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Je ne voudrais pas être un homme (Ich möchte kein Mann sein)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1918)

Je ne voudrais pas être un homme (Ich möchte kein Mann sein)

"Je ne voudrais pas être un homme" est une comédie muette réalisée par Ernst LUBITSCH à la fin de la guerre. Beaucoup de ses premiers films réalisés en Allemagne ont été perdus. Et ceux qui ont été retrouvés sont globalement sous-estimés en raison de leur nature de divertissements aux effets faciles destinés à remonter le moral des allemands. Pourtant, je ne vois aucune rupture entre ce film et les comédies sophistiquées qu'il réalisera aux USA à partir des années 20. Bien au contraire, ce qui m'a frappé, ce sont les liens étroits avec la partie la plus connue de sa filmographie et celle de celui qui se considérait comme son héritier, Billy WILDER. L'héroïne, jouée par Ossi OSWALDA par son jeu truculent fait penser à Mary PICKFORD que Ernst LUBITSCH a dirigé à son arrivée aux USA. Sa quête d'émancipation et de rapports hommes-femmes égalitaires où circulerait librement le désir fait penser à "Sérénade à trois" (1933) d'autant qu'elle partage avec Miriam HOPKINS une extraordinaire vitalité et une spontanéité rafraîchissante. Enfin, le thème du travestissement recoupe d'autres films de Lubitsch sur le jeu des apparences ("To Be or Not to Be" (1942) par exemple) et contient une charge érotique que Billy WILDER a su utiliser dans plusieurs de ses films. Dans "Certains l'aiment chaud" (1959) évidemment mais aussi dans "Uniformes et jupon court" (1942) le travestissement permet de partager la même couchette alors que dans "La Garçonnière" (1960), Baxter se glisse dans un lit encore chaud des ébats de ses employeurs. Dans "Je ne voudrais pas être un homme", le tuteur de Ossi, un homme en apparence autoritaire, froid et rigide qui a été engagé pour la dresser se lâche complètement lors d'une soirée bien arrosée, se met à flirter avec Ossi travestie en homme qu'il ne reconnaît pas avant qu'un quiproquo ne fasse que chacun se retrouve dans le lit de l'autre. On pense évidemment à "Victor Victoria" (1982) qui reposait sur un quiproquo semblable d'autant qu'Ossi, même revêtue d'habits féminins boit, fume et joue au poker mais on est étonné par une telle liberté de ton dans un film de cette époque qui sous couvert de travestissement aborde frontalement l'homosexualité (les baisers d'Ossi et de son tuteur préfigure celui de Joséphine et Sugar dans "Certains l'aiment chaud") (1959) .

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Rapt (Hunted)

Publié le par Rosalie210

Charles Crichton (1952)

Rapt (Hunted)

Le cinéma britannique d'après-guerre est parsemé de pépites souvent méconnues du grand public qui ont infusé dans le cinéma américain contemporain quand ce ne sont pas leurs talents qui y ont immigré. A la vision de "Rapt", comment ne pas penser à "Un monde parfait" (1993) de Clint EASTWOOD? Le film qui n'est pas sans rappeler également "Le Gosse" (1921) de Charles CHAPLIN raconte une bouleversante histoire d'attachement entre un homme et un enfant, tous deux en fuite. Le premier a tué l'amant de sa femme et cherche à échapper à la police, le second a fugué après avoir fait une bêtise de peur d'être battu par ses parents adoptifs maltraitants. Le film est tendu dès sa première scène, remarquable par sa concision et son efficacité: l'enfant qui semble poursuivi par une menace invisible court à toute allure, manquant se faire écraser dans un paysage en ruines de l'après-guerre et en cherchant à se cacher se jette directement dans la gueule du loup, le cadavre encore chaud à ses côtés nous renseignant sur ce qu'il vient de faire. Il embarque aussitôt ce témoin gênant dans son odyssée. S'il semble en permanence aux abois, se comportant avec nervosité et rudesse (à certains moments, il traite vraiment l'enfant comme un paquet voire comme un boulet), jamais l'homme ne se montre maltraitant alors que l'attitude de l'enfant, puis la vision de son corps meurtri confirme que les parents adoptifs à l'apparence respectable sont des Thénardier en puissance (même si la violence semble être le fait exclusif du père). Peu à peu le meurtrier se dévoile et s'avère être un ancien marin affamé de tendresse qui n'a pas supporté d'être trahi. L'enfant qui chemine à ses côtés peut être perçu comme une projection de sa propre fragilité et de son besoin d'amour. Il a d'ailleurs au départ bien du mal à supporter son regard. L'évolution de leur relation est traitée avec sensibilité mais sans mièvrerie aucune, de même que les environnements qu'ils traversent, filmés d'une manière quasi-documentaire. Chris est tiraillé jusqu'au bout entre son instinct de protection et son instinct de survie, entre égoïsme et altruisme ce qui d'ailleurs déroute les autorités: mais pourquoi s'est-il encombré de cet enfant qui peut causer sa perte... ou bien son salut*. Est-il nécessaire de souligner combien Dirk BOGARDE est exceptionnel dans l'un de ses premiers grands rôles? Quant au réalisateur, Charles CRICHTON il deviendra très célèbre plusieurs décennies après dans un registre bien différent, celui de l'humour anglais avec le désopilant "Un poisson nommé Wanda" (1988).

* Cette question posée par les autorités, on la retrouve aussi dans "Les Fugitifs" (1986) qui raconte la naissance de liens affectifs entre un ex-taulard, un chômeur au bout du rouleau et sa petite fille muette dans un contexte de cavale.

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Grand Paris

Publié le par Rosalie210

Martin Jauvat (2023)

Grand Paris

Impression contrastée à la vision du premier long-métrage de Martin JAUVAT, un petit film fauché qui évoque un buddy movie de banlieue. Deux jeunes zonards, Leslie (Mahamadou Sangaré) et Félix (Martin JAUVAT) surnommé ironiquement "Renard" parce qu'il n'est pas très fûté s'embarquent dans un road movie à ceci près qu'au vu de leur budget (et de celui du film), il s'agit plutôt d'un "Ile de France mobilités" movie ^^ ce qui explique en partie le titre. Le film est d'ailleurs ponctué de plans d'abribus et de scènes d'attente à la gare du RER B ce qui en dit long sur le périmètre géographique étriqué parcouru par les deux compères. Le film qui adopte un rythme (un peu trop) nonchalant narre une sorte d'errance ponctuée de galères (problèmes de transport, de ravitaillement) et de rencontres plus ou moins hasardeuses. Heureusement qu'ils finissent par appeler un de leurs amis à la rescousse: Amin (William LEBGHIL), un livreur (et pas que de bouffe) qui peut les convoyer autrement plus vite que le "Grand Paris Express" d'un bout à l'autre de la grande couronne. Mais ce n'est pas sa seule utilité. En effet, alors qu'ils se sont rendus à Saint-Remy Les Chevreuse dans l'espoir de gagner un peu d'argent avec un deal de drogue, ils trouvent sur le chantier du Grand Paris Express bien plus intéressant: un objet recouvert de signes cabalistiques. Le film s'oriente alors vers l'aventure archéologique à la Indiana Jones du pauvre. Si l'idée de le mettre en vente leur vient à l'esprit, la curiosité l'emporte (et si c'était un moyen d'accès à un autre univers?) et aidé d'Amin, ils font la connaissance d'un contrôleur calé sur la question (Sébastien CHASSAGNE) qui les entraîne dans une exploration souterraine du réseau qui fait penser aux Catacombes ou à l'intérieur d'une pyramide. De pyramide il en est justement question car le véritable enjeu du film, c'est le besoin d'évasion. Comme dans la cité "Gagarine" (2020) qui transportait Youri dans les étoiles, la tour de Romainville se transforme en soucoupe volante pour déposer les deux amis aux pieds d'une véritable pyramide Maya, celle de la base de loisirs de Cergy étant inaccessible (les deux amis n'ont pas de bateau et ne savent pas nager). Mais les effets spéciaux sont vraiment très cheap et l'ensemble des codes culturels, dialogues inclus ("wesh gro") ciblent un public trop restreint.

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La Voix humaine

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2020)

La Voix humaine

Récemment, j'ai revu "Femmes au bord de la crise de nerfs" dont la parenté avec "La Voix humaine" m'a sauté aux yeux. Et pour cause, le célèbre long-métrage de Pedro Almodovar lui a été inspiré par la pièce en un acte de Jean Cocteau dont il propose à nouveau une adaptation, cette fois en court-métrage. Si Cocteau a mis en scène dans plusieurs de ses pièces la dépendance de femmes à des hommes absents (dans le même genre, "Le Bel Indifférent" (1957) a été adapté en court-métrage par Jacques Demy), Pedro Almodovar cherche lui à les en sortir. Et ce d'autant plus que "La Voix humaine" a été réalisé pendant le confinement ce qui redouble le thème de l'enfermement de l'héroïne qui circule à l'intérieur et à l'extérieur du décor sans pour autant sortir de sa voie (voix?) de garage, du moins jusqu'au moment de la délivrance finale. Les tenues plus colorées et extravagantes les unes que les autres portées par Tilda Swinton (actrice qui décidément transcende les frontières, de genre comme de culture) redoublent l'effet de théâtre dans le théâtre, même si sa conversation au téléphone est un monologue dont le seul spectateur est elle-même. Son personnage est enfermé dans un rôle aussi sûrement que l'était Madeleine dans "Vertigo", cité plusieurs fois. Ceci étant "La Voix humaine" est surtout un exercice de style que l'on contemple pour sa forme, somptueuse et inventive (l'utilisation des outils de bricolage qui tantôt deviennent des lettres, tantôt des armes et tantôt rappellent l'envers du décor).

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Teddy

Publié le par Rosalie210

Zoran et Ludovic Boukherma (2020)

Teddy

Si le raté "L'Année du requin" (2022) avait été autant promu dans les salles art et essai c'est parce que les frères Zoran BOUKHERMA et Ludovic BOUKHERMA avaient auparavant réalisé un film de genre, certes un peu bancal mais prometteur, "Teddy". Bancal parce que maîtrisant déjà mal le mélange des genres. Ainsi des scènes très réussies dramatiquement et esthétiquement alternent avec des moments creux. La greffe entre la comédie de terroir à la façon d'un "Groland" occitan, le teen-movie et l'imaginaire fantastique est laborieuse. Heureusement, Anthony BAJON qui est de tous les plans ou presque rend crédible et touchant son personnage de paria social un peu naïf qui tente de gommer les manifestations de sa lycanthropie pour s'intégrer. Du moins jusqu'à ce que ses illusions ne s'écroulent et que n'ayant plus rien à perdre, il provoque un bain de sang dans une scène qui fait fortement penser à "Carrie au bal du diable" (1976). Très travaillée visuellement avec ses contrastes de couleurs primaires et ses cadres dans le cadre, elle conclue un film visuellement recherché que ce soit pour les extérieurs (les paysages de montagnes pyrénéennes) ou les intérieurs (les effets de transparence du salon de massage où travaille Teddy, très "Vénus Beauté Institut" (1999) dans lequel la patronne jouée par Noémie LVOVSKY le poursuit de ses assiduités). Quant à l'horreur, elle reste pour l'essentiel suggérée, sans doute par manque de budget. Les frères Boukherma se font surtout plaisir avec des clins d'oeil à des classiques de la mutation comme "La Mouche" (1986) de David CRONENBERG. En dépit de ses imperfections, le film fonctionne assez bien et il est logique qu'il ait été remarqué.

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Eternal Daughter

Publié le par Rosalie210

Joanna Hogg (2023)

Eternal Daughter

Le centre Pompidou consacre une rétrospective à la cinéaste et photographe britannique Joanna Hogg, méconnue chez nous. "Eternal Daughter" est son sixième long-métrage, le septième si on compte son film de fin d'études qui date de 1986. En revanche, son amie d'enfance, Tilda Swinton est devenue extrêmement célèbre. Et c'est elle que l'on retrouve à l'affiche de "Eternal Daughter" qui allie une grande maîtrise cinématographique, une atmosphère onirique et gothique et un contenu intimiste autobiographique. Comme dans d'autres films mettant en scène la gémellité, Tilda Swinton s'y dédouble, cette fois pour interpréter une mère et sa fille dans un film d'atmosphère qui avec son grand hôtel désert et hanté fait penser à "Shining" de Kubrick (une référence assumée par la réalisatrice qui utilise la même oeuvre de Bela Bartok) nimbé de brume comme dans "La chute de la maison Usher" de Edgar Allan Poe. "Eternal Daughter" est une histoire de deuil qui prend la forme d'un film de fantôme. Julie qui est une réalisatrice entre deux âges sans enfant emmène sa mère Rosalind fêter son anniversaire dans l'hôtel qui fut autrefois sa maison. Une immense et majestueuse demeure quelque peu décrépite (électricité et chauffage défaillants) qui semble flotter hors du temps et dont les porte-clés sont des anges. Une sorte de rituel se met en place, ponctué par des rimes visuelles: un insert sur une main qui en saisit une autre, les promenades nocturnes de Julie dans le jardin avec Louis, le chien de Rosalind, le coucher de cette dernière précédé de la prise d'un somnifère dans le pilulier, les repas durant lesquels les deux femmes sont filmées en champ-contrechamp avec la réceptionniste qui apparaît dans le fond de l'image pour prendre la commande ou servir, des conversations dans la salle à manger ou la chambre durant lesquelles sont convoqués les souvenirs, pas toujours heureux qui effraient Julie tout comme les craquements qui alimentent ses insomnies ou encore son observation depuis la fenêtre des tensions entre la réceptionniste et son petit ami lorsqu'il vient la chercher le soir en voiture. De cette circularité et de cet effet de répétition émerge peu à  peu l'idée d'une mémoire qui cherche à se rassembler, les circonvolutions de l'hôtel, comme dans "Shining" faisant penser aux méandres du cerveau. L'atmosphère est absolument envoûtante avec un choix de couleurs, d'atmosphères et de sonorités particulièrement évocatrices. Le tout au service d'un récit sensible que l'on devine proche du vécu de la réalisatrice qui s'inscrit dans une longue lignée d'autrices gothiques (de Charlotte Brontë à Daphné du Maurier).

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De grandes espérances

Publié le par Rosalie210

Sylvain Desclous (2023)

De grandes espérances

Le titre qui a été suggéré au réalisateur Sylvain DESCLOUS dont c'est le deuxième long-métrage de fiction par la monteuse Isabelle POUDEVIGNE se réfère volontairement au célèbre roman de Charles Dickens. On devine pourquoi. Dans les deux cas, il s'agit d'un récit d'apprentissage dans lequel un héros ou une héroïne d'origine modeste s'extrait de sa condition pour embrasser un idéal et y perd son innocence au passage. Mais la ressemblance s'arrête là. L'intrigue est mise au goût du jour, l'idéal en question n'étant plus l'amour d'Estrella mais (je cite Isabelle Poudevigne) " celles que Madeleine place en ses idées politiques et le parcours qu’elle se construit. Celles que beaucoup de gens placent en Madeleine. Ce sont enfin celles que nous plaçons tous en une politique qui puisse nous faire accéder à un monde plus juste, plus équitable et plus fraternel." Le problème est que cette politique "sociale, féministe, écologique et solidaire" confrontée à la réalité du terrain en reste à la note d'intention. Il y avait pourtant de quoi construire un scénario puissant sur le prix à payer en matière d'engagement en politique, d'autant plus si on est une femme, que l'on vient d'un milieu modeste et que l'on défend des causes progressistes. Les exemples ne manquent pas, de Simone Veil à Greta Thunberg ou Malala Yousafzai. Mais Sylvain DESCLOUS choisit de salir son héroïne avec un bon gros crime bien rouge qui tache plutôt que de laisser la réalité du terrain politique lui tanner le cuir. En terme d'efficacité dramatique, il est sûr que ce choix paye en dévastant son couple et en faisant même de son ancien amant-complice (Benjamin LAVERNHE) son ennemi numéro 1 prêt à la trahir auprès de Gabrielle, la députée auprès de qui elle travaille (Emmanuelle BERCOT qui est très bien dans un rôle de composition qu'elle a travaillé auprès de véritables femmes politiques). En terme de vraisemblance, c'est beaucoup plus discutable et il ne suffit pas de placer le drame en Corse pour en faire une tragédie grecque (je cite Sylvain Desclous). Encore faut-il que ses personnages suscitent terreur et pitié ce qui n'est pas le cas. L'interprétation de Rebecca MARDER n'est pas en cause mais le fait d'en faire un personnage versatile, tantôt perturbé par le meurtre avec des cauchemars et des absences et tantôt prêt à tout pour s'en sortir par le secret et le mensonge fonctionne mal d'autant que la juge tout comme Gabrielle acceptent sa version des faits avec une déconcertante facilité. Sans parler du rôle du père prolo qui profite du meurtre pour se rapprocher de sa fille. Bref le liant entre tous ces éléments ne prend pas vraiment, chacun excluant l'autre et on perd rapidement de vue le sujet principal qui aurait pu être passionnant au profit d'un thriller somme tout assez banal.

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Incroyable mais vrai

Publié le par Rosalie210

Quentin Dupieux (2022)

Incroyable mais vrai

Ayant découvert le cinéma de Quentin DUPIEUX trop tard pour voir "Incroyable mais vrai" en salle, j'attendais de pied ferme son passage sur Canal + et j'ai été complètement bluffée. En dépit de sa courte durée, il s'agit de l'un de ses meilleurs films, beaucoup plus rigoureux dans sa construction que "Fumer fait tousser" (2021) et qui tient davantage du conte philosophique que de la comédie loufoque. Si le film repose sur deux postulats fantastiques dont l'un est propice à déclencher l'hilarité (je me suis d'ailleurs demandé combien il avait fallu de prises pour que les acteurs réussissent à garder leur sérieux devant l'énormité de certaines répliques), l'arrière-plan comme dans la plupart des films du réalisateur est vertigineux de désespérance. Les deux couples du film, Alain et Marie (Léa DRUCKER et Alain CHABAT), Jeanne et Gérard (Anaïs DEMOUSTIER et Benoît MAGIMEL) se sont unis autour d'un secret qui s'avère être en réalité une sorte de pacte avec le diable: plus on avance dans le film et plus ce secret libère sa toxicité, révélant que ces unions ne reposent finalement que sur un vide abyssal. D'ailleurs Marie et Gérard sur qui reposent les postulats fantastiques finissent par devenir des monstres, leurs complexes, leurs frustrations mais aussi leurs égocentrismes se muant en névroses obsessionnelles qui non seulement les coupe du monde mais se répercute sur leurs anatomies respectives jusqu'à l'autodestruction complète. Si la question du temps est centrale dans le film, pas seulement dans son intrigue mais aussi dans sa forme avec un montage accéléré sur la fin nous montrant les conséquences désastreuses des choix des protagonistes sur le long terme, celle de l'espace l'est tout autant. Lorsque Marie ressort du conduit par le haut alors qu'elle y est entré par le bas (symbolisant son parcours contre-nature), elle se retrouve face à son propre reflet, séduisant en surface, pourri à l'intérieur. Lorsque Gérard change de partenaire sexuelle, les choisissant de plus en plus exotiques, il se retrouve immuablement à son point de départ jusqu'à l'explosion finale. Bref, c'est l'impasse existentielle et ça ne peut que mal finir. J'ajoute que la métaphore du pourrissement pour symboliser le temps qui passe et le vieillissement m'a fait penser à "La Rose et la flèche" (1976). Même si les fourmis qui s'échappent de la main sont une évidente référence au cinéaste fétiche de Quentin DUPIEUX, Luis BUÑUEL et au peintre Salvador DALÍ à qui Dupieux a récemment consacré un film qui va bientôt sortir en salles.

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Sérénade à trois (Design for Living)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1933)

Sérénade à trois (Design for Living)

Comédie spirituelle et irrévérencieuse pré-code, "Sérénade à trois" raconte comme son titre l'indique la valse-hésitation d'une femme entre deux hommes, et même trois si l'on ajoute Max Plunkett (Edward Everett HORTON) qui représente le parti de la "raison" face aux deux artistes-bohème sans-le-sou que sont George (Gary COOPER) et Tom (Frederic MARCH). D'ailleurs sa phrase-fétiche est "L'immoralité peut être amusante, mais pas assez pour remplacer 100% de vertu et trois repas par jour". Effectivement Max est ennuyeux comme la pluie mais il a pour lui deux "pièges à filles": le prestige social et un compte en banque bien garni. Néanmoins ce n'est pas pour cela que Gilda (Miriam HOPKINS) est tentée par la situation qu'il lui propose mais pour échapper à l'insoluble casse-tête de devoir choisir entre George et Tom et de ne pas y arriver. Tour à tour, on les voit tester différentes configurations dont aucune ne s'avère durable: un "gentleman agreement" basé sur l'amour platonique sauf que comme le rappelle Gilda, elle n'est pas un gentleman, la vie de couple avec l'un, une aventure avec l'autre et finalement pourquoi pas avec les deux? Ce sont les désirs de Gilda qui mènent la danse ce qui est en soi des plus piquants et d'ailleurs dans l'une des premières scènes du film, on la voit ridiculiser Napoléon en l'affublant de sous-vêtements de la marque dont elle fait la publicité. Napoléon qui dans son fameux code de 1804 plaçait la femme sous l'autorité de son mari "au nom de la famille et de sa stabilité". "Sérénade à trois" est au contraire fondé sur l'instabilité et le choix de la bohème est l'antithèse du mariage bourgeois incarné par Max. Le tout avec une suprême élégance. Jamais ce libertinage n'est montré comme graveleux ou scandaleux. Tout semble parfaitement naturel, pétillant, joyeux et quand les deux hommes sont en proie à la jalousie et en viennent au clash, ils le font avec panache grâce aux dialogues et aux idées de mise en scène de Ernst LUBITSCH. Ainsi est très souvent cité en exemple la scène où George déduit que Gilda a passé la nuit avec Tom du fait qu'il trouve ce dernier chez elle au petit matin habillé en smoking et qu'un plan nous montre (et à lui aussi) un petit déjeuner pour deux. Mais n'est jamais mentionné qu'il casse des objets et la savoureuse tirade de Tom qui s'ensuit "C'est une manière de gérer la situation. Commis rentre chez lui, trouve madame avec pensionnaire et casse vaisselle. Du burlesque pur. Mais il y a une autre manière. Artiste intelligent rentre à l'improviste, trouve ses amis infidèles. Les hommes pèsent entre adultes le pour et le contre de la situation. Comédie de haut niveau. Tout le monde apprécie". Et George de répliquer "Il y a une troisième manière. Je te casse les dents et je t'arrache la tête pour t'enseigner la bienséance". Ce à quoi Tom répond "Mélodrame bon marché. Très ennuyeux". La grande classe!
Bien évidemment François TRUFFAUT qui adorait le film s'en est inspiré pour "Jules et Jim" (1962) et son héritage se fait ressentir jusqu'à "Les Valseuses" (1974), notamment dans la scène finale et "Whatever Works" (2009) de Woody ALLEN qui recherche la configuration amoureuse la plus susceptible de rendre heureux même s'il faut pour cela être en dehors des clous.

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My Left Foot (My Left Foot: The Story of Christy Brown)

Publié le par Rosalie210

Jim Sheridan (1989)

My Left Foot (My Left Foot: The Story of Christy Brown)

"Miracle en Alabama" (1962) était l'adaptation de l'autobiographie de Helen Keller qui parvint grâce à son éducatrice à surmonter sa cécité, sa surdité et son mutisme pour entreprendre des études supérieures, décrocher son diplôme, écrire des articles et des livres, en d'autres termes, mener une vie accomplie en dépit de son triple handicap. Christy Brown est un autre de ces miraculés. Comme dans le cas de Helen Keller, la paralysie cérébrale qui le prive presque entièrement de l'usage de ses membres et rend son élocution difficile a laissé son intelligence intacte. Il a eu également la chance de bénéficier des soins du professeur Collins, une pédiatre qui l'a aidé à utiliser à la perfection les seules parties mobiles de son corps: les orteils de son pied gauche et son visage, incluant des séances d'orthophonie qui lui ont permis de s'exprimer oralement d'une façon suffisamment claire pour être compris. Mais ce que le film de Jim SHERIDAN met surtout en avant, c'est d'une part le rôle joué par sa famille dans son épanouissement et de l'autre, le combat pugnace de Christy Brown pour être reconnu comme un homme à part entière. Christy Brown a grandi dans une famille de catholiques irlandais nombreuse et pauvre mais également aimante et inclusive. De surcroît la mère (Brenda FRICKER) a eu l'intuition de l'intelligence de son fils et a tout fait pour l'éveiller. Le lien qui les unit est souligné à plusieurs reprises, notamment dans celle où Christ adolescent (joué par un déjà très impressionnant Hugh O'CONOR) parvient à tracer son premier mot à la craie avec son pied gauche: "maman" suscitant la fierté du père qui reconnaît ainsi pleinement Christy comme un membre de la famille. Devenu adulte sous les traits d'un Daniel DAY-LEWIS prodigieux qui n'a pas volé son Oscar du meilleur acteur, Christy Brown est devenu un peintre et un écrivain talentueux qui rend au centuple ce que sa famille lui a donné. Mais surtout, il s'agit d'un homme plein de colère et de frustration qui se bat avec rage pour être considéré comme un homme à part entière et non comme un "pauvre infirme". Il refuse en particulier d'être infantilisé et lors d'une scène à la fois terrible et drôle, il injurie l'amour platonique qui est le seul qu'on lui propose, rappelant ainsi qu'il a un corps et des désirs, quand bien même ce corps est presque totalement paralysé. En cela son combat est toujours d'actualité, la sexualité des handicapés étant un sujet encore très tabou. Comme l'a dit Daniel DAY-LEWIS en 1989 "Le piège n'est pas le fauteuil roulant ou les afflictions mais notre attitude envers les personnes handicapées".

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