trop court pour permettre un développement satisfaisant des thèmes abordés. D'autre part parce que le dispositif s'avère extrêmement répétitif et finalement assez abstrait.

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Armageddon Time

Publié le par Rosalie210

James Gray (2022)

Armageddon Time

Les éléments qui font que je n'adhère pas au cinéma de James GRAY, je les ai retrouvés dans son dernier opus "Armageddon Time": une certaine tendance à surligner plutôt qu'à suggérer et un personnage principal qui en dépit de ses velléités de rébellion manque de caractère, qui semble subir les événements avec résignation ou s'en accommoder jusqu'à un certain point. On a beaucoup comparé Paul à Antoine Doinel mais ce dernier me fait plutôt penser à son ami Johnny beaucoup plus attachant, lui dont les rêves se brisent implacablement contre "un monde sans pitié" qui ne lui laisse aucune chance. Paul en dépit de son inadaptation (lent, rêveur, artiste) bénéficie d'une protection familiale que n'a pas son ami défavorisé sur tous les plans. Cette inégalité des chances condamne leur amitié dans un contexte de montée en flèche du libéralisme débridé (la victoire de Reagan, le film étant fortement autobiographique).

Ceci étant il serait dommage de s'en tenir là. Car en dépit de ces maladresses (récurrentes dans le cinéma de James Gray) le film à la tonalité douce-amère donne aussi beaucoup à réfléchir. Paul est un adolescent indécis qui doit se positionner par rapport aux valeurs véhiculées par sa famille qui ne sont pas les mêmes selon les générations. Le grand-père (formidable Anthony HOPKINS), très marqué par la violence antisémite et l'exil encourage son petit-fils à se réaliser dans ce qu'il aime et à affronter les injustices en "mensch" (c'est à dire avec honneur et intégrité, ce mot m'arrache toujours des larmes tant il me renvoie à "La Garçonnière" (1960) où déjà un sage d'origine juive encourageait Baxter en ce sens face aux compromissions du "rêve américain"). Les parents en revanche sont avant tout soucieux de s'intégrer (au point d'avoir américanisé leur nom de famille) et de faire réussir leur progéniture. Qui pourrait les en blâmer? D'autant que le père qui semble si dur envers son fils sait ce qu'est l'humiliation sociale et reconnaît sans peine la noblesse de son beau-père qui est le seul à lui avoir tendu la main. Il semble au fond impuissant et résigné à jouer le jeu cynique et individualiste que la société lui impose de peur de se faire écraser ("sauve ta peau"). Paul semble suivre ses traces mais le très beau final avec ses travellings arrière sur les lieux de son apprentissage vidés de leur substance laisse entendre que cela ne sera peut-être pas le cas.

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